1
THE INSTITUTS
07
OPHTHALMOLOGY
LONDON
EX LIBRIS
THE INSTITUTE
OPHTHALMOLOGY
LONDON
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in 2014
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BIBLIOTHÈQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉM. ALGLAVE
CV
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
Publiée sous la direction de M. Émile ALGLAVE
Beaux ouvrages in-8, la plupart illustrés, cartonnés à l'anglaise, à 6, 9 et 12 fr.
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PHYSIOLOGIE
DE LA LECTURE
ET
DE L'ÉCRITURE
suivie de déductions pratiques relatives a l'hygiène
aux expertises en écriture
et aux progrès de la typographie, de la cartographie
de l'écriture en relief pour les aveugles, etc.
PAR
EMILE JÂVAL
Membre de l'Académie de médecine
Directeur honoraire du laboratoire d'ophtalmologie à la Sorbona©
Avec 96 figures dessinées par M, Charles Drcyfuss
PARIS
FÉLIX AL G AN, ÉDITEUR .
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLI ÈRE ET G'*
108, BOULEVARD SA I NT - GERMA IN , 108
1905
Tous droits réservés.
DU MÊME AUTEUR
Helmholtz. Optique physiologique, traduction française par
Javal et Klein. Paris, Masson, 1868.
Hygiène des Écoles primaires. Paris, Masson, 1883.
Mémoires d'ophtalmométrie, in-8°, Masson, 1886.
Physiologie de l'écriture, brochure in-8°. Picard et Kaan.
Manuel du strabisme, vol. grand in-18, avec collection d'images
stéréoscopiques. Paris, Masson, 1896.
Entre Aveugles, in-16, Paris, Masson, 1903.
En ce qui concerne ce volume, se rapporter aux années 1877 à 1881
des Annales d'Oculistique et aux articles des 18 octobre et 22 novem-
bre 1879, 21 mai et 25 juin 1881 de la Revue scientifique.
Méthode d'enseignement de la
lecture par l'écriture, deux petits
livrets in-8. Paris, Picard et Kaan, 1893.
Le Mans. — Imprimerie Monnoyer, 42, place des Jacobins. — 4905.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Introduction, p. xi.
PREMIERE PARTIE
NOTIONS HISTORIQUES
[. — Evolution de l'épigraphie : Caractères anciens {Fig. 1, 2,
3, 4, 5). — Apices, p. 6. — Déliés dans les caractères, p. 6. — Visibilité
et lisibilité, p. 8. — Ecriture boustrophédon, p. 9. — Forme des lettres,
p. 9.
II. — Evolution de l'écriture : Influence du papier et de la
plume dans les transformations de l'écriture, gothique, coulée, bâ-
tarde, anglaise, p. 12-15.
III. — Evolution de la typographie, p. 17 : Premiers types de
caractères, p. 18. — Types de Garamond {Fig. 6), p. 20, — Types
admirables de Jaugeon {Fig. 7, 8), p, 22, — Grandjean {Fig. 9), p. 24.
— Luce, p. 25,— Didot {Fig. 10), p. 26, — Marcellin Legrand {Fig. 11),
p. 27.
IV. — Evolution de la sténographie, p. 29 : Alphabet irlandais
du m* siècle {Fig. 13). — Histoire des différents systèmes sténographi-
ques, p. 30. — Biographie d'Aimé Paris, p. 32. — Examen des diverses
méthodes, p. 35. — La mésaventure sténographique de Ch. Dickens,
p. 36. — Graphisme sténographique {Fig. 14, 15, 16), p. 38. —
Sténographie phonétique, p. 40. — Machines sténographiques, p. 44.
V. — Evolution de l'écriture musicale : Notation musicale
chiffrée {Fig. 17), p. 47. — Supériorité éclatante de la notation
Galin-Paris-Chevé {Fig. 18, 19, 20, 21, 22), p. 48.
VI. — Evolution de l'écriture en relief : Système Barbier
{Fig. 23, 24, 25), p. 54.— Système Braille {Fig. 26), p. 56. — Autres
systèmes {Fig. 27), p. 59. — Machines à écrire pour les aveugles,
p. 60.
JÀVAL.
a
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
DEUXIÈME PARTIE.
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES
VII. — Optique de l'œil: Acuité visuelle, p. 63. — Emmétropie, p. 63.
— Presbytie, p. 64. — Myopie, p. 65. - Hypermétropie, p. 68. — Astig-
matisme (Fig. 28, 29), p. 70. — Ophtalmomètre, optomètre Javal
(Fig. 30, 31, 32), p. 74. — Anisométropie, p. 80. — Considérations im-
portantes sur les réglages optiques de l'œil, p. 81.
VIII. — De l'acuité visuelle indépendamment de l'éclai-
rage, p. 83 : Histoire des échelles typographiques, p. 84. — Dimension
et forme des lettres du tableau de Snellen réduit (Fig. 33), p. 86. —
Réduction d'une figure théorique dessinée en 1878 par l'auteur et dont
il sera fréquemment question parla suite (Fig. 34), p. 88. — Choix des
degrés de l'échelle, p. 89. — Tableau étalon (Fig. 35), p. 90. — Note
exposant un système destiné à servir de base à l'appréciation des
dommages en cas d'accidents du travail, p. 92. — Table d'Ewing
{Fig. 36), p. 94.
IX. — Influence de l'éclairage sur l'acuité visuelle. Photo-
métrie. Visibilité des points et des lignes: Visibilité d'un
point, p. 95. — Photométrie (Fig. 37, 38, 39), p. 100. — Visibilité des
lignes (Fig. 40), p. 101. — Lisibilité p. 105.
X. — Les pleins et les déliés en typographie, p. 109 : Epaisseur
des caractères, p. 109. — Caractères Didot, p. 111. — Influence des
défauts optiques de l'œil, p. 112. — Table d'acuité pour la vision voi-
sine (Fig. 41), p. 113. — Caractères pour presbytes, p. 115. — Carac-
tères pour myopes, p. 121.
XI. — Acuité tactile : Différence entre l'acuité et la sensibilité tactiles,
p. 123. — Lecture des aveugles, p. 124.
XII. — Mécanisme de la lecture : Mouvement des yeux pendant
la lecture, p. 127. — Recherches de Lamare : les saccades et les sec-
tions, p. 129. — Les variations d'accommodation (Fig. 42), p. 137. —
Lecture contrôlée des strabiques (Fig. 43, 44,45), p. 141.
XIII. — Mécanisme de l'écriture: Distinction entre les mouve-
ments du poignet et des doigts, p. 145. — Immobilité du coude
(Fig. 46, 47), p. 146. — Ecriture expédiée, p. 148. — Action funeste
des points et des accents, p. 150. — Ecriture à main posée, p. 152 —
Ecriture en miroir, écriture lithographique, écriture des gauchers (Fig.
48, 49, 50), p. 154.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
VII
XIV. — Rapidité de l'écriture et de la lecture : Indications sur
la rapidité de la lecture mentale, de la parole, de la sténographie, de
la dactylographie, de la télégraphie et de l'écriture des aveugles, p.
157. — La loi du moindre effort, caractéristique du progrès moderne,
son application aux matières traitées dans ce volume, p. 165.
TROISIÈME PARTIE.
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
XV. — L'éclairage public et privé au point de vue de l'hy-
giène des yeux : Eclairage diurne des écoles, p. 169. — Principe
d après lequel il suffit que le ciel soit vu de la place la moins favo-
risée (Fig. 51), p. 172. — Eclairage artificiel, p. 177. — Parole de
Goethe mourant, p. 179.
XVI. — Les livres et la myopie: Anatomie et physiologie, p. 181.
— Pourquoi la lecture est-elle plus fatigante que d'autres occupations ?
p. 184. — La myopie des écoliers et la réforme des livres scolaires,
p. 188. , — La myopie progressive, p. 192. — Système de cartes mu-
rales proposées par l'auteur et adoptées par M. Levasseur {Fig. 52),
p. 194.
XVII. — Typographie compacte : Forme à donner aux caractères,
p. 197. -~ Forme à donner aux chiffres, p. 203. — Epaisseur des traits
constitutifs des lettres {Fig. 53), p. 204. — Des empâtements (fig. 54,
55, 56, 57), p. 206. — De l'approche et de l'interligne, p. 211.
Théorie des impressions compactes, p. 212. — Lignomètre (Fig. 58),
p. 214. — Les cinq moyens d'économiser de l'espace : 1° Suppression
de l'interligne (Fig. 59), p. 217. — 2° Diminution de l'approche, p. 218.
— 3° Diminution de largeur des caractères, p. 218. — 4° Réduction de
dimension des caractères (Fig. 60, 61, 62), p. 218. — 5° Diminution
de la saillie des lettres. — Caractères compacts, p. 222. — Types de
caractères dessinés d'après les théories qui précèdent (Fig. 68, 69, 70,
71, 72,' 73, 74), p. 229.
XVIII. — Propagation de l'écriture droite : Aperçu historique,
p. 235. — Faveur brusque de l'écriture anglaise, p. 239. — Les
étapes de l'écriture droite en France, p. 241. — Formule de George
Sand, p. 244. — L'écriture droite en Amérique (Fig. 75), p. 245.
XIX. — Enseignement de l'écriture : Forme des lettres, p. 247. —
Transformation de l'écriture droite en écriture penchée, p. 248. —
Modèles d'écriture droite (Fig. 76, 77, 78), p. 249.
VIII
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
XX. — La lecture enseignée par l'écriture : Economie de la
méthode {Fig. 79), p. 252. — Appréciations de la presse pédagogique,
p. 253. — Résultats {Fig. 80), p. 256.
XXI. — Planchette à écrire des aveugles : Description de la
planchette {Fig. 81), p. 257. — Spécimen d'écriture avec la planchette
(Fig. 82), p. 258.
XXII. — Déchiffrement des mauvaises écritures : Système
méthodique. — Les u et les n, p. 261.
XXIII. — Graphologie : État actuel de la graphologie, p. 263.
XXIV. — Expertises en écritures : Nécessité de fonder l'expertise
en écritures sur des données physiologiques, p. 265. — Le graphisme,
ou main, constitue la base de l'expertise scientifique, p. 266. —
Expertise d'une écriture pathologique {Fig. 83, 84, 85, 86), p. 271.
XXV. — Moyen d'accélérer la lecture des aveugles : Lenteur de
la lecture du Braille, p. 275. — Réforme typographique (Fig. 87, 88,
89), p. 276. — Diminution du nombre des signes, p. 279. — Abrégé
orthographique, p. 281. — Sténographie du frère Isidore Clé, p. 282.
— Utilité de la sténographie pour les aveugles, p. 283. — Sténogra-
phie Ballu, p. 284. — Adaptation de la sténographie Aimé Paris, p .
285. — Adaptation et extension delà phonographie de Barbier (Fig.
90, 91, 92, 93), p. 285. — Transformation de récriture de Barbier (Fig.
94, 95, 96), p. 288.— Phonographie simple, p. 292. — Phonographie
avec symphones, p. 292. — Sténographie plus complète, p. 292.
Conclusion à l'usage des pédagogues : 1° Hygiène de la vue
des écoliers, p. 295. — 2° Moindre effort dans l'enseignement de la
lecture; secours de l'espéranto, p. 295. — 3° Importance particulière
de l'espéranto pour les aveugles, p. 296.
Au Docteur ZAMENHOF
Mon Confrère en Ophtalmologie
Auteur de la langue internationale auxiliaire « Espéranto »
Je dédie ce livre
en témoignage d'admiration et d'estime
Emile JAVAL
JAVAL.
b
INTRODUCTION (1)
Depuis plus de trente siècles, les caractères employés
par l'homme pour noter sa pensée ont évolué presque sans
méthode, au gré des circonstances. Il en résulte que nos
écritures modernes, depuis celle du jeune écolier jusqu'à
la typographie la plus élégante, constituent une offense au
bon sens et ne sont tolérées que grâce à la routine sécu-
laire qui les transmet de génération en génération.
Sous le rapport de l'hygiène oculaire, notre typographie
et surtout notre écriture à la main présentent de sérieux
inconvénients. La nécessité de lire, avec une assiduité tou-
jours plus grande et depuis un âge de plus en plus tendre,
des caractères dont la dimension n'a pas cessé de dimi-
nuer, a eu pour résultat de provoquer l'apparition de plus
en plus fréquente de la myopie parmi les écoliers.
Avant de proposer des réformes qui aient quelques
chances d'être adoptées, il convient d'avoir des notions de
ce qui a été fait jusqu'ici C'est pourquoi, dans une pre-
mière partie, on trouvera l'exposé de l'évolution séculaire
de l'écriture traditionnelle et de la typographie; on y trou-
vera aussi des indications relatives à trois écritures artifi-
(1) Cette introduction est composée en dix interligné de deux
points. Le corps de l'ouvrage est en neuf interligné d'un point, et
les citations intercalées sont en huit plein. Ces divers caractères de
la Maison Deberny sont tous les trois de lisibilité identique. Ils ont
été gravés conformément aux indications formulées dans le chapitre
XVII (p. 226).
XII —
cielles plus récentes: écriture sténographique, écriture mu-
sicale, écriture en relief.
Les chapitres qui constituent la deuxième partie, pré-
sentent un ensemble d'aspect assez disparate parce qu'il
fallait chercher, de divers côtés, des bases théoriques
sur lesquelles il fût possible de fonder des règles utiles,
soit pour améliorer l'hygiène, soit pour faciliter la tâche
du lecteur et de l'écrivain.
Il a fallu analyser le fonctionnement de la main qui
écrit et de l'œil qui lit; de plus, les livres et les méthodes
de lecture et d'écriture ne devant pas être faits exclusive-
ment pour des yeux irréprochables, il faut, pour les dis-
cuter, connaître les principaux défauts optiques de l'œil,
et pénétrer, par suite, dans le domaine de la physique.
Ces sujets sont traités plus complètement dans celles
de mes publications antérieures dont la liste figure ci-
dessus.
Dans le présent travail, j'ai limité mes excursions hors
du domaine scientifique, défini par son titre, au strict
minimum nécessaire, pour légitimer les conclusions aux-
quelles j'aboutis dans la troisième partie.
J'appelle l'attention du lecteur sur le chapitre XIV. Il
renferme des détails et des chiffres comparatifs qui me
paraissent jeter quelque jour sur les conditions intellec-
tuelles et matérielles favorables à la rapidité de la lecture,
et de l'écriture.
Faciliter et accélérer la lecture et l'écriture, c'est amé-
liorer les communications entre les hommes; et, le nombre
immense de ceux qui profitent d'un progrès dans cet ordre
d'idées, justifie les plus grands efforts. J'estime que celui
qui parviendrait à débarrasser l'humanité des confusions,
qui, dans les écritures rapides, s'établissent entre les u et
les h, n'aurait pas à regretter sa peine, même si sa vie
— XIII —
entière avait été consacrée à la conquête de ce progrès,
si minime en apparence.
Qu'est-ce donc que la durée d'une vie, en comparaison
des siècles que représente une minute par jour épargnée
à cent millions d'êtres humains?
Dans toute la mesure du. possible, j'ai fait des applica-
tions du principe d'utilité ou de moindre effort.
Dans certains cas, il peut être opportun de réclamer
des réformes radicales, comme je l'ai fait avec succès pour
la numérotation des verres d'optique. Le radicalisme est à
recommander quand les choses à remplacer sont extrê-
mement mauvaises. Le changement complet des habitudes
est alors accepté avec moins de répugnance.
La plupart du temps, il faut se borner à poursuivre
des réformes transactionnelles, ainsi que je le propose
dans mes déductions pratiques, pour la mesure de l'acuité
visuelle, pour l'écriture des enfants, pour la forme des
caractères typographiques, etc.
Afin d'illustrer ici ces idées par un exemple facile à
suivre, examinons la première lettre de l'alphabet, en in-
diquant ce qu'il convient de tenter pour en améliorer le
graphisme.
Il est utile de diminuer l'effort qu'elle nécessite à la lec-
ture et à l'écriture. Petite sera l'utilité pour chacun, grand
l'effort d'innovation, mais innombrables les bénéficiaires
de la réforme, si elle réussit. Il ne faut donc pas hésiter
à l'entreprendre, si, après avoir supputé et pesé au préa-
lable ses chances de succès, on est amené à espérer un
résultat favorable.
Or, pour obtenir la suppression du trait horizontal qui
complique inutilement notre A majuscule, il faudrait com-
mencer par exposer comment l'hiéroglyphe égyptien qui
représentait, de face, une tête de bœuf avec ses cornes, a
XIV
donné naissance à la lettre aleph de l'alphabet sémitique,
d'où est issu l'alpha des grecs, pendant que l'élégant lameth
phénicien se transformait en lambda (A), dont l'analogie
avec l'A nécessitait dans ce dernier la conservation du
petit trait horizontal, moins dangereux mais aussi inutile
que l'appendice de notre gros intestin, si durement qua-
lifié de vestige nuisible par les médecins modernes. Après
cette démonstration, les archéologues consentiraient peut-
être à simplifier notre A, mais le public ne les suivrait
pas. Jusqu'à la fin des temps, sans savoir pourquoi, on
conservera la barre de l'A, et ce serait folie de faire effort
pour en obtenir la suppression.
Si, au contraire, pièces en main, nous démontrons que
la tête de notre a minuscule typographique a été augmentée
graduellement, par les graveurs en caractères, et que cette
lettre serait plus lisible en diminuant cette partie, on peut
espérer que, tout au moins pour les petits caractères, les
graveurs se rendront à nos arguments, et s'inspireront du
modèle (fig. 69 à 74) (p. 229 à 233) dessiné par M.
Dreyfuss.
Ma cécité a rendu plus difficile la tâche de ce précieux
collaborateur qui a dû faire des prodiges pour exécuter,
d'après de simples indications verbales, les nombreux des-
sins dont il a enrichi ce volume.
Peut-être mon infirmité n'a-t-elle pas été sans compen-
sation, car elle m'a conduit à rédiger avec plus de com-
pétence les parties relatives à l'écriture des aveugles.
J'ai résumé, dans un petit chapitre final, les indications
nécessaires à ceux de mes lecteurs qui, voués par profes-
sion Ou par goût à l'éducation de l'enfance et de la jeu-
nesse, voudraient utiliser, dans leur pratique journalière,
les résultats de mes études.
— XV
Ce livre s'adresse encore aux personnes qui désireraient
recueillir des préceptes pour la conservation de leurs yeux,
aux éditeurs qui auraient à cœur de ne mettre en circu-
lation que des livres irréprochables au point de vue de
l'hygiène oculaire, aux architectes chargés de construire
des écoles, aux experts en écriture, et, en général, à tous
ceux qui s'intéressent aux questions de graphisme.
PREMIÈRE PARTIE
NOTIONS HISTORIQUES
Cette partie se compose de six chapitres, où l'histoire de
l'écriture est envisagée sous deux aspects très différents.
Dans les trois premiers, il est question de l'évolution natu-
relle de l'écriture à travers les âges, tandis que les trois der-
niers traitent de trois écritures, sténo graphique, musicale
et anaglyptographique ou en relief, toutes trois de création
récente et artificielle.
L'historique contenu dans les trois premiers chapitres est
restreint à l'exposé des faits dont la connaissance peut jeter
du jour sur les considérations théoriques et les déductions
pratiques qui font l'objet de ce volume. Les indications ren-
fermées dans les chapitres IV, V et VI sont également réduites
à ce qui est nécessaire pour l'intelligence des déductions
contenues dans la troisième partie.
JAVAL.
1
9
CHAPITRE PREMIER. .
EVOLUTION DE L'ÉPIGRAPHIE.
Les spécimens d'écriture les plus anciens que nous pos-
sédions sont des inscriptions gravées dans la pierre; bien
que l'on puisse attribuer à l'action destructive des siècles
l'absence de documents écrits sur des matériaux plus
fragiles, il n'en paraît pas moins fort vraisemblable que
l'inscription d'un fait important se pratiquait principa-
lement, dans l'origine, sur des matières dures, et par gra-
vure en creux; c'est ainsi, du moins, que les choses parais-
sent s'être passées en Egypte, car les papyrus les plus
anciens reproduisent assez fidèlement les hiéroglyphes des
monuments, et il est possible de remarquer les simplifications
successives par lesquelles l'écriture à l'encre a passé pour
prendre peu à peu l'aspect d'une cursive. A l'exemple des
épigraphistes, nous dirons qu'une écriture est cursive,
lorsque la forme des lettres dénote sa destination à l'usage
courant; une écriture anglaise ou bâtarde est cursive, fût- elle
gravée dans la pierre la plus dure, et les lettres capitales mo-
dernes sont épigraphiques, alors même que nous les traçons
rapidement à la main sur le tableau noir.
Les caractères épigraphiques les plus anciens, cunéiformes
d'une part, hiéroglyphiques de l'autre, présentent cette
particularité qu'ils ne sont pas formés de traits d'épaisseur
uniforme.
Les cunéiformes sur pierre ou sur brique doivent leur
nom à la forme des éléments qui les composent : supposez
qu'on presse sur une argile molle des clous analogues à ceux
qui servent à ferrer les chevaux, un petit nombre de ces
empreintes se coupant entre elles, les unes verticales, les
autres horizontales, et un plus petit nombre dans uneposition
oblique, forment, par leur réunion, un groupe de l'écriture
cunéiforme. On conçoit que la facilité d'exécution par
gravure sur pierre ait pu faire adopter ce genre de. carac-
4
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
tères dans un temps primitif, mais il n'est que juste
d'ajouter que ce principe d'écriture était des plus ingénieu-
H7I tHT n -tïî fcïïH^ÏÏT= «
/Y^. i. — Variété cunéiforme.
sèment choisis. Les groupes cunéiformes présentent de très
grandes variétés de combinaisons au moyen de l'emploi
d'un signe unique ; il n'est fait usage ni de courbes difficiles
à tracer purement, ni, le plus souvent, de lignes obliques
dont les inconvénients seront signalés plus loin ; enfin la
visibilité des différents groupes est à peu près la même,
et c'est un mérite que tout système d'écriture doit recher-
cher soigneusement.
Tout comme les cunéiformes, les hiéroglyphes égyptiens
ne sont pas formés de traits dont l'épaisseur soit constante :
la représentation d'un oiseau, par exemple, n'est pas faite en
gravant seulement le profil du modèle : l'artiste, après
avoir tracé le contour, enlevait une couche uniforme de
pierre dans tout le périmètre de la silhouette qu'il voulait
obtenir.
Sauf peut-être les deux exemples précédents, les inscrip-
tions antiques sont formées de traits uniformes: pas de
pleins ni de déliés : tous les caractères sont constitués par
des traits de même épaisseur et de même profondeur, et,
Fig. 'J. — Variété cypriote.
si l'on excepte le cypriote, dont les traits affectent toutes
les orientations possibles, nous voyons les hiéroglyphes et
les cunéiformes céder la place à des caractères formés,
comme nos capitales actuelles, de traits verticaux et hori-
zontaux, accompagnés d'un petit nombre de courbes et
d'obliques.
Tel est, par exemple, le caractère de l'épigraphie phéni-
cienne; mais avec cette réserve que, dans la variété sido-
I. — ÉVOLUTION DE LÉPIGRAPHIE.
5
nienne de cette écriture, les traits offrent une inclinaison
analogue à celle de nos italiques, et qui peut atteindre de
15° à 30° ; le musée du Louvre en offre un exemple sur le
- Fig. 3. — Variété sidonienne.
célèbre sarcophage d'Echmounazar, roi de Sidon : il y a
là une exception d'autant plus singulière que, dans les
inscriptions tyriennes de Carthage, bien postérieures, les
traits ont repris la position rectangulaire et que dans la
fameuse stèle de Mésa, antérieure de cinq cents ans à ce
sarcophage, l'obliquité des verticales est à peine sensible.
4 . x 4 A w.w4#x 4.^.3 ^
Fig. 4. — Variété tyrienne de Carthage.
On voit donc que, depuis l'époque où les hommes adop-
tèrent l'écriture phonétique, les caractères épigraphiques
ont été formés principalement de traits horizontaux et verti-
caux, tous de même épaisseur. Cette dernière remarque a
même valu le nom de caractères ANTIQUES à ceux dont
on vient de lire un spécimen.
C'est en Grèce qu'il nous faut chercher les types les plus
beaux de caractères épigraphiques. — Ceux de la meilleure
époque sont assez grêles et de forme aussi carrée que
possible, la largeur des lettres étant à peu près égale à
leur hauteur, ce qui prête à la disposition <7toi/y]Sov, c'est-à-
dire telle que toutes les lettres d'une inscription sont non
seulement disposées en lignes horizontales, mais aussi en
files verticales.
Peu à peu, l'influence de l'écriture onciale est venue
l#aolo«]l(0OSlOTfi'
Fig. 5. — Ecriture onciale.
modifier le type des caractères épigraphiques; deux ou trois
siècles avant J.-C, on voit apparaître le 2 semi-lunaire, qui
6
PREMIÈRE PARTIE.
HISTORIQUE.
a la forme d'un G, l'e semi-lunaire de forme analogue ; l'O
prend la forme w; la simplicité antique, attribuable, dans
l'origine, à la facilité d'exécution, s'altère peu à peu et l'on
voit apparaître des complications de forme dont la plus
fréquente est l'emploi des apices (pluriel d'apex).
On désigne sous ce nom ces petits traits horizontaux qui
délimitent les jambages des lettres et qui font leur appa-
rition, en Grèce, à l'époque alexandrine. Les apices droits
sont les plus anciens; un siècle plus tard se produisirent
les apices triangulaires.
Les causes qui donnèrent naissance aux apices sont
complexes. Quelques personnes veulent y voir une facilité
plus grande d'exécution. Il nous paraît plus probable que
les artistes ont voulu éviter ainsi l'aspect disgracieux que
prennent les traits obliques dépourvus d'apices quand leur
épaisseur est un peu notable. Prenons, par exemple, un V
dit antique, il est certain que les angles aigus et obtus qui
terminent par en haut chacun des traits de cette lettre, ont
un aspect désagréable qui est atténué par l'emploi d'apices
comme dans V.
Quant aux apices triangulaires, il semble que leur usage
découle de l'emploi du genre de gravure qui donnait au
creux des lettres ce profil triangulaire, fréquent en Italie,
tandis qu'en Grèce la profondeur de l'entaille était la même
sur toute sa largeur.
C'est également chez les Romains que nous voyons se
développer graduellement l'usage des déliés, en partie par
imitation de l'aspect de l'onciale manuscrite ou de la cur-
sive, en partie par des raisons qui seront développées
plus loin, en partie par le motif que voici : tandis que
les traits verticaux, sans cesse lavés par la pluie, ne se
distinguent guère que par l'ombre portée qu'ils produisent,
les traits horizontaux conservent l'enduit coloré dont ils
peuvent avoir été remplis; ou même, s'il n'y a pas eu de
peinture, ils retiennent de la poussière qui noircit avec le
temps; pour que tous les traits restent également visibles,
il convient donc de faire les horizontaux plus minces.
L'adoption des déliés pour les horizontales a dû, par des
raisons de goût, les faire employer aussi pour une partie de
verticales.
D'autre part, avec les siècles, vient s'introduire un élé-
I. — ÉVOLUTION DE LÉPIGRAPHIÉ.
1
ment nouveau; la lecture n'étant plus un laborieux travail,
il ne s'est plus agi de voir distinctement tous les détails
des lettres ; il suffisait de voir nettement les parties carac-
téristiques pour deviner le reste. Aussi voyons-nous appa-
raître successivement des caractères où le contraste des
pleins et des déliés s'accentue de plus en plus, et dont
les écriteaux des rues de Paris nous offrent un type des
plus parfaits. Examinons des LETTRES CAPI-
TALES XORMAXDES (1) et nous constatons qu'à
la distance où ces lettres sont encore lisibles, les LETTRES
CAPITALES ANTIQUES, ou même les types intermé-
diaires des LETTRES CAPITALES ÉGYPTIENNES et
des LETTRES CAPITALES ROMAINES, cessent abso-
lument d'être lus. Mais, à cette distance, ces lettres dites
normandes ne sont que devinées, car leurs déliés sont
absolument invisibles .
La supériorité des lettres normandes est d'autant plus
marquée que l'éclairage est moins bon ; c'est un point qui
sera traité plus en détail dans la seconde partie de cet
ouvrage, mais nous devons, dès maintenant, serrer d'un peu
près la question du type des lettres, car nous aurons à en
déduire des conséquences pratiques.
Tandis que les Grecs se contentaient de caractères d'une
belle forme, dont toutes les parties étaient également visi-
bles, les Romains, plus pratiques et moins artistes, semblent
s'être posé le problème de produire, dans un espace donné,
une inscription aussi lisible que faire se pouvait, et cette
préoccupation se traduit par plusieurs particularités de leurs
inscriptions lapidaires. Outre l'usage du délié, qui permet
d'augmenter l'importance du plein, nous voyons à Rome
les lettres perdre de bonne heure la forme carrée, si élé-
gante, que les Grecs conservèrent plus longtemps ; à l'AN-
TIQUE CARRÉE succède l'ANTIQUE ALLONGÉE, dénaturée
encore par l'introduction de déliés et à'apices sans lesquels
les déliés seraient d'un très mauvais effet. En même temps,
la place réservée à chaque lettre varie, suivant sa largeur : Les
INSCRIPTIONS LATINES chassent infiniment moins que les
(1) Il va sans dire que nous supposons ces quatre types de lettres
exécutés en caractères identiques sous le rapport de la hauteur et de la
largeur.
8 PREMIÈÈE PARTIE. — HISTORIQUE.
INSCRIPTIONS GRECQUES, où chaque lettre occupe
le même espace. Les Romains poussèrent l'économie de
place au point de faire quelquefois surplomber certaines
lettres : il n'est pas rare de voir ainsi la barre horizontale
des T passer au-dessus des deux lettres voisines, la queue
d'un Q s'étendre sous la lettre suivante, etc.
Il importe de bien distinguer entre ce que j'appellerai la
visibilité parfaite et la lisibilité. — La visibilité parfaite, d'a-
près laquelle chaque lettre est vue dans toutes ses parties
avec une égale précision, a été recherchée par les Grecs, qui
s'en approchèrent beaucoup avec leurs caractères grêles,
carrés et formés de traits bien égaux dans toute leur lon-
gueur ; mais si nous nous éloignons peu à peu d'une inscrip-
tion tracée d'après ce système antique, au moment où cette
inscription cesse d'être lisible, nous la ferons réapparaître
en élargissant les traits qui répondent aux pleins; puis, sans
augmenter l'espace occupé par l'inscription, déplaçons les
lettres pour égaliser, non plus l'espace occupé par chacune,
mais les intervalles qui les séparent; il nous sera loisible
d'augmenter encore les pleins sans que les lettres se tou-
chent, et, par suite, d'améliorer la lisibilité, et cela d'autant
plus que nous gagnerons de l'espace pour les pleins, en
amincissant les déliés. Mais alors, les déliés ne seront plus
vus, ils seront devinés, et l'amélioration de lisibilité nous per-
mettra de déchiffrer encore l'inscription, en nous tenant à
une distance d'où l'inscription primitive serait absolument
invisible.
Comme corollaire de l'emploi des déliés, se présentent les
apices nécessaires pour marquer leur terminaison ; ces traits
terminaux améliorent incontestablement la lisibilité, en
accentuant et affirmant, pour ainsi dire, la position des
déliés. Quant aux apices qui terminent les pleins, ils n'ont
été introduits que par un besoin de symétrie.
Pour le but que nous nous sommes proposé, il est inutile
de rechercher à quelle époque tous les hommes, à l'excep-
tion des Chinois, se décidèrent définitivement à écrire par
lignes horizontales; au point de vue physiologique, ce choix
était indiqué, car les mouvements horizontaux des yeux,
plus fréquents dans la vie ordinaire, commandés par deux
muscles seulement, me paraissent se faire avec une précision
et une vitesse supérieures à celles des mouvements verticaux.
I. — ÉVOLUTION DE LÉPIGRAPHIE.
9
Enfin, nous devons nous demander si l'on a bien fait d'a-
dopter, dans chaque groupe de langues, une direction, tou-
jours la même, pour la lecture. Il suffit d'avoir lu ou écrit bien
peu de temps une langue sémitique, pour être certain que la
lecture et l'écriture peuvent se pratiquer de droite à gauche,
tout aussi bien que de gauche à droite. Gela étant admis, il
me semble que l'écriture boustrophédon, où le sens alternait
de ligne en ligne, n'était pas sans présenter de sérieux avan-
tages. Toutes les personnes qui ont enseigné la lecture à des
enfants, savent combien les jeunes écoliers ont de peine,
après avoir terminé une ligne, à reporter le regard au com-
mencement de la ligne suivante ; les adultes eux-mêmes,
quand l'impression est fine et la justification un peu large,
se trompent parfois de ligne et sont obligés de se rectifier ;
avec l'écriture boustrophédon, ainsi nommée parce que le
lecteur suit des yeux un chemin analogue à celui parcouru
par un bœuf qui laboure, rien de pareil n'est à craindre :
arrivé au bout d'une ligne, l'œil est tout transporté au com-
mencement de la ligne suivante.
Il est curieux de remarquer, sur certaines coupes antiques
du musée du Louvre, avec quel soin les noms des person-
nages représentés sont inscrits, de telle sorte que, l'initiale
se trouvant près de la tête, les noms s'en éloignent, écrits
de gauche à droite ou de droite à gauche, suivant que l'es-
pace disponible pour ces indications se trouvait à droite ou
à gauche du personnage.
De tout ce qui précède, nous retiendrons simplement que
l'épigraphie antique a subi une évolution logique, mais
inconsciente, et que, sauf peut-être l'abandon de l'écriture
boustrophédon, nous n'avons rien à regretter des transforma-
tions successives qui nous ont légué le système actuel des
capitales romaines.
Quant à la forme des lettres, prises . une à une, il en est
tout autrement: le groupe cunéiforme était supérieur, ce me
semble, à la lettre capitale, dont nous sommes bien obligés
de faire usage. Il est manifestement absurde d'avoir des let-
tres aussi analogues que B et R, ou G et G, ou bien encore
que V, et Y. Rien qu'en changeant la position des lettres,
on aurait B et Ph , G et O , ou V, et >l, qui seraient bien
moins faciles à confondre, il serait aisé de créer des cen-
taines de systèmes préférables à notre alphabet traditionnel,
10
PREMIÈRE PARTIE. —
HISTORIQUE.
au point de vue de la lisibilité, et sans nuire à la faci-
lité d'exécution. Mais les caractères épigraphiques romains
n'étant employés en typographie que pour les lettres capi-
tales, il n'y a pas à nous préoccuper de leurs défauts: leur
dimension plus grande permet toujours de les lire mieux
que les minuscules environnantes.
Ce chapitre a été écrit d'après l'aspect des inscriptions
qu'on peut voir au Musée du Louvre, et en se préoccupant
uniquement des particularités intéressantes au point de vue
physiologique.
Les personnes qui voudraient pousser cette étude plus
loin, consulteront avec fruit l'ouvrage de M. Philippe Berger,
Histoire de l'Ecriture dans l'Antiquité, publié en 1891 avec
grand luxe de figures, par l'Imprimerie Nationale.
CHAPITRE II.
ÉVOLUTION DE L'ÉCRITURE.
Caractères manuscrits. — Tandis que, par une évo-
lution dont il est sans intérêt pour nous de suivre les étapes,
sur les manuscrits du moyen âge, la forme des lettres capi-
tales est revenue à ce qu'elle était au siècle d'Auguste, nos
minuscules cursives et imprimées résultent de transforma-
tions innombrables, qui se produisirent parallèlement en
Italie, en Allemagne, en Espagne, en Angleterre, en France.
Dès avant notre ère, les Romains avaient pris l'habitude
de modifier leurs lettres capitales lorsqu'ils écrivaient des
manuscrits: c'est ainsi que se produisirent les lettres oncialcs
(Voir fig. 5, page 5), où l'A, l'E, FM par exemple, prennent
des formes arrondies, telles que CID pourl'M. Dans ces ma-
nuscrits, on voit aussi certaines lettres dépasser l'alignement,
soit par en haut, soit par en bas.
En même temps se développaient diverses écritures cur-
sives, qui, s'étant perdues rapidement, n'ont pas exercé
d'influence sur notre écriture actuelle, et des notes tiro-
nieiines, sorte de sténographie dont l'usage persistait encore
au ixe siècle de notre" ère (Voy. p. 30).
Nous trouvons donc chez les Romains quatre types : capi-
tales, onciales, cursives et tironiennes, correspondant à nos
quatre types actuels : capitales, minuscules, cursives et
sténographiques.
Au moyen âge, la première velléité de retour à une écri-
ture correcte, grammaticalement et matériellement, est attri-
buable à Charlemagne, et se manifeste dans son capitulaire
de 789 ; aussi voyons-nous, sous la direction d'Alcuin, l'ab-
baye de Saint-Martin de Tours produire, entre 796 et 804,
des onciales magnifiques et de belles minuscules.
Cette tentative n'enraya pas le développement de diverses
écritures nationales : irlandaise, anglo-saxonne, lombarde,etc.
12 PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
Mais l'impulsion était donnée, et, au xne siècle, l'écriture
franque minuscule avait atteint un haut degré de perfec-
tion.
Parmi le chaos des écritures diverses qui se produisent
ultérieurement, nous devons mentionner la gothique, dont
l'origine n'est pas antérieure au xive siècle.
L'invention de l'imprimerie n'amena pas une simplification
immédiate ; c'est ainsi que le moine Léonard Wagner, à
Augsbourg, mort en 1522, se vantait de savoir tracer soi-
xante-dix sortes d'écriture ! Cependant, par bonheur, la Re-
naissance italienne, qui s'était traduite par un troisième re-
tour à la minuscule franque, avait coïncidé avec la généralisa-
tion de l'imprimerie ; retardez cette renaissance de quelques
années ou faites venir l'imprimerie un demi-siècle plus tôt,
et notre minuscule actuelle n'aurait jamais vu le jour ; l'hu-
manité aurait été sans doute condamnée pour toujours à em-
ployer ces détestables caractères gothiques, dont l'usage, res-
treint d'abord aux pays les plus rebelles à l'influence de la
Renaissance italienne, tend actuellement à disparaître de plus
en plus.
D'ailleurs, la distinction entre l'écriture cursive et négli-
gée des notarii et la belle calligraphie des librarii préparait la
séparation entre les caractères manuscrits actuels et les
caractères typographiques : la liaison entre les lettres a tou-
jours été évitée par les librarii des bonnes époques ; indis-
pensable pour la rapidité d'exécution, elle nuit nécessaire-
ment à la clarté.
La vie d'un homme ne suffirait pas pour étudier les varia-
tions que l'écriture a subies, depuis le siècle d'Auguste jus-
qu'à nos jours ; nous y renoncerons absolument, mais nous
allons énumérer les causes matérielles qui, indépendamment
des oscillations du goût et des retours systématiques à l'an-
tiquité, nous paraissent avoir exercé sur ces variations une
influence tout à fait prépondérante ; ces causes sont : les
variations de prix du papier, les transformations de la plume
et l'emploi des lunettes.
Le prix du papier a joué un rôle très important dans les
transformations de l'écriture ; il semble qu'à la même époque
on ait employé la cursive sur le papyrus des documents
courants, tandis que le parchemin des eodices ne reçoit que
des onciales bien ramassées, tassées pour ainsi dire ; point
II. — ÉVOLUTION DE l' ÉCRITURE . 13
de queues, pour pouvoir rapprocher les lignes davantage,
abréviations de toute espèce pour ménager la précieuse
peau, rien n'est négligé pour mettre l'espace à profit.
L'invention du papier de chiffon ne remonte pas au delà
du xme siècle ; aussi, à de rares exceptions près, ne voyons-
nous surgir que plus tard l'habitude de séparer largement
les mots ; pour la même raison, les longues queues sont rela-
tivement récentes ; personne n'était assez riche pour se per-
mettre d'imiter le luxe des longues lettres qui caractérisaient
l'écriture de la chancellerie pontificale. Il n'existe guère
d'objet dont le prix ait plus baissé que celui du papier. Il en
résulte que l'écriture actuelle ne tient plus aucun compte de
la place employée. Mais, tandis qu'au xixe siècle le gaspil-
lage de papier est sans inconvénient pour l'écrivain, il en est
tout autrement pour l'éditeur : ce gaspillage se multiplie
par le chiffre du tirage, et cette circonstance suffit à expli-
quer pourquoi, depuis l'invention de l'imprimerie, pendant
que l'écriture prenait constamment du large, les caractères
d'impression diminuaient graduellement, de telle sorte que
l'identité entre les caractères manuscrits et imprimés n'a
subsisté que pendant quelques années après la découverte
de Gutenberg.
La plume a notablement influé sur l'aspect de l'écriture. —
Nous voyons la plume d'oie faire son apparition vers le
milieu du vne siècle; dans les premiers temps, c'est à peine
si cette innovation modifie l'aspect de l'écriture. En effet, à
l'imitation du calamus, la plume était taillée comme celles
qui nous servent encore pour écrire la gothique; son élas-
ticité servait, tantôt pour accentuer plus fort le sommet des
jambages, comme on peut le remarquer dans certaines écri-
tures anglaises du vne siècle, tantôt pour renfler le milieu
des pleins et donner aux lettres un aspect analogue à celui
des capitales romaines ; mais, en somme, l'aspect général
restait celui des manuscrits écrits avec le roseau des
anciens.
La largeur du bec du calamus et de la plume a exercé
une action déterminante sur la répartition des pleins et des
déliés dans Yonciale, et, par un effet de retour, dans la capi-
tale romaine. En effet, pour aller plus vite, le librarius de
l'antiquité ou le moine du moyen âge tâchait de tracer les
caractères d'un trait continu. De plus, pour éviter la pente
14 PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
disgracieuse de la cursive, il fallait mettre le coude forte-
ment en dehors ; dans cette situation, si vous tracez un M,
vous remarquerez que les déliés sont faits en remontant et
les pleins en descendant ; si vous tracez un O, vous n'évite-
rez pas de faire le premier plein plus bas et le second
plus haut qu'il ne conviendrait pour la symétrie. Rien ne
serait plus facile que de multiplier ces exemples, et, en pre-
nant une à une les lettres de l'alphabet, de démontrer
l'influence que l'onciale a exercée sur la répartition des
pleins et déliés dans les capitales. Avec le coude éloigné du
corps, pour pouvoir aisément tracer des traits verticaux
par un mouvement du poignet, l'écrivain qui emploie la
plume à large bec est amené forcément à faire des déliés
pour les traits qui montent obliquement de gauche à
droite, et des pleins pour Ceux qui descendent obliquement
de gauche à droite ; la répartition des pleins et déliés dans
les lettres telles que A, V, X en résulte nécessairement. Pour
les traits verticaux et horizontaux, l'écrivain reste maître de
prendre parti en faisant légèrement tourner la plume dans
ses doigts. Le plus habituellement il s'arrangeait pour faire
les pleins verticaux et les déliés horizontaux, mais, dans ce
choix, c'était l'imitation de la capitale qui influait. Certaines
époques du moyen âge nous fournissent de fort belle onciale
où les verticales sont toutes formées de déliés, et dont l'aspect
est cependant assez agréable.
C'est la forme carrée du bec de plume qui a donné nais-
sance à l'écriture gothique ; pour s'en convaincre, il suffit
d'essayer de reproduire des lettres gothiques en se servant
d'un pinceau, d'un crayon ou d'une plume ordinaire :
malgré tous les efforts de l'écrivain, le résultat sera très
inférieur à celui qu'on obtiendra au moyen d'une plume à
large bec.
L'usage de la plume à bec large, mais taillé obliquement,
réalisa un progrès qui se traduisit par l'apparition de la
coulée et de la bâtarde.
Dans la ronde, les pleins sont exactement verticaux ;
d'après les calligraphes, en prenant pour unité la largeur du
bec de la plume, la lettre u doit être inscrite dans un carré
dont le coté mesure cinq becs, de telle sorte que le blanc
compris entre les deux jambages mesure trois becs. La dif-
férence entre les lettres u et n est presque insignifiante : les
il. — ÉVOLUTION DE L* ÉCRITURE. 15
jambages carrés du haut sont un peu plus arrondis dans le
bas pour Vu que pour l'n.
La coulée ne diffère de la ronde que par l'inclinaison ou
pente qui, dans les plus beaux modèles, est telle que le plein
forme la diagonale d'un rectangle dont la largeur est de trois
becs et la hauteur de quatre becs ; d'où il résulte que la lon-
gueur du jambage est ^3* +4* = v'25=5. On voit donc que les
jambages d'une coulée, écrite entre des parallèles distantes
de 4 millimètres, sont égaux à ceux d'une ronde tracée entre
des parallèles écartées de 5 millimètres.
La bâtarde diffère principalement de la coulée par la dis-
tribution des arrondis qui, au lieu d'être tous au pied des
jambages, sont répartis comme dans la minuscule italique ou
dans l'anglaise moderne.
Enfin, la taille pointue de la plume d'oie donna naissance
à l'anglaise, si universellement employée de nos jours ; elle
se distingue par la longueur considérable des lettres bou-
clées, et par l'absence totale de ce que j'appellerai les pleins
ascendants, que nos fines plumes de fer ne permettent pas
de tracer: la généralisation de l'écriture anglaise est une
conséquence de l'invasion des plumes de fer.
Enfin, la hâte, qui est une des caractéristiques du xixc siè-
cle, a eu pour effet de ramener la forme des lettres à la plus
grande simplicité en faisant disparaître les fioritures; les
personnes qui écrivent vite et bien ne perdent pas leur
temps à former des pleins et des déliés irréprochables, au
moyen de variations de pression de la plume, et elles
écrivent penché pour la raison qui sera donnée dans le
chapitre XIII (mécanisme de récriture).
L'emploi r/cs lunettes convexes inventées en 1299, mais
dont l'usage ne s'est répandu que très lentement, et qui, on
le verra plus loin, a exercé une influence capitale sur la di-
minution progressive de la grandeur des caractères typo-
graphiques, a sans doute contribué à l'apparition des fines
écritures, dites pattes de mouches, si en vogue pendant une
grande partie du xix° siècle.
CHAPITRE III.
ÉVOLUTION DE LA TYPOGRAPHIE.
Nous avons mis l'exécution facile et rapide au premier
rang des conditions que doit remplir une écriture cur-
sive (1). Pour les caractères typographiques, nous devrons
nous placer à un point de vue tout à fait opposé. La gravure
d'un poinçon est une opération longue et minutieuse; une
fois terminé, le poinçon d'acier qui porte la figure de la
lettre sert à frapper, pendant des années, les matrices de
cuivre creuses, dont chacune est employée par le fondeur
pour couler des millions de caractères. A son tour, chaque
caractère mobile subit des centaines de tirages avant d'être
usé, et chaque tirage fournit de nombreux exemplaires.
C'est donc par milliards qu'il faut compter les repro-
ductions du caractère unique livré par le graveur. Dans ces
conditions, on conçoit que nous trouvions utile d'apporter
un soin méticuleux à la discussion des moindres détails de
forme des caractères d'impression.
Nous rechercherons la forme générale qu'il convient de
donner à chaque lettre; puis nous examinerons successive-
ment la question des déliés, celle des empâtements, et
nous terminerons par l'étude des dimensions qu'il convient
d'adopter pour les lettres, pour les lignes et pour les inter-
lignes.
Pour jalonner le temps de siècle en siècle, rappelons
quelques dates :
1440. Invention de l'imprimerie ;
1540. Caractères de Garamond ;
1640. Fondation de l'imprimerie royale;
1740. Caractères de Luce ;
1840. (environ). Réapparition des caractères elzéviriens.
(1) Voy. Revue scientifique du 21 mai 1881, n°21, p. 647 : Le mécanisme
de lécritiire, et plus loin, dans le présent volume, page 145.
javal. 2
18
PREMIERE PARTIE. — HISTORIQUE.
On est actuellement d'accord pour attribuer à Gutenberg
l'invention des caractères mobiles, et pour faire remonter
leur création à l'année 1440. Dès 1459, les lettres en métal
avaient remplacé les lettres en bois dans l'atelier de Fust
et Gutenberg et, peu après, Schœffer ou Schoyffer (1), de
Mayence, inventait le poinçon ; dès cet instant, rien ne s'op-
posait à l'abandon des formes gothiques, mais, soit sous
l'influence du milieu, soit parce que les lettres gothiques,
composées de parties droites, étaient plus faciles à graver,
nous voyons l'usage de ces lettres se perpétuer dans le nord
de l'Europe.
(1) Je dois au correcteur des épreuves de cet ouvrage, M. Picard, chef
de service à l'Institut de Bibliographie de Paris, les additions suivantes
à l'évolution de la typographie.
M. Desormes, directeur technique de l'Ecole Gutenberg, dans son
avant-propos sur l'origine de l'Imprimerie, de ses Notions de typographie,
signale que l'attribution à Pierre Schœffer du jjoinçon d'acier servant à la
frappe des matrices, ne repose sur aucun fondement précis.
« Notre opinion à nous, dit-il dans l'ouvrage précité, que nous basons
« sur un examen attentif des ouvrages imprimés à la Sorbonne par Géring,
« de 1470 à 1472, est que le poinçon n'a dû faire son apparition que
« plusieurs années après l'impression de la Bible en 42 lignes, terminée
« vers 1455 et que l'on croit avoir été composée avec des caractères fondus
« dans des matrices frappées ».
Or, l'examen auquel nous nous sommes livré, nous a permis de faire
d'importantes remarques, desquelles nous avons inféré que la première
idée qui dut venir à l'esprit des proto-typographes, après l'abandon des
planches xylographiques gravées en relief, fut de renverser l'ancien pro-
cédé en gravant les lettres en creux, dans du bois ou du métal, afin de
pouvoir en prendre une empreinte en plomb.
Il est peu probable, en effet, que Géring ait ignoré, environ vingt ans
après la création du poinçon, l'existence de celui-ci, car nous avons la
certitude que les caractères ayant servi aux différents ouvrages imprimés
par lui à la Sorbonne, n'ont été obtenus qu'à l'aide d'un système qui n'est
qu'un essai de stéréotypage.
Supposons qu'ils se soient servis du poinçon d'acier, il est évident que
tout en ayant eu plusieurs matrices de la même lettre pour accélérer la
fonte, toutes les lettres "eussent été semblables puisqu'elles auraient été
frappées par un type unique. Il n'en est rien, et dans les éditions qui
nous occupent, nous remarquons une foule de divergences qui ne peuvent
provenir que d'une gravure multiple, ayant fourni pour la même lettre
des matrices différentes.
Les caractères employés par les typographes de la Sorbonne étaient
semi-gothiques et fondus grossièrement si on les compare à ceux que nous
possédons aujourd'hui. L'approche en était défectueuse et très irrégulière;
certaines lettres, entre autres, les d, les p, les c, les a majuscules ne sem-
blent pas toujours appartenir au corps qui leur est propre; mais il ne
faut pas se montrer trop sévère si l'on considère que l'on ignore encore
de quelle matière se composaient les matrices servant à la fonte des
lettres.
III.
— ÉVOLUTION DE LA TYPOGRAPHIE.
19
En ce qui concerne la question, si controversée, de l'ori-
gine des caractères typographiques, employés depuis un
peu plus de quatre cents ans sous le nom de caractères
romains, il suffit de l'examen le plus superficiel d'une bonne
collection de manuscrits pour s'assurer que les imprimeurs,
qui adoptèrent le type romain, se bornèrent à miiter non
seulement les minuscules, mais aussi les capitales des
manuscrits italiens ; dès le commencement du xve siècle,
certains manuscrits présentent ces types, qui serviront
de modèles aux imprimeurs de Subiaco, de Venise et de
Paris.
Ainsi tombe la légende, si souvent reproduite, d'après
laquelle Jenson n'aurait emprunté que les minuscules aux
manuscrits de l'époque, et aurait gravé ses capitales d'après
les monuments anciens. Dès 1465, Sweynheym et Pannartz,
qui travaillaient à Subiaco, près de Rome, faisaient usage
de ces caractères, qui ont reçu le nom de romains, et, peu
de temps après, Jean de Spire les employait à Venise.
Reportons-nous à l'année 1470. Schœffer, à Mayence,
continue à faire usage des types gothiques, gros, empâtés et
alourdis encore par de nombreuses lettres liées ; à Venise,
Valdorfer, dans le premier volume sorti de ses presses
(Gicero, De Oratore) emploie des types supérieurs à ceux
de Subiaco ; en même temps, l'imprimerie de la Sorbonne, à
Paris (1), débute par la publication des lettres de Gasparinus,
dont les caractères ressemblent beaucoup à ceux de Valdor-
fer, et qu'on peut voir, déformés par l'usage, dans l'exem-
plaire de la Rhétorique de Guillaume Fichet, conservé à la
Bibliothèque Mazarine.
Cependant, dès 1458, Charles VII avait envoyé à Mayence
Nicolas Jenson, graveur de la monnaie de France, pour
(1) C'est aux imprimeurs de la Sorbonne que l'on doit l'introduction, à
Paris, des lettres doubles ee et œ, que beaucoup d'imprimeries ne possé-
daient pas et remplaçaient par un e simple, se conformant en cela à
l'usage, établi parles copistes. Dans la fonte de Ulrich Guering, dont le
buste orne le grand escalier de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et à qui
fut confiée la direction de l'atelier de Paris, en 1470, Yi et le j sont em-
ployés indistinctement, etl'w minuscule remplaça bientôt le v qui n'exis-
tait dans cette fonte que comme lettre majuscule. Le /et le U majuscules
furent introduits en 1619 par Lazare Zetner. C'est Louis Elzevier, qui,
établi à Leyde en 1580, a introduit en typographie la distinction entre
les ifj, et u, minuscules. — Ce qu'on vient de lire est important à cause
de la typographie de la langue Espéranto (Voir chapitre XXVI.).
20
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
étudier les procédés de Schœffer. On ne sait pour quel mo-
tif (1) Jenson allait s'établir, en 1469, à Venise, où il gravait
des caractères qui me semblent supérieurs à ceux qui avaient
paru précédemment. Les Commentaires de César (1471) nous
offrent des types d'une régularité parfaite, les capitales sont
moins lourdes que chez ses prédécesseurs, la forme des
lettres est d'une élégante simplicité; c'est aux caractères
de Jenson que nous demanderons des modèles de goût,
quand nous proposerons d'apporter des changements à
la forme des caractères actuellement employés en typo-
graphie.
Quelques années plus tard, François de Bologne créait
Y italique (2); on voit donc que la Renaissance italienne a
fait sentir son heureuse influence lors de la création des
deux types, le romain et Yitalique, qui, suivant toute appa-
rence, seront employés en typographie jusqu'à la fin des
siècles.
Les caractères de Garamond, créés à Paris en 1540, préci-
sément un siècle après l'invention de l'imprimerie, se dis-
tinguent par la grâce de leur forme et la perfection de
l'exécution. Garamond devint bientôt le fournisseur de
toutes les imprimeries où l'on se servait de caractères
romains. Ces types apportés à Anvers par Plantin (né près
de Tours en 1514), furent adoptés par les Elzevier, dont le
premier eut deux imprimeries, l'une à Leyde, et l'autre à
Amsterdam (1592-1617). Les éditions justement célèbres des
Elzevier étaient imprimées en caractères de Garamond sur
papier d'Angoulême ; les types de Garamond (3) n'en sont pas
moins désignés partout sous le nom d'elzéviriens et le papier
de Hollande doit peut-être sa célébrité à la belle conser-
vation du papier d'Angoulême dont les Elzevier faisaient
usage.
Voici les caractères de Garamond, fondus à YImprimerie
Nationale, d'après les matrices du temps, et qui nous ont
(1) D'après M. Auguste Bernard, Jenson n'aurait été se fixer à Venise
qu'en raison du mauvais accueil qui lui aurait été fait, à son retour
d'Allemagne, par le fils et successeur de Charles VII.
(2) Cette création était jusqu'à ces temps derniers attribuée au pre-
mier des Aide, mais M. Th. Baudoire, l'érudit fondeur en caractères,
a prouvé par des documents incontestables que la paternité de ce type
appartient à François de Bologne.
(3) Et de Jean de Senlecque, son élève.
III. ÉVOLUTION DE LA TYPOGRAPHIE.
21
été obligeamment prêtés par M. Christian, directeur de cet
établissement (voir Fig. 6).
Nous ne pouvons passer sous silence la création de l'Im-
primerie royale sous Louis XIII par Richelieu, qui lui
réserva, dans le Louvre, le rez-de-chaussée de la galerie de
GARAMOND.
CORPS 11.
Avant l'invention de l'imprimerie, la
plus grande partie des hommes étaient ré-
CORPS 10.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus
grande partie des hommes étaient réduits à des
CORPS 9.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus
grande partie des hommes étaient réduits à des
CORPS 8.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus grande
partie des hommes étaient réduits à des traditions
CORPS 7.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus grande partie
des hommes étaient réduits à des traditions presque toujours
Fig. 6.
Diane (1640), précisément deux siècles après l'invention de
l'imprimerie et un siècle après la création des caractères de
Garamond. Les nombreux volumes qui sortirent des presses
de cette imprimerie lui valurent aussitôt une réputation uni-
verselle et méritée.
En 1692, Louis XIV ordonna qu'une typographie spé-
ciale fût gravée pour le service de son imprimerie. L'Aca-
24 PREMIÈRE PARTIE. HISTORIQUE.
démie des sciences, consultée sur la forme qu'il convien-
drait de donner aux nouveaux types, nomma une commission
dont le rapport, déposé au département des manuscrits de la
Bibliothèque nationale (1) et qui n'a jamais été publié, est
GRANDJEAN.
CORPS il.
Avant l'invention de l'imprimerie, la
plus grande partie des hommes étaient ré-
CORPS 10.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus
grande partie des hommes étaient réduits à des
CORPS 9.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus
grande partie des hommes étaient réduits à des tra-
CORPS 8.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus grande
partie des hommes étaient réduits à des traditions presque
CORPS 7.
Avant l'invention île l'imprimerie, la plus grande partie des
hommes étaient réduits à des traditions presque touiours confuses
Fig, 9.
accompagné d'un grand nombre de gravures, dont les plan-
ches sont conservées à l'Imprimerie nationale.
Nous reproduisons, Fig. 7, à peu près en grandeur natu-
relle, les deux premières capitales de l'alphabet de Jaugeon
(1) Des arts de construire les caractères, de graver les poinçons de let-
tres, d'imprimer les lettres et de relier les livres, par M. Jaugeon, de
l'Académie royale des Sciences, manuscrit in-folio. Paris, 1704 (Mss. fi\,
n"» 9157 et 9158).
III. — ÉVOLUTION DE LA TYPOGRAPHIE. 25
et, Fig. 8, avec réduction d'environ un tiers, l'alphabet de
ses minuscules.
Pendant que Jaugeon rédigeait cet important travail,
Philippe Grandjean, assisté de son élève Jean Alexandre, se
mettait à l'œuvre, et, s'inspirant à la fois du goût de l'époque
et des conseils de la Commission, gravait des caractères, qui
me paraissent constituer un progrès évident sur ceux de
Garamond (1693) (Fig. 9).
Avec les caractères de Grandjean, nous voyons dispa-
raître dans le haut des lettres ces traits terminaux obliques
qu'on a fait revivre de nos jours en reprenant les types dits
elzéviriens; on remarque aussi, à mi-hauteur de la lettre I, un
petit trait horizontal qui, depuis cette époque (1), sert pour
ainsi dire de marque de fabrique aux produits de notre Im-
primerie Nationale ; enfin, les lettres longues supérieures,
telles que b, d, portent un trait terminal qui se prolonge
vers la droite autant que vers la gauche, disposition qui,
comme le petit trait de la lettre 1, était spéciale aux fontes
de l'Imprimerie royale.
Cette particularité disparaît dans les caractères de Luce,
qui furent acquis à grands frais par le roi en 1773, mais ne
furent heureusement jamais employés.
Dans l'introduction de son Essai d'une nouvelle typogra-
phie, in-4°, 1771, Luce s'exprime ainsi :
« On sait que les caractères romains employés à l'Imprime-
rie royale ont, au-dessus de chaque colonne, deux empâte-
ments coupés horizontalement et qu'on leur a donné cette
forme, qui rend l'alignement d'en haut bien plus agréable,
pour distinguer les ouvrages de cette imprimerie de tous
ceux qui s'impriment ailleurs. Mes nouveaux caractères ne
doivent donc avoir et n'ont en effet qu'un seul empâtement.
Outre cela, cet empâtement est coupé obliquement du côté
gauche...
« Ce qui m'a fait préférer cet empâtement à gauche, c'est
la persuasion où je suis que tous les caractères typographi-
ques tirent leur origine des écritures manuelles. Or, pour
écrire, il me paraît naturel que la plume prenne d'abord un
point d'appui du côté gauche d'où elle part, qui dispose et
assure la main, pour tirer un trait perpendiculaire et former
la colonne des lettres. »
(1) C'est en 1702, que Louis XIV fit ajouter aux caractères de l'Impri-
merie nationale cette marque distinctive qu'elle a seule le droit d'avoir,
une espèce de sécante placée sur le flanc gauche de la lettre 1.
26
PREMIÈRE PARTIE. HISTORIQUE.
La typographie de Luce était donc un retour au passé.
Les caractères célèbres que Firmin Didot grava pour l'Im-
primerie Impériale (1811) conservent les traits terminaux si
heureusement adoptés par Grandjean. Mais nous ne croyons
pas'que Didot ait été bien inspiré en adoptant des déliés
DIDOT
CORPS 11.
Avant l'invention de l'imprimerie , la plus
grande partie des hommes étaient réduits à
CORPS 10.
Avant l'invention de 1 imprimerie , la plus
grande partie des hommes étaient réduits à des
CORPS 9.
Avant l'invention de l'imprimerie , la plus grande
partie des hommes étaient réduits à des traditions
CORPS 8.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus grande par-
tie des hommes étaient réduits à des traditions presque
CORPS 7.
Avant l'invention de l'imprimerie , la plus grande partie des
hommes étaient réduits à des traditions presque toujours con-
Fig. 10.
d'une finesse excessive, et nous pensons que cette innovation,
analogue à celle dont il a été question dans notre chapitre
précédent, au sujet de l'écriture anglaise, a déjà trop long-
temps été soutenue par la mode et devra disparaître très
prochainement (Fig. 10).
III. ÉVOLUTION DE LA TYPOGRAPHIE.
27
Avec Marcellin Legrand, nous voyons disparaître, en
1825, le double empâtement qui avait caractérisé pendant
plus d'un siècle les productions de l'Imprimerie Nationale et
qu'elle a conservé jusqu'à nos jours dans certains caractères
d'affiches ; enfin, ce même artiste livra, en 1847, les poin-
MARCELLIN LEGRAIND.
CORPS 11.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus
grande partie des hommes étaient réduits à
CORPS 10.
Avant l'invention de 1 imprimerie, la plus
grande partie des hommes étaient réduits à des
corps 9.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus grande
partie des hommes étaient réduits à des traditions
CORPS 8.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus grande par-
tie des hommes étaient réduits à des traditions presque
CORPS 7.
Avant l'invention de l'imprimerie, la plus grande partie des
hommes étaient réduits à des traditions presque toujours con-
Fig. 11.
çons qui servent encore actuellement dans cet important
établissement (Fig. 11) (1).
(1) Au moment de mettre sous presse, je reçois de M. Christian,
directeur de l'Imprimerie Nationale, un spécimen des caractères en 14
28 PREMIÈRE PARTIE. HISTORIQUE.
points qu'il vient de faire graver en s'inspirant des caractères de Jau-
geon :
Imprimerie Nationale
Fig. 12.
Je ne saurais terminer ce chapitre sans rappeler un nom qu'aucun
typographe ne devrait ignorer, celui de Fournier [1712-1768], auteur du
Manuel typographique, utile aux gens de lettres et à ceux qui exercent les
différentes parties de l'art de l'Imprimerie. Paris, 1764-1766. Ces deux vol.
in-12 n'ont pas cessé d'être d'actualité quant aux détails de la fonderie.
CHAPITRE IV.
ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
Dans les chapitres précédents je me suis placé uni-
quement au point de vue des modifications que le temps
a fait subir aux caractères sémitiques, pour aboutir aux
caractères, manuscrits ou imprimés, de l'époque actuelle,
et le seul but de cette étude était de donner un appui à la
recherche des modifications qu'il convient d'y apporter (1).
A côté de nos alphabets, qui dérivent tous, par transfor-
misme des vingt-deux lettres de l'alphabet phénicien, viennent
se placer des alphabets artificiels, tels que ceux fabriqués de
toutes pièces pour la sténographie, la télégraphie, la musico-
graphie ou l'anaglyptographie (écriture en relief pour les
aveugles).
Avant de parler de ces alphabets spéciaux, il est intéres-
sant de noter que, pendant la conquête du monde par les
alphabets dérivés du phénicien, il s'était produit, au moins
en un point du globe, en Irlande, au m0 siècle de notre
ère, un alphabet artificiel, créé logiquement et de toutes
pièces : c'est l'alphabet ogamique, dont je reproduis d'autre
part (Fig. 13) un fac-similé, emprunté au livre déjà cité,
page 10, de M. Philippe Berger.
On ne saurait trop admirer la sagacité de l'inconnu qui,
il y a dix-huit siècles, créa un alphabet si aisé, à la fois, à
apprendre et à exécuter et dont la création mérite d'être
mise en parallèle avec celle de Charles Barbier (Voy.
page 55).
Remarquez avec quelle subtilité le créateur de cet alpha-
bet a tenu compte de nos aptitudes, qui nous permettent de
compter avec sécurité, d'un seul coup d'ceil, aisément
jusqu'à cinq.
(1) L.-P. Guénin, Sténographie Française, in-18. 3e édition, Paris,
Delagrave; et Javal, Entre Aveugles, in-16, Paris, Masson 1903.)
30 PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
Remarquez aussi la disposition des signes, de part et
d'autre d'une ligne droite, précisément comme dans les
télégraphes enregistreurs les plus modernes.
i idhadh « il'».
e edhadh « tremble » .
u ur "bruyère».
0 onn '< genêt » .
a ailm « sapin».
r mis " sure au".
x strail' «prunier sauvage ».
ng ngedal "roseau»,
g ffort ^lierre»,
m muin "ronce».
qu queirl " pommier ».
c coU " coudrier ».
t tenne
d duir « chêne ».
h Jiuaih "aubépine »
n Dion « frêne de Plaine",
s saiJ " saule ».
f fern « aulne ».
1 luis "frêne de Montagne».
b beith «bouleau».
Fig. 13.
La plupart des indications qui suivent sont empruntées
aux remarquables ouvrages de MM. Guénin père et fils.
L'histoire de la sténographie débute avec Xénophon, qui
recueillit à l'aide de signes abréviatifs les entretiens de
Socrate. Plus tard Tiron, esclave et factotum de l'orateur
Gicéron, dont il devint l'affranchi et le confident inventa
les notes, dites tironieimes, grâce auxquelles nous possé-
IV. — ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
31
dons les Lettres de saint Augustin, recueillies par les Béné-
dictins et qui étaient encore très employées vers le ixe
siècle, disparurent vers le xie siècle avec le latin, qui cessait
d'être une langue usuelle.
Il faut passer à l'année 1588 pour rencontrer le premier
traité d'abréviation moderne, qui fut publié en Angleterre
par le Dr Timothy Bright. Depuis cette époque, l'étude de
la sténographie fut cultivée en Angleterre. Citons le traité
de Shelton, qui eut une grande vogue ; paru en 1620, il donna
lieu, en 1660, à une tentative d'adaptation au français. En
1672 parut le traité de William Mason, intitulé : A Peu,
plucked f roman Eagles wing; or themost swift, compendious,
and speedy method of short writing, qui fut réédité, à plusieurs
reprises, par l'auteur et en dernier lieu, en 1740, par
M. Thomas Gurney qui fut nommé alors sténographe près
les Chambres du Parlement, situation qui est restée depuis
cette époque dans sa famille.
En Allemagne, où l'on ne s'est guère occupé de sténogra-
phie que depuis 1820, les auteurs les plus connus, sont
Stolze, Gabelsberger et Léopold Arends.
En 1834, Gabelsberger imagina d'employer des mouve-
ments analogues à ceux de l'écriture cursive pour former
les signes de sa sténographie. — Depuis cette époque tous les
systèmes de sténographie allemands dérivent du système de
Gabelsberger, et conservent même une partie de ses signes.
Vers 1898, Scheithauer a perfectionné ce système en uti-
lisant les déformations spontanées des écritures rapides,
pour donner à ceux des sons dont la confusion est sans
grand inconvénient les signes qui, par déformation, ont
tendance à devenir pareils.
En France, la sténographie était à peu près inconnue à la
fin du xvme siècle. La tentative la plus heureuse en cette
matière fut faite par Coulon de Thévenot qui présenta en
1787 à l'Académie des Sciences un système d'écriture
par syllabes détachées, publié sous le nom de Tachi-
graphie. En 1792, Th. -Pierre Bertin adapta au français,
et publia chez Didot la méthode de l'Anglais Samuel
Taylor, encore naguère pratiquée par M. Grosselin, chef du
service sténographique de la Chambre des députés. La sté-
nographie des débats parlementaires n'apparut cependant en
France qu'en 1830, époque où le Moniteur universel employa
32
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
un ou deux sténographes : le service parlementaire, tel qu'il
existe aujourd'hui, date de 1848.
Cependant, dès 1813, Conen de Prépéan avait publié la
première édition de son traité, sous le titre Sténographie
exacte, ou l'art d'écrire aussi vite qu'on parle.
Cette sténographie, dont le succès est attesté par cinq édi-
tions qui parurent de 1813 à 1825, procédait directement de
la méthode anglaise de Taylor, et c'est d'elle que découle la
méthode d'Aimé Pâris qui, depuis, presque sans altéra-
tion, a reçu le parrainage de l'abbé Duployé.
« Parmi les nombreux praticiens formés par le système de
Conen de Prépéan, — dit M. Guénin — il en est un qui mé-
rite de retenir quelques instants l'attention du lecteur, c'est
Aimé Pâris, l'auteur du célèbre cours de mnémotechnie,
l'élève de Galin, l'associé de Chevé pour la publication et la
propagation de la musique chiffrée. Esprit méthodique et
rigoureux, il a réduit aux règles les plus simples l'alphabet
de Conen de Prépéan, sans modifier toutefois la partie essen-
tielle de son système, les éléments d'abréviation, et la mé-
thode est souvent, à tort selon nous, désignée par son nom...
« Aimé Pâris est né à Quimper le 19 juin 1798, et a fait ses
premières études au collège de Laon. Il se préparait pour les
examens de l'Ecole polytechnique lorsque les événements de
1814 ramenèrent sa famille à Paris. Il servit pendant quelques
mois de commis à son père, employé à l'administration des
contributions indirectes, puis il suivit pendant deux ans les
classes de rhétorique au collège Charlemagne. Il fit ensuite
son droit à l'école de Paris et fut reçu avocat en 1820.
« Une aventure assez originale lui fit quitter le barreau,
pour lequel d'ailleurs il n'avait pas une vocation bien accen-
tuée. A grand renfort d'arguments et d'effets oratoires, il avait
fait acquitter un voleur en police correctionnelle. Cet heu-
reux client alla le remercier chez lui. Quelques instants après
son départ, l'avocat voulant sortir, chercha son chapeau, qu'il
avait accroché dans l'antichambre. Le chapeau avait disparu :
à sa place se trouvait une affreuse loque, la casquette du
reconnaissant visiteur. L'idée d'avoir fait acquitter un si par-
fait honnête homme dégoûta Aimé Pâris du métier parfois
ingrat de défenseur de la veuve et de l'orphelin ; il ne plaida
plus.
« Se trouvant à Calais en 1815, il avait reçu d'un M. Bou-
gleux, attaché comme son père aux contributions indirectes,
quelques leçons de sténographie, système Taylor, traduit par
Bertin, mais il l'avait laissé de côté lorsque Conen de Prépéan
avait publié sa méthode, et celle-ci, en 1820, lui était devenue
assez familière pour qu'il acceptât l'emploi de sténographe
du Courrier français. Attaché à ce titre pendant deux ans au
IV. — ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
33
Courrier, il passa ensuite au Constitutionnel, où il resta
cinq ans chargé du compte rendu des sessions parlemen-
taires.
« Au commencement de 1821, il suivit les cours de musique
de Galin, dont il devint bientôt le disciple favori, et sur les
indications duquel il étudia les ouvrages de Destutt de Tracy
et de Lemare. En lisant, dans un des livres de ce dernier,
l'éloge de Grégoire de Fénaigle, il se souvint qu'Andrieux,
dans un de ses cours, avait signalé les procédés mnémotech-
niques de ce professeur comme dignes d'examen. Il étudia la
théorie de Fénaigle ; puis à sa numération, basée sur les con-
ventions orthographiques et sur une classification vicieuse
des lettres de l'alphabet, il substitua la décomposition des
mots en articulations et, par ce fait seul, la face de la science
fut entièrement changée. Il mit bientôt ses moyens en action,
et les résultats dépassèrent son attente. Nommé en 1822 pro-
fesseur à l'Athénée royal de Paris, il ouvrit des cours publics
dont le succès le détermina à parcourir la France dans l'inter-
valle des sessions et à faire dans les grandes villes des confé-
rences sur la mnémotechnie et la sténographie. Il avait déjà
reçu un accueil empressé à Lyon et à Rouen, lorsqu'il se
rendit à Nantes. Son cours y était très suivi, quand le préfet
du département, M. Brochet de Verigny, le fit fermer bruta-
lement, donnant pour motif que les points de repère, litho-
graphiés, contenaient des allusions malveillantes pour le
gouvernement de Louis XVIII. Vainement, Aimé Paris lui lit
remarquer que ces emblèmes étaient dus à Fénaigle qui les
avait imaginés et publiés en 1808, à une époque où personne ne
songeait à une restauration ; le préfet tint bon et soutint que
Fénaigle, ayant imaginé pour le numéro 15 un pauvre diable
empalé, pour le numéro 16 un enfant faisant monter et des-
cendre un jouet qu'on nomme rémigrant, et pour le numéro
17 un larron à une potence, avait voulu dire que les émigrés
devaient être empalés ou tout au moins pendus. Aimé Paris
revint à Paris, mais ses démarches pour obtenir justice du
préfet de Nantes aboutirent à un résultat singulier. Le minis-
tère Corbière, Villèle et Peyronnet non seulement maintint la
mesure prise contre le sténographe d'un journal de l'opposi-
tion beaucoup plus que contre le professeur de mnémo-
tchnie, mais il 1 étendit à toute la France. L'interdiction ne
fut levée qu'en 1828 par M. de Vatimesnil, sous le ministère
Martignac. Dans l'intervalle, Aimé Paris dut aller faire ses
cours en Belgique, en Hollande et en Suisse.
Vers 1835, il délaissa quelque peu mnémotechnie et sténo-
graphie pour se consacrer plus complètement à l'enseigne-
ment du système musical de Galin, qu'il perfectionna beau-
coup, et engagea, pour sa propagation, des luttes ardentes
qu'il soutint seul jusqu'au mariage de sa sœur Nanine avec
Emile Chevé. Cours gratuits en grand nombre, polémique
incessante et parfois d'une violence extrême, voyages conti-
nuels, composition d'ouvrages didactiques, fabrication d'ap-
Javal.
3
34
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
pareils d'enseignement, correspondance énorme, rien ne l'a
Fatigué ou refroidi un seul instant.
Recueilli par M. et Mme Chevé depuis 1859, Aimé Paris vécut
chez eux, à peu près dénué de toutes ressources personnelles ;
ses cours de mnemotechnie et de sténographie avaient pour-
tant été productifs; en 1831, par exemple, ils lui rapportèrent,
dans onze villes différentes, la somme totale de 33,620 francs.
La propagation des doctrines galinistes avait peu à peu
englouti toutes les ressources de M. Paris. Son corps avait
vieilli avant l'âge, mais sa vigueur intellectuelle était restée
intacte, et il continuait à travailler chaque jour, ou plutôt
chaque nuit, jusqu'à trois heures du matin, afin, disait-il, de
n'être pas dérangé par les visites. Sa tête continuait à être
remplie de projets; il voulait faire une histoire de la Société
chorale d'Emile Chevé, un dictionnaire mnémotechnique, et
d'autres ouvrages de longue haleine. Mais son imagination exu-
bérante l'entraînait sans cesse sur la voie de nouvelles inven-
tions, qui venaient ajourner ses beaux projets. Ces inventions
avaient d'ailleurs toujours pour objet la démonstration facile
ou la simplification de vérités scientifiques. Malgré toutes les
déceptions, il n'abandonna jamais le but éducatif, moralisa-
teur de son œuvre. C'est ainsi qu'ayant commencé à s'occuper
dès son jeune âge, dans une brochure devenue introuvable, de
l'éducation des femmes comme préparation à celle des hommes,
il finit, devenu vieux, par un cours de musique aux prison-
nières des Madelonnettes, qui y puisèrent des sentiments de
régénération.
Atteint le 17 novembre 1866 d'une congestion des poumons
et du cœur, il garda la chambre et n'en continua pas moins
ses cours, rue Visconti, 18, à son domicile, c'est-à-dire chez
sa sœur, veuve d'Emile Chevé. Dans la nuit du 23 au 24, il
fut frappé d'une violente attaque, et ne quitta plus le lit. Il
expira sans agonie, le 29 novembre 1866, à midi et demi. Il
était âgé de 68 ans et quelques mois. Il est mort pauvre, ayant
vécu péniblement avec sa sœur du maigre produit de quel-
ques leçons et d'une pension annuelle de 1,200 francs accordée
par le ministère de la maison de l'empereur à la veuve d'Emile
Chevé.
Aimé Pâris repose aujourd'hui à côté de M. et Mme Emile
Chevé, sous le monument de granit qu'une souscription popu-
laire leur a élevé au Père-Lachaise, à côté de la chapelle.
Si j'ai reproduit cette biographie, c'est pour mieux atti-
rer l'attention, non seulement sur la sténographie Aimé
Paris, dont il sera question tout à l'heure, mais aussi sur
la notation musicale Galin-Pâris-Chevé, qui sera exposée
dans l'article suivant. Je suis un des rares survivants, parmi
ceux qui ont eu le bonheur d'approcher Aimé Pâris. Comme
l'a dit Francisque Sarcey, c'était un des hommes les plus
IV.
— ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
35
extraordinaires que nous eussions connu. Sa Mnémotechnie,
dont j'ai parlé dans mon petit livre : « Entre aveugles », est
un instrument d'une ingéniosité ainsi que d'une puissance
remarquables. C'est, suivant son expression, un levier qui,
multipliant la force de la mémoire, permet à ceux qui l'ont
mauvaise de retenir beaucoup et à ceux qui sont mieux
doués sous ce rapport, d'emmagasiner, comme l'avait fait le
Maître, une somme de connaissances numériques tout à fait
fantastique. Il m'est doux de rendre ici un hommage recon-
naissant à l'homme à la fois ingénieux et bon, qui, par son
exemple plus encore que par ses paroles, nous enseignait à
chercher constamment le moyen d'arriver par le moindre
effort au rendement maximum de nos aptitudes dans l'inté-
rêt d'autrui.
Revenons à la sténographie.
On peut ranger les systèmes sténographiques en deux ca-
tégories : les sténographies purement professionnelles et
les sténographies usuelles.
Les premières, dont le principal type français est la Pré-
vost-Delaunay (1), présentent, dès le début, des difficultés
considérables et leur étude demande beaucoup de temps.
Ce ne serait pas une raison suffisante pour les rejeter, car
pourquoi la profession de sténographe devrait-elle exiger
un apprentissage moins long que n'importe quel métier
manuel ?
Dans la seconde catégorie, je rangerai les sténographies
qui comportent des échelons successifs. L'élève commence
par une sténographie élémentaire, laquelle est une phono-
graphie, pour passer, au moyen d'abréviations simples, à
une sténographie plus rapide, dite commerciale, laquelle se
transforme finalement en sténographie rapide, dite par-
lementaire.
Quelle que soit la méthode adoptée, forcément sujette à
déformation, les défauts résultant de la vitesse de l'exécution,
ont toujours pour effet de rendre la sténographie très peu
lisible, si bien que les sténographes se hâtent de transcrire
leur écriture en clair et que s'ils arrivent encore à se relire,
(1) H. Prévost perfectionna en 1826 le système de Bertin et l'employa
pendant 40 ans comme sténographe parlementaire. Le système a été
lui-même perfectionné, vers 1876, par A. Delaunay, ancien sténographe
du Sénat.
3(5
PREMIERE PARTIE. — HISTORIQUE.
ils n'arrivent guère à lire les notes sténographiques prises par
leurs collègues. C'est ce que le romancier anglais Ch. Dickens
a exposé, par un exemple pris sur le vif, dans son roman de
David Copperfield, dont le héros raconte sa mésaventure
sténographique avec d'autant plus de verve que l'histoire est
vraie et que c'est à Dickens lui-même que la chose est arrivée.
Il est évident que, par surcroît de malheur, Dickens avait
appris une sténographie purement professionnelle ; voici
son récit :
« J'achetai un traité de ce noble et mystérieux art de la sté-
nographie; il me coûta bien treize francs; et je me plongeai
dans un océan de difficultés qui, au bout de quelques se-
maines, m'avaient rendu presque fou. Tous les changements
que pouvait apporter un de ces petits accents qui, placés d'une
façon, signifiaient telle chose et tracés d'une autre, avaient une
signification différente, tous ces caprices merveilleux figurés
par des cercles, les conséquences énormes résultant d'une
marque grosse comme une patte de mouche, les terribles
effets d'une courbe mal placée, non seulement me troublaient
pendant mes heures de travail, mais encore revenaient m'as-
siéger en rêve pendant mon sommeil. Lorsque je fus enfin
parvenu à trouver ma voie au milieu de toutes ces difficultés
et à savoir l'alphabet qui était à lui seul un temple d'hiéro-
glyphes égyptiens, je vis apparaître une procession de nou-
velles horreurs appelées caractères arbitraires, les plus des-
potiques caractères que j'aie jamais vus : ils exigeaient abso-
lument qu'une ligne plus fine qu'une toile d'araignée signifiât
expectation, et qu'une espèce de chandelle romaine se traduisît
par dîsadvantageous (1).
« Au fur et à mesure que j'avais fixé ces signes dans ma
mémoire, je m'apercevais que j'avais oublié mon commence-
ment; je le rapprenais donc, et alors j'oubliais le reste; si je
cherchais à le retrouver, c'était aux dépens de quelque autre
partie de la méthode qui m'échappait.
« Au bout de trois ou quatre mois, je me crus en état de
tenter une épreuve sur un de nos bavards orateurs du tribu-
nal. Je n'oublierai jamais comment, pour ce début, mon
homme s'était déjà rassis avant que j'eusse seulement com-
mencé, laissant mon crayon imbécile se trémousser sur le
papier comme s'il avait des convulsions.
« Cela ne pouvait pas aller, c'était tout à fait évident; j'avais
visé trop haut, il fallait en rabattre. Je revins à Traddles et
lui demandai conseil; il me proposa de me dicter des dis-
cours, tout doucement, en s'arrêtant de temps en temps de
(1) Les anciennes méthodes anglaises, notamment celle de Mason, à
laquelle Dickens fait allusion, contenaient des centaines de signes arbi-
traires.
IV. —
ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
37
manière à me permettre de le suivre. Très reconnaissant de
son aide amicale, j'acceptai la proposition et tous les soirs,
pendant bien longtemps, nous eûmes, dans Buckingham Street,
une sorte de parlement privé, lorsqu'ayant quitté mon bureau
j'étais revenu à la maison. Il fallait voir quel singulier parle-
ment nous avions là. Ma tante et M. Dick représentaient le
gouvernement ou l'opposition suivant le cas, et Traddles,
avec l'assistance d'un recueil de discours ou d'un volume des
discussions parlementaires, les foudroyait de ses invectives.
Debout, près de la table, avec le doigt sur la page pour mar-
quer la i3lace, et son bras droit gesticulant au-dessus de sa
tête, Traddles, imitant M. Pitt, M. Fox, M. Sheridan, M.Burke,
lord Castlereagh, le vicomte Sidmouth ou M. Canning, se
livrait aux plus violentes colères et prononçait de mortelles
dénonciations contre la scélératesse et la corruption de ma
tante et de M. Dick, pendant qu'assis à peu de distance, mon
cahier de notes sur le genou, je m'efforçais de le suivre de
mon mieux. Jamais l'inconstance et la versatilité de Traddles
n'ont été dépassées par aucun politicien; dans le courant
d'une semaine, il aArait été de tous les partis !
« Bien souvent nous poursuivions nos débats jusqu'à ce que
la pendule sonnât minuit et que les bougies fussent à bout.
Le résultat d'une pratique si assidue fut que je finis par suivre
assez bien Traddles, et j'aurais été tout à fait triomphant si
j'avais eu la moindre idée de ce que signifiaient mes notes.
Loin de pouvoir en rétablir le sens, c'était comme si j'avais
copié ces inscriptions chinoises que l'on voit sur les caisses à
thé, ou les lettres d'or qui ornent les grandes fioles rouges et
vertes dans les boutiques des pharmaciens. Il fallait tout re-
commencer. C'était dur, mais en dépit de mon ennui, je par-
courus de nouveau laborieusement et méthodiquement tout
le chemin que j'avais déjà fait, m'arrêtant pour examiner
minutieusement le plus petit signe et faisant des efforts déses-
pérés pour traduire ces caractères perfides.
« ... Il ne m'appartient pas de raconter avec quelle ardeur
je m'appliquai à faire des progrès dans tous les menus détails
de l'art sténographique. J'ajouterai seulement à ce que j'ai
déjà dit de ma persévérance et de la patiente énergie qui
commençait dès lors à devenir le fond de mon caractère, que
c'est à ces qualités surtout que j'ai dû plus tard le bonheur
de réussir. J'ai été très heureux dans tout ce que j'ai entre-
pris; beaucoup d'hommes ont travaillé davantage et n'ont pas
réussi de moitié aussi bien, mais je n'ai jamais rien fait sans
être bien décidé à consacrer tous mes efforts à l'étude que je
commençais. »
Si j'ai reproduit ce long récit, c'est pour bien marquer
les difficultés inhérentes aux sténographies professionnelles,
et pour justifier ma prédilection pour la méthode Aimé
Paris. Elle lutte de vitesse avec celle de Prévost-Delaunay
38
PREMIÈRE PARTIE. HISTORIQUE.
et elle a l'immense supériorité d'être beaucoup plus facile à
apprendre. Elle est applicable à toutes les langues euro-
péennes.
L'abbé Duployé, dont la méthode est plus généralement
connue, n'a guère fait que modifier les signes graphiques
d'Aimé Paris, si bien que, sauf pour l'aspect des signes, les
sténographies élémentaires Aimé Paris et Duployé sont à
peu près identiques.
Tandis que les groupes Duployé ont formé des milliers
d'élèves, les adeptes de la méthode Aimé Paris se sont
exercés les uns les autres, pour ainsi dire dans l'intimité, ce
qui ne les a pas empêchés d'avoir un grand nombre de can-
didats admis dans les concours par lesquels se recrutent les
grands services parlementaires.
A la base delà sténographie, on rencontre deux éléments:
le graphisme et le système des abréviations.
Le graphisme consiste à remplacer les lettres usuelles par
des signes plus simples, et l'illustre Conen de Prépéan a
fait choix de lignes droites et courbes diversement inclinées,
pour représenter les consonnes, et de petites lignes courbes
pour écrire les voyelles. Mais comme le nombre des posi-
tions possibles des lignes était inférieur aux besoins, il a fait
une classification des consonnes et des voyelles en princi-
pales et secondaires.
Prenons par exemple les consonnes dures :
te, che, ke, je, pe et se.
Elles ont pour analogues les douces :
de, je, gne, ve, be et ze.
Dans Conen de Prépéan, ces dernières six consonnes sont^
représentées par les mêmes traits que les six premières.
Elles s'en différencient par un petit trait transversal sur-
ajouté, qui porte le nom de sécante, et qui, exigeant une levée
du crayon, ralentit considérablement l'écriture. Dans la ra-
pidité, le sténographe supprime les sécantes, ce qui ne nuit
guère à la lisibilité, car, en gros, la sténographie s'écarte de
la phonographie en exprimant des mots estropiés par des
vices de prononciation; au lieu, par exemple, de : « Dites
bonjour à Jean », le sténographe aura écrit : « Tites pon-
chour à Chan ».
IV. —
ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
39
Il existe aussi, dans la sténographie élémentaire, pour
représenter les sons nasalés, tels que an, in, etc., des signes
modificateurs des voyelles, jouant un rôle analogue aux sé-
cantes, et qu'on supprime dans la sténographie rapide.
La rapidité de la sténographie provient de ce qu'elle ne
reproduit que les sons et en supprime même une partie, ce
qui diminue le nombre des signes et, d'autre part, de ce
qu'elle remplace les lettres usuelles par des caractères plus
simples. L'orthographe purement phonétique ne donne pas
lieu à plus d'incertitude.
Voici le tableau des voyelles et des consonnes :
VOYELLES SIMPLES.
a é i o u eu on
o -/\ O c D r>
Fig. Ik.
VOYELLES NASALES.
an in on un
6 <& d 3
Fig. 15.
CONSONNES.
P f t s r c c, k, q
I \ / / X.
i \ /
b v d z j ch II g
Fig. 16.
On remarque comment les signes qui expriment les
voyelles nasales et les consonnes douces dérivent respecti-
vement de ceux qui représentent les voyelles simples et les
consonnes dures. Appliquons les règles de la sténographie élé-
mentaire, à la phrase suivante de Pascal : « L'homme n'est qu'un
roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pen-
sant ; il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser,
une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer; mais quand
n m
gn
40
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce
qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'uni-
vers a sur lui, l'univers n'en sait rien ». Cette phrase s'écrira :
« Lom né cun rozo lé plu fébl d la natur msé un rozo pan-
san ; il n fo pa c luniver antié sarm pour lécrazé un vapeur un
gout do sufi pour 1 tué mé can luniver lécrazré lom sré an cor
plu nobl c s ci 1 tu pars cil sé cil meur é lavantaj c. luniver a
sur lui l'uni ver nan sé rien ».
En comptant le nombre de lettres composant les deux tex-
tes qui précèdent, on remarquera qu'il s'en trouve 285 dans
le premier et 194 dans le second ; les voyelles nasales comp-
tant chacune pour une seule lettre, on gagne déjà de cette
manière plus d'un tiers sur l'écriture usuelle.
A cause de la simplicité des signes, on gagne un deuxième
tiers, si bien que la sténographie qu'on vient d'exposer, de
la phonétique exacte ou élémentaire, permet d'écrire trois fois
plus vite que l'écriture ordinaire.
Ainsi qu'on le verra plus loin, au chapitre XIV consacré à
la rapidité de l'écriture et de la lecture, ce n'est pas seule-
ment trois fois, mais huit fois, la rapidité de l'écriture que doit
obtenir le sténographe professionnel.
Une nouvelle augmentation de vitesse est obtenue par la
suppression d'un certain nombre de voyelles.
Enfin, et en dernier lieu, des conventions permettent de
remplacer des groupes de sons ou des mots entiers par des
signes conventionnels ou sigles.
Il va sans dire que cette phonographie est loin de donner
toutes les nuances de prononciation ; par exemple, il n'est
fait aucune différence entre Yo et ô. Si je suis bien informé,
d'après les travaux de M. Passy, un tableau phonographique
complet comporterait plus de cent cinquante signes.
Je transcris ici de nouveau, à l'ordre près, les articula-
tions d'Aimé Pâris telles qu'il les a combinées pour le fran-
çais, en mettant les dérivés sous sa ligne type. Je transcris
au-dessous les récapitulations analogues dressées pour plu-
sieurs langues par les élèves d'Aimé Paris.
Cela donne le tableau suivant :
IV. ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
41
Tableau de la sténographie Aimé Pâris.
Français.
te ne me re le se ke fe pe a é i o ou u eu
de gne lie ze gue ve be an in on un
che
je
Allemand (1).
te ne me re le se ke fe pe a é i o ou u eu
de gue lie ze gue ve be ang ing ong oung
che
Anglais (2).
te ne me. re le se ke fe pe a é i o ou eu
de ze gue ve be ung
che
je
Italien (3).
te ne me re le se ke fe pe a é i o ou
de gne gl tche gue ve be
Pour Y espéranto, la sténographie est plus difficilement
applicable, en ce sens que les abréviations sténographiques
présupposent chez le lecteur'une connaissance imperturbable
de la langue, dont il faut rétablir la prononciation malgré
les mutilations que comporte la sténographie rapide.
(1) . Le disciple d'Aimé Paris introduit en allemand un signe supplé-
mentaire pour l'A aspiré. — Liste des mots allemands pour préciser les
prononciations ci-dessus : Tasse, cZie ; nein ; Mutter ; Rahe ; Land ; das,
so ; Kind, geben, icÀ; Voter, Wasser ; Papier, Bivne ; arm, lang ; Leben;
Tïtel, H'àring ; Ohr, Onke\ ; du, Zeilung ; Kùhe ; boese.
(2) . Liste des mots anglais pour préciser la prononciation ci-dessus:
Tie, do, f/ûnk ; ueat ; 7Jieal ; very ; Zead ; so, easy, she, pleasure ; can,
gi\e ; fee, hâve ; pan, &ear ; Zast, bread ; people ; door ; proof.
(3) . Liste des mots italiens pour préciser la prononciation ci-dessus :
Tavola, cZanza ; niente, montat/na ; madré ; carta ; Zingua, %Zio ; sicuro,
scena ; capello, go\a ; fratello, uacca ; padre, feambino ; cara ; che ; ira
sole ; chiuso.
42
PREMIÈRE PARTIE. HISTORIQUE.
La nouvelle langue auxiliaire Y espéranto est en effet trop
récente pour être tout à fait familière même à ses adeptes les
plus convaincus.
L'adoption d'une même sténographie phonétique pour
plusieurs langues présente cette qualité précieuse que l'étu-
diant, livré à lui-même, lorsqu'il aura appris une langue
étrangère, ne tombera pas dans les bizarreries de pronon-
ciation qui font dire à un Français Sakespéare au lieu de
Chékspir, Jentleman ridé pour Djentlemène raïdère, ou qui
conduisent un Anglais, comme je l'ai entendu, à prononcer:
Honaï soït coui mel aï pennée, au lieu de la devise Honni soit
qui mal y pense.
Puisque chaque sténographe ne lit guère que sa propre
sténographie, l'utilité d'une sténographie internationale est
contestable, et on a vu que, née en Angleterre, la sténogra-
phie a subi des altérations multiples à mesure qu'elle s'éloi-
gnait de son berceau. En effet, dans les différentes langues,
les lettres sont loin de se présenter avec la- même fréquence
et surtout les groupements de lettres usuels ne se ressem-
blent guère. L'évolution de la sténographie conduit à la
diversité, car ici la question de rapidité prime toutes les
autres.
Dans un ordre d'idées analogue, c'est encore l'Anglo-Saxon
qui a créé l'alphabet télégraphique Morse, lequel, à cause des
relations internationales, n'a pas évolué, si bien que, dans
tous les pays, la correspondance télégraphique intérieure est
ralentie par ce fait que, dans le Morse, les signes les plus
courts expriment les lettres les plus fréquentes en Anglais,
par exemple le W.
*
C'est encore au besoin d'agir vite, plus développé chez
l'Anglo-Saxon, que nous devons la machine à écrire, dont,
jusqu'à ces derniers temps, le clavier était disposé de la
manière la plus favorable pour écrire vite en anglais. Faut-
il regretter les changements qui, nuisibles à l'uniformité de
construction des machines, ont conduit à mieux l'adapter
aux besoins locaux ?
On excusera peut-être cette digression en remarquant que
la dactylographie est devenue le complément habituel de
la sténographie.
IV. — ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
43
Il n'est d'ailleurs pas possible de passer ici sous
silence l'imminence de la substitution partielle du ma-
chinisme à la sténographie, substitution désirable à cause
de la mauvaise lisibilité de la meilleure sténographie à la
main.
De nombreux inventeurs se sont efforcés de combiner
des machines à sténographier, dont l'avantage-principal se-
rait de fournir un texte lisible pour tous les adeptes du sys-
tème employé. Le type est invariablement constitué, pour
l'opérateur, par un clavier dont les touches fournissent, par
leur action successive ou simultanée, un nombre considé-
rable de combinaisons. La machine la plus récente, de
M. Lafaurie, travaille à peu près silencieusement et paraît
sortir de l'ère des tâtonnements. Il est probable que les
machines à écrire, les phonographes perfectionnés, rédui-
ront beaucoup l'usage de l'écriture sténographique à la
main.
Mais, de même que la machine à coudre a laissé subsister
la couture à l'aiguille, pour certains ouvrages où la rapidité
n'est pas le principal desideratum, la sténographie manuelle
subsistera et prendra d'autant plus d'extension que, n'étant
plus usitée pour les grandes vitesses, sa réforme devra con-
sister en un retour aux méthodes simples et logiques et fon-
dées sur la phonographie.
En construisant des machines sténographiques à clavier, il
serait rationnel de tenir compte de la physiologie de la main
humaine, qui permet d'abaisser un plus grand nombre de
touches grâce aux déplacements latéraux du pouce ; par
exemple six touches, dont deux seraient actionnées, soit in-
dividuellement, soit simultanément, le pouce agissant dans
trois positions, suivant qu'il enfonce à la fois la cinquième
et la sixième touche, ou seulement l'une des deux. On ob-
tiendrait ainsi, pour chaque main, 63 signes, précisément
le nombre que fournit la cellule rectangulaire employée pour
l'écriture en relief par les aveugles. Avec ce doublement de
richesse, tout devient facile et, si l'inventeur, ou son conti-
nuateur, M. Bivort, persistent dans le système syllabique
(retour curieux et ingénieux à l'état qui a précédé l'alphabet
phénicien), il leur restera, pour les abréviations arbitraires,
un stock où les professionnels n'auront qu'à puiser.
Il est donc démontré dès à présent que d'une part, la ma-
44
PREMIÈRE PARTIE. HISTORIQUE.
chine dispose d'une variété de signes bien plus considé-
rable que le crayon, et que, d'autre part, permettant d'uti-
liser les deux mains, elle est destinée, par sa rapidité, à
faire disparaître la sténographie professionnelle.
¥ ¥
Si le rôle principal de la sténographie est d'accélérer l'écri-
ture, là ne se borne pas son utilité comme moyen de gagner
du temps ; on va voir en effet que la sténographie peut
rendre plus rapide le premier enseignement de la lecture et
de l'orthographe.
On voit que la sténographie élémentaire est une phono-
graphie fondée sur ce principe: « A chaque son correspond
un signe, toujours le même ». On conçoit donc que, pour
les enfants et, en général, pour les illettrés, la sténographie
élémentaire est bien plus facile à apprendre que l'écriture
ordinaire, et l'on comprend, d'autre part, que ceux qui ont
appris cette sténographie avec ses signes tels que les sécan-
tes, l'eussent-ils laissée de côté pendant leurs études d'or-
thographe et de grammaire, -— n'auront pas un bien grand
effort à faire quand ils voudront, par la suppression des sé-
cantes et l'emploi de signes additionnels, acquérir la prati-
que d'une sténographie rapide.
Ce que je viens de dire n'est pas une simple vue de
l'esprit.
M. Paul Robin, réminent pédagogue, alors qu'il était
directeur de l'orphelinat Prévost, à Cempuis, a trouvé très
avantageux d'enseigner aux enfants la sténographie Aimé
Pâris avant la lecture et l'écriture ordinaires. D'après son
expérience, cette sténographie logique et simple était apprise
par les jeunes enfants avec une merveilleuse rapidité. Elle
servait ensuite d'instrument pour l'étude de l'écriture et de
l'orthographe. Au lieu de faire des dictées, le maître écrivait
au tableau, en sténographie, le texte des devoirs que les
élèves avaient à transcrire en écriture ordinaire, et ce dé-
tour apparent, loin d'allonger le temps des premières études,
avait pour conséquence heureuse de l'abréger. C'est comme
pour l'enseignement de la musique, où la lecture sur la
portée est apprise bien plus vite et plus facilement, si elle
IV. —
ÉVOLUTION DE LA STÉNOGRAPHIE.
45
est précédée de l'acquisition de la lecture musicale en chif-
fres, par la méthode Galin-Pàris-Chevé.
M. Robin avait créé pour les jeunes enfants un jeu sténo-
graphique de cinq sortes de pièces : fils de cuivre droits de
cinq et deux centimètres ; courbés en arcs de cinq et deux
centimètres de corde et un rond de un centimètre.
L'essai a été non moins probant en Angleterre ; on y eut
l'heureuse idée de réunir, dans une même classe, des enfants
qui, après plusieurs années d'école, n'étaient parvenus qu'à
lire des mots monosyllabiques, et, passant par le détour de
la lecture d'une phonographie, on put leur inculquer assez
rapidement la lecture de l'anglais.
On verra plus loin, chapitre VI, à propos de la phonétique
de Barbier, les grands avantages de l'écriture phonétique
pour le premier enseignement de la lecture dans les pays
affligés d'une orthographe compliquée.
Il est présumable que, dans sa jeunesse, Aimé Paris a eu
connaissance des travaux de Barbier, car la similitude de
certaines idées de ces deux hommes éminents ne peut
guère être le résultat du hasard.
CHAPITRE V.
ÉVOLUTION DE L'ÉCRITURE MUSICALE.
Le temps et les moyens me manquent pour rechercher les
origines de l'Ecriture musicale dont l'usage est universel.
Cette écriture, fondée sur la construction des instruments à
archet où les cordes sont accordées de quinte en quinte, est
le comble de l'absurdité quand on l'emploie pour le piano
et surtout pour la musique vocale. Si l'on veut conserver la
portée, il serait raisonnable de prendre, pour le piano, la
double portée de trois lignes du célèbre général de Reffye, où,
chaque portée recevant sept notes, on écrit, sans lignes sup-
plémentaires, deux octaves pour chacune des mains. Il en
résulte la suppression des clefs et, pour les commençants,
une facilité de lecture incomparable.
Deux portées de trois lignes chacune pour la main gauche
donnent deux octaves dont l'écriture est identique (Fig. 17)>et
il en est de même pour la main droite.
«r * 9 q ^ m
Fig. 11.
La routine de l'écriture musicale a résisté aux efforts de
J.-J. Rousseau, de Galin, de Paris, de Chevé et de leurs suc-
cesseurs.
Pour la musique vocale, J.-J. Rousseau avait proposé une
notation modale, c'est-à-dire que le même signe était cons-
tamment employé pour désigner la même fonction dans la
gamine, le chiffre 1, par exemple, représentant toujours la
tonique, 3 la médiante et 5 la dominante. L'inconvénient de
ce système est de ne pas donner un aspect synoptique, incon-
48 PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
vénient réel, quand il s'agit de lire simultanément plusieurs
parties.
Pour la musique vocale et surtout pour son enseignement
populaire, les avantages du système Galin-Pâris-Chevé l'ont
fait adopter avec le plus grand succès, partout ailleurs que
dans son pays d'origine.
La figuration des durées, telle qu'elle est employée par la
méthode Galin-Pàris-Chevé, n'a pas été sans influence en ce
qui concerne les améliorations que l'écriture sur la portée a
subies depuis bientôt un siècle.
L'écriture chiffrée de la musique a servi de point de
départ à la musicographie Braille employée par les aveugles.
Dans l'introduction dont les continuateurs modestes et
anonymes de Rousseau, Galin, Paris et Chevé ont fait précé-
der leur ouvrage : L'instituteur et l'élève musiciens,- ils s'expri-
ment ainsi (1) :
Nos maîtres vénérés, Jean-Jacques Rousseau, Pierre Galin,
Aimé Paris, Nanine Chevé, ont débrouillé le chaos introduit
petit à petit dans le système assez rationnel des maîtres musi-
ciens du moyen âge; ils ont fait de la langue et de la notation
musicales un idéal de perfection logique, de son enseigne-
ment une splendeur pédagogique qui n'est atteinte dans
aucune autre branche et qui devrait être imitée dans toutes.
Voici quelques indications sommaires sur la notation
Galin-Pâris-Chevé :
Principe. — Chaque idée est toujours représentée par le
même signe clair et précis. Le même signe représente tou-
jours la même idée.
I. Intonation. — La série des sept sons de la gamme est
représentée par les sept premiers chiffres. On ajoute un point
au-dessus des chiffres pour l'octave supérieur, au-dessous
pour l'octave inférieur.
Sons graves
12 3 4 5 6 7
On les nomrîie :
Sons du médium
12 3 4 5 6 7
ut ou do, ré, mi, fa, sol, la, si
Fig. 18.
Sons aigus
i 2 3 4 5 6
(1) L'instituteur et l'élève musiciens, cours préparatoire en 12 clefs, pré-
cédé d'une instruction générale, prix : broché in-8, 0 fr. 50 ; cartonné,
0 fr. 75, 3e édition, Lefargue et O, 25, rue de Lille, Paris, et 46, rue de
la Madeleine, Bruxelles.
V. — ÉVOLUTION DE l'ÉCRITURE MUSICALE,
49
Pour le bémol, le chiffre est barré dans le sens de l'accent
grave.
Pour le dièse, le chiffre est barré dans le sens de l'accent
aigu.
Ils se nomment :
Sons bémols
teu, reu, meu, fèujeu, leu, seu<
Fig. 19,
Sons dièses
\ 2 a * 5 ê ?
tè, rè, mè, fè, jè, lè} sè.
IL Durée. — Le chiffre représente le degré de la gamme.
Le gros point placé après un chiffre marque la prolongation.
Le zéro est le signe du silence.
Tout signe isolé représente une unité de temps.
Ex. :
1.03
Fig. 20.
Tout groupe de signes sous un trait horizontal représente
un temps :
division binaire : | 3 ; ternaire I 3 5 ; bino-binaire 1 3 5 6 ; etc.
Fig. 21.
III. Le ton. — L'écriture est la môme pour tous les tons. Le
ton est marqué en tête du morceau. Quand on veut chanter,
on prend à l'aide du diapason (ou d'un instrument quelcon-
que) le point de départ du ton indiqué et l'on applique à ce
ton le nom d'ut ou do, premier degré du mode. Tous les autres
sons ont la hauteur relative au son du départ.
Spécimen des deux notations, portée et chiffres s
E=l) Ton Mi.
Diapason 4.
+ 5. 55 6.. 0 7... I .00 5 6 7 5 1000
Fie, 22.
Dans cet exemple, sur la portée, on voit le mode travesti
par les quatre dièses et, suivant les cas. on trouve un, deux,
JAVAL. 4
50
PREMIÈRE PARTIE.
— HISTORIQUE.
trois ou quatre signes pour représenter la durée complète
d'une mesure à quatre temps; en chiffre, impossible de con-
fondre.
Dès la première page les auteurs citent les deux passages
suivants de J.-J. Rousseau :
« Théorie des rapports ou le relatif au lieu de l'absolu. —
Système modal pour l'intonation.
« Comme la musique n'est qu'un enchaînement de sons qui
se font entendre tous ensemble ou successivement, il suffit
que tous ces sons aient des expressions relatives qui leur assi-
gnent à chacun la place qu'il doit occuper par rapport à un cer-
tain son fondamental, pourvu que ce son soit nettement exprimé
et que la relation soit facile à connaître. Par cette méthode,
les mêmes noms sont toujours conservés aux mêmes notes,
c'est-à-dire que l'art de solfier toute musique possible con-
siste précisément à connaître sept caractères uniques et va-
riables qui ne changent jamais ni de nom, ni de position, ce
qui me paraît plus facile que cette multitude d'armures et de
clés, qui, quoique ingénieusement inventées, n'en font pas
moins le supplice des commençants. A l'égard des change-
ments de ton, il n'est question que d'exprimer la première
note de ce changement, de manière à représenter ce qu'elle
doit être dans le ton d'où l'on sort et ce qu'elle est dans celui
où l'on entre, ce que l'on fait par une double note : le pre-
mier chiffre représente la même note dans le ton où l'on
entre.
« J.-J. Rousseau. »
« Unification des multiples formes de mesure.
« Les musiciens reconnaissent au moins quatorze mesures
différentes dans la musique, mesures dont la distinction
brouille l'esprit des écoliers pendant un temps indéfini. Or, je
soutiens que tous les mouvements de ces différentes mesures
se réduisent uniquement à deux, savoir : mouvement à deux
temps et mouvement à trois temps, et j'ose défier l'oreille la
plus fine d'en trouver de naturels qu'on ne puisse exprimer
avec toute la précision possible par l'une de ces mesures.
« J.-J. Rousseau. »
(Mémoire à l'Académie des Sciences en 1742).
La résistance acharnée, haineuse même, que les musiciens
V. — ÉVOLUTION DE l'ÉCRITURE MUSICALE.
51
opposent depuis cent cinquante ans aux apôtres de la Mé-
thode modale, ne provient pas exclusivement de leur esprit
antiscientifique. Il leur est pénible d'entendre toutes les
gammes chantées sur les mêmes noms : ut, ré, mi, etc.
Quand ils entendent, par exemple, chanter un morceau
en sol, il leur est odieux d'entendre solfier : ut, ré mi..., au
lieu de sol, la, si..., et mon avis est qu'ils ont raison.
Les réformateurs auraient dû laisser les noms usuels des
notes pour désigner, comme par le passé, les hauteurs abso-
lues et prendre sept noms nouveaux pour leur solfège
modal. C'est ainsi que, par exemple, M. Framery, un des
élèves de Chevé, propose les sept articulations : ta, ra, ma,
va, ja, la, sa, système auquel je reproche seulement l'identité
de l'articulation la dans les deux langues modale et tonale.
Aimé Paris avait proposé : To, lu, mé, nou, di, ra, san, et
Pierre Bos : Ton, ra, mé, fi, do, lu, san.
C'est l'obstination bretonne des Chevé, se refusant à
prendre, pour leur musique modale, une langue nouvelle,
qui est la cause de l'insuccès de leur apostolat.
Après avoir, dans la sordide rue Visconti, gravi l'escalier
vermoulu, poisseux et sombre de la vieille masure qui abri-
tait la misère des Chevé et où ils avaient recueilli la vieillesse
de Paris, on entrait dans la salle des cours, et tout s'illumi-
nait au prestige de l'éloquence et de la belle figure du maître
incomparable, Emile Chevé, apôtre si entraînant, que, parmi
ses élèves, beaucoup avaient en lui une confiance illimitée
et n'auraient jamais voulu consulter, pour leur santé, un
autre que ce médecin de la marine qui avait renoncé à la
pratique de l'art médical pour se faire maître à chanter.
Aujourd'hui encore, son fils Amand Chevé, octogénaire,
brave les intempéries pour ne pas manquer d'une minute un
de ses nombreux cours gratuits.
Tant de talent, tant de génie, tant de dévouement au ser-
vice d'une cause excellente en théorie et d'une œuvre hu-
manitaire, finiront par conquérir à la réforme de l'enseigne-
ment populaire musical les pédagogues du monde entier.
CHAPITRE VI.
ÉVOLUTION DE L'ÉCRITURE EN RELIEF
Les personnes qui voudraient des détails circonstanciés
sur l'histoire de l'écriture ponctuée devront lire les deux
volumes où M. Pagnerre a récemment traité cette question.
Le manuscrit, dont M. Pagnerre a enrichi la bibliothèque
Braille, est en abrégé orthographique, et daté de 1902. Il
s'en trouve un résumé dans l'annexe du volume publié à la
suite du Congrès international pour l'amélioration du sort des
aveugles, tenu à Bruxelles, en 1902.
L'histoire de Valentin Haùy qui, vers la fin du xvme siècle,
enseigna la lecture à quelques aveugles au moyen de lettres
ordinaires en relief, est trop connue pour qu'il soit utile de
la raconter ici. Il fut le fondateur des Ecoles d'aveugles de
Paris et de Saint-Pétersbourg. Peu à peu, dans différents
pays, on perfectionna la fabrication de livres estampés, à
l'usage des aveugles, notamment en simplifiant la forme des
caractères employés. Parmi ces simplifications, la plus
célèbre est celle de l'anglais Moon.
En 1820, Prony présentait à l'Académie des Sciences un
rapport sur un système d'écriture, inventé par le capitaine
Barbier (1). Dès cette époque, Barbier indiquait la supério-
rité, pour l'aveugle, d'une écriture formée de points saillants.
Il produisait cette écriture au moyen d'un poinçon guidé,
comme cela se fait encore aujourd'hui, par le contour d'une
cellule rectangulaire. Sous le papier, une plaque portait
(1) Guilbeau. Notice sur Barbier, journal de Valentin Haùy. Paris,
oct. 1891. Rapport de Cuvier et Molard, sur un Mémoire de Charles Barbier,
brochure in-18 de 24 pages; se trouve à la bibliothèque Braille, 31, ave-
nue de Breteuil, sous le n° 118. Cette brochure renvoie à des rapports
faits en 1820 par M. de Prony et en 1823 par M. Lacépède.
Barbier. Notice sur les salles d'asile, le retour à la simplicité primitive
de la théorie alphabétique, l'instruction familière des enfants du premier
âge, des aveugles de naissance et des sourds-muets. Brochure in-8°, Paris,
1834. Cette brochure se trouve également à la bibliothèque Braille et à
celle de l'Institut, dans un volume de Mélanges de statistique, n° 259.
54
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
un rayage dont l'emploi s'est transmis jusqu'à nous, du
moins en France.
Trois ans plus tard, MM. Ampère et Lacépède firent un
nouveau rapport à l'Institut. Barbier avait amené deux
aveugles sachant lire par son système. Surpris de l'excel-
lence du résultat, les commissaires firent sortir l'un des
deux aveugles et dictèrent une phrase à l'autre. Aussitôt
rentré, le premier lut sans hésitation la phrase que son
camarade venait de poinçonner. Ainsi l'écriture ponctuée et
les moyens de la tracer régulièrement sont l'œuvre de
Barbier, qui, de plus, avait disposé la plaque rayée de
manière à pouvoir être instantanément déplacée pour que
l'aveugle fût à même de se corriger. Braille lui a d'ailleurs
pleinement rendu justice en terminant la préface d'un de
ses livres par la phrase suivante (1) : « Nous aimerons tou-
jours à répéter que notre reconnaissance appartient à
M. Barbier, qui, le premier, a inventé un procédé d'écriture
au moyen de points, à l'usage des aveugles ».
Au cours des vingt ou vingt-cinq ans qu'il consacra au
perfectionnement de l'écriture en relief, Barbier paraît avoir
modifié à plusieurs reprises la disposition de ses points
saillants avant d'aboutir à la cellule rectangulaire pouvant
recevoir six points. Dans une brochure qui se trouve à la
bibliothèque Braille, sous la cote IlOf du catalogue, on
trouve l'explication détaillée de la fabrication des tablettes
de Barbier mises à la portée des aveugles (2). J'indique-
rai d'abord l'une de ses notations ponctuées, d'après un
tableau et un volume appartenant à la collection de M. Bois-
sicat, économe à l'Institution nationale de Paris. L'impres-
sion en relief est parfaite et on va voir que, dans ce système,
un illettré peut apprendre à lire en quelques heures. La
pierre angulaire du système est le tableau en noir suivant,
qu'il faut apprendre par cœur, ligne par ligne. Ce travail de
mémoire, le seul exigé par Barbier, est singulièrement
facilité par la disposition logique et déductive des articu-
lations inscrites dans le tableau et qui rappellent les articu-
( (1) Procédé pour écrire au moyen de points, 2e édition. Imprimerie de
l'Institution royale des jeunes aveugles. Paris, 1837 (Collection particu-
lière de M. Boissicat).
(2) Annales de l'Industrie nationale et étrangère ou Mercure technolo-
gique. Bachelier, 55, quai des Augustins. Paris, 1822.
VI. — ÉVOLUTION DE l'ÉCRITURE EN RELIEF. 55
lations du célèbre Conen de Prépéan, le père de la sténo-
graphie française.
Tableau de Ch. Barbier.
Ire
ligne.
a
o
u
é
è
2e
ligne.
an
in
on
un
eu
ou
3e
ligne.
b
d
g
j
V
z
ligne.
P
t
q
ch
f
s
5e
ligne.
1
m
h
11 (mouillé)
6e
ligne.
oi
oin
ian
ien
ion
ieu
Pour l'aveugle, chaque signe se compose de deux files de
points, parallèles et verticales. Le nombre des points de la
file de gauche donne le numéro d'ordre d'une des six lignes
horizontales du tableau, et le nombre des points de la fde
de droite indique, dans la ligne horizontale précédemment
trouvée, le rang de la case du tableau en noir.
Voici l'exemple même donné par Barbier.
• • • •• • • • •• ••••»•
• • • •• • • • ••••••
• • •• e » • • • •••
••••• * • e • • »
•«••
••••
•- 9 • m m
* •
Fig. 23.
S'il en a pris la peine, le lecteur a pu reconstituer les huit
mots de la phrase de Barbier :
Lé . choz util n soré ètr tro simpl. (Les choses utiles ne
sauraient être trop simples).
Voici maintenant une deuxième notation de Barbier :
Je n'ai pu en trouver la description nulle part, mais dans
un discours (1) qu'il lut le 22 février 1844, lors de l'inaugu-
ration des bâtiments affectés, boulevard des Invalides, à l'Ins-
titution des aveugles, Guadet expose une notation de Bar-
bier, grâce à laquelle il suffisait de trois points pour dési-
(1) Bibliothèque du laboratoire d'ophtalmologie à la Sorbonne. Cote
Av., 12.
56
PREMIÈRE PARTIE.
HISTORIQUE.
gner chacune des cases du tableau en noir de Barbier.
Guadet s'exprime ainsi :
« Chaque ligne est représentée par deux points, et c'est la
« position relative de ces deux points qui leur donne leur signi-
« fication. Ils se posent perpendiculairement, horizontalement
« obliquement, rapprochés ou éloignés l'un de l'autre. »
Fig. 24.
(( Un troisième point se combine avec le second de manière
« à former avec lui un second signe semblable à l'un de ceux
« que nous venons de tracer, et celui-ci indique le rang que
« le son occupe dans la ligne. Par exemple, j'écrirai tous les
« sons de la première ligne comme il suit :
Fig. 25.
« et je les lirai en prenant deux à deux les points de chaque
« signe. »
M. Guadet ajoute en note :
« M. Barbier pensait que les aveugles pouvaient bien lire
« cette dernière écriture, mais il ne croyait pas qu'ils pussent
« jamais écrire d'après ce système... »
Il est à remarquer que, pour la représentation des sons
par trois points, Barbier supprima la dernière ligne de son
tableau de trente-six lignes.
Le discours de Guadet, auquel j'ai emprunté ce qui pré-
cède, est un tiré à part extrait des Annales de l'éducation
des sourds-muets et des aveugles.
Une note de la rédaction de ce journal (1844), vol. 1, p. 81,
annonce qu'on reviendra plus tard sur l'écriture de Barbier.
Je crois quecette promesse n'a pas été tenue.
C'est à Louis Braille, élève et plus tard professeur à
l'Institution de Paris, qu'on attribue avec juste raison le
choix de combinaisons de ces six points qui constituent
notre alphabet.
VI.
— ÉVOLUTION DE l'ÉCRITURE EN RELIEF.
57
A mon avis, ce choix n'a pas été aussi heureux qu'il eût
été possible de le faire. Braille n'avait reçu que l'instruction
tout à fait rudimentaire que l'Etat donnait alors aux aveu-
gles. Il lui fallut mettre au service d'une ingéniosité d'es-
prit extraordinaire, une patience peu commune pour pro-
duire ses systèmes d'écriture et de musicographie. Mais,
réduit à tirer tout de son cerveau, il ne pouvaij; pas lui venir
à l'idée de tenir compte des nécessités des langues autres que
la française, ni de la porte qu'il aurait fallu laisser ouverte
pour les procédés abréviatifs. « Ces différents procédés
abréviatifs, dit M. Moldenhawer, furent conçus, dans les
différents pays, sans avoir égard aux autres langues (1) ».
C'est donc à l'adoption de l'écriture orthographique par
Braille qu'est imputable l'état navrant des relations interna-
tionales entre aveugles, car la lenteur de l'alphabet Braille a
été la tour de Babel qui a fait surgir la confusion des
abrégés nationaux, et je connais peu d'aveugles qui sachent
lire plus d'une langue en abrégé.
Voici le tableau en points de Braille. On remarquera que
les 2e, 3e et 4e lignes dérivent de la première, que nous
appellerons ligne type, par l'adjonction de un ou deux
points.
Tableau de Braille en points.
• • • • •
Fig. 26.
(1) Compte rendu du Congrès de Bruxelles, de 1902, p. 162.
58
PREMIÈRE PARTIE. HISTORIQUE.
Voici maintenant, disposés d'une manière identique, les
signes d'impression ou d'écriture ordinaire, représentés par
le tableau précédent. C'est le tableau en noir correspondant
au tableau précédent en points :
Tableau de Braille en noir.
lre ligne. abcdefgh ij
2e ligne. k 1 m n o p q r s t
3U ligne. u vx y z ç é àèù
4e ligne. à è î ô ù ë ï û œ \v
5e ligne. , ; : . ? ! () » . * - ; »
En prenant dix signes pour sa première ligne ou ligne
type, Braille trouvait l'avantage d'employer cette ligne en
totalité pour exprimer les dix chiffres.
L'étude de cette écriture est facilitée par ce fait qu'il suffit
à l'élève d'apprendre par cœur, d'une part, la forme des dix
premiers signes ponctués, et, d'autre part, l'ordre des cin-
quante signes du tableau en noir. Pour ceux qui, comme
moi, apprennent le Braille à un âge avancé, cette facilité est
appréciable, mais, pour l'ensemble des aveugles, elle est chè-
rement payée par un inconvénient.
Il se produit, en effet, pour la lecture du Braille, quelque
chose d'analogue à ce que j'ai signalé autrefois (1) pour la lec-
ture de l'impression ordinaire. Cachez la moitié inférieure
d'une ligne imprimée, vous continuerez à la lire sans peine,
tandis que vous ne la déchiffrerez pas si vous cachez la
partie supérieure des lettres. Aussi le regard d'un lecteur
exercé file-t-il le long des têtes des lettres, bien plus carac-
téristiques et variées que leurs pieds. De même, quand je
lis de l'écriture ponctuée, mon doigt saisit moins le bas des
lettres et il m'arrive de lire un c au lieu d'un m ou d'un x.
C'est que l'étendue la plus sensible de mon doigt est moin-
dre que la hauteur d'une écriture ponctuée courante. Je ne
crois pas être seul dans ce cas. Je pense, en effet, que la
fréquence de cet inconvénient a été pour quelque chose dans
(1) Revue scientifique, 25 Juin 1881, Voir : Chapitre XVI, Typographie
compacte.
VI. — ÉVOLUTION DE l'ÉCRITURE EN RELIEF.
59
la création du New York point, où les lettres ponctuées ne
comptent que deux points de haut, quitte à en avoir souvent
trois de large.
Remarquons que le tableau régulier de Braille comprend
seulement cinquante des soixante-trois signes que peut four-
nir la cellule rectangulaire.
L'écriture orthographique de Braille gagna du terrain
grâce à l'influence des Drs Guillé et Pignier, directeurs, et à
celle de Guadet, professeur à l'Institution nationale de Paris,
qui, par son journal, L'Instituteur des aveugles, servit de lien
entre l'école de Paris et les écoles étrangères.
Il me semble que ces hommes n'étaient pas dans la bonne
voie en abandonnant la phonographie de Barbier.
Dans La première moitié du xixe siècle, sans avoir con-
naissance des travaux de Barbier et de Braille, un Autri-
chien du plus grand mérite, Klein, combinait un alphabet
formé de points, lisible pour les voyants aussi bien que pour
les aveugles. Les lettres de Klein comptaient cinq points sur
leur hauteur, ce qui impliquait trop de lenteur dans la lec-
ture et surtout dans l'écriture.
Le trait-point du Dr Vezien et le bel alphabet du Dr Mas-
caro constituent des écritures saillantes, faciles en même
temps à tracer pour les aveugles et à lire pour les clair-
voyants.
DR. .<!. MrîSCrfRO'
Fig. 27.
En Angleterre, en Autriche et en Danemark, on a rem-
placé les rayures de Barbier par des cupules, ce qui oblige
l'écrivain à tenir le poinçon bien perpendiculaire à la ta-
blette, et, par suite, à former correctement les points.
Barbieravait imaginé le rayage pour des raisons d'économie
de fabrication qui n'existent plus aujourd'hui, et je recom-
mande aux commençants d'employer d'abord, sauf à les
abandonner plus tard, des tablettes à cupules pour être sûrs
de prendre l'habitude si importante de tenir leur poinçon
bien perpendiculairement au papier.
A la fin du siècle dernier, un Américain, M. Hall, a cons-
60
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE.
truit une excellente machine à clavier pour écrire le Braille.
Trois touches sont actionnées par trois doigts de la main
gauche, et trois touches sont mises en mouvement par trois
doigts de la main droite. On conçoit donc qu'à l'aide de cette
machine, la rapidité d'écriture soit la même pour les carac-
tères les plus complexes que pour ceux formés d'un seul
point. On objecte à ces machines leur prix élevé (125 à
150 francs), leurs poids de plusieurs kilogrammes, et le
bruit qu'elles produisent.
Ces inconvénients seront sans doute atténués un jour,
mais je ne pense pas que jamais la machine fasse disparaître
l'emploi de la tablette de poche.
Avec la machine américaine Hall, ou ses similaires, on
peut écrire au moins trois fois plus vite qu'avec le poinçon.
La machine Stainoby-Wayne, de Birmingham, plus
récente, écrit sur un ruban analogue à celui du télégraphe
Morse. D'après le prospectus, la rapidité est augmentée par
la suppression de la manœuvre que la machine Hall exige
pour passer d'une ligne à l'autre, et aussi par ce fait que les
espaces entre les mots s'obtiennent sans exiger le moindre
temps. L'écrivain peut, sans difficulté, lire les derniers mots
marqués et écrire à la suite.
J'apprends qu'on vient de construire, en Allemagne, une
machine à sept touches pour écrire le Braille. Cette machine,
d'un prix très modéré, présente le grand avantage de fonc-
tionner par l'emploi de la main droite seule, grâce au dépla-
cement facile du pouce. L'aveugle peut donc, par son em-
ploi, copier avec la main droite un texte lu par l'index de
la main gauche.
DEUXIÈME PARTIE
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES
Les huit chapitres qui forment cette deuxième partie
constituent pour ainsi dire des « Mémoires à consulter » à
l'usage des personnes qui voudraient connaître les bases sur
lesquelles s'appuient les assertions et les conseils qui sont
exposés dans la troisième partie de ce volume.
Tandis que, dans la première partie, on a réuni, pour ainsi
dire, des pièces justificatives historiques, la seconde est un
recueil de pièces justificatives théoriques, nécessaires seule-
ment pour les lecteurs curieux d'aller au fond des choses.
CHAPITRE VII.
OPTIQUE DE L'OEIL.
Les questions d'hygiène de la vue et en particulier les
règles qui doivent présider à l'éclairage des salles de classes,
à la confection des cartes et des livres scolaires ne peuvent
être étudiées sans une connaissance préalable de l'optique de
l'œil dont le présent chapitre constitue un abrégé très som-
maire.
Emmétropie et presbytie. — Comme leurs noms l'in-
diquent, Y emmétropie est l'état de l'oeil optiquement normal
et la presbytie est une modification de l'œil qui survient sur-
tout chez les gens âgés.
Depuis les mémorables expériences de Thomas Young,
on sait que Y accommodation, ou miscau point pour les objets
voisins, se fait par le moyen d'une augmentation de réfrin-
gence du cristallin ; on a démontré depuis que cette défor-
mation résulte de la contraction d'un muscle circulaire, logé
derrière l'iris, et qu'on nomme muscle de Brùcke, muscle
ciliaire ou muscle tenseur de la choroïde. Le milieu du cris-
tallin se bombe d'autant plus que ce muscle se contracte
davantage. Quand le muscle est entièrement relâché, l'action
réfringente du cristallin est faible; elle atteint son maximum
lorsque le muscle est le plus fortement contracté. L'œil qui
accommode peut donc voir nettement des objets d'autant
plus voisins que le cristallin est plus souple ou que le muscle
ciliaire est plus fort.
Il faut abandonner l'ancienne expression de distance de la
vision distincte ; en fait, nous voyons distinctement entre
deux limites, l'une très éloignée (punctiim remotnm) et l'autre
très rapprochée (punctiim proximum). La distance entre ces
deux limites est le parcours de la vision distincte.
64 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
J'ai dit que l'œil emmétrope est optiquement normal, c'est
dire qu'il n'est ni myope, ni hypermétrope. Un œil peut être
affecté de cataracte, d'amblyopie (mauvaise acuité), etc.,
sans cesser d'être emmétrope.
On verra plus loin que les hypermétropes et que certains
myopes peuvent devenir presbytes. Examinons d'abord les
phénomènes qui accompagnent la presbytie chez les emmé-
tropes, c'est-à-dire chez les personnes dont les yeux sont
construits de manière à recevoir sur la rétine, des images
nettes d'objets très éloignés quand l'accommodation est com-
plètement au repos.
Avec les progrès de l'âge, chez tous les hommes, le par-
cours de l'accommodation diminue graduellement, si bien
que, le piinctiim remotum restant à peu près invariable, le
punctum proximum s'éloigne peu à peu.
Vers l'âge de quarante-cinq ans, ce point est déjà assez
loin, chez l'emmétrope, pour que les objets tenus à la main
soient situés en deçà du parcours de la vision distincte.
C'est cette modification qui constitue la presbytie.
On voit que ce défaut de la vue est purement optique et
n'est point un affaiblissement réel, et d'ailleurs il est à remar-
quer que les yeux presbytes sont généralement très solide-
ment constitués et sont rarement atteints d'un certain nom-
bre de maladies graves, telles que le décollement de la
rétine, la choroïdite, etc.
A mesure que la presbytie augmente, l'emmétrope est con-
traint d'éloigner les objets de plus en plus pour les voir net-
tement. Il arrive bientôt un moment où cet artifice devient
insuffisant, car un éloignement trop considérable est fort
incommode pour le travail, et de plus, la possibilité de voir
nettement à condition de s'éloigner est de nulle ressource,
quand il s'agit de petits objets, tels qu'une impression fine,
qui devient indéchiffrable pour le presbyte un peu avancé.
En effet, il ne peut la lire de près, car elle se trouverait
située en deçà du parcours de son accommodation, et il ne
gagne guère à s'éloigner, car l'image rétinienne deviendrait
trop petite pour qu'il soit possible d'en faire usage pour
lire.
Tout le monde sait comment et pourquoi les verres sphé-
riques convexes permettent aux presbytes de se tirer fort
bien d'embarras : la convexité du verre vient suppléer à
VII. — OPTIQUE DE L'ŒIL. 65
l'impossibilité où ils se trouvent de bomber d'une manière
permanente leur cristallin pendant la lecture. Mais, par ce
moyen, le parcours de l'accommodation se trouve déplacé ; en
même temps que le punctum proximum est ramené à une dis-
tance suffisamment petite, le punctum remotum, qui était à
l'infini pour l'œil nu, se trouve également rapproché, de telle
sorte que le presbyte est obligé de regarder par-dessus ses
lunettes quand il veut voir nettement les objets lointains.
L'augmentation de la presbytie ne suit pas un cours plus
rapide chez les personnes qui se servent de verres suffi-
sants que chez celles qui, sous l'influence d'un préjugé
populaire, s'obstinent à lutter et à faire usage de verres trop
faibles. Des maux de tête, des conjonctivites et peut-être
même des glaucomes, résultent des efforts exagérés d'accom-
modation que certains presbytes imposent à leurs yeux, par
crainte de recourir aux lunettes en temps utile.
Quelques personnes évitent d'augmenter la force de leurs
lunettes quand le besoin s'en fait sentir, par crainte de ne
plus trouver de verres assez forts quand elles seront vieilles ;
mais cette crainte est chimérique.
Myopie. — Tandis que l'œil emmétrope mesure environ
22 millimètres d'avant en arrière, l'œil myope est plus long,
et le degré de son élongation peut servir de mesure au défaut
de cet œil. Chaque millimètre d'élongation correspond à peu
près à trois dioptries (1). Nous dirons que la myopie légère
résulte d'un allongement inférieur à 1 millimètre ; une aug-
mentation de longueur comprise entre 1 et 2 millimètres
(1) L'umfé de réfraction, nommée dioptrie, est donnée par une lentille
convexe dont la distance focale principale est d'un mètre. L'action réfrin-
gente variant en raison inverse de la distance focale, il en résulte le
tableau suivant, qui donne la concordance entre les dioptries D, les dis-
tances focales F et les verres de commerce numérotés d'après leurs rayons
de courbure en pouces, P :
D = 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12. . 20
F = lm 0.5 0.33 0.25 0.2 0.166 0.14 0.125 0.11 0.1 0.09 0.083 . 0.05
P = 40 20 13 10 8 6 | 5f 5 4 4 3 ^ 3 1 . 2
La même unité sert pour mesurer les défauts optiques de l'œil ; par
exemple, une myopie de quatre dioptries est celle d'un œil dont la vue
distincte est bornée à 25 centimètres et dont la correction exige un verre
concave de 10 pouces.
JAVAL. 5
66 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
constituera la myopie moyenne ; la myopie forte répondra
à un allongement de 2 à 3 millimètres ; une déformation
plus marquée constituera la myopie grave ; en d'autres ter-
mes, ces quatre classes sont délimitées par les chiffres de
trois, six et neuf dioptries.
La myopie a pour premier effet de nuire à la vision nette
des objets lointains, dont les images viennent se peindre en
avant de la rétine, à une distance d'autant plus grande de
cette membrane que la myopie est plus forte ; pour voir
distinctement, le myope doit s'approcher des objets. Pour la
myopie légère, le point le plus éloigné de la vision distincte
est au-delà de 33 centimètres ; pour la myopie moyenne, il
est compris entre 33 et 17 centimètres, et enfin, chez les per-
sonnes affectées de myopie excessive, le point le plus éloigné
de la vision distincte est distant de moins de 11 centimètres.
Tout ceci ressort de la comparaison des trois lignes de chif-
fres du tableau très important contenu dans la note de la
page précédente.
De même que les verres convexes permettent aux presby-
tes devoir nettement en deçà de leur punctumproximum, les
verres concaves donnent» aux myopes la possibilité de dis-
tinguer les objets situés au-delà de leur pimctum remotum ;
mais tandis que les presbytes sont obligés de quitter leur
besicles pour voir au loin, les jeunes myopes peuvent voir
d'assez près à travers les lunettes qui corrigent leur myopie
et qui ont pour effet d'éloigner de leurs yeux tout le par-
cours de la vision distincte.
Supposons qu'un myope porte d'une manière permanente
les lunettes correctrices exactes de son défaut, il cessera de
pouvoir distinguer les objets voisins, précisément à l'âge où
les emmétropes deviennent presbytes. Au lieu de mettre,
pour lire, des lunettes convexes par-dessus ses lunettes con-
caves, il sera conduit à quitter ses lunettes ou à en prendre
de plus faibles pour le travail, et ce fait a donné naissance
au préjugé d'après lequel les yeux myopes s'amélioreraient
avec l'âge. Ce n'est pas la myopie qui a diminué, c'est le par-
cours de l'accommodation ; en d'autres termes, le punctum
proximum s'est éloigné sans qu'il y ait eu déplacement du
remotum.
Par suite de la diminution sénile du parcours d'accommo-
dation, il peut arriver qu'un myope devienne presbyte, sans
VII. OPTIQUE DE L'ŒIL.
67
cesser d'être myope. Par exemple, un vieillard dont le remo-
tum est à 1 mètre et le proximum à 50 centimètres de l'œil, a
besoin de verres concaves n° 40 pourvoir nettement au loin,
et de verres convexes faibles pour distinguer les objets voisins.
On ne connaît pas bien le mécanisme par lequel certains
yeux contractent la myopie, mais on sait que cette affection
se développe rarement chez les jeunes enfants et rencontre
son terrain de prédilection parmi les élèves de l'enseignement
secondaire. Je pense que, chez les sujets prédisposés, l'œil
s'adapte d'une manière permanente aux exigences d'un travail
assidu; au lieu de s'accommoder transitoirement, par une
augmentation de convexité du cristallin, il s'allonge, de ma-
nière à rendre inutiles les contractions du muscle ciliaire (1).
Cet allongement graduel ne va pas sans altérations des tuni-
ques oculaires; la choroïde et la rétine en font les frais et
l'augmentation de la myopie est le moindre des inconvénients
à redouter en pareil cas. C'est pourquoi, dans mon opinion,
pour les yeux menacés de myopie progressive, le commence-
ment et la fin de la sagesse consistent à supprimer tout
effort d'accommodation, en réglant la distance des yeux à
l'ouvrage et en prescrivant des verres strictement suffisants.
Depuis que je procède ainsi, j'ai vu nombre de myopies
progressives devenir stationnaires.
Si l'on compulse les statistiques, on est conduit à admettre
que la utopie, rare chez les très jeunes enfants, débute
habituellement vers l'âge de huit ou dix ans et commence
par être légère ; j'ai d'ailleurs vérifié le fait en France, en
examinant la vue de nombreux enfants dans plusieurs écoles
primaires publiques et dans deux grands établissements
libres d'enseignement secondaire. C'est donc pendant le pre-
mier âge scolaire qu'il faut apporter le plus grand soin à
empêcher les enfants de s'approcher trop de leurs livres et
de leurs cahiers et c'est pour leur en faciliter les moyens
qu'il importe de veiller à l'éclairage des classes, à la bonne
impression des livres, à la disposition convenable des tables
et des bancs. Il faut surtout adopter des méthodes d'écri-
ture qui soient compatibles avec une bonne attitude des
élèves.
(1) Pour plus de détails, voir à la fin de ce chapitre, page 79, le paragraphe
consacré aux réglages de l'œil.
68 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Quand on a négligé de couper le mal dans sa racine et
qu'on a laissé la myopie apparaître, il est encore possible, le
plus souvent, d'en arrêter les progrès. J'ai vu disparaître un
commencement de myopie chez des enfants à qui j'avais fait
porter des verres convexes pour supprimer tout effort.
J'ai souvent vu le défaut rester tout à fait stationnaire chez
des écoliers à qui je recommandais de n'employer qu'un lor-
gnon tenu dans la main gauche pour regarder le tableau noir
ou les cartes géographiques, de manière à se servir de leurs
yeux avec des verres plus faibles pour lire et pour écrire ; il
est rare, au contraire, que la myopie ne progresse pas
d'année en année chez les écoliers qu'on arme de lunettes ou
de pince-nez qui leur suffisent pour voir au loin, mais qui
les obligent à faire des efforts en lisant ou en écrivant.
Plus tard, quand la croissance est terminée, on peut être
moins réservé ; il n'est pas rare de rencontrer des adultes
qui portent en permanence et sans inconvénient les verres
correcteurs exacts.
Hypermétropie. — On a vu plus haut qu'une myopie
légère est compatible avec la presbytie ; cette remarque
suffit pour indiquer que la presbytie n'est pas le contraire de
la myopie, comme on se le figure souvent. L'opposé de la
myopie est un état auquel Donders a donné le nom d'hyper-
métropie et qui a été constaté dès 1772 par Jean Janin dans
les termes suivants :
Tous les physiologistes et les physiciens ont dit qu'il y a
trois sortes de vue, savoir : la myope, la presbyte et la vue
parfaite. De ces trois espèces de vue, il n'y en a que deux de
naturelles, qui sont : la vue ordinaire et la myope ; car la
presbytie n'est qu'accidentelle, puisqu'elle n'affecte que les
vieillards... Je ne sache pas qu'aucun auteur ait fait mention
d'une autre espèce de vue naturelle ; cependant il en existe;
mais on doit les considérer comme des phénomènes, ou des
écarts de la nature. L'observation suivante en est un
exemple... Quoique les yeux du sieur Silva représentassent,
par leur grande sphéricité, des yeux myopes, ils ne l'étaient
cependant pas, puisque les lunettes concaves, bien loin de lui
être favorables, lui causaient au contraire une plus grande
confusion dans l'objet aperçu; il n'y avait que les lunettes
qu'on appelle mi-cataractes/ qui lui fussent utiles, ce qui fait
présumer, avec quelque espèce de raison, que la vue de son
organe a beaucoup d'analogie avec l'œil d'une personne qui a
souffert l'opération de la cataracte...
VII. — OPTIQUE DE L'ŒIL.
69
Il est difficile de mieux définir l'hypermétropie. Depuis
Janin, nombre d'oculistes et d'opticiens ont constaté la fré-
quence de ce défaut de vue, et lui ont donné les noms
d'hyperopie ou d'hyperpresbyopie. Ce dernier nom doit être
abandonné, car les yeux qui, à l'inverse des myopes,
trouvent avantage à l'emploi des verres convexes pour la
vision des objets lointains, sont affectés, comme l'explique
Janin, d'un défaut naturel, qu'il ne faut pas confondre avec
la presbytie, laquelle est une diminution de l'accommodation
résultant de l'âge. A l'inverse des yeux myopes, qui sont trop
longs, les yeux hypermétropes sont trop courts; il en résulte
que les images des objets lointains viendraient se former en
arrière de la rétine, si ces yeux ne faisaient pas des efforts
d'accommodation. Tout cela a été exposé en détail par
Stellwag von Carion.
Tandis que l'excès de longueur de l'œil myope peut
dépasser 6 millimètres, le défaut de développement de l'œil
hypermétrope se chiffre généralement par une fraction de
millimètre. L'hypermétropie ne réduit le parcours d'accom-
modation que par son extrémité voisine de l'œil, si bien que,
pendant une partie de la vie, la vision des objets lointains
reste nette et que, dans la jeunesse, le seul symptôme de
l'hypermétropie est un recul du punctum proximum. Sauf
dans les cas d'hypermétropie forte, ce recul passe inaperçu
pendant bien des années, si bien que la plupart des per-
sonnes exemptes de myopie sont hypermétropes sans s'en
douter. Il est clair que les hypermétropes deviennent pres-
bytes plus ou moins prématurément, selon le degré du vice
de construction de leurs yeux. Il n'est pas très rare de voir
des jeunes gens donner un démenti à l'étymologie et devenir
presbytes : ce sont des sujets fortement hypermétropes.
Tout aussi bien que les presbytes ont avantage à recou-
rir à des verres convexes de force suffisante, il n'existe
aucune raison pour priver les hypermétropes de ce secours
dès que leur vue commence à se fatiguer. Tant qu'ils sont
jeunes, il leur suffit de faire usage de verres pour le travail;
mais, à mesure que leur accommodation faiblit, ils trouvent
avantage à les garder pour voir au loin. Enfin, vers l'âge de
quarante-cinq ans, les hypermétropes commencent à devoir
employer deux paires de verres, l'une plus faible, pour voir
au loin, et l'autre pour lire. Comme les emmétropes devenus
70 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
presbytes, ils doivent augmenter tous les cinq ou six ans la
force des lunettes qui leur servent pour leur travail.
La connaissance de la fréquence de l'hypermétropie, la
pratique, suivie maintenant, de prescrire sans crainte des
verres convexes de force suffisante pour en corriger les effets
fâcheux, constituent un des plus utiles progrès de l'ophtal-
mologie moderne, car le nombre est grand des personnes
auxquels on rend ainsi l'usage de la vue au lieu de les décla-
rer, comme autrefois, atteintes d'asthénopie incurable. Cette
notion a été répandue dans le public par Donders.
Astigmatisme. — Tandis que le public et les opticiens
ont des notions plus ou moins nettes sur la presbytie et la
myopie, et que les oculistes savent tous reconnaître l'hyper-
métropie, il faudra bien des années encore pour que l'astig-
matisme, le plus fréquent des défauts de l'œil, soit connu
autant qu'il importerait dans l'intérêt des personnes innom-
brables qui en sont affectées.
En créant le nom d'astigmatisme pour désigner ce défaut,
Whewell voulait rappeler que, dans les yeux qui en sont
affectés, l'image d'un point lumineux extérieur ne vient pas
se peindre en un point mathématique sur la rétine.
La découverte de l'astigmatisme est due au célèbre phy-
sicien et médecin anglais Dr Thomas Young qui constata
l'existence de ce défaut dans un de ses yeux et prouva, par
des expériences extrêmement ingénieuses, que l'irrégularité
de cet œil siégeait dans le cristallin. Le cas de Th. Young
était exceptionnel, car, en général, l'astigmatisme reconnaît
pour cause une déformation de la cornée.
On sait qu'on appelle solide de révolution tout corps qui
pourrait se fabriquer sur un tour: une toupie, un gland, un
œuf... sont autant de solides de révolution. Un œuf, un oi-
gnon sont des solides de révolution d'une forme particulière ;
en effet, coupés par des plans passant par leur axe, ces soli-
des ont pour sections des ellipses. Dans l'œuf, c'est le grand
axe, dans l'oignon, c'est le petit axe de ces ellipses qui coïn-
cide avec l'axe de révolution. Tout solide de révolution qui,
coupé par un plan passant par l'axe, a pour section une el-
lipse, porte le nom d'ellipsoïde de révolution. — Il n'est pas
beaucoup plus difficile de se figurer un ellipsoïde qui ne soit
pas de révolution. En effet, si les dômes de nos monu-
VII. — OPTIQUE DE L'ŒIL.
71
ments publics sont ellipsoïdes de révolution, cela tient à ce
que l'espace à couvrir est circulaire ; si l'on se proposait de
construire une coupole, de forme aussi simple que possible,
destinée à recouvrir une aire elliptique, la surface de cette
coupole cesserait d'être celle d'un solide de révolution, tout
en restant ellipsoïdale (ellipsoïde à trois axes inégaux). C'est
précisément une surface de ce genre qui constitue la cornée
de l'œil astigmate.
En 1818, M. Cassas, élève du peintre Gros, ennuyé de
voir le maître ajouter toujours des traits horizontaux sur
ses dessins, constatait qu'en effet ses yeux distinguaient mal
les lignes horizontales. Après de nombreuses tentatives,
Cassas finit par se faire tailler à Rome, par Suscipi, en 1844,
des verres qu'il me montra en 1865 et qui lui donnèrent
pleine satisfaction pendant bien des années. Ces verres, con-
vexes sphériques en avant, affectaient du côté de l'œil la
figure d'un tore concave. De même, en 1827, Airy, le direc-
teur de l'Observatoire de Greenwich, remarquait que, malgré
le secours du verre concave le mieux approprié, son œil
gauche voyait les étoiles sous forme de traits lumineux;
d'autre part, pour cet œil, une croix verticale tracée sur un
papier n'était visible nettement à aucune distance. A condi-
tion de l'incliner de manière que l'un des bras de la croix
formât un angle de 35 degrés avec la verticale, il pouvait voir
alternativement avec netteté l'une ou l'autre des lignes en se
mettant plus ou moins loin du papier: il corrigea son défaut
de vue au nioj^en d'un verre cylindrique.
C'est à Goulier, alors capitaine du génie et professeur à
l'Ecole d'application de Metz, que revient l'honneur d'avoir
reconnu la fréquence de l'astigmatisme et d'avoir, le premier,
rendu la netteté de la vue à un grand nombre de personnes
par le moyen de verres C3dindriques. Dès le 12 juillet 1852,
il consignait le résultat de ses observations dans un pli
cacheté qu'il fit ouvrir en 1865, et dont le contenu fut
alors reproduit dans les Comptes rendus de l'Académie des
Sciences. Le remarquable mémoire de M. Goulier a été
reproduit dans mon Histoire de l'astigmatisme. Annales d'oeu-
Ustique, 1866, t. LV.
Je conserve dans mon petit musée de famille une feuille
de hachures gravées sur pierre, que Goulier m'avait offerte
vers 1864 et dont je donne ici la reproduction ; les lignes que
72 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Goulier traça sur cette épreuve en me la remettant ont pâli
par le temps, altération que la photogravure n'a pas pu
rendre (Fig. 28).
Fig. 28.
Dans une conférence faite dans le grand amphithéâtre de
la Sorbonne le 1er avril 1880, j'avais fait distribuer à lous
les assistants une feuille portant des hachures analogues à
celles de M. Goulier et reproduite par la fig. 29. Cette figure
permet à chacun de vérifier si, pour ses yeux, l'astigmatisme
atteint un degré assez élevé pour nécessiter l'emploi de verres
cylindriques.
Pour mesurer l'astigmatisme, après avoir fermé un œil, on
fait tourner la figure dans un plan vertical jusqu'à ce que
les carrés de l'une des deux lignes apparaissent avec des
rayures aussi tranchées que possible. A ce moment, l'œil
étant à 25 centimètres de la figure, la force de l'astigmatisme
vu. —
OPTIQUE DE L ŒIL.
est donnée par la différence de rang entre les carrés des
deux files qui paraissent encore striés.
On peut renouveler la même expérience à 50 centimètres
de distance, mais alors les rangs des carrés sont exprimés
par les chiffres de la seconde ligne : une différence d'un rang
n'indique plus qu'une demi-dioptrie d'astigmatisme. — On
peut procéder de même à un mètre, en se servant des chiffres
de la troisième ligne. Suivant les cas, pour l'une ou l'autre
des expériences, qui se contrôlent mutuellement, il est utile
de corriger préalablement la myopie ou la presbytie par des
verres sphériques appropriés (1).
Il est utile de corriger l'astigmatisme à partir d'une demi-
dioptrie, d'une dioptrie ou d'une dioptrie et demie, selon
l'âge ou la profession des personnes qui en sont affectées ; à
partir de deux dioptries, le défaut cause toujours une gêne
très appréciable.
Cependant, dès 1854, une voie nouvelle avait été ouverte
par Helmholtz qui, peu de temps après son invention de
l'ophtalmoscopc, mit aux mains des oculistes son ophlalmo-
(1) On verra plus loin que j'appelle bonne une une vue meilleure que
celle qui correspond à la normale de Snellen, et cela dans le rapport
de 7/5. A l'éloignement de 0.75, une bonne vue distingue des hachures
distantes de 1/10 m/m. S'il y a défaut de réfraction, les hachures sont
distantes d'autant de fois 1/10 m/m en plus qu'il y a de dioptries de défaut
de réfraction. En particulier pour l'astigmatisme, quand les hachures
correspondent au méridien défectueux, la distance des hachures cessant
d'être visible, augmente de 1/10 m/m pour chaque dioptrie d'astigmatisme.
La distance d'axe en axe des hachures est donc respectivement de 0,07,
0.14, 0.21, 0.28, 0.35, 0.42, 0.49, 0.56 dixièmes.
74 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
mètre, instrument auquel il attacha une telle importance
qu'il le fit figurer, vingt ans après, au premier plan des
accessoires qu'on remarque sur son portrait, peint par
Knaus. Cet instrument permet, en effet, de mesurer avec une
grande précision les rayons de courbure de la cornée sur le
vivant, et Knapp, Donders, Mandelstamm, Woinow, v.
Reuss, Mauthner, etc., s'en servirent successivement pour
effectuer des mensurations qui donnèrent quelques rensei-
gnements sur la forme de la cornée humaine.
Pendant plus de vingt-cinq ans, personne n'avait
supposé que l'ophtalmomètre fut susceptible de perfection-
nement, quand le Dr Schiôtz, de Christiania, vint passer
un an au laboratoire d'ophtalmologie de la Sorbonne pour
faire de l'ophtalmométrie. Rebutés par les difficultés excès-
VII. — OPTIQUE DE L'ŒIL. 75
sives de la manœuvre de l'instrument d'Helmholtz, nous
fûmes conduits à y introduire successivement divers chan-
gements dont le succès nous amena graduellement à faire
construire, par l'habile opticien Laurent, un ophtalmomètre
(Fig. 30) si pratique qu'en une journée nous eûmes la joie
d'effectuer plus de mensurations d'astigmatisme qu'il n'en
avait été fait en vingt-cinq ans par les nombreux obser-
vateurs qui ont employé l'ophtalmomètre primitif. — D'autre
part, progrès non moins utile, un procédé d'examen de l'œil,
imaginé par le médecin militaire Cuignet, a été perfectionné
et introduit dans la pratique courante par le Dr Parent, de
Paris, sous le nom de skiascopie. Grâce à ces deux procédés :
ophtalmométrie et skiascopie, tout oculiste doit reconnaître
facilement l'existence de l'astigmatisme, en évaluer aisément
l'importance, et savoir s'il doit procéder à une mesure sub-
jective au moyen du cadran horaire (Fig. 31), que j'emploie
à cet effet, depuis 1865, avec mon optomètre (Fig. 32).
L'introduction de la mesure de l'astigmatisme dans la pra-
tique quotidienne est un bienfait.
Il importe, en effet, de remarquer que, dans l'ordre naturel
des choses, les yeux ont une force de résistance tout à fait
extraordinaire ; les personnes qui ont une bonne vue peu-
vent travailler indéfiniment, de jour et de nuit, sans aucune
fatigue et sans aucun inconvé-
nient pour leurs yeux, et elles
peuvent continuer ainsi jus-
qu'à l'âge le plus avancé, sans
autre condition que d'avoir à
prendre des verres convexes
quand elles deviennent presby-
tes. Il n'en est plus de même
pour celles dont la vue est dé-
fectueuse : leurs yeux, sous
l'influence de la fatigue, refu-
sent plus ou moins le service
ou contractent des inflamma-
tions qui résistent à tous les
collyres, mais qui disparaissent comme
par l'emploi de verres appropriés; or, parmi ces verres, les
cylindriques tiennent le premier rang, car c'est l'absence d'as-
tigmatisme qui caractérise un œil régulièrement construit. Tou-
r enchantement
76 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
tes les fois qu'une personne se plaint de sa vue, s'il ne s'agit
pas du retentissement d'une maladie générale de l'organisme
ou d'une maladie infectieuse, il faut rechercher l'astigmatisme.
Fig. 32.
La qualité d'un œil est si bien liée à son astigmatisme
qu'on peut affirmer presque à coup sûr, chez les strabiques,
la présence d'un astigmatisme plus fort sur l'œil dévié que
sur l'œil sain.
On peut lire dans certains auteurs qu'il existe dans la
plupart des yeux sains un astigmatisme normal ou physiolo-
gique dont il est inutile de tenir compte; c'est aussi faux que
si l'on parlait d'un emphysème normal ou d'une insuffisance
VII. — OPTIQUE DE L'ŒIL. 77
physiologique des valvules mitrales. Il est vrai de dire que
de faibles degrés d'astigmatisme sont souvent négligeables en
pratique. Il est plus difficile de fixer à partir de quel degré
le défaut mérite d'être corrigé, car ici une foule de circons-
tances, telles que la profession, l'état général de santé de
l'individu et surtout son âge, viennent influer fortement sur
nos déterminations. Je transcris ici ma propre observation
que j'ai publiée il y a une vingtaine d'années.
« Jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, malgré un peu d'hyper-
« métropie, la vue de notre sujet était restée tout à fait
« excellente, car il distinguait parfaitement à l'œil nu six ou
« sept étoiles dans le groupe des Pléiades. Etant élève à
« l'Ecole des Mines, il fut pris d'une légère asthénopic et
« d'une conjonctivite tenace pour laquelle les deux plus
« célèbres oculistes de Paris lui infligèrent les traitements les
« plus cuisants et une interruption d'études. Un nouveau
« venu, disciple de Dondcrs, diagnostiqua un astigmatisme
« physiologique et ne prescrivit pas de verres. Notre patient
« construisit alors un optomètre avec lequel il mesura le dé-
« faut de sa vue, et, depuis qu'il porte des verres cylin-
« driques, sa conjonctivite a disparu. Au lieu de se faire
« agriculteur, comme on le lui conseillait, il a étudié la
« médecine et ne s'esl guère privé de passer des jours et
« des nuits à travailler au bureau et au laboratoire d'oph-
« talmologie ; il est peut-être permis de lui pardonner s'il
« parle avec trop d'enthousiasme des verres cylindriques
« qui ont radicalement transformé son existence et l'ont
« mis à même de faire, sur la correction de l'astigmatisme
« chez autrui, des recherches dont il s'exagère peut-être
« l'utilité ».
Il est clair qu'un faible degré d'astigmatisme peut être con-
sidéré comme négligeable chez un paysan illettré et mériter
au contraire une correction par les verres chez une coutu-
rière, un savant ou un artiste.
Mais l'astigmatisme est habituellement méconnu. C'est
ainsi qu'en avril 1877, les journaux publiaient une lettre du
peintre Marchai qui venait de se suicider et dont voici le
début :
Mon cher Paul, ma vue est dérangée. Quand je veux peindre
ou dessiner, l'objet est doublé dîme façon presque impercep-
tible ; cela suffit pour m'empècher de produire ! C'est une
78 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
espèce de taquinerie nerveuse de l'œil, qui n'a l'air de rien.
Pour un peintre, c'est la mort. Voilà bientôt un an que
j'éprouve ce supplice, que je croyais voir cesser. Il s'éter-
nise... Puisque la vie renonce à moi, je n'ai pas le choix, il
faut renoncer à elle, etc.
Assurément les cas où l'astigmatisme conduit à un dénoû-
ment tragique sont rares, mais le nombre de gens que ce
défaut de vue a obligés à renoncer à leur profession est
incalculable, et, pour en diminuer le nombre, on ne saurait
trop répéter que l'astigmatisme est le plus fréquent des
défauts de la vue.
Il importe de savoir aussi que l'astigmatisme est une
cause de myopie, car la myopie se produit de préférence
chez les écoliers qui regardent de trop près, et il est conce-
vable que l'astigmate soit porté à rapprocher les yeux des
objets, surtout si ce sont des livres imprimés trop fin et si
l'éclairage est insuffisant. Les chiffres de la statistique, faite
par M. Nordenson à Y Ecole alsacienne, viennent à l'appui de
cette thèse ; en effet, pas un seul des myopes de cette école
n'était exempt d'astigmatisme (1).
Par un singulier contraste, l'astigmatisme peut être un
préservatif de la myopie ; en effet, quand un sujet est affecté
de degrés très inégaux d'astigmatisme aux deux yeux, il peut
arriver que l'œil le moins astigmate, étant seul capable de
vision nette, est seul employé pour l'étude et devient myope,
tandis que l'autre reste intact.
A première vue, les verres cylindriques, montés en
lunettes, ne diffèrent pas des verres sphériques ; car, tandis
que la surface de ces derniers est empruntée à une sphère
de rayon assez grand pour que leur courbure soit à peine
sensible, les verres cylindriques sont taillés selon la surface
d'un cylindre dont le rayon est assez grand pour qu'il faille,
tout au moins pour les faibles numéros, les examiner de
fort près pour remarquer leur convexité ou leur concavité.
L'emploi des verres cylindriques n'exclut en aucune façon
celui des verres sphériques, convexes ou concaves. Rien
n'empêche de faire tailler l'une des surfaces du verre sui-
vant une forme sphérique pour corriger la myopie, la
(1) Pour plus de détail, voir la statistique très considérable de Steiger.
Internationale!- Kongress fur Schulhygiene in Nurnberg, April 1904.
VII. — OPTIQUE DE L'ŒIL. 79
presbytie ou l'hypermétropie et l'autre surface suivant une
forme cylindrique, qu'on choisira convexe ou concave,
selon les cas.
C'est un physiologiste hollandais Donders, vulgarisateur
de premier ordre qui, s'inspirant d'un travail de Helmholtz,
révéla au monde médical, vers 1860, l'existence de l'astig-
matisme et l'utilité des verres cylindriques. Avant cette
époque, quand un consultant leur semblait avoir besoin de
lunettes, les oculistes l'envoyaient se pourvoir chez un
opticien. Actuellement, les oculistes mesurent eux-mêmes,
tant bien que mal, les défauts optiques de l'œil, et on en
cite, en Amérique, pour qui cette occupation constitue la
part principale de leur activité professionnelle.
En Amérique, la précision apportée à ce travail n'a pas
cessé d'augmenter sous la pression de clients méfiants qui
consultent de plusieurs côtés, jusqu'à ce que deux oculistes
leur aient délivré des prescriptions dont les chiffres soient
identiques.
En Amérique aussi, nous voyons apparaître une organi-
sation qualifiée de retour en arrière par les oculistes et qui
constitue, à mon avis, un progrès considérable : on voit
surgir de toutes parts des cours à l'usage des commis opti-
ciens, où on leur enseigne à mesurer la réfraction oculaire
et à fournir au public des verres et des montures convena-
blement adaptés.
Dans l'intérêt du plus grand nombre, il me paraît dési-
rable de voir arracher le monopole de ce travail minutieux
aux médecins qui, nécessairement, font payer le public, en
raison de leur position sociale et de leurs études anté-
rieures dont l'utilité est nulle, dans l'espèce.
Si l'emploi des verres correcteurs de l'astigmatisme est
encore infiniment loin d'avoir pris l'extension désirable, cela
tient surtout aux applications inexactes qui en sont faites
journellement : les mesures, surtout les mesures d'angles (1),
se font, le plus souvent, avec une inexactitude déplorable.
Rien d'étonnant si le client, pourvu de verres cylindriques
(1) Il serait urgent qu'un accord international intervînt pour uniformiser
la notation de l'angle des verres cylindriques. Voir, à ce sujet, Annales
d'oculistique, 1902, t. CXXVII, p. 10, dans mon article sur la vérification
des ophtalmomètres.
80 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
mal adaptés et par cela même inutiles ou même nuisibles,
jette le discrédit sur toute cette affaire de l'astigmatisme.
La situation changera du tout au tout quand le monde sera
doté, par centaines de mille, de modestes praticiens moins
avares de leur temps qui, dans les boutiques des opticiens,
feront avec soin et pour un prix modéré une besogne infini-
ment utile.
Anisométropie . — Il est rare que les deux yeux d'une
même personne soient suffisamment identiques pour qu'on
ne puisse trouver entre eux une différence mesurable, mais
cette différence est généralement assez faible pour être
pratiquement négligeable. On peut classer les anisométropes
en trois catégories, suivant que leur anisométropie est acci-
dentelle, naturelle ou acquise.
Dans la première catégorie nous mettrons, par exemple,
les personnes dont l'un des yeux a été plus ou moins mutilé
par un traumatisme, une opération, une affection aiguë.
Les anisométropes de la seconde catégorie, qui consti-
tuent l'immense majorité du genre humain, sont ceux,
j'insiste sur ce point, dont l'astigmatisme n'est pas exac-
tement le même aux deux yeux. La différence est générale-
ment légère, et chez la plupart des sujets, elle n'est bien
démontrable que depuis les derniers progrès de l'ophtalmo-
métrie. Il est impossible de mesurer quelques centaines de
cornées sans être frappé de la concordance extrême entre les
rayons de courbure des deux yeux de la même personne.
Quand il n'y a pas d'astigmatisme, ou qu'il est le même des
deux côtés, les mensurations des rayons de courbure con-
cordent à un cinquantième de millimètre près.
Enfin, dans la troisième catégorie, nous rangeons les
personnes dont les yeux ont subi des modifications par le
temps : celles par exemple dont l'un des yeux est devenu
myope, l'autre étant resté hypermétrope ou emmétrope, ou
bien encore les sujets dont la myopie des deux yeux est
devenue inégale par suite de renonciation à la vision bino-
culaire pendant la lecture.
Pour compléter ce chapitre relatif à l'optique de l'œil, je
reproduis ici une communication que j'ai faite, en présence
de M. Helmholtz, dans la section de physiologie au Congrès
international des sciences médicales, tenu à Berlin en 1890.
VII. — OPTIQUE DE L'ŒIL.
81
Sur les réglages optiques de l'œil. — Il y a plus de
vingt ans que, parlant des imperfections optiques de l'œil,
M. Helmholtz, dans une boutade restée célèbre, disait :
<( En présence d'un opticien qui voudrait me livrer un ins-
trument entaché de pareils défauts, je me sentirais parfaite-
ment autorisé à refuser son ouvrage, et à accompagner mon
refus des expressions les plus dures ».
Je n'ai pas reçu mission de plaider les circonstances atté-
nuantes en faveur de l'opticien, mais je voudrais dire, à sa
décharge, que son œuvre est mieux agencée qu'on ne pouvait
le croire il y a vingt ans, et c'est précisément par 1 emploi
des méthodes créées par M. Helmholtz que je suis arrivé à
cette conviction.
Tous ceux qui se servent d'instruments de précision ne
demandent pas à l'artiste de leur fournir des instruments
parfaits. Ils préfèrent, avec raison, des instruments munis
de moyens de réglage.
Dans mon opinion, les réglages sont nombreux dans l'œil ;
je n'en citerai aujourd'hui que quatre, deux sphériques et
deux astigmatiques.
Réglages sphériques. — Vous connaissez tous le réglage
intermittent, qui constitue l'accommodation. — Il existe dans
l'œil un second réglage sphérique, producteur de la myopie,
qui fonctionnait avant l'an de grâce 1299, date de l'invention
des lunettes convexes, et dont on pourrait se passer aujour-
d'hui.
Grâce à ce réglage, un très grand nombre de personnes qui
font emploi de leurs yeux pendant leur jeunesse pour exa-
miner de petits objets, deviennent myopes précisément autant
qu'il convient pour pouvoir continuer leurs travaux jusqu'à
l'âge le plus avancé. En général, ce réglage fonctionne d'une
quantité rigoureusement égale pour les deux yeux. — Quand
il dépasse le but et aboutit à une myopie excessive, il faut
souvent en accuser quelque oculiste ou opticien maladroit.
Réglages astigmatiques. — Ici encore un réglage intermittent
et un réglage permanent.
Le réglage intermittent, annoncé d'abord par Dobrowolsky,
est connu sous le nom d'accommodation astigmatique du cris-
tallin; son existence est affirmée maintenant par presque tous
les oculistes qui font usage de mon ophtalmomètre.
J'arrive enfin au point nouveau de ma communication. —
On appelle astigmatisme cornéen direct celui où le plus petit
rayon de courbure de l'œil est vertical. — Je crois (je n'ose
pas encore affirmer) que l'ouvrier de la première heure, dé-
sespérant de faire un œil qui fût et restât toujours d'une ré-
fraction homocentrique, a construit cet organe avec un astig-
matisme direct, mais avec une résistance moindre dans le
méridien vertical, ce qui rend possible d'effacer cette astigma-
JAYAL.
82 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
tisme par le moyen d'une augmentation de pression intra-
oculaire.
Première présomption. — Le Dr. Bull, en ophtalmométrant
une fillette dont j'avais soumis l'œil droit à une occlusion per-
manente pendant plus d'un an, trouva que l'astigmatisme direct
de cet œil avait augmenté d'une quantité très supérieure aux
erreurs possibles de mesure, tandis que celui de l'œil gauche
n'avait guère changé. J'ai relevé depuis, dans mes livres, plu-
sieurs observations analogues, et j'ai constaté avec certitude
depuis la suppression de la louchette, une diminution dans
l'astigmatisme de l'œil mesuré par M. Bull.
Deuxième présomption. — MM. Martin, à Bordeaux, et Pfalz,
à Kœnigsberg, ont constaté simultanément, par des mesures
ophtalmométriques, la fréquence de l'astigmatisme inverse
chez les glaucomateux, et Martin a même pu constater une
coïncidence entre l'augmentation de pression intraoculaire et
cet astigmatisme.
On est donc tenté d'admettre que, chez les glaucomateux,
l'appareil de réglage dépasse le but.
Enfin, M. Eissen a constaté, sur des yeux de lapins, des
transformations dans le sens de l'astigmatisme et ses belles
expériences paraissent tout à fait concorder avec les obser-
vations de Martin.
Les travaux anatomiques de M. Hocquart sont venus con-
firmer déjà mes hypothèses sur l'accommodation astigma-
tique du cristallin. La parole est à l'observation des malades
pour voir ce qui en est du réglage astigmatique de la cornée.
Pour terminer, j'ajouterai que l'œil présente probablement
d'autres réglages encore : il est présumable que la combi-
naison de la forme de la cornée et de la contraction de la
pupille joue un rôle dans l'aplanétisation de l'œil pour diverses
distances. Malgré les admirables travaux de nos devanciers,
toute cette optique de l'œil offre encore aux chercheurs des
problèmes du plus haut intérêt, et il est fâcheux que son étude
ait été quelque peu négligée, sous l'influence de l'admiration
légitime inspirée par les travaux de M. Helmholtz et que, dans
leur modestie, les contemporains ont eu le tort de considérer
comme définitifs.
CHAPITRE VIII.
DE L'ACUITÉ VISUELLE INDÉPENDAMMENT
DE L'ÉCLAIRAGE.
La vision indirecte ne jouant, dans la lecture, qu'un rôle
accessoire, nous ne nous occuperons ici que de la vision
directe, laquelle ne paraît pas employer les bâtonnets, et
s'exerce au moyen des cônes, terminaisons nerveuses sensibles
dont la mosaïque tapisse la macula hitea ou tache faune de la
rétine, tout autour de la fovea centralis ou point de fixation.
Nous admettons, avec tous les physiologistes, que chaque
cône ne peut nous fournir qu'une seule sensation. En
d'autres termes, nous admettrons comme démontré que les
images de deux points lumineux très voisins, venant se
peindre sur un seul cône, produisent la même impression
qu'un seul point deux fois plus brillant. Nous admettrons
également que pour produire la sensation de deux points
séparés la distance des centres des deux images devra
excéder le diamètre d'un élément sensible. En effet, si les
images sont plus rapprochées que le diamètre d'un cône,
deux cas peuvent se présenter : elles se peignent sur un
même cône, et alors la sensation est évidemment unique ; ou
bien elles tombent sur deux cônes contigus, et alors rien ne
distingue la sensation obtenue d'avec celle que produirait
un point unique dont l'image tomberait précisément sur la
limite commune de deux cônes.
Partant de ces idées théoriques, on a fait de nombreuses
expériences en prenant pour objets des couples de points
lumineux, des groupes de lignes parallèles ou des figures en
échiquier, et ces recherches ont cadré assez bien avec les
84 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
résultats obtenus par la mesure micrométrique des cônes
rétiniens, pour qu'on puisse admettre que ces cônes consti-
tuent les éléments sensibles de la rétine.
Ce n'est pas ici le lieu d'aborder cette intéressante
étude; nous devons nous borner à rechercher si les expé-
riences dont nous venons de parler peuvent nous servir à
étudier l'aptitude de l'œil pour la lecture, aptitude que
nous désignerons provisoirement par le nom d'acuité
visuelle.
Nous ferons remarquer tout d'abord que la lecture est un
acte passablement complexe, et que c'est aller un peu vite
en besogne que de l'assimiler à cette expérience qui consiste
à rechercher la distance la plus grande où la figure formée
par des traits parallèles, alternativement blancs et noirs, cesse
de paraître rayée et prend l'aspect d'une teinte plate; il
nous semble donc, a priori, que les raisonnements théori-
ques sur lesquels se sont fondés M. Giraud-Teulon et
M. Snellen, lorsqu'ils ont construit leurs échelles typogra-
phiques, ne reposent pas sur une base solide (1).
Les premières échelles typographiques régulières qui aient
été faites sont celles de Stellwag von Carion (Sitzungsber.
der math, naturw. Classe der Kais. Akademie der Wissen-
schaften, t. XVI, p. 187-282), échelle gravée avec une éton-
nante précision.
D'autre part, le Dr Hirschmann (2) a pu distinguer les
rayures d'un gril dans des conditions telles que l'angle sous
(1) Voici des extraits des explications de M. Giraud-Teulon :
« Cette échelle est formée par une série de caractères d'imprimerie,
assemblés pour la lecture courante, et disposés en série régulièrement
progressive. La progression a pour unité l'intervalle 0mm,10 qui, à 33 cen-
timètres (1 pied de distance, sous-tend un arc rétinien de 1' ou de 0mm,005.
Tous les caractères de l'échelle, visés à la distance marquée (en pieds)
par leur numéro dans la série, sous-tendent ce même angle de 1', corres-
pondant à cette même grandeur de l'image rétinienne 0mm,005.
» La limite de gi-andeur de l'image 0mm, 005, et la condition de présenter
les pleins égaux aux clairs donnent à cette échelle l'avantage de s'appuyer
sur le dernier terme de la sensibilité distincte de la rétine ; dès que l'ob-
servateur vient à sortir des limites du champ de sa vision distincte, le
cercle de diffusion qui naît à cet instant empêche au même moment de
distinguer le blanc du noir.
» Pour mesurer, chez chaque sujet, le degré de sensibilité distincte ou
l'acuité de la vision, on considérera comme ayant une acuité égale à 1
tout individu lisant couramment le n° 1 à 1 pied de distance, le n° 2 à 2
pieds, etc. ».
(2) Helmholtz, Optique physiologique, trad. française, p. 296.
VIII. DE L'ACUITÉ VISUELLE.
85
lequel il voyait la distance entre les axes de deux barreaux
consécutifs ne dépassait pas 50", et rien ne prouve que
d'autres observateurs ne distingueraient pas les rayures sous
un angle encore moindre. Il faut bien noter que c'est d'axe
en axe que les distances des barreaux ont été mesurées dans
ces expériences ; les pleins étant égaux aux vides, les bar-
reaux ne sous-tendaient qu'un angle de 25".
Si l'on se basait sur ces expériences, les jambages des
lettres employées dans les échelles typographiques des ocu-
listes devraient donc apparaître sous un angle inférieur aune
demi-minute. Faisant le calcul, on trouve, par exemple,
que les jambages de l'ancien n° 1 de Snellen et du n° 1 de
Giraud-Teulon, qui sont destinés à être lus l'un et l'autre à
un pied, devraient avoir une épaisseur inférieure à cinq
centièmes de millimètre (0mm,05), tandis qu'ils mesurent
exactement 0mm,l. La même observation s'applique évidem-
ment à tous les numéros des échelles, de telle sorte que le
numéro 1 devrait être marqué 2, le 2 deviendrait 4, en un
mot, tous les numéros devraient être doublés tout au moins,
si l'on voulait se conformer aux données de la théorie sur
laquelle on a voulu fonder la construction des échelles.
Cette simple remarque, mieux que tous les raisonnements,
suffit pour nous contraindre à laisser de côté les consi-
dérations théoriques sur lesquelles on a voulu s'appuyer
pour construire des échelles optotypiques régulières.
Nous appellerons Vision excellente, celle qui permet de
distinguer des caractères moitié plus petits que ceux qui in-
diquent, d'après Snellen, la Vision normale.
Nous ne saurions trop répéter que l'expression classique
de Vision normale, introduite par Donders et Snellen, doit
être abandonnée.
Nous allons procéder par modifications successives des
Optotypi de Snellen ; ces types étant connus dans tout l'uni-
vers, nous trouverons, en les prenant pour point de départ,
l'avantage de procéder du connu pour aller au nouveau.
1° Dimension du tableau. — Réduisons tout d'abord au
cinquième, l'échelle que M. Snellen destine à être éloignée
de cinq mètres ; cette dimension réduite nous donne un
tableau bien plus maniable et que nous regarderons à la
distance d'un mètre, au lieu de cinq, ce qui sera beaucoup
86 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
plus commode et ne présente aucun inconvénient pour notre
recherche spéciale (partie gauche de la Fig. 33).
B
D E
0-3®.
<« T B R
aï-us.
F E B D
20 E T L F N
P Z E D B G
©•8.
10 OLTZBDH
U I
X L
112
80
56
T H A 40
X X O U 28
; ■ ' A M T X I V 20
: ; " ' ' X U A M T H Z N 14
: : ; ■ • u hnor m a t v i i 10
" ' " I * V T U O M HIVXY NZ I H O J
2° Forme des lettres. — D'après ce que nous avons dit plus
haut, les considérations théoriques sur lesquelles M. Snellen
s'est fondé pour tracer ses lettres dans des carrés, divisés
chacun en vingt-cinq carrés plus petits, ne paraissant
VIII. DE LACUITÉ VISUELLE.
87
pas exactes, rien ne nous oblige à conserver les caractères de
forme tout au moins insolite dont s'est servi notre éminent
confrère. Nous n'hésiterons pas un instant à choisir les capi-
tales antiques, moins à cause de leur facile exécution, que pour
adopter celui de tous les types qui est le moins exposé aux
caprices de la mode (Fig. 33). Parmi les antiques, nous
choisissons un TYPE CARRÉ et non pas un TYPE ALLONGÉ
qui serait moins classique. On verra plus loin que le choix
de lettres de ce genre était utile pour obtenir des échelles
peu influençables par les variations de l'éclairage.
3° Point de départ. — Le n° 1 figure 33 de Snellen mesure
une hauteur de lmm,5 et est formé de traits de 0mm,3, et l'on
dit que l'acuité normale est celle d'un œil qui lit le n° 1 à
un mètre. — Il faut bien nous expliquer ici sur ce qu'on
aurait dû entendre par acuité normale. En effet, M. Snellen
a pris pour acuité normale ce que nous appellerions plus
volontiers acuité moyenne. Une comparaison fera immédia-
tement saisir la différence qui existe entre ces deux expres-
sions : la durée de la vie moyenne pourra être de trente-
cinq ans dans un pays où la durée de la vie normale serait
peut-être du double.
En regard de la table de Snellen, réduite au cinquième
pour être observée à un mètre, je reproduis une table faite
également pour être observée à un mètre (Fig. 33). La der-
nière ligne de cette table est distinguée à un mètre par une
vue excellente, l'avant-dernière, à la même distance, par une
bonne vue. La troisième ligne (en remontant) dont les lettres
ont un millimètre 4 dixièmes de haut et sont formées de
traits épais de 0mm35, sont de la même lisibilité que la der-
nière ligne de la table de Snellen.
Ainsi les personnes qui lisent à un mètre la dernière ligne
du nouveau tableau ont une acuité double de la normale de
Snellen.
On verra plus loin les relations entre les grandeurs des
lettres et les carrés figurés entre ce tableau et celui de
Snellen.
Nous admettrons donc qu'une bonne vue peut lire à la
distance d'un mètre des lettres capitales antiques hautes
d'un millimètre et formées de traits épais d'un quart de
88 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
millimètre, dont on peut voirie spécimen, deuxième ligne en
remontant de la nouvelle échelle, lettres identiques à celles
du groupe jy de la figure 34 ci-dessous.
IVTOH
- YHATMLFNYP
1 UTXVDPOTZL
- TO A M DH TQ
* VH TU LF HV
VH
Fisr. 34.
Les lettres de cette figure mesurent respectivement 8 ; 4 ;
2,1 et 0,5 millimètres de haut et les traits ont 4; 2 ; 1 ; 0,5;
0,25; 0,125; 0,0625 millimètres d'épaisseur. Il en résulte que
toutes les lettres d'une même horizontale sont de même
grandeur et que toutes celles d'une même verticale sont
formées de traits de même épaisseur.
Nous ferons observer que les lettres de la file oblique
YH TO
commençant par V continuant par y-p puis etc.,
sont semblables dans le sens géométrique du mot ; les traits
ont une épaisseur égale au quart de la hauteur de chaque
lettre ; en un mot, dans toute cette file oblique, les lettres
sont comme des réductions photographiques successives
d'un type unique.
Théoriquement, l'acuité visuelle, au lieu d'être inverse-
ment proportionnelle à la grandeur linéaire des plus petites
lettres distinguées, est en réalité inversement proportionnelle
VIII. —
DE L'ACUITÉ VISUELLE.
89
au carré de cette grandeur. Si par conséquent, on voulait se
servir de la Fig. 34 pour mesurer la sensibilité rétinienne,
c'est plutôt des files horizontales que des files obliques qu'il
faudrait faire usage en numérotant les lettres 1, 2, 4, 8, etc.,
tandis que théoriquement les lettres de la file oblique seraient
numérotées 1, 4, 16, 64, etc. Cependant, dans ce qui suit, il
sera bien plus commode de parler simplement de la hauteur
ou grandeur linéaire des lettres vues, sans rien préjuger
relativement à la théorie de l'acuité visuelle.
4° Choix des degrés de l'échelle. — La grandeur relative des
lettres de l'échelle de M. Snellen est mesurée par les nom-
bres 1 ; 1,5 ; 2 ; 3 ; 4 ; 6 et 10. Si l'on veut des échelons à
peu près aussi nombreux, il sera préférable de prendre 1 ;
v 27 2 ; 2 v/2] 4 ; 4 yjY; 8 et 8 sj % qui forment une progression
géométrique; les hauteurs des lettres seront respectivement
1 ; 1,41 ; 2; 2,83; 4; 5,66; 8, 11,31... Il serait tout aussi
facile d'obtenir une progression géométrique à intervalles
aussi rapprochés qu'on voudra. Pour le moment, nous de-
vons nous borner à faire ressortir les avantages que pré-
sente la progression géométrique, et qui ont d'ailleurs été
indiqués par M. Green (1).
On remarquera tout d'abord que les échelons en progres-
sion géométrique présentent, sur les intervalles adoptés
par M. Snellen, l'avantage que l'échelle est propre à être
employée à autant de distances différentes qu'elle compte de
lignes : nous avons supposé jusqu'ici qu'on se mettait à la
distance d'un mètre ; rapprochons-nous, par exemple, à
H T
50 centimètres, c'est le groupe y y (Fig. 34) de la dernière
ligne qui devra être lu par une bonne vue.
Principale supériorité de la progression géométrique :
l'expression : le malade lit une ligne de plus de la fig. 34, prend
un sens parfaitement déterminé : son acuité superficielle a
doublé ; s'il lit deux lignes déplus, son acuité linéaire a dou-
blé, mais son acuité superficielle a quadruplé.
(1) A New Séries of Test Letters, in Transactions of the American
Ophthalmological Society, 1867, p. 67. M. Green avait choisi la progres-
sion \J 2. Je préfère \] 2.
90 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
En d'autres termes, si l'on persiste à considérer l'acuité
visuelle comme inversement proportionnelle à la grandeur
linéaire des lettres lues, c'est lorsque le malade gagne deux
lignes de la fîg. 33 qu'on dirait que son acuité a doublé.
(D'après la théorie que j'ai mentionnée en passant, l'acuité
superficielle serait doublée en réalité quand le malade gagne
une ligne sur cette figure 34, parce que le nombre des
éléments rétiniens affectés par les lettres d'une ligne est pré-
cisément double du nombre de ceux affectés par les lettres
de la ligne immédiatement inférieure).
On sait que par une coïncidence très remarquable, les
termes de la progression 1 ; ^2] 2; 2 \J2; 4 peuvent être
exprimés avec une très grande approximation par les chiffres
5; 7; 10; 14; 20; 28; 40, etc. Plaçons ces chiffres à côté des
lignes de la figure 33 en commençant par le bas ; on remar-
quera que le nombre 10 tombe en regard de la ligne qui
correspond à l'acuité normale de Snellen (1).
(1) Le Congrès international de 1900 a chargé une Commission
composée de MM. Javal, Hirschberg, Landolt et Parent d'étudier la
réforme qu'il pourrait être utile d'apporter à la notation de la faculté
visuelle.
La Commission s'est réunie aussitôt et, après m'avoir désigné
comme président, elle m'a chargé de la conduite de ses opérations.
En vertu du droit de cooptation qui lui avait été conféré par le
Congrès, la commission s'est adjoint MM. Reymond, de Turin, et Châ-
tiasse, médecin principal de l'Armée française.
Il a été impossible de réunir la Commission à Madrid en 1903, elle
se présentera à Lisbonne en 1906. La présente rédaction provisoire
résulte de correspondances échangées avec mes collègues. Nous n'avions
pas connaissance de l'ingénieux mémoire présenté au Congrès spécial
de Lucerne, en septembre 1904, par le Dr von Siklossy (Buda-Pesth).
Il a été reconnu tout d'abord qu'en présence des lois relatives aux
accidents du travail, il importe de fonder une notation sur une base
théorique incontestable et qui soit intelligible pour les magistrats. Cette
dernière nécessité exclut l'emploi du terme d'acuité normale qui, l'expé-
rience l'a démontré, apporte un obstacle parfois insurmontable à l'é-
change d'explications entre le juge et l'expert.
Car ce n'est pas une petite affaire d'expliquer au juge comment on a
été conduit à prendre, pour la mesure de la fonction visuelle, une cer-
taine unité arbitraire et d'employer des fractions de cette unité.
La difficulté disparaît si, au lieu de s'exprimer par fractions et
de partir d'une unité arbitraire, l'expert parle d'iMPERFECTiON vi-
suelle, cette Imperfection étant définie par la grandeur de l'objet que
l'ouvrier peut voir après l'accident. La comparaison entre V imperfection
antérieure à l'accident et ï Imperfection actuelle donne l'idée de la dété-
rioration.
Il est clair que la perfection visuelle, imaginable, permettrait de
discerner un objet infiniment petit. Une vue infiniment bonne s'inscri-
rait : / = 0. {imperfection nulle.) L'impossibilité .de rienjdistinguer s'é-
VIII. —
DE L'ACUITÉ VISUELLE.
91
On peut voir Fig 33, les rapports entre la lisibilité de carac-
crirait : I = co . L'imperfection pourrait se chiffrer, par exemple, en faisant
usage de l'un des dix nombres inscrits à droite de la figure 33 (p. 86).
Gomme il est pratiquement impossible d'abandonner l'emploi des
lettres, nous définissons leur lisibilité par comparaison avec la visibilité
de carrés noirs sur fond blanc tels qu'ils cessent d'être vus à la même
distance où les lettres cessent d'être lues (a).
Guillery a admis pour la distance de 5 mètres que le cercle noir sur
fond blanc dont la visibilité correspond à la lisibilité normale de Snellen
a un diamètre de 1 mm 2. Or un carré de 1 mm de côté a une surface à
peine plus petite que ce cercle; donc, si Guillery avait pris des carrés,
il aurait pris sans doute 1 mm de côté comme équivalent à la normale ù
5 mètres. D'après Groenouw une excellente vue distingue sur fond blanc
un carré noir dont le côté sous-tend un angle de 29".
On construira donc une échelle étalon composée de petits carrés noirs
de dimensions variées {Fig. 35). Cette échelle ne sera pas présentée aux
malades ; elle servira uniquement à la construction des optotypes.
L'expérience nous a appris qu'il faut une vue extrêmement bonne et
un éclairage favorable [b) pour pouvoir distinguer un carré dont le côté
mesure un dix-millième de la distance à laquelle il est vu. Cette vue
correspond approximativement à l'acuité 2 de Snellen, l'acuité normale
correspondant à un carré dont le côté serait deux dix-millièmes de la dis-
tance. A la distance de 1 mètre, le plus petit carré visible aurait donc
un côté de un dixième de millimètre, et l'acuité normale correspon-
drait à un carré de deux dixièmes (<?) de côté.
Nous proposons de faire l'examen à une distance de 5 m. et d'inscrire
simplement la longueur mesurée en dixièmes du côté du carré vu à
cette distance. Choisissons la lettre I, comme initiale du mot imperfec-
tion. Pour l'acuité normale, on aurait alors 1=10 et la correspondance
entre l'ancienne et la nouvelle numération se voit dans le tableau de
chiffres de la figure 35.
Les avantages de notre système sont les suivants :
1° On évite de choisir une unité arbitraire ;
2° On évite l'idée abstraite à' angle visuel ;
3° On évite les nombres fractionnaires ;
4° On ne présume rien sur la progression des échelles;
5° La lisibilité des différentes lettres portant le même numéro sera
toujours la même quelle qu'en soit la forme, puisqu'elle a été déter-
minée expérimentalement. On peut constituer les échelles avec des
lettres latines du type Snellen ou de tout autre type, des lettres gothi-
(a) On a beaucoup discuté la question de savoir s'il faut se servir du principe
du minimum separabile ou de celui du minimum visïbile pour la construction
des optotypes. Il est actuellement établi qu'ils conduisent pratiquement à des
résultats identiques. Si nous sommes partis du minimum visibile, c'est parce que
cette manière de faire présente plus de simplicité ; nos propositions restent
identiques avec celles qui découleraient du minimum separabile . Quant aux
objets à employer, nous avons choisi des points et non pas des lignes pour éviter,
autant que possible, l'influence de l'astigmatisme. La forme des points importe
peu, car son influence disparait absolument lorsqu'on se rapproche de la limite
de visibilité, le seul facteur qui joue un rôle étant l etendue superficielle des
points. Nous avons choisi la forme carrée qui permet d'exprimer cette étendue
d'une manière très simple.
(b) La visibilité des points varie dans une certaine mesure avec l'éclairage.
Nous nous réservons de définir celui-ci ultérieurement.
(c) Dans la suite, nous emploierons l'expression de dixième pour désigner le
dixième de millimètre, comme cela se fait souvent dans l'industrie.
92 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
tères typographiques et la visibilité des points constituant
l'échelle étalon mentionnée dans la note ci-dessous.
ques, persanes ou même avec des images de différents objets comme l'a
fait dernièrement Ewing {Fig. 36).
Conclusion. — La théorie et les besoins de la pratique sont d'accord
pour exiger la substitution à la notation fractionnaire actuelle d'une
notation, exprimant la grandeur des objets vus, c'est-à-dire l'imperfec-
tion visuelle.
L'utilité de cette réforme est aussi grande et aussi évidente que celle
de la substitution des dioptries aux fractions qui désignaient les amé-
tropies, et sa mise en pratique rencontrerait des difficultés moindres
que celles qui s'opposèrent longtemps à l'introduction de la dioptrie.
TABLE ETALON
CONSTRUITE POUR LA DISTANCE DE 5 MÈTRES, REDUITE AU CINQUIÈME
• • • *
*» » » •
Wl ;
•
*
•
•
t
•
•
■
Côtés des car-
rés en dixiè-
mes de mil-
limètres.
1 1,4 2 %i
i 4
5,6
8
44,2
46
Surface en di-
xièmes de
mill. carrés.
12 4 8
46
32
64
428
500
V =
7 1
2—4 — .
5 4,4
4
4
4
4
4
2
4
5,6
8
I =
5 7 40 44
20
28
40
56
80
Fig. 35.
Le choix d'une progression pour les échelles d'acuité ne fait pas partie
de la tâche qui nous a été confiée et nous considérons comme un avan-
tage de notre système de ne rien présumer à cet égard, de manière à
laisser chacun libre de choisir la progression qui lui plaît. On trouvera
VIII. — DE L'ACUITÉ VISUELLE.
93
Une comparaison analogue entre le même tableau étalon et
une échelle d'objets dessinée par M. Ewing, assistant de M.
dans ce qui suit la justification du choix que nous avons fait de la
distance de 5 m. pour définir ce que nous avons appelé I.
Snellen a choisi pour sa table la série des inverses des chiffres
entiers, 1, 1/2, 1/3, 1/4, etc. Mais comme cette série donnait un nombre
trop grand d'échelons composés de grandes lettres, et un nombre trop
petit de petites, il a supprimé les lignes correspondant à 1/5, 1/7, 1/8 et
1/9, et intercalé 2/3 entre 1 et 1/2. Sa série ne correspond donc à au-
cune formule mathématique. Le système de Snellen a encore un autre
inconvénient, c'est qu'une table donnée ne peut servir commodément
qu'à la distance pour laquelle elle a été construite. Si par exemple par
défaut d'espace on place les examinés à 5 mètres d'une table qui a été
construite pour une distance de 6 mètres, on obtient les expressions
V=5/6, 5/9, 5/12, etc., bien incommodes à comparer avec celles de la
série 6/6, 6/9, 6/12, etc. Une critique tout à fait analogue s'applique à
l'échelle décimale Monoyer, dont les inconvénients sont bien plus grands.
M. Green, de Saint-Louis, a exposé en 1867 les avantages théoriques
que présente une progression géométrique. On sait que, dans une pro-
gression géométrique, on obtient chaque terme en multipliant le précé-
dent par un facteur constant. Dans la série que nous préférons, ce fac-
teur est \J!T= 1,41 et la série est 1 ; ^27 2 ; 2 ^2; 4; etc. Green avait
choisi \/ 2 = 1,26, chiffre que Sulzer a dernièrement adopté. La série de
Green était par conséquent \\\J 2 ; (\/ 2 ; ) \ 2 ; 2\/ 2 ; 2) 2; 4,etc.
Le petit tableau suivant indique la valeur des I dans les différents
systèmes.
Snellen.
5
6.7
10
15
20
. 30
40
60
80
100
Proposition.
5
7.1
10
14.1
20
28.3
40
56.6
80
113
160
Green et Sulzer.
5
6.3 7.9
10
12.6 15.9
20
25.2 31.7
40
50.3 63.4
80
101.7 127
160
La série proposée et celle de Snellen se ressemblent, l'expérience
ayant conduit ce dernier à se rapprocher beaucoup d'une progression
géométrique. La série de Green donne un plus grand nombre d'inter-
médiaires, trop grand semble-t-il pour l'emploi journalier, puisque l'un
de ses élèves a dernièrement publié des tables suivant la progression de
racine carrée de 2. Légèrement modifiée, cette dernière devient très simple.
On ne commet en effet qu'une erreur très faible en mettant sj 2 ~ ^ »^ ~ "5 »
on tombe, en représentant par 5 le premier terme de la progression, sur
la série
5-7-10-14-20-28-40-56-80-112-160,
connue depuis vingt siècles. Elle se compose uniquement de nombres
entiers qui sont alternativement des multiples de 5 et de 7. C'est juste-
94 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Green, à Saint-Louis, pour mesurer l'acuité visuelle des
enfants, est représentée par la Fig. 36, ci-dessous.
56
40
t o □ o
□ o o t
28 o □ H f t o l
14 t^POijiîr^oVinCP^
10 v □ ? k o o # ;b □> t
Fig. 36.
ment pour tomber sur cette série que nous avons proposé la distance de
5 mètres pour la détermination de I.
Outre les avantages théoriques que présentent les échelles géométri-
ques, elles ont aussi l'avantage pratique de pouvoir servir à différentes
distances. La table qu'on voit à droite de la Fig. 33 construite pour
5 mètres peut ainsi servir à 3 m. 50, à 7 mètres, à 10 mètres, etc. Si par
exemple on observe à 7 mètres, toutes les lettres apparaissent diminuées
dans le rapport 5/7; une personne qui à 5 mètres pouvait lire le n° 5,
ne peut lire que le n° 7, celle qui pouvait lire le n° 7 ne peut plus lire
que le n° 10 et ainsi de suite. En plaçant d'une manière permanente les
observés à 7 mètres, l'oculiste n'a donc qu'à se rappeler, une fois pour
toutes, que pour noter une ligne lue, il doit se servir du numéro de la
ligne au-dessous. Si au contraire, ne disposant pas d'un recul suffi-
sant, il met les observés à 3 m. 50 de la table, c'est le numéro de la
ligne au-dessus qui doit servir.
P. S. C'est par accident que, dans les figures 33, 35 et 36, les carrés
constituant les plus petits échelons de la table étalon, ont été disposés
sur deux lignes au lieu d'une.
CHAPITRE IX.
INFLUENCE DE L'ÉCLAIRAGE SUR L'ACUITÉ
VISUELLE. — PHOTOMÉTRIE.
VISIBILITÉ DES POINTS ET DES LIGNES.
Visibilité d'un point. — Examinons d'abord le cas le plus
simple qui puisse se présenter : Quelles sont les conditions
de visibilité d'un point blanc sur fond noir?
Par point lumineux, nous désignerons ici, non pas un point
mathématique, mais un cercle assez petit pour que son
image sur la rétine ne soit pas plus grande que ne serait
celle d'un point lumineux mathématique. Cette dérogation
à la rigueur d'expression géométrique est admissible, car, par
un effet d'irradiation, l'image du point lumineux le plus
petit prend l'apparence d'un petit disque, dont le diamètre
augmente avec l'intensité lumineuse du point. Aussi, les
astronomes rangent-ils par grandeurs les étoiles fixes, bien que
ces astres, sans aucune exception, soient tous assez distants
pour jouer le rôle de points lumineux mathématiques. En
réalité, les étoiles n'ont aucune grandeur et ne diffèrent
entre elles que par l'éclat (1) : un coup d'œil dans un téles-
cope suffit pour s'en assurer.
Les planètes, au contraire, possèdent un diamètre angu-
laire appréciable. Mais ce diamètre est assez petit pour qu'il
soit légitime de n'en pas tenir compte dans l'évaluation de
leur intensité lumineuse : il est parfaitement correct de dire
qu'à un certain moment l'intensité de Saturne est égale à
celle d'une étoile de deuxième grandeur.
Mais il ne faut pas confondre Yintensité avec Yéclat lumi-
neux. — Nous appellerons éclat l'intensité de l'unité de sur-
face. Alors, l'éclat de Vénus sera pour nous infiniment
(1) Les étoiles de 6e et 7e grandeur sont les plus petites perceptibles
à l'œil nu. La photographie découvre jusqu'à la 17e grandeur; pour les
petites, le rapport d'intensité d'une grandeur à l'autre est de deux cin-
quième. Les étoiles de première grandeur sont très inégales entre elles.
96 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
moindre que celui d'une étoile de première grandeur, quand
même l'intensité totale de cette planète serait assez forte pour
la faire apparaître plus lumineuse que l'étoile la plus bril-
lante.
Un exemple nous suffira pour mieux faire comprendre
cette distinction : Il est actuellement possible de produire
une lumière électrique dont l'éclat soit comparable à celui
du soleil. Cela veut dire que la surface, extrêmement petite,
occupée par cette source lumineuse, est à peu près aussi
brillante que serait un fragment, de même diamètre angu-
laire, découpé dans la surface du soleil.
De notre définition il résulte que, lorsqu'on s'éloigne gra-
duellement d'une surface lumineuse de grandeur appréciable,
son éclat reste constant, tandis que son intensité diminue
en raison inverse du carré de la distance.
Quant à Yéclat apparent, il reste constant pendant que
l'observateur s'éloigne, mais seulement dans certaines limi-
tes : si l'observateur, qui était d'abord à une distance d'un
mètre, s'éloigne à deux mètres, l'éclat de l'image formée sur
la rétine ne diminue pas, car, si la surface de cette image
est devenue quatre fois moindre, et si l'intensité totale est
devenue aussi quatre fois moindre, l'intensité de chaque élé-
ment de l'image, c'est-à-dire l'éclat, n'a pas varié. Mais, à
partir d'une distance telle que la grandeur apparente de la
surface lumineuse devienne négligeable, il arrive que la
surface de l'image rétinienne cesse de décroître en raison
inverse du carré de la distance, et alors l'éclat de la source
lumineuse paraît diminuer ; c'est pour ce motif que les étoi-
les des dernières grandeurs paraissent moins éclatantes que
les autres, bien que leur éclat réel puisse être égal ou supé-
rieur.
Ces principes une fois posés, on voit que la visibilité d'un
point lumineux de dimensions appréciables peut s'exprimer
de plusieurs manières : on peut dire que la visibilité est
proportionnelle à l'intensité lumineuse totale; on peut dire
également qu'elle est proportionnelle au produit de la sur-
face par l'éclat de l'élément de surface.
Nous pouvons encore, sans inconvénient, introduire l'ex-
pression de quantité de lumière, et dire que la visibilité d'un
point est proportionnelle à la quantité de lumière qui, de ce
point, parvient à la rétine.
IX. — INFLUENCE DE l'ÉCLAIRAGE SUR LACUITÉ VISUELLE. 97
Imaginons dans une chambre parfaitement obscure une
plaque opaque verticale percée d'une série de trous mesurant
respectivement 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64 millièmes de mil-
limètre de diamètre, et distribués sur une ligne droite hori-
zontale. Derrière chacun de ces trous, disposons une bou-
gie, et supposons que, pour un œil normal, le trou 1 soit
visible à un mètre de distance ; il est évident que le trou 2
sera visible à deux mètres, le trou de 4 millièmes de milli-
mètre sera visible à 4 mètres, et ainsi de suite. En règle
générale, chaque trou sera visible deux fois plus loin que le
précédent, car, par exemple, le trou dont le diamètre est
8 [j. donnera à 8m de distance une image rétinienne dont la
dimension sera exactement la même que celle de l'image
fournie par le trou de 4 [l vu à une distance de 4 mètres;
comme, d'autre part, l'éclat des deux trous est le même, l'é-
clat des deux images rétiniennes sera égal ; la visibilité sera
donc identique.
Nous pouvons arriver aux mêmes conclusions par un autre
raisonnement tout aussi rigoureux, en remarquant que, dans
les deux cas, la quantité de lumière qui parvient à la rétine
est la même.
Il est très important d'observer que, dans notre série de
trous les surfaces des sources lumineuses croissent comme
les carrés des diamètres, de telle sorte que les trous de dia-
mètre 1, 2, 4, 8... ont des surfaces 1, 4, 16, 64...
Si nous appelons sensibilité rétinienne la faculté de perce-
voir un point lumineux, notre dispositif nous permet de
mesurer approximativement cette sensibilité. En effet, nous
avons admis que l'œil normal voit le trou 1 à lm de distance
et pas au-delà, le trou 2 jusqu'à 2m, et ainsi de suite. Il est
évident que, si un œil, dont les milieux réfringents sont irré-
prochables, ne peut pas voir le trou 2 au-delà de la distance
de lm, la sensibilité rétinienne de cet œil est 1/4 de la nor-
male.
Nous disons 1/4 et non pas 1/2, car un trou de diamètre
double laisse passer quatre fois plus de lumière.
L'expérience que nous avons imaginée pourrait se conce-
voir tout aussi bien, en remplaçant nos trous inégaux par
des trous égaux, derrière lesquels nous placerions des flam-
mes dont l'éclat serait respectivement 1, 4, 16, 64, 256...;
nous aurions alors des objets lumineux tout à fait analogues
JAVAL. 1
98 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
aux étoiles, et dont la série réaliserait au besoin un photo-
mètre.
Supposons maintenant qu'on réussisse à marquer, sur un
fond parfaitement noir, des points blancs dont les diamètres
soient respectivement 1, 2, 4, 8... dixièmes de millimètre,
c'est-à-dire des points cent fois plus grands que les précé-
dents; leur surface sera dix mille fois plus grande. Si nous
éclairons ce tableau, de telle sorte que l'éclat des parties
blanches soit dix mille fois plus faible que celui d'une bou-
gie, ce qui serait encore un éclairage fort brillant, il nous
sera permis de répéter tous les raisonnements, et nos points
blancs pourront donner la sensibilité rétinienne, comme les
points lumineux de tout à l'heure.
Mais l'expérience se heurtera contre de nombreuses diffi-
cultés: l'impossibilité d'avoir un éclairage suffisamment
intense pour pouvoir opérer avec des points assez petits,
l'impossibilité de tracer des points blancs de petite dimen-
sion et pourtant du diamètre voulu, l'impossibilité d'avoir
un fond réellement noir. Mais peu importe, car il nous suffit
d'avoir poussé la série de nos inductions assez loin pour
qu'on admette avec nous ce postulatum : la visibilité d'un
POINT BLANC SUR FOND ABSOLUMENT NOIR EST PROPORTIONNELLE
AU CARRÉ DU DIAMÈTRE DE CE POINT et elle est aussi PROPOR-
TIONNELLE A L'ÉCLAIRAGE.
Examinons de plus près l'une des difficultés que rencontre
la réalisation de l'expérience précédente, et qui consiste dans
l'impossibilité d'obtenir un fond réellement noir. — Les sur-
faces les plus foncées renvoient à l'œil une quantité de
lumière très appréciable et même beaucoup plus grande
qu'on ne l'imaginerait au premier abord; tel papier noir
renvoie de la lumière dans la proportion de 30 à 40 °/0 de la
quantité qui est renvoyée par du papier blanc. S'il n'en était
pas ainsi, rien ne nous permettrait de distinguer la forme
des objets noirs, ni d'apercevoir, par exemple, les plis du
velours noir, matière qui, entre toutes, refléchit le moins de
lumière. Il en résulte que si, au lieu d'obtenir des points
blancs au moyen de trous percés dans un écran opaque
éclairé par derrière, nous observons des points blancs tracés
sur une feuille noire éclairée par devant, le problème de
leur visibilité se complique, par suite de l'éclairage du
fond, lequel varie dans la même proportion que celui des
IX. — INFLUENCE DE L'ÉCLAIRAGE SUR L ACUITÉ VISUELLE. 99
points, quand nous faisons varier l'éclairage général de la
feuille.
Nous avons supposé tout à l'heure qu'on faisait varier
l'éclairage des points lumineux. Supposons maintenant qu'on
fasse varier l'éclairement du fond, sans faire subir aucune
variation à celui des points blancs : c'est ce qui aura lieu si
l'on fait usage d'un écran opaque, blanc, percé de trous de
dimensions diverses, derrière lesquels brûleront des bougies,
et qu'on éclairera par devant au moyen d'une lumière
variable.
Sans chercher aussi loin, le ciel étoilé nous donne un
exemple parfait de cette expérience : la visibilité des étoiles
ne varie, en effet, que par suite de la variation dans l'éclai-
rage de la voûte céleste. Soit 1 l'éclat d'une étoile à peine
visible dans un ciel parfaitement noir, et considérons une
série d'étoiles dont les éclats soient respectivement 1, 4, 16,
64, 256 et soit e l'éclat du ciel pour lequel l'étoile 4 est
à la limite de la visibilité; dans les limites de la loi de
Fechner, les étoiles 16, 64, 256.... seront tout juste visibles
dans un ciel dont les éclats seront respectivement e2, e3,
e'' On conçoit donc pourquoi la voûte étoilée réalise un
photomètre assez sensible : plus il fait sombre, plus on voit
d'étoiles, ce qui donne raison au poète, quand il parle de
l'obscure clarté qui tombe des étoiles.
D'après ce qui précède, on comprend fort bien pourquoi
les variations de l'éclairage n'auront qu'une influence relati-
vement faible sur la visibilité de points blancs marqués sur
un fond noir. Bien plus, il ne faut pas oublier que, si la loi
de Fechner était absolument exacte, la visibilité de ces
points serait tout à fait indépendante de l'éclairage ; la
recherche de l'influence de l'éclairage sur la visibilité de
points blancs sur fond noir équivaut à la recherche de
la discordance entre la réalité et la loi de Fechner.
Dans la vie de tous les jours, l'éclairage n'exerce donc sur
la visibilité qu'une influence très restreinte, car ce que nous
venons de dire s'applique aussi à des points noirs sur
fond blanc et généralement à des objets quelconques, tout au
moins dans certaines limites assez étendues. Et il est fort
heureux qu'il en soit ainsi, car il serait tout à fait déplorable
que les variations de l'éclairage vinssent modifier profondé-
100
DEUXIEME PARTIE.
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
ment les rapports d'ombre et de lumière sur les objets exté-
rieurs. On dirait qu'à tous égards l'œil ait été construit pour
fonctionner sans s'apercevoir des variations colossales
d'éclairage auxquelles il est soumis ; nous pouvons lire en
plein soleil, c'est-à-dire avec un éclairage un million de fois
plus intense que celui d'une bougie à un mètre, suffisante
pour nous permettre de distinguer à merveille les caractères
d'impression ; mais cette précieuse faculté d'adaptation de
l'organe, qui en assure le fonctionnement dans les circons-
tances les plus variées, a pour effet de rendre singulièrement
difficile le problème de la photométrie (1).
(1) Ce qui précède nous permet d'aborder d'une manière toute nouvelle
le problème de la photométrie. — Il est important de savoir mesurer
l'éclairage qui parvient en tel ou tel point d'une classe ou d'une salle de
spectacle, quel que soit le nombre des sources lumineuses qui concourent à
Fig. 31.
cet éclairage, et le premier essai qui ait été fait jusqu'ici dans ce sens a été
relaté dans la thèse de doctorat de N. Th. Klein. Lapait que j'ai prise aux
recherches de M. Klein me met fort à l'aise pour dire que la solution
X. — INFLUENCE DE L'ÉCLAIRAGE SUR L ACUITÉ VISUELLE. 101
Visibilité des lignes. — Etant acquis que la visibilité d'un
point blanc sur fond absolument noir est proportionnelle au
contenue dans sa thèse est bien moins élégante et probablement moins pra-
tique que celle dont je vais parler.
Imaginons une lanterne contenant une bougie allumée, et, sur l'une des
faces de la lanterne, une plaque blanche percée d'une série de trous, et
doublée de papier transparent pour diffuser la lumière de la bougie. Il est
clair, d'après ce qui précède, que la grandeur du plus petit trou qui
paraîtra lumineux en un endroit de la salle où l'on aura posé la lanterne,
pourra servir de mesure à l'éclairage de cette partie de la salle : c'est, en
somme, un ciel étoilé artificiel qui nous sert ici de photomètre.
Au lieu de disposer ces petits trous au hasard, rien n'empêcherait, pour
mieux s'y reconnaître, de leur faire figurer des lettres (fig. 37).
Il est non moins évident que, si l'on place sur une table une feuille de
papier blanc, et qu'on regarde cette feuille à travers une plaque percée de
trous de diverses grandeurs, si l'on a le soin de disposer cette plaque au
fond d'un sac opaque dans lequel l'observateur enveloppe sa tête, on a
encore un photomètre, fondé cette fois sur la différence d'éclat des points
blancs qui se détachent sur un fond absolument noir. Cette disposition
présente, sur la précédente, l'avantage de n'exiger l'emploi d'aucune source
lumineuse type, ce qui n'existe que dans les photomètres chimiques ; mais
l'observation ne pourra se faire que fort lentement, à cause du temps con-
sidérable employé par la rétine pour s'adapter à l'obscurité.
Nous ne voulons pas insister ici sur les applications pratiques, le temps
nous ayant fait, défaut pour mettre à l'épreuve les résultats théoriques que
nous venons d'indiquer. Pour plus de détails voir notre communication
au congrès d'oculistique à Lucerne, septembre 1904.
On remarquera que l'intervalle entre les points qui constituent les
lettres ci-dessus est suffisant pour que la visibilité de chacun de ces
points ne soit pas renforcée par celle des voisins, ainsi que cela aurait
lieu s'ils étaient trop rapprochés. Pour s'en convaincre nous figurons
Fig. 38.
ici (Fig. 38) deux lettres T., de même dimension que le premier T de
la figure précédente : qu'on s'éloigne d'environ quatre mètres du livre,
et qu'on compare la visibilité de ces trois T.
J'ai construit un autre photomètre fondé sur un principe tout différent
et qui consiste en une petite feuille de papier portant sept teintes plates
graduées du gris clair au noir. Au milieu de chaque teinte, un trou de
2mm de diamètre. L'observateur, placé près d'une fenêtre, tenant cette
feuille verticalement à 30 ou 40 centimètres de l'œil, cherche celui des
102 DEUXIÈME PARTIE. —
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
carré de son diamètre, nous allons démontrer qu'il n'en est
pas ainsi pour une ligne droite, dont la visibilité est seule-
ment proportionnelle à son épaisseur. Pour passer de l'étude
de la visibilité d'un point à celle de la visibilité d'une ligne,
nous devons faire remarquer tout d'abord que les conditions
de visibilité d'un point carré (sit venia verbo) sont tout à fait
les mêmes que celles d'un point rond ; en effet, l'expression
de point n'a été employée par nous que par abréviation,
lorsque nous voulions désigner des surfaces lumineuses
assez petites pour que leur image sur la rétine fût beaucoup
plus petite que la dimension d'un élément photesthésique.
Dans ces conditions, peu importe la forme de la petite sur-
face lumineuse. Puisqu'un seul élément rétinien est atteint,
il ne peut se produire qu'une sensation lumineuse, et l'ob-
servateur n'a, en aucune façon, conscience de la forme du
point lumineux qu'il aperçoit. Poussons ce raisonnement
plus loin, et remplaçons successivement une image rétinienne
carrée, mesurant par exemple 0mm,00Q8, par des rectangles
mesurant respectivement 0mm,0004 X 0mm,0016, ou 0mm,0Q02
X 0mm,0032. Ces divers rectangles, ayant précisément la
même surface que le carré précédent, produiront exactement
la même impression sur l'œil, tant que leur plus grande di-
mension sera inférieure au diamètre d'un élément rétinien ;
trous à travers lequel un objet quelconque situé dans la chambre paraît
aussi foncé que la teinte environnante : il voit ainsi instantanément la
différence entre l'intensité lumineuse des objets vus à travers les trous.
En vente chez M. Cornet, opticien, 66, rue de Rennes.
1 Vz V* Va Vie Vaz %*
Fig. 39.
Enfin, l'étude de l'acuité visuelle m'a conduit forcément à la construc-
tion d'échelles photométriques parlantes. En effet, si, pour la mesure de
l'acuité, il importe d'employer des caractères typographiques dont la
lisibilité soit influencée le moins possible par les variations de l'éclai-
rage, des caractères gradués dont la lisibilité varie avec l'éclairage
constituent un photomètre assurément grossier, mais qui pourrait être
perfectionné en employant des caractères formés de points isolés et peu
nombreux.
IX. — INFLUENCE DE L'ÉCLAIRAGE SUR l' ACUITÉ VISUELLE. 103
mais il n'en sera plus de même si nous produisons, sur la
rétine, une image dont les dimensions soient par exemple
0mm,0001 X 0,0064, car alors l'impression, se divisant entre
plusieurs éléments rétiniens, ne se totalisera plus comme
dans les exemples précédents. Si, par exemple, le carré de
0mm,0008 était à peine perceptible, à la même distance, une
ligne produisant sur la rétine une image large de 0mm,0001
et longue de 0mm,0064 disparaîtra complètement, et la con-
dition de visibilité d'une pareille ligne ne peut se déduire,
par le raisonnement des conditions de visibilité d'un point.
Mais si nous franchissons cette transition, et si nous pas-
sons immédiatement à l'examen des conditions de visibilité
des lignes droites, dont la longueur dépasse de beaucoup les
dimensions des éléments rétiniens, un raisonnement, tout à
fait analogue à celui que nous avons fait pour la visibilité
du point, conduit à admettre que la visibilité dépend unique-
ment de la largeur de la ligne et en aucune façon de la lon-
gueur. L'expérience confirme d'ailleurs cette manière de voir.
I
1
T
□ H
A
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YH
A T M L
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X VDP
O T
Z L
1
TO AM
VH TU
□ H
L F
T 0
H V
Fig. 40. (Duplicata de la Fig. 34).
En effet, j'ai obtenu, par la photographie, une image néga-
tive transparente de la figure 34 (page 88), et j'ai éclairé ce
cliché par transparence : dès que l'éclairage était suffisant
104 DEUXIÈME PARTIE. -— CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
pour permettre de lire la grande lettre X de la colonne de
r \ • u- ! YP TO
droite, on lisait tout aussi bien les groupes et
La conséquence de tout ce qui vient d'être dit, dans ce
chapitre, c'est que la visibilité des points et des lignes se
détachant en blanc sur fond noir absolu, est rigoureusement
proportionnelle à l'éclairage.
Il suffit d'un instant de réflexion pour s'assurer qu'il ne
saurait en être de même pour la lisibilité des lettres tracées
dans les mêmes conditions ; en effet, une lettre peut être vi-
sible sans être lisible. En éclairant par transparence, par la
lumière directe du soleil, un cliché photographique ana-
logue à celui dont je viens de parler, et qui serait exécuté
dans des conditions de perfection idéales quant à la netteté
des lettres et à l'opacité du fond, des lettres d'une surface
un million de fois moindre que celle des plus petits carac-
tères d'imprimerie existants produiront encore, sur la ré-
tine, une impression lumineuse, mais nous n'aurions aucune
notion de leur forme. La lisibilité des lettres résulte, en effet,
de la combinaison d'impressions produites sur un certain
nombre d'éléments rétiniens, et il y aurait à faire une étude
géométrique fort intéressante, qui consisterait à rechercher
le nombre des éléments de la mosaïque photesthésique dont
l'intervention est nécessaire pour reconnaître la forme des
diverses lettres de l'alphabet. Nous tenterons peut-être un
jour d'aborder cette analyse ; quant à présent, nous nous
bornerons à faire remarquer que la faculté de lire des lettres
ne repose pas, comme on le dit dans tous les livres classi-
ques, sur la faculté de distinguer l'un de l'autre deux points
lumineux. Pour s'en assurer, il suffit de percer, au moyen
d'une épingle, une série de trous équidistants dans une carte
opaque, d'éclairer cette carte par derrière, et de s'éloigner
jusqu'à ce qu'on ne puisse plus compter les trous : à cette
distance, on pourra encore distinguer la forme des courbes
suivant lesquelles les points sont alignés, et si, par exemple
on a piqué de manière à figurer des lettres au moyen du
moindre nombre de points nécessaire pour définir leur
forme, on pourra lire les lettres à une distance où les points
ne se distingueront plus les uns des autres (1).
(1) De nombreuses recherches ont été faites pour déterminer le mini-
IX. — INFLUENCE DE L'ÉCLAIRAGE SUR L ACUITÉ VISUELLE. 105
En faisant cette expérience, il me semblait avoir la per-
ception, non pas des points eux mêmes, mais des change-
ments de direction subis par les lignes qu'ils jalonnent. Or,
il est évident qu'un changement de direction ne peut se pro-
duire que par la sensation de trois points, au minimum : il
faut donc que trois éléments rétiniens au moins soient affectés
pour que nous percevions la forme d'un fragment de lettre.
De ce principe découlent des conséquences importantes,
qui seront exposées dans le prochain chapitre ; nous n'avons
ici qu'à en tirer des conclusions relativement à l'influence
de l'éclairage sur l'acuité visuelle.
De ce que nous venons de dire, il résulte que, tandis que
la visibilité d une lettre croît indéfiniment avec l'éclairage, sa
lisibilité atteint nécessairement, avec un certain éclairage suf-
fisant, une limite qu'elle ne peut plus dépasser, car elle
résulte de la composition mosaïque de la rétine. Il nous
importe de rechercher cette limite. — En gros, nous dirons
que, tandis que la visibilité dépend essentiellement de l'éclai-
rage, de telle sorte qu'en faisant diminuer graduellement
l'éclairage nous faisons disparaître, de droite à gauche et par
colonnes verticales successives, les lettres qui constituent la
figure 34, la lisibilité dépend, au contraire, essentiellement de
la grandeur des caractères, de telle sorte qu'en s'éloignant
peu à peu de cette figure, suffisamment éclairée, les lettres
disparaissent à peu près par lignes horizontales, de bas en
haut. Mais, si nous examinons les choses d'un peu plus près,
nous voyons bientôt que, sur une même ligne horizontale,
avec un très fort éclairage, ce sont les lettres situées le plus
à droite quisont les plus lisibles, et l'explication en estfacile.
Avec un éclairage suffisant, la visibilité des traits constitu-
tifs des lettres ne diminue pas quand ils sont plus minces :
quelque mince que soit un trait blanc sur fond noir absolu,
il suffit de l'éclairer assez fortement pour que sa visibilité
atteigne tel degré qu'on voudra. Cela étant compris, il est
évident que, lorsque nous regardons la figure en question,
très fortement éclairée, d'une distance telle que les lettres
d'une même ligne horizontale soient précisément à la limite
de la lisibilité, ce sont celles formées des traits les plus minces
muni du nombre de points nécessaires pour définir plus ou moins exacte"
ment la forme des lettres. Ce problème est traité à propos de l'écriture
des aveugles. (Voir chap. VI, XI et XXV).
106 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
qui, étant le moins empâtées, présentent, avec le plus de
pureté, ce que j'appellerai la forme schématique des carac-
tères d'impression ; j'en conclus qu'il faut recourir à des let-
tres maigres très fortement éclairées, quand on veut exécuter
des caractères typographiques de la plus petite dimension
perceptible pour une vue excellente (Voir p. 232 et 233).
Arrivé à ce point, nous pouvons enfin nous demander
quelle doit être l'influence de l'éclairage sur la lisibilité des
caractères imprimés en blanc sur noir absolu, et nous voyons
que la diminution d'éclairage ne peut avoir qu'une influence
indirecte sur la grandeur que doivent posséder les lettres
pour être distinguées. Supposons, en effet, que certains
caractères blancs très maigres soient lus très facilement avec
un éclairage donné; si nous diminuons l'éclairage jusqu'à ce
que la lecture devienne impossible, il nous suffira évidem-
ment d'augmenter l'épaisseur des traits jusqu'à ce qu'ils rede-
viennent visibles, et cela sans augmenter en quoi que ce soit
les dimensions des lettres. Mais cet artifice rencontre bientôt
une limite dans l'empâtement qui en résulterait ; il arrive
donc qu'avec un éclairage trop faible,- il nous faudra de toute
nécessité recourir à des lettres plus grandes, pour disposer
d'un espace suffisant, où nous puissions loger sans confusion
des jambages assez gros pour être perçus.
J'ai exposé ailleurs (Ann. d'ocuL, t. LXXIX, mai à
août 1898) un programme de recherches relatives à la dis-
tinction entre l'abaissement de l'acuité visuelle qui résulte-
rait de la diminution de la sensibilité des éléments rétiniens,
et l'abaissement que produirait la diminution du nombre de
ces éléments. D'après ces recherches combinées avec les
observations qu'on verra dans le chapitre suivant on com-
prend pourquoi, en présence d'impressions typographiques
différentes dont la lisibilité est la même pour certaines per-
sonnes, il doit arriver que pour d'autres observateurs, la
lisibilité des deux textes à comparer est différente.
On remarquera que, dans tout ce chapitre, pour la facilité
du raisonnement, nous avons supposé qu'il s'agissait de points ,
de lignes et de lettres se détachant en blanc sur fond noir ;
l'expérience et le raisonnement montrent que les résultats
seraient les mêmes en opérant avec des objets dessinés en
noir sur fond blanc ; mais le raisonnement qui autorise cette
assimilation ne me paraît exact qu'en tant que les dimensions
IX. INFLUENCE DE L'ÉCLAIRAGE SUR L'ACUITÉ VISUELLE. 107
des images de ces objets ne sont pas trop petites par rapport
à celles des éléments rétiniens : il y a là encore matière à
d'intéressantes études.
Enfin, des expériences sont nécessaires pour rechercher
dans quelle mesure nos résultats peuvent être altérés par les
mouvements des yeux: c'est là une question fort complexe (1).
Nous pouvons, grâce à ce qui précède, aborder l'étude des
épaisseurs qu'il importe de donner aux traits des caractères
d'imprimerie.
(1) Extrait du compte rendu de la Société de Biologie, séance du
28 février 1880, dans la Tribune médicale
M. Javal propose de mesurer la sensibilité de la rétine par les rapports d'inten-
sité lumineuse, et tout porte à croire qu'il y a là les éléments d'un nouveau
moyen de diagnostic applicable, par exemple, aux ahesthésies hystériques.
Supposons qu'on trace sur une feuille de papier huit lettres d'assez grande
dimension et qu'on les couvre de teintes d'encre de Chine dont les intensités
seraient respectivement 1, 2, 4, 8, 16, 23, 64, 128, le rapport entre le blanc du pa-
pier et la teinte la plus pâle étant précisément 1 : 128, on conçoit fort bien que
si, pour un œil anormal, la teinte 64 est précisément assez visible pour que la
lettre soit reconnue, tel œil dont la sensibilité aux rapports d'intensité sera du
quart, ne pourra distignuer que la teinte 16, et on comprend aussi que l'œil ainsi
affecté aura pu paraître normal, si on l'a examiné successivement par tous les
procédés énumérés plus haut.
Il y aurait une étude à faire relativement à l'influence de la teinte
plus ou moins foncée de l'encre et du papier sur la visibilité des carac-
tères typographiques, on trouvera certainement que, l'influence de la
teinte plus ou moins foncée de l'encre est extrêmement faible. On verra
plus loin que la lisibilité la meilleure n'est pas celle que donne le papier
très blanc et qu'une teinte jaunâtre est préférable.
CHAPITRE X.
LES PLEINS ET LES DÉLIÉS EN TYPOGRAPHIE
L'étude de l'épaisseur qu'il convient de donner aux traits
constitutifs des caractères, se fonde sur ce qu'on a vu dans
le chapitre précédent. Elle y est implicitement contenue.
Il est évident, en effet, qu'il suffit de former les lettres au
moyen de traits qui soient parfaitement distincts, et qu'une
épaisseur plus grande de ces traits, sans rien ajouter à la
lisibilité fait perdre de la place inutilement. Mais nous avons
vu que l'œil peut distinguer des traits extrêmement fins
quand l'éclairage est suffisant : rien ne nous empêcherait
donc d'employer des caractères maigres ou filiformes si nous
devions jouir toujours d'un éclairage excellent, et nous n'au-
rions aucune raison de faire varier l'épaisseur du trait qui
constituerait ces caractères. Mais pour qu'on puisse lire par
les temps sombres et à la lumière(artificielle, il faut nous éloi-
gner de la limite extrême dont nous venons de parler, et don-
ner aux traits une épaisseur assez forte pour qu'ils ne cessent
pas d'être vus à la lueur d'une bougie ou d'une mauvaise lampe.
On a vu, dans la partie historique, comment cette condition a
été à peu près remplie dès le début par les imprimeurs, sans
doute à cause de la difficulté que présentait l'exécution de
poinçons très fins, et aussi par économie, car des caractères
trop maigres sont évidemment très fragiles. Ces types
anciens, improprement nommés elzéviriens, plaisent beau-
coup à certaines personnes, soit à cause de leur cachet
archaïque, soit parce qu'étant formés d'un trait à peu près
uniforme, ils sont également visibles dans toutes leurs par-
ties. En ce qui me concerne, si j'avais à imprimer un livre
de luxe en gros caractères de onze ou douze points, j'aime-
rais assez l'emploi d'un type de ce genre. Quand il s'agit de
gros caractères, la visibilité n'est pas en jeu, et l'on peut
110 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
sacrifier davantage à la grâce des formes et même à l'uni-
formité de l'aspect.
Mais à mesure que nous descendons dans l'échelle des
grandeurs, d'autres considérations s'imposent d'une manière
d'autant plus impérieuse qu'il s'agit de caractères plus
petits.
L'expérience et la théorie sont d'accord pour nous
conseiller d'employer des traits relativement de plus en plus
épais à mesure que nous passons à des types plus fins, et
nous donnons ainsi l'explication de la recommandation que
les photograveurs ne manquent jamais de faire*aux artistes,
à savoir de forcer l'épaisseur des traits dans les dessins qui
sont destinés à être réduits par la photographie, conseil dont
la nécessité ne repose pas exclusivement, comme on le croit
généralement, sur la connaissance des imperfections des
procédés de réduction.
Mais cette augmentation d'épaisseur des traits cons-
titutifs des lettres rencontre certaines limites dans le goût,
qui se trouve fortement choqué lorsqu'on fait usage de
lettres antiques un peu grasses, comme celles qui sont par-
fois employées en Allemagne, car il en résulte des masses
noires fort déplaisantes, dans les parties où les traits se
rencontrent à angles aigus, dans le haut des m, par exemple.
Je me figure que c'est pour avoir le bénéfice de jam-
bages épais, visibles malgré un éclairage insuffisant, tout en
évitant l'inconvénient de la lourdeur des points de jonction
des traits, que furent créés les célèbres caractères de Didot,
qui ont fait le tour du monde pendant la première moitié du
xixe siècle. La solution est en effet assez ingénieuse : par
un bel éclairage, le caractère Didot est visible dans toutes
ses parties; il réalise donc, pour la confection des livres,
les avantages qui ont fait adopter les capitales ivois-
mamdes pour les plaques indicatrices des rues de Paris,
de telle sorte que les lettres, qui sont réellement vues quand
elles sont en pleine lumière, peuvent être devinées quand
l'éclairage devient insuffisant (1).
C'est en se fondant sur ces raisonnements que nous avons
(1) Voir plus loin, chapitre XVII (typographie compacte) l'application de
ces principes faite par M. Dreyfuss à l'exécution de caractères lisibles
de très petites dimensions.
X. — LES PLEINS ET LES DÉLIÉS EN TYPOGRAPHIE. 111
pu dire notre mot, dès 1878, dans la grande querelle qui
s'était élevée entre partisans et adversaires de la renaissance
des elzéviriens.
Pour le mode de répartition des pleins et des déliés, nous
partions volontiers de l'égalité des traits constitutifs,
qui peut être conservée sans inconvénient pour les carac-
tères un peu grands, et nous formions ces caractères
de traits relativement grêles, ce qui leur donnait un aspect
net dans toutes leurs parties; puis, à mesure que nous pas-
sions à des caractères plus fins, nous augmentions l'épais-
seur relative des pleins, et nous finissions, pour les numéros
les plus faibles, par prendre des types assez voisins des
Didot, qui n'ont aucune raison d'être pour les numéros
élevés.
Tels sont les procédés qui nous paraissent découler de
toute l'étude à laquelle nous nous sommes livré jusqu'ici,
et tout particulièrement de la recherche de l'influence exer-
cée par l'éclairage sur l'acuité visuelle. Dès maintenant,
nous voyons que, pour l'épaisseur relative des pleins et des
déliés, on doit suivre une règle précisément inverse de celle
qui avait été adoptée par Didot ; en effet, si l'on examine
une série de caractères, soit de Didot, soit de l'Imprimerie
nationale, soit anglais, en un mot, une série de ces caractères
modernes où le contraste entre les pleins et les déliés est
poussé à son extrême limite, on peut voir que les déliés ne
diminuent pas d'épaisseur à beaucoup près aussi vite que
les pleins, quand on passe des gros aux petits numéros ;
cela tient à ce que les déliés des plus petits numéros seraient
à peu près invisibles et aussi excessivement fragiles si on
les avait faits, à proportion, aussi minces que pour les
caractères les plus gros de la série.
Quand un système a existé aussi longtemps que celui des
caractères de Didot, il ne suffit pas de donner de bonnes
raisons dans une monographie si l'on veut porter dans l'esprit
du lecteur une conviction suffisamment robuste pour le faire
abandonner ; il faudrait, de plus, montrer les raisons qui
avaient fait adopter ce système, et rechercher si ces raisons
existent encore. Il nous a été impossible, malgré toutes nos
recherches, de trouver, dans les auteurs ou dans la tradi-
tion, les raisons qui ont décidé Didot à faire un pas plus
avant dans la voie qui avait été suivie successivement, depuis
112 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Garamond, par Grandjean et par Luce, et qui consiste en
une diminution successive de l'épaisseur des déliés ; il faut
donc nous en tenir aux hypothèses. L'exagération des déliés
a probablement reconnu pour cause, non pas les considéra-
tions théoriques exposées tout à l'heure, mais plutôt l'habi-
leté croissante des graveurs et des fondeurs; qui ont trouvé
graduellement les moyens de graver et de fondre correctement
des types avec une finesse d'exécution dont leurs prédéces-
seurs eussent été incapables : il se serait produit un mouve-
ment analogue à celui qui a donné naissance à l'écriture
anglaise, dont les fins déliés auraient été difficiles à exécuter
couramment avant l'invention des plumes de fer ; si telle
est la cause de l'invasion des déliés minces dans la typogra-
phie, il va de soi qu'il n'y a pas là de quoi décider personne
à persévérer dans la voie où les Didot se sont engagés. —
Si, au contraire, l'exagération des déliés a été adoptée pour
permettre de grossir les pleins et obtenir une lisibilité
suffisante pour les petits caractères, cette raison ne saurait
nous influencer quand il s'agit de caractères un peu gros ; et
elle perd même journellement de son importance pour les
types qui ne sont pas d'une finesse excessive, car, depuis le
commencement du siècle, les moyens d'éclairage ont été
singulièrement perfectionnés ; il n'est pas logique de conser-
ver des types qui avaient leur raisond'être quand on se servait
de chandelles ou de lampes fumeuses. La bougie stéarique,
le quinquet de nos pères, la lampe Carcel, le modérateur, le
gaz, l'éclairage électrique sont postérieurs à l'apparition
des caractères Didot ; c'est pourquoi nous proposons de
faire, pour les caractères de dimension usuelle, les pleins
moins gros que ceux dont l'usage était justifié vers la fin du
xvme siècle, et de réserver pour les caractères les plus fins
l'artifice qui consiste à grossir les pleins à un degré incom-
patible avec la conservation d'une épaisseur assez grande
pour les liaisons qui les réunissent (1).
Influence des défauts optiques de l'œil. — Considé-
rant non seulement qu'il n'existe pas d'yeux absolument par-
faits, mais qu'il est rare qu'un œil ne présente pas de défauts
(1) Pour plus]de détails, voir plus loin au chapitre XVII «Typographie
compacte ».
X. — LES PLEINS ET LES DÉLIÉS EN TYPOGRAPHIE. 118
optiques assez grands pour pouvoir être mesurés, ce serait
une erreur capitale que d'adopter des caractères appropriés
à une vue parfaite : la lecture doit être accessible sans fati-
gue au plus grand nombre. Bien que la plupart des défauts
optiques de l'œil puissent être corrigés au moyen de verres
convenables, nous devons admettre que la masse du public
n'emploie que des lunettes fort mal appropriées. Il faut donc,
dans la construction des caractères typographiques, tenir un
assez grand compte des défauts optiques de la vue.
Nous intercalons ici une table d'acuité visuelle (fig. Ai)
destinée à être employée à la distance de 25 centimètres,
fondée sur les mêmes principes que celle qu'on a vue plus
haut (fig. 34-).
La partie supérieure de cette table a été obtenue typogra-
phiquement, en faisant usage de Latines nouvelles de la
maison Deberny, lettres qui avaient déjà été choisies par
notre confrère Parinaud pour l'exécution de ses belles
échelles typographiques. Les cinq groupes inférieurs, d'une
justification plus étroite, ont été obtenus par une réduction
photographiqne de caractères de même provenance. Ces
caractères sont d'un genre déjà signalé tel que la lisibilité
est peu influencée par les variations de l'éclairage; la pro-
gression n'est pas rigoureusement géométrique, mais on re-
marquera que le spécimen de fondeur contenait les termes
d'une progression très peu différente de la nôtre.
Les caractères désignés à leur droite par les chiffres :
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 mesurent respective-
ment en points typographiques :
1 1/8, 1 1/2, 2 1/4, 3, 4 1/2, 6, 9, 12, 18, 24, 36, 48; pour
une vue dite normale, ils peuvent être vus aux distances res-
pectives de :
0m17, 0m25, 0m35, 0m5, 0m7, lm, lm40, 2m, 2m80, 4m5,
5m60, 8m.
Enfin, les chiffres de la colonne de gauche
0.75, 1, 1.5, 2, 3, 4, 6, 8, 12, 16, 24, 32,
sont les dénominateurs des fractions employées par Snellen
pour désigner l'acuité visuelle.
L'exécution de cette figure est très défectueuse pour les
trois premiers numéros.
JAVAL. 8
32
cartons
servant
D = 4"
au traitement
D = 2™8
du strabisme par le
D = 2-
stéréoscope. - Voir leur emploi
12
D = l«,4
fi dans le Manuel du Strabisme, par J aval, 7
D = l»
Librairie G. Masson, Paris 1894.- La guérison parfaite du
4 strabisme est une entreprise qui peut presque toujours
D = 0™,7
ÔUe conduite a bonne fin en y consacrant des effort*
tmmsniiiiiieiil intelliuents et piolonuéH. Malgré cette
possibilité, il tant avouer que, souvent, le traitement
1,5
D = 0-,25
_ D = 0«\i7
o.75 ^m^Mm^mmm^m^
Fig, kU
X. LES PLEINS ET LES DÉLIÉS EN TYPOGRAPHIE. 115
En ce qui concerne la grandeur des lettres qui pourront
être employées sans inconvénient, il nous suffirait de recher-
cher la grandeur des types qui sont perçus avec facilité par
un œil normal, à la distance la plus grande où Ton ait inté-
rêt à pouvoir lire, et nous aurions accompli notre tâche. Or,
il est inutile de pouvoir lire au delà de la portée du bras,
lequel ne s'étend pas commodément à une distance supé-
rieure à cinquante centimètres. Dans ces conditions, de bons
yeux lisent aisément des caractères de trois points gravés
convenablement et fortement éclairés.
Mais l'expérience de tous les jours nous enseigne que le
public repousse généralement les caractères de quatre, cinq,
six et sept points, et que ceux de huit points ne trouvent pas
grâce auprès de tout le monde : les amétropies les plus
répandues nous contraignent donc à employer des caractères
de dimensions linéaires triples, et de surface neuf fois supé-
rieure à celles qui suffiraient si tous les yeux étaient rigou-
reusement corrects (1), ou rigoureusement corrigés par des
lunettes appropriées.
Nous pourrions nous en tenir là et adopter ces résultats,
fournis par l'expérience quotidienne des éditeurs de jour-
naux, parfaitement compétents en pareille matière ; mais
nous préférons analyser les causes du verdict rendu par la
masse des lecteurs.
On sait, depuis des siècles, que ce sont les presbytes et
jamais les myopes qui réclament contre la finesse exagérée
des caractères, et que leurs plaintes reconnaissent pour
cause la formation d'images de diffusion sur leur rétine.
Calculons la dimension de ces images de diffusion, en
nous servant de l'œil réduit de Listing. Soit p le diamètre
de la pupille, d celui du cercle de diffusion, / la distance du
livre au foyer antérieur de l'œil, on a
300 p 15 p
d -"300 + 20 Z~ 15+/
00
et pour p = 4mm il vient d = A la simple inspection
(1) Toutes choses égales d'ailleurs, il faut quadrupler le format d'un
livre si on doit l'imprimer en huit qui soit rigoureusement double d'un
quatre donné, et, par exemple, recourir à l'in-4° au lieu de l'in-16 ou à
116 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
de cette formule on voit que les diamètres des cercles de
diffusion sont à peu près inversement proportionnels à la
distance qui sépare l'œil de l'objet, mais que, pour les
objets très voisins, ils croissent un peu moins rapidement à
proportion que la distance diminue. Effectuant le calcul,
nous trouvons pour des points lumineux situés respective-
ment en avant du foyer antérieur à
4* 2* lm 0^50 0,25 0,125 0,0625
des cercles de 0mm015 0,03 0,06 0,12 0,23 0,43 0,77
Ces chiffres ont été calculés, je le répète, en mesurant la
distance du point lumineux au foyer antérieur de l'œil, ainsi
que l'avait fait Listing pour son petit tableau, reproduit dans
l'Optique physiologique, p. 101 (137 de la traduction). On voit
que, lorsque l'objet se rapproche de l'œil, les cercles de
diffusion croissent moins rapidement que la valeur inverse
de /, et c'est sur ce fait que de Graefe s'était fondé pour
expliquer pourquoi certains hypermétropes ont avantage à
tenir les objets très près de l'œil, de manière à faire croître
la dimension des images rétiniennes plus rapidement que
celles des cercles de diffusion.
En pratique, c'est la distance des objets à la cornée qui
nous intéresse ; la cornée étant située à 13 millimètres en
arrière du foyer antérieur, si nous nommons X la distance
de l'objet à la cornée, on a X = /— (— 13 et notre formule ci-
15 p
dessus deviendra d = , . -,Q . Dans un but de simpli-
lo-j-X — 13 1
fication, je préfère mesurer la distance de l'objet au plan
principal, qu'on peut, sans erreur notable, confondre avec
l'iris. Nommons D cette distance ; puisque nous plaçons le
foyer antérieur à 15mm en avant du plan principal, notre
formule se réduit à la plus excessive simplicité ; il vient, en
a l j 15 p A ,60
ettet, ci = — — — , et pour p = 4 on a a = — - ce qui nous
donne les valeurs suivantes :
D étant 4"' . 2 1 0,50 0,25 0,125 0,0625
d sera = 0>™015 0,03 0,06 0,12 0,24 0,48 0,96
l'in-8° au lieu de l'in-32. — Cette proportion est diminuée si les dimen-
sions horizontales des lettres décroissent moins vite que les verticales,
ce qui est le cas général.
X. — LES PLEINS ET LES DÉLIÉS EN TYPOGRAPHIE. 117
Nous allons comparer ces chiffres avec la grandeur des
images formées par les objets sur la rétine. — Supposons,
par exemple, qu'un œil examine deux traits blancs sur fond
noir, dont les milieux soient écartés d'un angle de 50" et
dont l'épaisseur soit égale à la distance qui les sépare. Cette
distance de 50" correspond, sur la rétine, à une étendue de
0mm, 00365, et une excellente vue permet encore de distinguer
ces traits l'un de l'autre (1).
Or, on admet généralement que cette distinction cesserait
d'être possible si les cercles de diffusion se touchaient ;
mais, si l'espace noir compris entre les traits est supposé
égal à l'épaisseur des traits, c'est-à-dire à 0,00182, il suffira
que le rayon des cercles de diffusion soit égal à la moitié de
cette quantité, ou que leur diamètre soit précisément de
15 p
0,00182. Dans la formule d = — jy- , posons p = 1 et d
— 0,00182 ; il vient environ 8m pour la valeur de D, c'est-à-
dire que, pour cesser de distinguer les deux traits l'un de
l'autre, il suffit d'une inexactitude d'accomodation d'un hui-
tième de dioptrie (2).
Admettons qu'on veuille distinguer les traits, malgré une
erreur d'accommodation d'une dioptrie : il faudra les écarter
huit fois plus, ce qui conduit à les écarter de 6' 40", en
d'autres termes, la distance des traits, d'axe en axe, devra
être de près d'un millimètre si l'objet est à un mètre ; elle
devra être d'environ un quart de millimètre si l'objet est à
(1) Optique physiologique, p. 296 de l'édition française.
(2) Si l'on veut pousser l'exactitude un peu plus loin, pour calculer la
dimension des images nettes sur la rétine, il faut se servir de triangles
semblables opposés par le sommet au point nodal. On voit alors que
lorsque l'objet se rapproche, la grandeur de l'image croît un peu moins
vite que celle des cercles de diffusion, ce qui met à néant le raisonnement
de de Graefe, cité tout à l'heure. J'avais cru trouver dans cette circons-
tance l'explication du fait connu d'après lequel la pupille se contracte
légèrement pendant l'accommodation ? Cependant le calcul de la varia-
tion de diamètre de la pupille, nécessaire pour que le rapport du dia-
mètre du cercle de diffusion au diamètre de l'image reste constant, ne
me paraissait pas conduire à une contraction de la pupille aussi grande
que celle qui accompagne en réalité les efforts d'accommodation. Des
recherches plus récentes de Tscherning, qui sont relatées en note dans
son excellente traduction française de Tbomas Young, paraissent avoir
démontré que la contraction de la pupille, qui se produit lorsqu'on
regarde des objets voisins, a pour but principal de compenser les phé-
nomènes d'aplanétisme.
118 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
vingt-cinq centimètres. Il suffit d'énoncer ce résultat pour
faire naître un doute sur les données généralement admises
pour la lisibilité des caractères ; en effet, les chiffres qu'on
vient de voir reviennent à dire que, pour un excellent éclai-
rage, le plus fin caractère, lisible sans lunettes à vingt-cinq
centimètres pour une personne dont le punctum proximum
est à trente-trois centimètres, sera plus grand que le n° 1
ancien de Snellen.
Si les calculs que nous venons de faire conduisent à des
résultats concordant peu avec l'expérience, cela ne peut
tenir qu'à l'inexactitude des données que nous avons soumi-
ses au calcul. Examinons ces données.
Je ferai remarquer tout d'abord qu'il est contraire à la
réalité des faits observés d'admettre, comme on le fait géné-
ralement, que deux lignes blanches cessent de pouvoir être
distinguées l'une de l'autre dès que leurs images de diffusion
arrivent au contact. En effet, l'image de diffusion d'une ligne
de largeur appréciable ne forme pas une teinte plate sur la
rétine. Loin de là, les cercles de diffusion, qui entourent
chacun des points qui constituent la bande blanche se super-
posent, de telle sorte que l'image formée sur la rétine est
bien plus claire en son milieu que sur ses bords. Prenons
l'exemple de deux bandes blanches, larges d'un millimètre
et séparées par un intervalle d'un millimètre, et supposons
que les cercles de diffusion aient, sur la rétine, un diamètre
précisément égal à l'épaisseur de l'image formée par la bande
sur cette membrane ; dans ces conditions, les images de dif-
fusion des deux bandes se touchent précisément par leurs
bords, mais les intensités de ces images ne seront conservées
intactes que pour une ligne dessinant précisément le milieu
de chaque bande, et, sur les bords de ces images, l'in-
tensité ira en décroissant suivant une certaine loi, donc il est
évident que des lignes pourront être distinguées les unes des
autres, malgré une inexactitude d'accommodation plus grande
qu'il ne semblerait d'après le calcul ci-dessus : il suffit, en
effet, que la différence d'éclairage entre les lignes claires et
le milieu de la partie sombre qui les sépare puisse être
perçue.
Il nous est impossible d'exposer ici les lois mathéma-
tiques des variations de l'intensité lumineuse sur les
bords des objets entourés de cercles de diffusion : c'est
X. LES PLEINS ET LES DÉLIÉS EN TYPOGRAPHIE. 119
une discussion qui est d'ailleurs du domaine du calcul inté-
gral (1); bornons-nous à noter : 1° que l'image de diffusion
d'une ligne d'épaisseur négligeable possède, en ses divers
points, des intensités proportionnelles aux ordonnées d'un
cercle ; 2° que la courbe des intensités monte bien plus rapi-
dement quand l'épaisseur de la ligne n'est pas négligeable
par rapport au diamètre des cercles de diffusion.
L'inspection de cette courbe permet de voir très clairement
dans quelle mesure les cercles de diffusion portent obstacle
à la possibilité de distinguer les lignes les unes des autres.
Cette étude suffit pour expliquer comment, avec une accom-
modation inexacte, on peut lire des caractères notablement
plus fins que cela n'aurait lieu si la lisibilité cessait dès que
les cercles de diffusion se touchent.
L'examen des courbes nous fournit cet autre résultat, fort
important, que, lorsque la vision d'une série de droites paral-
lèles cesse d'être possible par suite de l'augmentation de
diamètre des cercles de diffusion, la condition la plus favo-
rable à la vision est celle où les pleins sont égaux aux
vides.
D'où cette conclusion que, si la lecture consistait simple-
ment à distinguer les uns des autres les jambages verticaux
des lettres, il faudrait faire les vides égaux à l'épaisseur des
jambages, toutes les fois qu'on voudrait obtenir une impres-
sion qui restât lisible malgré une accommodation inexacte de
la vue.
15 p
D'autre part, notre formule d = — nous enseigne que,
dans le cas d'accommodation imparfaite, le diamètre /; de la
pupille exerce une influence énorme sur la netteté de la
vision; en effet, on admet généralement que le diamètre delà
pupille peut descendre au-dessous d'un millimètre et dépas-
ser largement quatre millimètres ; ces variations suffisent
pour expliquer comment un presbyte, qui ne peut pas déchif-
frer sans lunettes, à un faible éclairage, un texte imprimé en
très gros caractères, lira un texte beaucoup plus fin quand
il sera en présence d'une forte lumière : aussi voit-on des
presbytes mettre une bougie entre eux et le livre pour obte-
nir une constriction suffisante de leurs pupilles. C'est certai-
(1) Voir Helmholtz. Optique physiologique, § 13.
120 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
nement pour la même raison que, bien souvent, les presbytes
se plaignent de voir plus mal à la lumière artificielle qu'en
plein jour (1).
L'expérience nous apprend que les presbytes ne recourent
guère aux lunettes avant que le déficit de leur accomodation
ne dépasse une dioptrie, et que, bien souvent, ils attendent
davantage encore. D'après le calcul que nous avons fait
tout à l'heure, avec une pupille d'un millimètre de diamètre,
c'est-à-dire avec un très bon éclairage, il leur faudrait, pour
lire facilement à 25 centimètres, des lettres dont les traits
fussent écartés d'environ un quart de millimètre, d'axe en
axe, ce qui correspondrait aux caractères de 2 points 1/4,
groupe 3 de la fîg. iî p. 114. En d'autres termes, une inexac-
titude d'une dioptrie dans l'accommodation réduirait l'acuité
visuelle des trois quarts, dans le cas d'un éclairage précisé-
ment assez fort pour réduire à un millimètre le diamètre de
la pupille. Nous avons déjà dit que ces résultats du calcul
dépassent sans doute un peu la réalité; en attendant, on nous
accordera que la théorie conduit à n'admettre des lettres de
cinq points typographiques que dans le cas où les pleins
seraient égaux aux vides.
Mais cela ne serait encore vrai que si la lecture ne consis-
tait qu'à compter les jambages des lettres ; pour que les
détails de leur forme soient perçus, pour qu'on voit suffi-
samment une partie des déliés, il faut aller bien au delà, et
ce n'est guère trop de demander, pour les presbytes impar-
faitement corrigés, une dimension double, c'est-à-dire des
lettres de dix points typographiques, dont les pleins auraient
un demi-millimètre d'épaisseur et les déliés un quart de mil-
limètre.
Pour apporter quelque précision sur ce point, il faudra
remarquer que le cas où l'on doit distinguer l'un de l'autre
deux traits parallèles ne se présente, en somme, qu'excep-
tionnellement. Pour lire, il faut distinguer des points et des
lignes de différentes formes, et c'est dans les conditions de
(1) Dans ce qui^ précède, nous trouvons l'explication de ce fait, bien
connu, que la pupille des myopes est généralement plus grande que celle
des presbytes. En plein air, les uns et les autres contractent leur pupille
pour arrêter l'excès de lumière, mais, tandis que, pour lire, le soir, le
presbyte s'approcbe de la lumière et trouve avantage à contracter sa
pupille, le myope, qui n'est pas gêné par les cercles de diffusion, dilate
sa pupille au maximum et se contente de l'éclairage le plus médiocre.
X. — LES PLEINS ET LES DÉLIÉS EN TYPOGRAPHIE. 121
visibilité de points et de lignes qu'on pourra puiser des règles,
tant soit peu précises, sur le sujet qui nous occupe actuelle-
ment. Après avoir recherché les qualités que doivent posséder
les caractères typographiques pour être appropriés aux exi-
gences des presbytes, nous allons examiner ce qu'il faut
faire pour tenir compte des convenances des myopes.
Les personnes qui ont la vue basse préfèrent générale-
ment les impressions fines, et cette prédilection est tout à fait
justifiée, car la proximité du livre leur fait paraître suffi-
samment grands les plus fins parmi les caractères usités géné-
ralement, tandis que les lettres de dimension un peu grande
viennent occuper sur leur rétine une étendue bien supé-
rieure à celle qui est nécessaire pour qu'elles soient vues
nettement. Si une impression trop fine est insupportable
pour les presbytes, une impression trop grosse est incommode
pour tout le monde, surtout pour les myopes, car l'étendue
relativement considérable occupée par chaque mot oblige le
lecteur à faire des mouvements rapides avec les yeux et
même avec la tête si sa myopie est tant soit peu forte.
Il ne saurait être question de confectionner des livres spé-
cialement pour l'usage des myopes, mais, par considération
pour eux, on ne doit pas employer de caractères plus grands
qu'il n'est nécessaire pour donner à peu près satisfaction aux
presbytes. Or, nous avons vu que les caractères de dix
points peuvent être lus par les presbytes avec un déficit
d'accommodation d'une dioptrie ; nous pouvons admettre que
les verres convexes sont d'un usage assez répandu pour
qu'il soit légitime de faire choix de types tels que les pres-
bytes ne pourront les lire qu'en corrigeant à peu près le
défaut de leur vue, et ceci nous amène à faire choix de carac-
tères d'environ huit points, sauf à mécontenter un certain
nombre de presbytes, qui résistent trop longtemps à la né-
cessité de prendre des verres.
Chez les peuples Européens, l'astigmatisme a généralement
pour effet de faire voir les traits horizontaux plus distincte-
ment que les verticaux (1). Il se peut fort bien que cette cir-
(1) Dès 1865, j'avais fait observer que si, dans les caractères hébraïques
dits « carrés » les pleins sont horizontaux, cela tient sans doute à ce que
l'astigmatisme inverse est fréquent cbez les Juifs. (Voir Bulletin de la So-
ciétéd'Anthropologie, deWECKER, 15 juillet 1869, p. 545 et Javal, 1er mars
1877, p. 157).
122 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
constance soit pour quelque chose dans la distribution des
pleins et des déliés dans leur écriture et dans leur typogra-
phie. — On verra plus loin, dans le chapitre consacré au
mécanisme de l'écriture, comment cette distribution résulte
de notre tenue de plume ; mais on peut se demander si
ce n'est pas, au contraire, notre tenue de plume qui
résulte du désir que nous avons de faire des pleins ver-
ticaux. En effet, ceux qui écrivent de l'hébreu à pleins
horizontaux y parviennent aisément en tenant la plume
dans un plan parallèle aux bords supérieur et inférieur
du papier, c'est-à-dire à 90° de notre position usuelle.
CHAPITRE XL
ACUITÉ TACTILE.
Nous disions « acuité » et non « sensibilité » tactile
pour marquer l'analogie entre le sujet qui nous occupe et
1' « acuité visuelle » étudiée précédemment. En effet, la lec-
ture des caractères en points saillants, à l'usage des aveugles,
repose sur la faculté de percevoir le nombre et les positions
des points et non pas sur la sensibilité, qui permet de
reconnaître leur existence.
On trouve dans tous les traités de physiologie la descrip-
tion du procédé qui consiste à explorer la tactilité des diffé-
rentes parties de la peau à l'aide d'un compas à pointes
mousses. La personne soumise à l'expérience doit recon-
naître si l'expérimentateur applique une pointe ou en applique
deux sur sa peau; ainsi que cela était facile à prévoir, l'ou-
verture du compas employé diffère considérablement suivant
la région explorée. Les réponses diffèrent aussi suivant que
la pression exercée par l'expérimentateur est plus ou moins
forte. Sans entrer dans plus de détails, il suffit de dire ici
que l'extrémité du doigt perçoit généralement la simultanéité
de deux pointes écartées d'environ deux millimètres. Nous
ne serons donc pas surpris de voir employer, suivant les
pays, pour l'écriture en points saillants, des rayages variant
de 2 millimètres (Belgique) à 2 millimètres et demi (France).
Mais où notre surprise commence, c'est quand nous cons-
tatons que l'acuité tactile est moindre chez les aveugles que
chez les clairvoyants, et cela dans une assez forte mesure. On
trouvera, par exemple, que, si l'on examine l'index d'un
aveugle grand lecteur, pour que les pointes du compas
donnent nettement deux sensations, il faut les écarter de
3 millimètres au lieu de 2 qui suffisent au clairvoyant pour
reconnaître la double sensation.
Ce sujet comporterait une série d'expériences dont le pro-
gramme est facile à tracer et dont les résultats seraient de
nature à donner une assez grande étendue au présent chapitre
124 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
dans le cas d'une seconde édition. Dès maintenant, je puis
affirmer que l'acuité tactile de mon index droit est devenue
très inférieure à celle de mon index gauche, depuis que je
pratique la lecture du Braille, et ce n'est pas une affaire
d'augmentation d'épaisseur de l'épidémie. Bien plus, et je ne
suis pas le seul aveugle dans ce cas, après quelques heures
de lecture, la sensibilité de mon index diminue au point de
devenir insuffisante. Si, alors, je pose sur les caractères
l'extrémité d'un doigt inemployé pour lire, les points sem-
blent beaucoup plus nets. Cette diminution de sensibilité
est comparable à l'éblouissement visuel. La pratique de la
lecture émousse l'acuité tactile, et il me semble subjective-
ment qu'il y a diminution d'acuité par diminution de sensi-
bilité.
Paradoxe apparent : les doigts dont l'aveugle ne fait pas
usage habituellement pour lire, et dont la sensibilité est
notablement plus forte, sont incapables de lire aussi bien
que l'index, présentant un phénomène analogue à celui de
tant de clairvoyants, familiers avec le Braille, et qui sont
incapables de lire par le toucher.
L'explication de ce dernier fait me paraît résider en ce que
la lecture de notre écriture en relief ne se fait pas par contact
immobile, mais en tâtant ou frôlant les caractères, ce qui
exige une adresse spéciale, que la pratique développe incons-
ciemment.
Pour étudier les mouvements que doit faire l'aveugle pour
lire le Braille, il faudrait mettre en œuvre un des ingénieux
procédés d'enregistrement créés par Marey. Par exemple,
après avoir noirci l'index d'un lecteur habile et fixé sur son
ongle une perle brillante, on lui ferait lire du Braille tracé
sur papier noir. On mettrait ainsi en évidence les variations
de vitesse dans le sens horizontal, les arrêts, les petits mou-
vements verticaux. Dans un livre qui me parvient au moment
de corriger la présente épreuve. M. Th. Heller (1) dit que
les aveugles grands lecteurs exécutent constamment avec la
pointe du doigt de petits mouvements presque imperceptible,
dans le sens vertical. Cette sorte de trépidation rapide aurait
son siège dans les pointures des phalanges. Cette manière
d'agir me paraît reposer sur un phénomène tout à fait
(1) Studien zur Blindenpsychologie, Leipzig, Eugelmann, 1904.
XI. — ACUITÉ TACTILE.
125
analogue à celui qui oblige nos yeux à être constamment en
mouvement pour empêcher la vision de s'émousser par la
production d'images accidentelles.
L'étude de la performance de lecteurs habiles donnerait
des indications pour l'éducation des novices.
De cette étude on pourrait déduire aussi des indications
pour le perfectionnement des signes en relief. Par exemple,
en ce qui me concerne, le b du Braille est plus lisible que le
c, car, lorsque mon doigt se promène horizontalement, il
m'arrive de n'éprouver qu'une sensation pour les deux
points juxtaposés qui constituent le c, tandis que cela
n'a pas lieu pour les deux points superposés verticalement
qui forment le Z).Pour cette raison et pour d'autres analogues,
reposant sur la direction horizontale suivie par le doigt, il
me semble donc qu'il y aurait intérêt à diminuer la hauteur
des lettres et à augmenter leur largeur ainsi que celle des
intervalles qui les séparent.
M. Kunz, Directeur de l'institution d'aveugles d'Illzach
près de Mulhouse, a étudié avec détails la comparaison entre
la sensibilité tactile chez les voyants et les aveugles ; clans
une brochure in-8° de 34 pages intitulée Zur Blinde nphysio-
logie (Das Sinnenvicariat) Edit. Moritz Perles, Vienne,
1902, il a analysé longuement les expériences de sensibilité
faites par M.Griesbach à Illzach et plus récemment, en 1902,
à l'institution des sourds et des aveugles de Weimar.
M. Kunz a examiné un autre aspect de la question, et il a
trouvé avantageux, pour les adultes qui apprennent le Braille
de se départir d'un des principes fondamentaux de Barbier,
et de remplacer, peut-être plus souvent qu'il ne conviendrait,
la figure formée de deux points par un petit trait de même
longueur ; il a imprimé des livres d'après ce système.
La diminution de sensibilité pendant la lecture, dont j'ai
parlé plus haut, ne me paraît être un fait ni anormal, ni
isolé. En effet, chez un aveugle dont le front jouissait de ce
qu'on nomme « le sens des obstacles » (1), je crois avoir
constaté que la finesse de ce sens s'émoussait très rapi-
dement. D'ailleurs sans chercher aussi loin, à qui n'est-il
pas arrivé de continuer à marcher presque sans douleur,
(1) Voir, dans mon livre : Entre aveugles, le chapitre intitulé : Le
sixième sens.
126 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
malgré la présence, sous le pied, d'un petit caillou ou d'une
pointe de clou, dont le contact avait commencé par être très
pénible. Quelqu'incomplet que soit malheureusement l'état
actuel de nos connaissances sur l'acuité tactile, ce qui vient
d'en être exposé trouvera son application dans le chap. XXV
consacré à l'accélération de la lecture des aveugles.
CHAPITRE XII.
LE MÉCANISME DE LA LECTURE.
Dans un important travail exécuté par M. Lamare à mon
laboratoire (1), il a été démontré que, loin d'être continu, le
mouvement horizontal des yeux pendant la lecture se fait
par saccades. Le lecteur divise la ligne en un certain nombre
de sections d'environ dix lettres, qui sont vues grâce à des
temps de repos rythmés ; le passage d'une section à la
suivante se fait par une saccade très vive, pendant laquelle
la vision ne s'exerce pas. M. Lamare a fait de nombreuses
expériences pour compter le nombre de saccades exécutées
par ses yeux pour lire des caractères plus ou moins fins ; le
comptage se faisait au moyen d'un microphone construit à
cet effet par M. Verdin.
Une pointe mousse, posée sur la paupière supérieure du
sujet en expérience, actionnait un microphone dont le son,
transmis par un tube en caoutchouc, parvenait à l'oreille de
l'observateur. Chaque saccade se traduisait par un bruit
bref, tandis que le grand mouvement fait pour passer de
la fin d'une ligne au commencement de la suivante pro-
duisait un bruit plus prolongé. Avec un peu d'habitude, on
arrivait ainsi à compter les saccades.
A notre grande surprise, il se trouva que le nombre des
saccades restait le même, quelle que fût la distance de
l'observateur au livre. Cette distance n'avait donc aucune
influence sur la grandeur absolue des sections, mais la
grandeur angulaire des sections de ligne imprimée dont la
lecture se faisait sans mouvement des yeux était inver-
sement proportionnelle à la distance du livre. Or, cette
relation est identique à celle qui régit la visibilité des objets ;
il paraissait donc probable que le lecteur divise la ligne im-
(1) Lamare. Des mouvements des yeux pendant la lecture. Compte î-endu
de la Société française d'Ophtalmologie.
128 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
primée en sections précisément aussi grandes qu'il convient
pour que l'œil, dirigé vers le milieu de la section, puisse
encore distinguer en vision indirecte les lettres qui en
forment le commencement et la fin.
Certaines observations faites par M. Lamare font naître
un doute sur mes conclusions antérieures, relatives à
la longueur qu'il convient de donner aux lettres lon-
gues de la typographie, car, dans mes raisonnements, je
n'ai tenu compte que de la vision directe. Or, si l'on admet
qu'en lecture rapide, un lecteur exercé s'arrange pour dimi-
nuer le nombre des saccades par l'emploi de sections de plus
de dix lettres, dont les premières et les dernières seraient
plutôt devinées que lues, on conçoit que le raccourcis-
sement démesuré des lettres longues serait défavorable à ce
mode de procéder. Il est clair qu'aux extrémités des sec-
tions, des lettres longues seront plus reconnaissables que
des lettres courtes. De plus, les lettres longues contribuent
à donner aux mots qui en contiennent des physionomies
reconnaissables dans leur ensemble. J'incline donc à croire
que, pour l'agrément de la lecture, il ne faudrait pas pousser
aux dernières limites le raccourcissement des lettres longues
que j'ai préconisé pour le cas où l'éditeur veut pousser à
l'extrême l'utilisation de la surface du papier.
Quoi qu'il en soit, le raccourcissement des lettres longues
n'a de raison d'être que si l'on ne met pas d'interlignes :
quand on se donne le luxe de ménager entre les lignes un
espace blanc assez large, il est logique d'en profiter pour
recevoir les saillies, aussi importantes que possible, faites
par les lettres longues au-dessus et au-dessous de l'aligne-
ment des lettres courtes.
Voici des extraits du mémoire de M. Lamare :
Je viens vous présenter le court résumé des longues recher-
ches que j'ai faites il y a treize ans, au laboratoire d'ophtal-
mologie de la Sorbone, sur les mouvements des yeux dans la
lecture, mais que je n'ai pas eu le loisir de faire aussi éten-
dues que j'aurais voulu, malgré les conseils et l'aide éclairée
que m'a prodigués M. Javal.
La récente publication de M. Landolt sur ce sujet me
fait un devoir d'exposer tels quels les résultats de mes expé-
riences.
Ces recherches devaient compléter les études sur la phy-
XII. — LE MÉCANISME DE LA LECTURE.
129
siologie de la lecture publiées par M. Javal dans les Annales
d'Ociilistique en 1878 et 1879.
L'œil ne peut voir distinctement à la fois qu'une petite éten-
due du champ visuel ; pour toute une ligne, l'œil doit la par-
courir successivement, et, exécutant un certain nombre de
mouvements, la partager en un nombre égal de sections plus
une.
Ainsi dans l'article de tête d'un journal, je fais, pour lire
une ligne, trois saccades des yeux : car mon œil partage cette
ligne en quatre sections.
Le but que j'ai poursuivi a été de rechercher le nombre de
lettres contenu dans une section, et l'étendue de cette section,
c'est-à-dire de savoir le nombre de lettres qu'on peut lire en
une fois et l'étendue qu'elles occupent ; puis, de connaître les
influences qu'exercent sur ces deux quantités les modifica-
tions éprouvées par la forme des caractères dans des textes
divers.
Le procédé le plus rationnel consiste à rechercher la vitesse
totale de la lecture, et à calculer la durée employée à lire les
lettres d'une section.
J'ai, par un autre procédé, recherché combien de lettres
on peut lire et déchiffrer par vision périphérique, l'œil restant
fixé sur une lettre quelconque au milieu d'une ligne: cette
étendue lisible, pour des caractères de 11 points, est d'environ
34 millimètres, contenant 21.7 lettres. Mais, dans cette étendue,
il y a des lettres qui ne sont vues en réalité qu'imparfaite-
ment, et plutôt devinées. Quand je ne tiens compte, dans une
autre série d'expériences, que des lettres qui m'apparaissent
à l'instant même très distinctement, l'étendue lisible se réduit
à la moitié, c'est-à-dire une moyenne de 17 millimètres, con-
tenant 10.8 lettres.
Enfin, j'ai employé une troisième méthode, qui consiste à
compter les mouvements qu'exécutent les yeux le long d'une
ligne.
Un aide peut voir ces mouvements ; il peut les sentir avec
les doigts posés sur la paupière fermée d'un œil.
Mais le procédé qui donne les meilleurs résultats est celui
par lequel on entend ces mouvements au moyen d'un petit
tambour, dont la membrane d'ébonite supporte à son centre
une petite tige qui s'applique sur un point du globe oculaire
(conjonctive ou paupière), sans aucun inconvénient et dont
la caisse communique avec les oreilles de l'aide par deux
tuyaux de caoutchouc.
J'ai enfin tenté, dans le laboratoire de M. Fr. Franck, d'en-
registrer les mouvements des yeux; les quelques expériences
que j'y ai faites me permettent d'espérer qu'on pourra par
ce procédé arriver à des résultats intéressants.
Je ne me suis pas contenté d'une seule lecture pour une
ligne. En effet, par suite d'états d'attention différents, la
JAVAL,
9
130 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
même ligne peut être lue, à des moments divers, en un
nombre de sections variable. Et d'ailleurs, les variations que
j'ai constatées plus haut font aussi penser que dans chaque
section, les yeux n'embrassent pas le maximum de ce qu'ils
pourraient lire ; ils ont une sorte de liberté d'allure, dont ils
semblent user avec indifférence, tout en se tenant dans une
moyenne assez régulière, autour de laquelle oscillent les
nombres de sections faites par lignes.
On peut comparer le£ mouvements des yeux aux pas que
fait un individu qui descend le lit d'un torrent à sec parsemé
de pierres : il est plus que douteux qu'à chaque descente
renouvelée du même point de départ il mette le même pied au
même endroit, qu'il fasse chaque fois le même nombre exact
d'enjambées. Mais, en fin de compte, une moyenne pourra
servir à apprécier avec justesse la façon dont le phénomène
s'est accompli.
J'ai appliqué ce raisonnement aux nombres de sections dif-
férents faits à divers moments dans la même ligne; et j'ai
défini la lecture de cette ligne par un nombre représentant la
moyenne des sections trouvées.
J ai fait de même pour les groupes de lignes lues consécu-
tivement ; et j'ai caractérisé chacun de ces groupes par une
moyenne de sections.
Mes expériences n'ont été faites que le soir, à la lumière
d'une lampe de quatre à cinq bougies, distante de 80 centi-
mètres. Et j'ai placé le livre lu à 34 centimètres de mes yeux.
J'ai lu des vers et de la prose. Les vers ont cet avantage
de présenter des lignes écrites avec les mêmes caractères,
mais de différentes longueurs. J'en ai pu tirer une loi qui
montre l'influence de l'augmentation de longueur d'une ligne
sur l'étendue des sections.
I* Diverses étendues de lignes sont lues en un même nombre
de sections: une section offre donc des étendues diverses. Au
moment où la section acquiert une certaine étendue (16 milli-
mètres,'avec des lettres de 10 points), l'œil a une tendance à
faire une section de plus par ligne, et par suite à diminuer
l'étendue des sections, de façon à ce qu'elle ne soit plus que de
12 à 13,6 millimètres.
En outre, plus les lignes sont longues, moins facilement
elles admettent de sections nouvelles, les sections tendant
alors plus facilement à avoir leur étendue maxima.
Dans les expériences que j'ai faites en lisant de la prose, je
me suis appliqué à rechercher à quel degré les différents élé-
ments, dont sont composés les caractères, peuvent influer sur
rétendue d'une section et sur le nombre de lettres qu'elle con-
tient.
Ces éléments sont surtout la hauteur et la largeur.
La hauteur est évaluée en points typographiques de 376
millièmes de 1 millimètre ; la largeur doit être considérée sur
une lettre qui représente la largeur moyenne des lettres d'un
même alphabet (sur Yo, d'après nos calculs).
XII. —
LE MÉCANISME DE LA LECTURE.
131
Il faut tout d'abord remarquer, que la largeur des lettres
ne diminue pas en rapport avec leur hauteur. Les graveurs
font les petites lettres plus larges qu'elles n'auraient été
Î proportionnellement ; ils diminuent les caractères moins en
argeur qu'en hauteur. Mais dans les textes que nous avons
étudiés, il se trouve que les petits caractères (de 2, 3, 5 points)
sont des reproductions photographiques de caractères plus
grands : de sorte qu'en définitive les caractères hauts de 2 à
9 points avaient une largeur proportionnelle à la hauteur (tout
près de la moitié), tandis que les lettres de 10 et 11 points
avaient une largeur égale à celle des lettres de 9 points.
Quelle est l'influence de la hauteur des lettres, ainsi cons-
truites sur l'étendue d'une section ?
Pour les lettres de 5, 7, 8, 9, 10, 11 points, l'étendue de sec-
tion est proportionnelle à la hauteur (un peu moins de cinq
fois cette hauteur, exprimée en millimètres).
Mais nous savons que la largeur des lettres de 9, 10, 11
points que nous avons employées est identiquement la
même ; nous devons alors penser que l'augmentation de
l'étendue de section, pour ces grandes lettres, est due à
l'augmentation de leurs seules dimensions verticales.
Entre la largeur des lettres et l'étendue de section, j'ai pu
établir la fonction suivante :
L'étendue d'une section est égale à 9 fois la largeur
moyenne des lettres, plus 2 millimètres.
La moyenne des nombres de lettres par section n'est pas I
la même pour chaque hauteur. Mais, pour la plupart, et
même pour quelques caractères d'annonces, ces nombres se
ressemblent tellement qu'il faut bien les considérer comme
identiques, et dire qu'en général le nombre de lettres par
section ne change pas quand on lit des caractères de gran-
deurs différentes, et se trouve égal en moyenne à 10,5.
Nous avons pu, grâce au grand nombre de nos expérien-
ces, étudier l'influence qu'ont séparément les variations de la
largeur et celles de la hauteur des caractères sur le nombre
des lettres contenues dans une section et sur l'étendue de
celle-ci.
Pour les caractères de 8, 9, 10, 11 points, l'étendue de la
section augmente, quand la largeur de ces lettres s'approche
de la largeur moyenne correspondant à chacune de ces hau-
teurs (lmm,47 — lram564 — 1^69). Une augmentation de
1 point de hauteur augmente l'étendue de la section de 1 à
2 millimètres.
Pour les caractères d'une même hauteur quelconque,
l'augmentation de la largeur entraîne une diminution du
nombre de lettres par section.
Si des lettres de différentes hauteurs ont la même largeur,
ce sont les lettres les plus hautes qui fournissent le plus
grand nombre de lettres par section (une augmentation de
1 point dans la hauteur des lettres produit, pour des lar-
geurs identiques, une augmentation d'environ une demi à
132 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
trois quarts de lettre dans le nombre de lettres par section).
Aussi, on aura avantage à prendre de grandes lettres étroi-
tes, si l'on veut obtenir le plus grand nombre possible de
lettres par section.
Enfin, je crois que l'on peut représenter les rapports exis-
tant entre le nombre de lettres par section, la hauteur H et
la largeur de ces lettres, par la formule suivante, construite
d'après maints schémas et calculs :
at u a i u r 16 — 0,9 H — 4 Larg.
Nombre de lettres par section — — . . TT „ , T ■
^ 1,5 — 0,1 H — 0,4 Larg.
Une des lois les plus importantes que nous ayons trouvées
est celle qui est relative à l'influence de la distance sur le
nombre de lettres par section. Quelle que soit la distance à
laquelle s'effectue la lecture d'un même texte (de 0in,30 à lm), le
nombre de lettres par section ne varie pas.
On voit immédiatement les conséquences de cette loi, en
particulier, au point de vue de l'acuité visuelle périphérique
de la macula lutea, sur laquelle se projette exclusivement
l'image de l'étendue d'une section : cette acuité visuelle va en
diminuant du centre à la périphérie sur la macula lutea,
comme sur le reste de la rétine.
Voilà, sommairement énumérés, les résultats de mes recher-
ches. Je n'ai pas osé poser de conclusions en un sujet dont
la portée et les éléments ne sont pas encore assez bien défi-
nis. En tout cas, je ne crois pas que le grand nombre de
mouvements exécutés par des yeux sains dans la lecture
ordinaire, soit une cause de fatigue pour eux ; suivant même
quelques-unes de mes expériences, l'augmentation du nom-
bre de ces mouvements, pour un même nombre de lettres
accroît la vitesse de la lecture. La fatigue surviendrait, si
ces mouvements ne s'effectuaient pas avec la régularité, la
cadence, qui est nécessaire à tout mouvement qui se répète
un grand nombre de fois ; et, dans ce cas, l'œil, exécutant
des mouvements rapides, non coordonnés, éprouverait une
fatigue particulière, l'asthénopie, de même que le manque
de rythme dans les mouvements des membres amène la cho-
rée, et que l'absence de coordination, de cadence dans les
mouvements des organes de la parole amène le bégaiement.
Bien que les résultats de ce travail soient incomplets, et
non étayés par une théorie, ils .peuvent être utiles à ceux
qui voudront poursuivre cette intéressante étude et je
tiens mes nombreux calculs, notes et schémas, à leur
disposition.
Je viens de me faire relire le travail de M. Lamare et
deux points me paraissent appeler des rectifications.
XII.
LE MÉCANISME DE LA LECTURE.
133
En premier lieu, nous comptions comme lettre chaque
espace séparant les mots ; en effet, il est probable que ce qui
détermine la longueur des sections, c'est l'étendue qu'elles
occupent sur la rétine et les blancs y occupent chacun à peu
près autant de place qu'une lettre.
En second lieu, nous avions commis une faute de raison-
nement en faisant des moyennes pour établir la longueur
des sections. Admettons, en effet, que pour une certaine
typographie, un certain lecteur fasse habituellement, et, bien
entendu, sans que nous le sachions, des sections de 12 let-
tres, si nous comptons les saccades qu'il fait en lisant des
lignes où le nombre des lettres soit un multiple de 12, nous
avons des chances de rencontrer pour toutes les lignes le
même nombre de saccades. Par exemple : des lignes de
48 lettres seront partagées régulièrement en 4 sections;
mais si ce même lecteur fait l'expérience en lisant un livre
où le nombre des lettres de chaque ligne ne soit plus un mul-
tiple de 12, les résultats devront être irréguliers ; si par
exemple, ce lecteur qui fait couramment des sections de 12
lettres, lit des lignes contenant 30 lettres, il y a des chances
pour qu'il les décompose en 3 sections et on aurait tort,
après avoir compté les saccades de conclure qu'il fait des
sections de 10 lettres ; il est fort possible qu'en lisant ces
lignes de 30 lettres, il commence par faire, par exemple,
2 sections de 12 lettres pour terminer par une de six lettres
et si, ce que nous ignorons, il a lu cette ligne en 3 sections
de 10 lettres chacune, il n'en faut pas conclure que la sec-
tion qu'il est capable de voir d'un seul coup n'est que de
10 lettres.
Le problème que nous nous sommes posé est de rechercher
la grandeur des sections dont fait usage l'homme qui lit et
après avoir établi que cette grandeur se mesure par le nombre
des lettres, en comptant pour une lettre l'espace entre deux
mots, nous avons vu que, quelle que soit la grosseur de l'im-
pression, nos expérimentateurs de la Sorbonne faisaient des
sections d'environ dix lettres, en moj^enne.
Pour qui voudra pousser ces recherches plus loin, je ré-
pète que nous avons eu tort de prendre des moyennes ; cette
manière de combiner les chiffres, si communément employée,
n'est pas logique, et, pour m'en expliquer, je vais reprendre
une comparaison employée ci-dessus par M. Lamare.
134 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Je suppose qu'on veuille connaître la grandeur des pas ou
plutôt des bonds que fait un alpiniste en descendant à toute
vitesse une montagne abrupte. Si ce chemin parcouru était
constitué par un éboulis uniforme, pour avoir la longueur du
pas, il suffirait de diviser la longueur du chemin par le nom-
bre de pas. — Supposons maintenant que le chemin soit
accidenté, qu'il s'y rencontre, disséminés, de nombreux
morceaux de roche sur lesquels l'homme puisse poser le
pied avec sécurité. S'aidant parfois de son alpenstock s'il
craint, par exemple, qu'une pierre soit rendue glissante parle
suintement d'une source, etc., il fera des pas inégaux, sou-
vent plus courts que le pas régulier qu'il faisait dans
l'éboulis, et parfois plus longs ; son vrai pas est sûrement
plus long que celui exprimé par la moyenne obtenue en divi-
sant le chemin parcouru par le nombre de pas.
De même, pour la lecture, le calcul de la moyenne doit
donner, pour la section, un chiffre trop faible.
Admettant, avec M. Lamare, que les adultes lisent habi-
tuellement par section de 10 lettres environ, pour fabriquer
un livre qui pût être lu en supprimant les saccades horizon-
tales et en profitant, dans le sens vertical, des renseignements
fournis par la vision indirecte, il' faudrait imprimer par
colonnes ne comportant guère plus de dix lettres. Je suis
loin de recommander cette disposition, dont l'un des incon-
vénients est le grand nombre de mots coupés en fin de ligne.
Dans Y Année psychologique de 1899, M. Victor Henry
analyse longuement et avec compétence un livre de MM. Erd-
mann et Dodge, intitulé : Psychologische Untersiichungen ue-
ber das Lesen auf experimenteller Grundlage, paru en 1898 à
Halle (Niemeyer). Sans avoir eu connaissance des travaux
ci-dessus rappelés, les auteurs ont fait de nombreuses expé-
riences pour démontrer que la lecture s'opère par saccades,
et que la vision n'a lieu que pendant les temps de repos des
yeux, et ils ont accumulé des observations intéressantes, qui
eussent été plus clairement groupées, s'ils avaient remarqué,
comme nous, que le nombre de lettres par section ne dépend
ni de la grosseur du texte, ni de la distance à laquelle se fait
la lecture.
Notons que, d'après eux, le nombre de lettres par section
diminue de près de moitié si on lit « en correcteur », c'est-à-
dire comme pour relever les fautes typographiques.
XII. LE MÉCANISME DE LA LECTURE.
135
Ils ont observé que le nombre des mouvements effectués
pour lire était plus grand chez un jeune garçon n'ayant appris
à lire que depuis un an, et ils ont fait la même observation
chez des adultes lisant une langue étrangère.
Dans deux séries d'expériences, les auteurs ont observé
que les sections étaient un peu plus grandes que l'étendue
de la vision nette et que, par conséquent, dans son besoin
de réduire au minimum le nombre des saccades, le lecteur
exercé s'arrange pour deviner quelques lettres. Ces expé-
riences ayant été faites sur un livre allemand, les parties
devinées étaient principalement constituées par des fins de
mots ; la différence était d'ailleurs assez marquée pour que
nous puissions admettre le fait comme s'appliquant à toutes
les langues. Ils ont remarqué également que le point de
fixation se porte de préférence sur la troisième ou quatrième
lettre des mots longs.
Ce qui est le plus intéressant, c'est l'idée qu'ils ont eue de
lire, après avoir produit sur la rétine une petite image acci-
dentelle sous forme d'un fer de flèche dirigé vers le haut,
et dont on voyait la pointe se poser, après chaque saccade,
en un point généralement situé à gauche du milieu de cha-
que section. Je me figure les gambades de l'image acciden-
telle tout-à-fait analogues aux bonds de l'alpiniste dont il a
été question plus haut.
Enfin, MM. Erdmann et Dodge ont remarqué que, lorsque
l'impression est trop fine pour être lue facilement, il
arrive que des mots sont reconnus d'après leur configu-
ration générale. Comme cette configuration dépend en
partie de la présence de lettres longues, il faudrait peut-
être en tenir compte dans la forme à donner à des carac-
tères d'imprimerie, ce qui est en opposition avec les in-
dications contenues dans le chap. XVII relatif à l'impression
compacte.
Dans la livraison de juillet 1898 de American Journal of
Psychology (Stanley Hall, Worcester, Mass., A. Orpha, édi-
teur), M. Delabarre a publié une note sur un procédé qu'il a
employé pour enregistrer le mouvement des yeux. Sur la cor-
née rendue insensible par la cocaïne, il applique une cupule
de plâtre percée d'un trou correspondant au centre de la
pupille, et sur laquelle il fixe, pour l'étude des mouvements
lents, un fil qui va passer sur une poulie de renvoi, et pour
136 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
celle des mouvements rapides, un style qui peut tracer une
courbe sur une feuille enfumée.
L'œil supporte sans dommage des séances de plus d'une
heure à condition de laisser plusieurs jours d'intervalle.
Dans la même livraison se trouve un important article de
M. Edmond B. Huey intitulé : Preliminary experiments in
the physiology and psychology of reading.
Par des procédés tout à fait différents de ceux employés
en Allemagne par MM. Erdmann et Dodge, M.. Huey a été
amené à conclure que l'attention se porte plus volontiers sur
la première moitié des mots que sur la seconde. Il a présenté
successivement à plusieurs personnes des textes imprimés
altérés suivant deux types. Dans le premier, les mots étaient
tronqués par la suppression des premières lettres, et dans le
second, les dernières lettres des mots manquaient. Il recom-
mandait de lire assez vite, mais sans précipitation, et il a
noté que les textes du premier type étaient compris plus
rapidement que ceux du second. Il fait observer judicieu-
sement qu'en anglais la première moitié des mots est plus
caractéristique que la seconde. S'il avait eu l'expérience de
la lecture au toucher, pratiquée par les aveugles, il aurait
remarqué aussi qu'en lisant vite, les clairvoyants comme les
aveugles doivent avoir la tentation de sauter la fin des mots,
dès qu'ils ont lu assez de lettres pour deviner le reste.
D'autre part M. Huey a fait de nombreuses expériences
pour voir si, comme je l'avais présumé, il y aurait avantage,
sous certains rapports, à disposer les mots par colonnes
verticales. Il a disposé des colonnes formées respectivement
de mots de deux, trois, quatre... jusqu'à seize lettres et,
malgré ce que ce mode de lecture a d'insolite, il a trouvé
une rapidité presque égale à celle de la lecture ordinaire
pour les colonnes formées de mots de dix à douze lettres,
c'est-à-dire telles que la lecture se fasse sans saccades horizon-
tales. Je présume que la lecture rapide de mots ainsi dispo-
sés résultait moins de la substitution de petites saccades
verticales aux grandes saccades horizontales, que du fait
de l'entrée en jeu de la vision périphérique permettant de
lire deux ou trois fois plus de lettres sans aucun mouvement:
on conçoit qu'avec de l'exercice, il se forme des sections
verticales de plusieurs mots. Supposons un moment qu'on
mette l'un sous l'autre dix mots formés chacun de dix lettres ;
XII. — LE MÉCANISME DE LA LECTURE. 137
il semblerait que ces cent lettres pourraient être perçues
sans aucun déplacement de l'œil. Mais notre typographie
emploie des lettres plus hautes que larges, si bien que, par
exemple, dix lettres imprimées en colonnes verticales occu-
pent au moins deux fois plus de longueur que dix lettres en
ligne horizontale ; d'autre part, l'étendue de la vision nette
occupe, sur la rétine, un peu moins de hauteur que de largeur ;
il est donc clair qu'un œil qui voit, sans mouvement, dix
lettres rangées horizontalement, n'en voyant pas moitié
autant rangées verticalement, la disposition en colonnes,
pour le sujet le plus exercé, sera loin de décupler le nombre
de lettres lues d'un seul coup d'œil, mais elle pourrait l'aug-
menter considérablement. Il serait intéressant de connaître
sur ce sujet l'opinion d'un sinologue.
Dans ce qui précède, il n'a été question que des mouve-
ments des yeux ; examinons maintenant les variations
d'accommodation qui sont la conséquence de ces mouve-
ments. — Quand les lignes sont longues, il n'est pas permis
de négliger la différence entre la longueur de la perpendi-
culaire menée de l'œil au papier et celle des obliques qui
vont de l'œil au commencement et à la fin des lignes. La dif-
férence entre ces longueurs est d'autant plus marquée que le
lecteur se tient plus près du livre, et elle doit obliger les per-
sonnes qui lisent de près à faire varier constamment leur
accommodation.
Soit, par exemple, un lecteur affecté d'une myopie de
10 dioptries, la distance GD entre ses yeux étant de 0 111 06
(Fig. 4-2). Pour lire une ligne d'impression A A' longue
de 0m12, s'il veut voir nettement le commencement et la fin
de la ligne, notre myope devra s'approcher assez pour que
les lignes G A et D A' ne mesurent l'une et l'autre que 0m10.
Voici ce qui se passera :
Le commencement de la ligne est vu nettement de l'œil
gauche, mais la ligne AD étant de 0m12, il s'en faut de plus
de deux dioptries pour que l'œil D voie nettement. Pour
voir B, l'œil G accommode d'environ une demi-dioptrie et,
138 DEUXIÈME PARTIE.
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
même s'il n'a pas accommodé par un mouvement associé,
l'œil D est encore loin devoir nettement. Passant de B en C,
nous voyons que l'œil G doit relâcher son accommodation
totalement. Puis, à partir de G, il faut que l'œil D se mette
à accommoder, pendant le parcours de G à B', puis à relâ-
A B C B' A*
S K 7. 7! 7<
G D
Fig. 42.
cher depuis B' jusqu'à la fin de la ligne A', avec cette diffi-
culté que, pendant le parcours de G à B', il serait désirable
que G n'accommodât pas.
En réalité, je doute que le myope de dix dioptries, pris
pour exemple, résiste à la tentation de se mettre un peu plus
près, et alors les deux yeux accommoderont tout le temps et
il faudrait que, pendant le parcours d'A en B, leur accom-
modation augmentât inégalement, que de B en B' celle de
l'œil G diminuât pendant que celle de l'œil D augmenterait,
puis enfin que l'accommodation de l'un et de l'autre diminuât
inégalement pour passer de B' en A'.
Quelle que soit la distance adoptée, je me figure difficile-
ment, pendant une lecture rapide, les yeux réussissant, à
chaque ligne, à passer chacun successivement par un maxi-
mum d'accommodation — l'œil G au moment où tous les deux
regardent en B et l'œil D au moment où tous les deux regar-
dent B',— et je pense qu'au lieu d'exécuter la manœuvre que je
viens de décrire, plus d'un myope se rapprochera davantage,
assez pour que l'un des yeux puisse voir nettement toute la
ligne en faisant varier son accommodation. Alors cet œil se
XII. —
LE MÉCANISME DE LA LECTURE.
139
mettra en face du milieu de la ligne, en O. Dans ces condi-
tions, la ligne AO étant de 0m10 et A C de 0m06, on a
OC = 0m08, et la variation d'accommodation pour passer de
A en G sera de 2,5 dioptries, chiffre obtenu par. un calcul
dont il sera question tout-à-l'heure.
Il est présumable que les changements d'accommodation
dont il vient d'être question se produisent synchroniquement
avec les saccades décrites plus haut, mais cette question me
paraît difficile à élucider.
Quoi qu'il en soit, on lit aisément cent lignes par minute,
soit six mille lignes par heure. Les nombreuses variations
d'accommodation qui en résultent sont d'autant plus impor-
tantes que les lignes sont plus longues; on conçoit donc que,
surtout dans l'intérêt des myopes, j'aie protesté contre de
larges justifications, et ma voix a trouvé de l'écho, surtout en
Allemagne.
J'avais remarqué la fréquence extrême de la myopie chez
les personnes qui lisent beaucoup et sa rareté relative chez
les couturières, qui appliquent leurs yeux avec bien plus
d'assiduité : la particularité principale de la lecture m'a
paru résider dans les variations de l'accommodation.
Soit / la demi-longueur de la ligne imprimée, m la dis-
tance du panctum remotum pour le myope, et d la distance de
l'œil au milieu de la ligne, on a, dans un triangle rectangle,
d2 = m2 — l1 ; la variation d'accommodation -i — — s'en
d m
déduit aisément.
Pour épargner au lecteur tout calcul, j'ai construit la
Fig. 45 ci-après, qui permet de résoudre instantanément
toutes les questions où est engagée la relation entre la
myopie, la longueur des lignes et l'accommodation. Les
abscisses sont, en grandeur naturelle, les demi-longueurs
de lignes d'impression ; les ordonnées mesurent la myopie,
en dioptries, et les courbes correspondent aux variations
d'accommodation.
1er exemple : pour une ligne de 10 centimètres, quels sont
les degrés de myopie qui nécessitent des variations d'accom-
modation de 0.25...., 0.50...., 0.75..., 1..., 2..., 3... dioptries?
Il suffit de remarquer que l'ordonnée 5 coupe les courbes
en des points répondant sur l'axe vertical à 4 1/2..., 5 3/4...,
7 1/4..., 9..., 11..., 12... dioptries.
Fig.
43.
XII. —
LE MÉCANISME DE LA LECTURE.
141
2e exemple : si l'on admet, avec M. Badal, qu'une varia-
tion d'accommodation de 0.125 D, est très appréciable,
quelles sont les longueurs de lignes que les myopes de 4, 5,
6, 7, 8... dioptries peuvent accepter sans trop grande varia-
tion d'accommodation? Il suffit de suivre la courbe 0,125 D,
et sa rencontre avec les horizontales 4, 5, 6, 7, 8... nous fait
remonter aux chiffres 6..., 4.25..., 3.25..., 2.66..., 2.15...;
les lignes seront donc respectivement de 12..., 8.5..., 6.5...,
5.33..., 4.33..., centimètres.
Sans multiplier les exemples, reprenons celui que nous
avions choisi en 1877 ; on voit que, pour un myope de
15 dioptries, une ligne de 10 centimètres exige une variation
d'accommodation d'environ 7 dioptries (1).
11 était nécessaire d'exposer avec quelques détails mes
idées sur les variations de l'accommodation pendant la lec-
ture, car elles trouveront dans la troisième partie de ce vo-
lume leur application à la prophylaxie de la myopie par la
proscription des justifications trop larges.
La prophylaxie du strabisme, bien moins importante, de-
mande également qu'il ne soit pas fait usage de lignes trop
longues par les jeunes hypermétropes, ainsi que cela va être
expliqué dans la citation suivante extraite de mon manuel du
Strabisme.
« §41. — Lecture contrôlée. — Cet exercice consiste à
« lire binoculairement dans des conditions analogues à
« celles de l'expérience précédente ; on interpose une barre
« perpendiculairement à la ligne des yeux (Fig. 44-) entre
« une page imprimée en gros caractères et le strabique,
« lequel doit réussir sans aucun mouvement de tête à
« lire d'une manière continue, sans qu'aucune lettre soit
« cachée par l'obstacle (2). Peu à peu on passe à desimpres-
« sions de plus en plus fines. — Même quand la guérison
« paraît définitivement obtenue, il importe de recom-
« mander au strabique honoraire de continuer pendant
(1) Communication faite au Congrès international de Genève en 1877,
et qui a été reproduite dans les Annales d'oculistiqiie, 1877, t. LXXVIII,
p . 164.
(2) La tige forme deux images qui paraissent transparentes : celle de
gauche appartenant à l'œil droit et celle de droite étant perçue par l'œil
gauche.
142 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
« bien des mois à toujours interposer un crayon ou un
« porte plume entre ses yeux et son livre.
« Quand la lecture est bien binoculaire : 1° la première
« section de la ligne d'impression est vue binoculairement ;
« 2° l'œil gauche seul voit les lettres situées derrière l'image
« de gauche de la tige (vue par l'œil droit); 3° la partie
« médiane de la ligne est vue binoculairement; 4° l'œil droit
« seul lit les lettres situées derrière l'image de droite de la
« tige ; et 5° la fin de la ligne est lue binoculairement. Si les
« yeux sont inégaux, les lettres qui ne sont vues que par
« l'œil le moins bon sont moins distinctes que le reste, et
« le strabique remarque, sur toute la page imprimée, une
« colonne verticale où, dans chaque ligne, les lettres vues à
« travers l'une des deux images de la barre de contrôle
« sont moins visibles que le reste.
« Pour bien analyser cette expérience, qu'on mette
« devant les deux yeux des verres de couleur différente,
« par exemple, un bleu et un rouge : le papier paraîtra
« nettement bleu et rouge derrière les deux images de la barre,
« et sur le reste de la page la coloration bleue ou rouge
XII. —
LE MÉCANISME DE LA LECTURE
143
« dominera suivant que l'un ou l'autre œil joue un rôle pré-
« pondérant dans la vision.
« Souvenons-nous d'autre part que, d'après les expé-
« riences de Lamare, les yeux, bien loin de se déplacer
« d'une manière continue pendant la lecture, exécutent un
« certain nombre de saccades, et partagent ainsi la ligne
« d'impression en un certain nombre de sections qui sont
« lues successivement, les yeux restant en repos pour
« chacune d'elles. On conçoit dès lors qu'un strabique
« pourra, par exemple, commencer par lire de l'œil droit
« deux sections de la ligne imprimée, depuis le début de
« la ligne jusqu'à l'image gauche de la barre de contrôle
« et, à ce moment, par une même saccade, alterner son
« strabisme et lire de l'œil gauche en trois ou quatre sec-
« tionsle reste de la ligne, si bien qu'une fois par ligne, il fera
« coïncider un changement d'œil avec une saccade, et lira les
« lignes d'un bout à l'autre, sans omettre une seule lettre
« et cependant sans avoir un instant regardé binoculaire-
« ment. Dans ce cas, le résultat est manqué.
« J'ai fait construire récemment un contrôleur multiple
Fig. 45.
« (Fig. 45). C'est un gril métallique formé de cinq barreaux,
« qu'on pose sur la page à lire. Les vides sont cinq fois
« plus larges que les pleins. Il en résulte que, pour chaque
« œil, un cinquième de l'impression est caché et trois cin-
« quièmes sont vus binoculairement. Surtout si l'on s'aide
« de deux verres, bleu et rouge, mis devant les yeux, on
« voit assez nettement, pendant la lecture, deux grils trans-
« parents qui s'approchent ou s'éloignent l'un de l'autre
« quand on fait varier la distance du livre. Les pieds du gril
« sont d'une hauteur telle que les dix barreaux paraissent
« équidistants à un observateur dont les yeux ont un écarte-
144 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
« ment de 60 millimètres et qui se tient à 25 centimètres du
« papier. Les sections étant beaucoup plus nombreuses
« qu'avec une simple barre de contrôle, le sujet qui se sert
« de ce gril n'est guère tenté de recourir, pour lire, à des
« alternances réitérées de strabisme. »
Par cette longue citation on voit comment les connais-
sances théoriques relatives aux mouvements des yeux peuvent
être utilisés dans le traitement du strabisme. On peut en
tirer aussi cette conséquence d'une utilité plus générale, que
l'emploi de livres à large justification, nuisibles aux myopes,
comme on l'a vu plus haut, peut être défavorable aussi aux
jeunes hypermétropes, en les prédisposant au strabisme.
CHAPITRE XIII.
LE MÉCANISME DE L'ÉCRITURE.
Nous emploierons, dans la présente étude, la méthode
qui doit guider tous ceux qui veulent tracer les règles à
suivre pour bien exécuter les exercices corporels. Cette
méthode, créée par Marey, consiste à observer la ma-
nière de faire des sujets les mieux doués, qui, soit par apti-
tude naturelle, soit par tradition, sont en possession d'une
exceptionnelle virtuosité.
Examinons donc les mouvements d'un habile écrivain,
par exemple d'un secrétaire-rédacteur de la Chambre des
députés, qui, tout en regardant constamment autour de lui,
rédige, séance tenante, le procès-verbal analytique. Son
écriture est fine, penchée, régulière et assez lisible pour ne
laisser aucune hésitation aux typographes.
Nous remarquons tout d'abord une oscillation continuelle
de la main entière; c'est l'articulation du poignet qui fait un
mouvement d'extension pour chaque délié, un mouvement
de flexion pour chaque jambage. De plus, les trois doigts
qui tiennent la plume exécutent en même temps des mou-
vements d'extension quand le poignet s'étend et de flexion
quand il revient ; ces mouvements des doigts ont pour effet
de diminuer un peu la pente des déliés et davantage celle
des pleins. Les doigts font encore d'autres petits mouve-
ments, pour parfaire la forme de certaines lettres et pour
soulever la plume. L'écriture la plus rapide et la plus régu-
lière est celle qui réduit au minimum les mouvements des
doigts, et se fonde le plus possible sur les mouvements du
poignet, lesquels, par leur isochronisme et leuridentité, sont
un gage de célérité ; ces mouvements du poignet forment une
espèce de vibration, de tremblement absolument régulier,
qui se produit sans fatigue et en quelque sorte sans que la
volonté ait à intervenir : c'est pour ainsi dire la base de
l'écriture rapide ; mais il faut que, sur ce mouvement, se
JA.VAL. 10
146 DEUXIÈME PARTIE. —
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
greffent d'autres mouvements variés qui ont pour but de
différencier les lettres entre elles. Le mouvement en ques-
tion donne la rapidité et la régularité : les autres mouve-
ments donnent la lisibilité.
Mais les mouvements du poignet et des doigts, assistés,
chez certaines personnes, d'un mouvement du bras suivant
sa longueurpour former les lettres longues, ne permettraient
que d'écrire en place ; il faut encore un mouvement de trans-
lation. C'est un point sur lequel nous devons insister tout
particulièrement.
L'écrivain habile, s'il a oublié les préceptes de son maî-
tre d'écriture, appuie son coude sur le bord de la table, si
bien que, tant qu'il écrit sur une feuille étroite, le coude
reste absolument immobile et la ligne d'écriture est non pas
une ligne droite, mais un arc de cercle ayant pour rayon la
longueur de l'avant-bras, augmentée de celle de la main et
de la partie de la plume qui dépasse les doigts (1). Pour en
acquérir la preuve, après vous être installé commodément
pour écrire sur la feuille de papier que vous avez placée
obliquement par instinct, posez la pointe de la plume au
commencement d'une ligne et faites mouvoir l'avant-bras
autour du coude pris comme centre ; la plume tracera sur la
feuille un arc de cercle de rayon assez grand pour pouvoir
être confondu avec une ligne droite parallèle au bord supé-
rieur de votre papier. Cette immobilité du coude est favo-
Fig. 46 (tracée en 1881).
(1) Comme exemple à l'appui, voici le fac similê (Fig. 47) d'une circu-
laire émanant d'un écrivain illustre ; la courbure est un peu augmentée
par le fait de la réduction photographique de ces lignes qui avaient été
écrites sur une feuille extrêmement large.
XIII. — LE MÉCANISME DE LÉCRITURE
148 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
rable à la rapidité de l'écriture, car la rotation de l'avant-
bras se fait graduellement, sans exiger le moindre temps,
tandis qu'il se produit nécessairement un arrêt quand on
déplace le bras en totalité pour mener la plume tout le long
de la ligne. Un autre avantage de ce système, c'est que la
rectitude de la ligne se conserve, pour ainsi dire, automati-
quement; avec le coude bien appuyé, rien n'est plus facile
que d'écrire des lignes parfaitement régulières avec les yeux
fermés.
L'emploi du coude comme pivot entraîne d'autres consé-
quences. — La première est la position oblique du papier,
qui est adoptée par tous les écrivains rapides, la diagonale
qui joint l'angle supérieur droit à l'angle inférieur gauche de
la feuille se trouvant à peu près perpendiculaire au bord de
la table. — La seconde est la pente de l'écriture; du moment
que la ligne qu'on écrit est perpendiculaire à l'avant-bras,
les mouvements du poignet produisent forcément une pente
qui serait supérieure à 45°, si les mouvements des doigts et le
mouvement de translation de la main ne venaient pas l'atté-
nuer très notablement, surtout pour les pleins.
La méthode graphique permet d'analyser les mouvements
de l'écriture; mettez au poignet et au petit doigt de l'écrivain
un bracelet et une bague munis chacun d'un crayon. Pen-
dant que sa plume trace l'écriture, qui est une résultante,
ces crayons tracent sur le même papier les mouvements de
l'avant-bras et de la main, qui en sont deux composantes.
Avec la position du bras et du papier telles que nous ve-
nons de les décrire, les pleins viennent naturellement pren-
dre une position à peu près perpendiculaire au bord de la
table. Il en résulte que, pour écrire sans pente, l'écrivain
habile qui se tient comme nous avons dit, n'a qu'à mettre la
feuille droit devant lui : aussitôt les mouvements du poignet
dont nous avons parlé cesseront de produire la pente et,
sans aucun apprentissage, il écrira droit avec une assez
grande rapidité et tout à fait involontairement ; la seule
difficulté, c'est que pour chaque mot et même plusieurs fois
dans le courant d'un mot un peu long, il devient nécessaire
de déplacer l'avant bras, et, par conséquent, le bras, vers
la droite, sous peine de tracer des lignes montantes, comme
le font bien des personnes qui s'obstinent à tenir leur
papier droit devant elles, ainsi qu'on le leur a enseigné dans
XIII. LE MÉCANISME DE L'ÉCRITURE.
149
leur enfance. Cette remarque trouvera son application au
chapitre XXIV des expertises en écritures.
Ainsi, en observant la manière de faire des écrivains ha-
biles,— qui n'est pas celle des calligraphes, — nous sommes
arrivé à cette conséquence qu'il faut incliner le papier vers
la gauche d'un angle à peu près égal à la pente de l'écriture
et qu'il faut écrire penché. C'est pour plus de clarté que nous
avons supposé le coude appuyé sur la table ; on peut, sans
inconvénient, n'y placer qu'une partie de l'avant-bras; bien
que n'ayant pas de point d'appui, le coude peut parfaitement
servir de pivot immobile pour les mouvements de l'avant-
bras.
Il faut l'avouer immédiatement ; sous le rapport de l'atti-
tude du corps, la position que nous adoptons n'est pas tout
à fait sans inconvénient; bien qu'elle permette d'écrire les
yeux fermés, on regarde volontiers ce qu'on fait, et cela est
même nécessaire pour mettre les points et les accents
(Fig. 46). Or, pour des raisons physiologiques fort complexes,
les yeux sont ainsi faits qu'il leur est désagréable de par-
courir des lignes obliques. Aussi, les personnes qui écrivent
comme nous le conseillons sont-elles portées invinciblement
à pencher la tête à gauche, de manière à mettre à peu près
dans un même plan la ligne d'écriture et les deux yeux; c'est
un faible inconvénient pour les adultes, chez qui les défor-
mations du corps ne sont plus guère à craindre.
Un défaut d'écriture, très répandu, résulte du déplorable
usage des points sur les i et des accents. La plupart des
personnes n'attendent pas que le mot soit terminé pour met-
tre les points, les accents et les barres de t. Il en découle
toute une série d'inconvénients. D'abord, une interruption
des déliés, qui devraient réunir, à peu près sans solution de
continuité, toutes les lettres d'un même mot. Ensuite, un
retard extrêmement considérable, car il faut plus de temps
pour s'interrompre, mettre un point sur un i et reprendre le
cours du mouvement régulier de la plume, qu'il n'en faut
pour écrire deux ou trois jambages. Enfin, bien des per-
sonnes, surtout en Allemagne, ne lèvent pas la plume pour
faire les points sur les z, et certains accents, d'où résulte des
liaisons qui réunissent les accents aux lettres et nuisent
considérablement à la lisibilité. D'autres, dans la rapidité de
l'action, jettent les points et les accents un peu au hasard,
150 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
généralement trop à droite, tandis qu'avec le système dont
nous allons parler, ces signes sont toujours posés à leur
place.
Les calligraphes conseillent de ne poser les accents et les
points sur les z qu'après avoir terminé le mot qui doit les
recevoir; c'est une habitude difficile à inculquer aux enfants
et qu'ils ne conservent pas souvent. Le mieux serait d'inter-
dire absolument l'usage des points et des accents pendant
l'écriture, et d'exiger qu'il ne soient placés qu'ultérieurement,
en relisant; tandis que la ponctuation doit être mise scru-
puleusement du premier abord. Par ce système, on peut
écrire extrêmement vite, et régulièrement. Si l'on écrit pour
soi-même ou pour les imprimeurs, il est complètement inu-
tile d'ajouter les points et les accents, qui ne sont néces-
saires que pour rendre l'écriture lisible malgré ses défauts
et pour les personnes les moins exercées. En supprimant
les points et les accents, il est facile de prendre currente ca-
lamo des notes à un cours, de dresser le procès-verbal com-
plet de la discussion la plus animée, et il reste loisible d'a-
jouter tous ces signes en se relisant, ou de les faire mettre
par un secrétaire. Ce système présente même le très grand
avantage qu'un seul coup d'œil nous permet de constater si
une page de notre écriture a été relue ou non ; nous écrivons
avec régularité et rapidité, et nous augmentons ensuite la
lisibilité, sans perte de temps, au moment où nous relisons,
par l'addition des points et des accents, que la politesse
nous défend d'ailleurs d'omettre dans les écrits que nous ne
réservons pas exclusivement pour notre usage personnel.
La rapidité exige ensuite que les pleins soient produits
par une dépense de force extrêmement faible, et plutôt par
la largeur du bec de plume que par la pression. Nous rejet-
terons donc les plumes à pointes fines et extra fines, et adop-
terons les becs médium.
La vitesse exclut les queues démesurément longues, ce
n'est pas un mal, car le caprice de la mode empêche seul de
les trouver aussi disgracieuses qu'elles le sont en réalité ;
dans les belles bâtardes, les longues ont une dimension totale
qui ne dépasse guère deux corps.
Enfin, pour écrire rapidement, il importe de réduire
le nombre des levées de plume qui constituent une perte
de temps considérable. Or, si nous voulons écrire d'une
XIII. — LE MÉCANISME DE l'ÉCRITURE.
151
seule traite, nous remarquons que sept lettres nous obligent
à lever la plume ; il faut quitter le papier avant les lettres a,
c, d, g, o, q, au milieu des lettres a, g et q et après les q et
s. Un grand nombre de défauts d'écriture proviennent de
liaisons qui se produisent pour éviter ces solutions de conti-
nuité : introduisons systématiquement ces liaisons où cela
sera possible, en formant la panse de l'a au moyen d'une sorte
d'e très ouvert, et appliquons le même système au d, au g
et au a, et voilà quatre lettres qui se feront d'un seul trait
de plume. Quant à l's, autorisons la liaison, et il prendra
une forme analogue à un e renversé, facile à tracer rapide-
ment, et ne pouvant se confondre avec aucune autre lettre.
En résumé, si l'on veut que l'homme des professions
libérales ait une bonne écriture quand il aura quitté les
bancs du lycée, il faut lui enseigner, à un moment donné,
une écriture telle que la vitesse ne la déforme pas trop désa-
gréablement. Si l'on recherche une très grande rapidité,
cette écriture sera penchée, tracée sur papier incliné, et son
mécanisme reposera sur un mouvement de trépidation régu-
lière du poignet.
Tout ce qui précède s'applique à l'écriture expédiée, ou à
main levée, dans laquelle les mouvements du poignet jouent
un rôle prépondérant, écriture dont les principes ont été
parfaitement posés par Taupier et par Grimai. Si les mé-
thodes de ces calligraphes sont tombées dans un oubli immé-
rité, c'est qu'ils ont eu le tort de vouloir appliquer à l'ensei-
gnement de l'enfance des principes qui leur avaient réussi
pour rectifier des écritures d'adultes destinés à se faire expé-
ditionnaires. Ils ont oublié que l'immense majorité de la
nation n'a pas besoin d'écrire à grande vitesse. Que le
peuple tout entier écrive posément et lisiblement, et réservons
aux virtuoses de la plume, et à eux seuls, les méthodes Tau-
pier et Grimai.
Les principes de la calligraphie à main posée sont tout
différents. Il ne manque pas de méthodes où l'on trouvera
des indications pour la tenue de plume qui convient pour
tracer la ronde, la coulée et la bâtarde. Nous dirons seule-
ment en passant que, parmi ces écritures qui se tracent
au moyen de plumes à bec large, il en est une, non
dénommée, qui nous paraît préférable à toutes : c'est une
ronde dans laquelle les n diffèrent des u comme dans la
152 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
bâtarde et où les /, les b, etc., sont bouclés. Cette écriture,
tracée avec une plume à bec moyen, devrait devenir l'écri-
ture nationale.
Après avoir sommairement fait connaître les raisons qui
conduisent certaines personnes à préférerl'écriture penchée,
nous allons démontrer que, pour les enfants, l'enseignement
de l'écriture droite est préférable à tous égards.
L'écriture à main posée. — Il ne peut venir à l'idée d'une
personne raisonnable de vouloir enseigner à un enfant de
six ans, qui ne connaît à peine la forme des lettres, le méca-
nisme si compliqué dont font usage certains adultes pour
écrire rapidement. D'ailleurs, le voulût-on, que son organisa-
tion ne s'y prêterait pas, car, son avant-bras étant beaucoup
plus court que celui de l'adulte, le pivotement autour du
coude ferait tracer à la plume un arc de cercle très différent
d'une ligne droite, et son écriture est beaucoup trop hésitante
pour pouvoir faire usage du mouvement de trépidation du
poignet. Il faut donc renoncer à ces mouvements, laisser
l'enfant déplacer son avant-bras en totalité, presque pour
chaque lettre, et lui permettre de se servir à peu près uni-
quement de ses doigts pour mouvoir la plume : il n'y a qu'à
le laisser faire à cet égard.
D'autre part, comme on donne toujours aux enfants du
papier réglé, il n'existe aucune raison pour mettre le cahier
de travers : la rectitude des lignes d'écriture est assurée par
la réglure et ne peut pas être obtenue par la rotation de
l'avant-bras autour du coude. Nous posons donc le cahier
droit devant l'enfant.
On a vu plus haut que, même pour l'adulte habitué à
écrire penché, la position droite du cahier a pour consé-
quence l'écriture droite. Pour s'assurer qu'il en est ainsi
pour l'enfant, faites-lui copier un modèle d'écriture penchée:
si vous le laissez faire, son cahier étant droit, il écrira droit,
malgré la pente du modèle. Pourquoi contrarier cette ten-
dance naturelle? Donnez-lui des modèles d'écriture droite,
il les copiera plus facilement, ce qui n'est pas un mal, et en
écrivant droit, il se tiendra plus volontiers droit, ce qui est
utile pour éviter la déviation de la colonne vertébrale, ou
scoliose, et surtout la myopie, qui reconnaît souvent pour
cause une mauvaise attitude en écrivant.
Si, méprisant la tendance instinctive de l'enfant, qui est
XIII. —
LE MÉCANISME DE l'ÉCRITURE.
153
bonne, on vent lui enseigner l'écriture penchée, on est en
présence de deux solutions : cahier incliné à gauche ou ca-
hier droit (posé en face ou repoussé un peu vers la droite).
Quant on prescrit la position inclinée du cahier, la posi-
tion oblique des lignes entraîne la position inclinée de la
tête, laquelle réagit de proche en proche sur la position de
tout le corps. Le cahier tenu obliquement vers la gauche a
pour effet de faire pencher la tête à gauche et le reste du
corps suit le mouvement pour éviter une flexion trop consi-
dérable du cou et pour ramener adroite le centre de gravité,
si bien que le cahier tenu obliquement produit la scoliose à
concavité gauche, telle qu'on l'observait il y a trente ans.
Quand, au contraire, ils exigent une écriture penchée
tracée sur un cahier tenu droit, les maîtres demandent une
chose contre nature : il ne suffit pas de mettre le coude
contre le corps : il faudrait le mettre dans le corps, et le
malheureux écolier est obligé de se creuser le flanc droit
pour y loger son coude, ce qui l'amène à baisser l'épaule
droite et à porter tout le poids de son corps sur la fesse
gauche, ce qui produit la scoliose à concavité droite (1). Un
calligraphe éminent nous vantait cette attitude en présence
de la Commission réunie au ministère de l'Instruction
publique.
Notre réponse fut topique :
Mais tournez-vous, de grâce, et l'on vous répondra.
Le calligraphe célèbre avait lui-même une belle dévia-
tion de la colonne vertébrale qui, vue de dos, affectait
.la forme d'un C : l'épaule droite était bien plus bas que la
gauche.
Mais la scoliose est un mal relativement insignifiant : incon-
vénient plus grave, l'une et l'autre des attitudes précédentes
entraînent la tête en avant, après quelques minutes, et cela
par un mécanisme dont la description occuperait trop de
de place ici, et contre lequel les exhortations du maître le
plus attentif viennent échouer forcément.
(1) La scoliose en question est moins fréquente et moins marquée chez
les garçons que chez les filles, parce que ces dernières se calent, pour
ainsi dire, en amenant instinctivement une épaisseur de jupes et jupons
entre les bancs et la partie droite de leur individu.
154 DEUXIÈME PARTIE.
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Nous avons exposé ailleurs (1) en détail le mécanisme
physiologique par lequel l'écriture penchée est une cause de
scoliose et de myopie ; on peut s'y reporter et étudier les
nombreux auteurs qui ont écrit sur ce sujet, surtout en Alle-
magne.
Schubert photographia deux groupes de dix filles dans
deux classes d'une même école de Nurenberg : les élèves du
premier groupe écrivaient penché; celles du second groupe
pratiquaient l'écriture droite depuis un an.
Nous avons sous les yeux les photographies de Schubert
et il est certain que les attitudes des enfants du second
groupe étaient beaucoup meilleures que celles des enfants
du premier.
En résumé tout en préconisant l'enseignement exclusif de
l'écriture droite aux jeunes enfants, nous ne proscrivons
aucunement l'emploi de l'écriture penchée pour les adultes.
Les personnes qui savent nos efforts pour faire adopter
l'écriture droite dans les écoles primaires éprouveront
quelque surprise à nous voir accepter l'écriture penchée
pour les adultes des professions libérales. Nous leur répon-
drons qu'on n'obtient rien quand on demande trop. Aux
personnes qui écrivent rapidement avec pente, et qui s'en
trouvent bien, on démontrerait difficilement qu'elles ont
tort, alors qu'elles ont raison. Vouloir obliger tous les adultes
à écrire droit serait aussi absurde que de faire écrire les
jeunes enfants avec pente. Notre espoir de faire adopter l'é-
criture droite dans les écoles primaires repose précisément
sur la distinction, subtile en apparence, mais fondée sur la
physiologie, que nous avons établie entre le mécanisme de
l'écriture enfantine et celui de l'écriture expédiée des adultes.
Ecriture en miroir, écriture lithographique, écriture des
gauchers. — Ce qui suit ressort des observations de mon
collaborateur M. Dreyfuss.
La structure de nos écritures résulte, en grande partie,
de l'anatomie de la main et du bras. Jamais un gaucher,
(1) Javal, Attitudes scolaires vicieuses, Revue d'hygiène, 1881,p. 500 et 570.
XIII.
— LE MÉCANISME DE l'ÉCRITURE.
155
jamais une personne qu'une amputation oblige à écrire de
la main gauche, n'écriront nos écritures cursives avec la
même aisance que nous, puisque l'allure générale, et cer-
tains détails de nos écritures résultant des mouvements
qui sont adéquats au membre qui les exécute. Pour n'en
citer qu'un seul exemple, dans la grande rapidité, l'écriture
anglaise se déforme pour devenir analogue à la coulée :
les n s'identifient aux u tandis que ce ne sont presque jamais
les u qui s'identifient aux n. La main droite a, de plus, une
tendance à tracer, à la descente, des pleins dont la conca-
vité est tournée vers la droite. C'est par des raisons physio-
logiques qu'on attaque l'o par son côté gauche et non en
descendant d'abord par la droite et remontant en délié par
la gauche. Si donc une personne frappée subitement de
paralysie, ou de crampe de la main droite, voulait acquérir
de la main gauche, une écriture aussi rapide que possible
elle ne saurait mieux faire que d'écrire de droite à gauche,
sauf à se servir de papier pelure, l'écriture étant destinée à
être lue au verso, ou bien à engager ses amis à lire ses écrits,
dans un miroir. — On possède de nombreux manuscrits de
Léonard de Vinci présentant cette disposition et tracés, très
vraisemblablement, au moyen de la main gauche.
La symétrie naturelle de nos mouvements est telle que,
pour réussir à tracer, de la main gauche, une écriture en
miroir, on se trouvera bien, pour les premiers essais,
d'écrire en même temps avec la main droite, de gauche à
droite; l'expérience est très démonstrative.
On comprend maintenant certaines attitudes de l'écrivain
lithographe. — Pour écrire de la ronde il la trace renversée,
Fig. 48.
comme la seconde ligne de la figure 48. — Pour écrire de
l'anglaise, le lithographe la trace de haut en bas, dans la
position représentée ci-après par la figure 49. Cette attitude,
156 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
étrange en apparence, a pour but de mettre les
une position où ils tracent
presque spontanément des
courbes analogues à celles
de l'écriture courante, sur pa-
pier.
Cette bizarrerie d'une écri-
ture tracée verticalement et
destinée à être lue horizonta-
lement, m'ayant mis en mé-
moire l'écriture syriaque du
vie siècle, j'ai prié M. Drey-
fuss d'en faire un croquis, qui
est reproduit fig. 50 et il me
dit que son flair de litho-
graphe lui a commandé d'exé-
cuter ce croquis dans la position où il est
reproduit et non pas suivant la direction hori-
zontale destinée à la lecture, laquelle se fait
de droite à gauche.
Au cours de sa collaboration au présent
chapitre, M. Dreyfuss a remarqué que, pour
écrire de la main gauche à main posée il faut
placer le papier dans une direction perpendi-
culaire à celle habituellement usitée ; quand
on écrit ainsi avec la main gauche, en co-
lonnes verticales de haut en bas, les pleins et
les déliés se forment régulièrement sans la
moindre difficulté.
Fis. 49.
doigts dans
i
/X/
X
h
0
T
y
Fis. 50.
CHAPITRE XIV
RAPIDITÉ DE L'ÉCRITURE ET DE LA LECTURE.
Le but principal des recherches exposées dans ce qui pré-
cède est de rendre plus faciles et plus rapides la lecture et
l'écriture. Le terme d'écriture étant pris ici dans son sens le
plus large et comprenant les différents moyens d'inscrire
l'expression de la pensée humaine.
Quoiqu'on ait pu dire, la parole n'est pas le substratum
nécessaire de la pensée dont elle n'atteint pas la rapidité :
pour s'en assurer il suffit par exemple de faire l'essai d'ex-
primer en paroles la suite des parades, des feintes et des
ripostes qui constituent une reprise d'escrime, ou bien encore
de décrire, en paroles, tout ce qu'on a pu percevoir la nuit,
pendant la lueur à peu près instantanée d'un éclair.
Il ne semble pas que la vitesse de la pensée soit très diffé-
rente chez les différents peuples bien que les langues soient
très inégales quant à la concision ; par exemple le latin qui
manque de précision est plus concis que le grec qui l'a pré-
cédé et que le français et l'italien auxquels il a donné nais-
sance. On raconte que Rousseau, ayant parié d'écrire plus
laconiquement que Voltaire, lui adressa cette courte missive :
« Eo rus » (je vais à la campagne) et que Voltaire, par retour
du courrier, répondit simplement « I » (allez-y).
De même en anglais, les mots omnibus, cabriolet sont
devenus bus et cab ; le verbe allemand gehen s'est transformé
en go. Les mots de nouvelle formation tel que lift (ascen-
seur) sont plus courts que les nôtres. Cette remarque ne
devra pas être oubliée quand nous comparerons tout à
l'heure les records de rapidité de dactylographie ou de
lecture.
Quand il s'agit d'écrire, la rapidité moindre du français
n'est pas attribuable seulement à la longueur des mots mais
aussi à l'encombrement produit par les lettres inutiles ; il y
158 DEUXIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
a donc lieu de mentionner ici la grande accélération d'écri-
ture qui serait un des bénéfices^ de la réforme orthogra-
phique.
Il paraîtrait, d'après des comptages sérieux, que dans
notre orthographe les lettres inutiles se montent à treize
pour cent.
Parmi les protagonistes les plus radicaux de la réforme
orthographique, après avoir cité Appius Claudius l'aveugle,
qui réforma l'orthographe latine, et qui est plus connu par sa
résistance à Pyrrhus et par la voie Romaine qui porte son
nom, je fais une enjambée de vingt-et-un siècles pour arriver
à Charles Barbier, mentionné dans le chap. VI de ce volume
et qui commence sa brochure de 1834 par les lignes sui-
vantes:
« L'écriture de prononciation est celle que nous pratiquons
tous avant d'avoir étudié l'orthographe et la grammaire ;
beaucoup de personnes n'en sauront jamais d'autres».
Barbier avait démontré magistralement dès 1820 que, pour
tous les illettrés, y compris les aveugles et les sourds-muets,
il est beaucoup plus facile d'apprendre une écriture phoné-
tique bien comprise qu'une écriture orthographique. Au len-
demain de la célèbre loi Guizot de 1833, qui organisa l'ins-
truction primaire en France, et en présence du nombre
immense des adultes illettrés, il revint à la charge. Il pen-
sait que ce serait chose sage que de réduire le premier effort
des instituteurs à enseigner une phonographie à la masse
des enfants, réservant à une minorité les difficultés de la
grammaire et de l'orthographe.
Le temps a marché, mais la nature de l'esprit humain est
restée la même. Aujourd'hui encore, dans les pays de langue
française ou anglaise, il est toujours vrai que le moyen le
plus rapide d'enseignement de la lecture usuelle consiste à
passer par la phonographie.
On avait objecté à Barbier que la pratique de la phono-
graphie devait nuire à celle de l'orthographe. Avec autant de
bon sens que d'esprit, Barbier répondait que la parole est
une phonographie par excellence, et que, pour être logi-
ques, ses contradicteurs devraient interdire la parole aux
enfants jusqu'au moment où ils apprendraient l'ortho-
graphe.
Tandis que Barbier proposait pour une partie de la
XIV. RAPIDITÉ DE LA LECTURE ET DE l'ÉCRITURE. 159
nation l'adoption immédiate d'une écriture phonétique,
depuis Voltaire une évolution lente tend vers la simplifi-
cation de notre orthographe suivant une marche méthodique
précisément inverse à l'évolution historique dont Ronsard
marque le point culminant.
De ses transformations, notre langue a gardé, comme
témoins, des lettres muettes qui, malgré la résistance des
grammairiens, ont une tendance à disparaître. L'Académie
française en supprime quelques-unes à chaque réédition de
son vocabulaire, si bien que la connaissance des étymologies
est devenue une source de fautes d'orthographe. Un hellé-
niste n'hésiterait pas à écrire « ophthalmie », « anhémie »,
« rhythme »,etc. contrairement aux dernières décisions aca-
démiques.
L'orthographe étymologique a vécu et depuis qu'on nous
oblige à écrire « philantropie » au lieu de « philanthropie »,
nous roulons sur une pente au bas de laquelle sont parvenus
les Italiens, qui écrivent «fotografo» où nous écrivons encore
« photographe ».
Ce même mouvement de simplification se produit en
Allemagne avec une telle vitesse qu'on peut présumer par-
fois l'âge d'une personne d'après le nombre des lettres
muettes dont elle fait usage en écrivant.
La simplification de l'orthographe aura pour effet d'accé-
lérer un peu l'écriture des générations futures, à condition
qu'on ne commette pas l'erreur d'augmenter le nombre des
accents, ce qui, on l'a vu, ralentirait et gâterait l'écriture,
car les levées de plume sont fâcheuses à tous égards et on
perd plus de temps qu'on n'en gagne à écrire, avec Monsieur
Malvezin, « cèle» au lieu de « celle », etc. L'usage des accents
est un des grands obstacles à la diffusion de Y Espéranto.
Pendant qu'en France et en Allemagne on voit évoluer
l'orthographe pour se rapprocher de la représentation pho-
nétique de la langue, en Amérique, des Sociétés, dites phi-
lologiques, font une active propagande pour rendre plus
logique l'orthographe anglaise, malgré le misonéisme si
obstiné de la race anglo-saxonne. Les langues évoluent donc
vers une simplification de l'orthographe.
La situation de nos écritures modernes, dit M. Philippe
Berger, rappelle assez celle des écritures de l'ancien monde
au moment de l'invention de l'alphabet. A cette époque aussi,
160 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
le monde était partagé entre deux ou trois systèmes d'écri-
ture différents, dont l'un surtout, l'écriture Egyptienne, avait
porté au plus haut degré de perfection l'expression de toutes
les formes de langage.
Qu'ont fait les Phéniciens ? Ils ont pris dans cet arsenal une
vingtaine de signes, ceux qui leur étaient strictement néces-
saires, et ils en ont tiré une écriture nouvelle, sans aucun
souci de toutes les finesses de l'orthographe, sabrant dans les
désinences vocaliques des verbes, jetant au panier tous les
compléments phonétiques.
Mais cette écriture, quelque grossière qu'elle fût, reposait
sur un principe nouveau et fécond, le principe de l'écriture
alphabétique, c'est-à-dire d'une écriture dans laquelle chaque
lettre répond à un son !
Il faut reconnaître que nous nous en sommes singulière-
ment écartés et que cette définition ne saurait s'appliquer
rigoureusement à nos écritures modernes. Elles ne sont plus
phonétiques que dans une très faible mesure ; elles sont deve-
nues des écritures savantes, qui ne sont pas sans quelque
analogie avec les hiéroglyphiques des Egyptiens ; chaque
mot forme un petit ensemble, dans lequel, à côté d'éléments
phonétiques, il y en a d'autres qui ne se prononcent pas et
qui servent, soit à distinguer à l'œil un mot d'un autre et à
en marquer l'origine et la signification, soit à en indiquer la
forme grammaticale. Ce défaut, commun à presque toutes
nos langues, est particulièrement sensible en Français :
il faut six lettres pour écrire le mot « aiment », où la pronon-
ciation ne fait entendre que deux sons ; encore le premier de
ces sons ne répond-il à aucune des deux lettres qui servent
à le rendre : beaucoup d'autres mots sont dans le même cas.
De là vient, entre l'écriture et la prononciation, un écart
toujours plus grand, qui crée une difficulté, souvent presque
insurmontable, pour ceux qui veulent apprendre à écrire nos
langues, et contribue encore à séparer les peuples.
Le sentiment des inconvénients de cet état de chose et des
dangers qu'il présente pour l'avenir de notre écriture et, par
suite, de notre langue, a provoqué un mouvement en faveur
d'une réforme de l'orthographe qui en ferait disparaître les
anomalies et la rapprocherait, dans la mesure du possible,
du langage parlé. A la tête du mouvement s'est placé réso-
lument un des maîtres des études linguistiques en France,
M. Louis Havet.
L'entreprise n'est pas nouvelle, et, depuis trois cents ans,
elle a été tentée plus d'une fois ; mais le trait caractéristique
du mouvement actuel, c'est qu'il est parti des hommes qui
ont le plus étudié l'histoire de notre langue et les lois qui pré-
sident aux transformations du langage. Elle est la consé-
quence des travaux accomplis depuis le commencement du
siècle dans le domaine de la linguistique et de la philologie
comparée. C'est une réforme demandée au nom de la science,
qui cette fois est allée au-devant du sentiment public, et
XIV.
RAPIDITÉ DE LÉCRITURE ET DE LA LECTURE. 161
l'accueil qu'elle a reçu dès l'abord dans l'Université et parmi
ceux qui sont chargés d'enseigner la langue française, sem-
ble prouver qu'elle répond à un besoin réel.
« Le phonétisme pour but idéal, la modération comme
règle immédiate », voilà ce que réclame M. Havet, de l'Ins-
titut, dans un article du Journal des Débats du 4 mars 1890,
article reproduit en tête de sa brochure, aujourd'hui introu-
vable, intitulée : La simplification de l'orthographe, par Louis
Havet, professeur au Collège de France (1890).
Cette brochure est un modèle de dialectique réformiste.
L'auteur fait ressortir, avec beaucoup d'esprit, les incohé-
rences de notre orthographe, dont l'étude coûte, à nos éco-
liers, un temps qui pourrait être beaucoup mieux employé.
Il démontre, d'accord avec nos linguistes les plus compé-
tents, Gaston Paris, Darmsteter, Michel Bréal, etc., l'inanité
de l'argument d'après lequel notre orthographe serait systé-
matiquement étymologique. Elle ne l'est que par accès. Il
expose comment les simplifications désirables, loin d'offen-
ser l'histoire de notre langue, seraient bien souvent un retour
à ce qui se pratiquait au moyen âge. Quand à l'objection
d'après laquelle on créerait des confusions en écrivant de
la même façon des mots dont le sens est différent, tels que
vers, verre et vert, c'est dans un article paru le 1er août 1889
dans la Revue de l'enseignement secondaire et de l'enseigne-
ment supérieur, et reproduit dans cette brochure, qu'il faut
voir combien elle est insoutenable (1).
Les indications qui précèdent, relatives à la rapidité res-
pective des diverses langues et à la simplification de leur
orthographe, ainsi que les notions relatives à la sténographie
(Chap. IV) et au mécanisme de l'écriture (Chap. XIII),
prêtent de l'intérêt à la réunion de données numériques qui
vont suivre.
Voici quelques indications sur la rapidité des divers
moyens que l'homme emploie pour exprimer sa pensée.
Quand je ne dirai pas le contraire, j'admettrai, avec les
dactylographes, que les mots entiers entrent seuls en ligne
de compte. Par exemple ((-l'homme )), compte pour un mot.
(1) Un rapport tout récent de M. P. Meyer au ministre de l'Instruction
publique (Imp. Nat. 1904) fait au nom d'une commission spéciale, est
soumis au jugement très conservateur de l'Académie française (Me Faguet
rapporteur;.
JAVAL.
11
162 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Pour l'écriture ou la dactylographie j'admets que l'écrivain
doit mettre les majuscules, les accents et la ponctuation ;
de même pour le Braille.
Il ne serait pas difficile de réunir quelques chiffres sur la
rapidité de la lecture mentale, celle qui importe réellement
à l'homme lettré. On trouverait des différences individuelles
considérables. Faute de renseignements précis, j'admettrai
qu'on lit aisément, sans rien laisser passer, cinq cents mots
par minute.
Un de mes amis, lecteur très rapide, a pris la peine, à mon
intention, de lire, sans rien passer, le roman de Paul Bour-
get, Cruelle énigme. Cette lecture lui demanda une heure, et,
faisant le calcul, il en a conclu qu'il avait lu 550 mots par
minute.
Pour la lecture de l'anglais, d'après un mémoire remar-
quable de M. Edmond B. Huey (american journal of psycho-
logie, vol. XI et XII) on voit qu'une personne a pu lire
mentalement plus de huit cents mots par minute, et trois
cent soixante à haute voix.
Pour l'exécution musicale, il paraît qu'un bon pianiste
peut exécuter près de 700 notes égales par minute.
Nous sommes mieux renseignés sur la rapidité de la pa-
role. D'après ce qui m'a été dit à Y Institut sténo graphique
(150, boulevard Saint-Germain, à Paris), l'orateur le plus
lent prononce plus de cent mots par minute, et le plus rapide
en dit rarement plus de deux cents. Une bonne moyenne
paraît être cent soixante mots par minute.
Un dactylographe exercé écrit facilement, pendant des
heures, quarante mots par minute. Le record de dactylo-
graphie, obtenu lors de l'Exposition de 1900, est de soixante-
sept mots. On peut donc dire que la rapidité de la dactylo-
graphie est à peu près quatre fois moindre que celle de la
lecture à haute voix. A l'Exposition de Chicago en 1892, le
record en langue anglaise avait été de quatre-vingt-dix-sept
mots.
J'estime que la rapidité d'une écriture parfaitement lisible
est de vingt mots, soit environ moitié de celle obtenue cou-
ramment par les dactylographes. Une écriture extrêmement
rapide, en supprimant les accents et les points sur les z,
mais pas la ponctuation, lisible sans hésitation pour celui qui
l'a tracée, peut atteindre trente-cinq mots.
XIV. — RAPIDITÉ DE l'ÉCRITURE ET DE LA LECTURE. 163
Les télégraphistes exercés transmettent, en Morse, vingt-
cinq mots de cinq lettres par minute, mais ils se dispensent
de différencier les lettres majuscules ou accentuées. C'est
donc une vitesse comparable à celle de l'écriture ordinaire.
L'employé récepteur d'une transmission Morse, qui perçoit
la dépêche par l'audition, l'écrit donc aisément à la plume.
Tous sont d'accord pour dire qu'à l'oreille ils compren-
draient encore les télégrammes sans hésitation, si la vitesse
était beaucoup plus grande. Le phototélégraphe de Siemens
et Halske transmet 2.000 lettres à la minute.
Arrivons au Braille. De toutes les écritures, c'est la
moins rapide, surtout pour qui s'y met sur le tard. J'écris
quatre mots par minute. L'aveugle le plus exercé ne dé-
passe guère huit mots ; à l'aide de l'abrégé, bien peu arrivent
à dépasser dix, et encore, aux dépens de la lisibilité, car en
se pressant trop, on fait des fautes et on écrit mal en points
saillants. Cependant M. Villey, agrégé des lettres, m'affirme
qu'il dépasse 20 mots par minute.
La lenteur du Braille est encore plus marquée quand il
s'agit de la lecture. J'arrive à lire vingt-cinq mots ; beaucoup
d'aveugles-nés en lisent soixante, un petit nombre arrive à
cent, quelques-uns arrivent à cent vingt. M. Deménieux, le
bibliothécaire de l'Association Valentin Haûy, a lu en ma
présence à haute voix, tout près de deux cents mots à la
minute. Au moment où son index droit atteint la fin d'une
ligne, l'index de sa main gauche a déjà parcouru la moitié
environ de la ligne suivante; si bien que presque tout le
temps, la lecture mentale de la main gauche précède d'une
quantité variable la lecture de la main droite, laquelle
précède probablement plus ou moins la parole.
Après avoir récapitulé les vitesses obtenues actuellement,
il est intéressant de se demander si l'avenir ne nous réserve
pas des progrès dans la facilité et la rapidité des procédés
d'inscription de la parole.
L'un des procédés de la sténographie réside dans le retour
à l'artifice qu'emploient encore aujourd'hui les langues sémi-
tiques, et qui consiste à supprimer la plus grande partie des
voyelles. Une accélération plus grande encore peut être obte-
nue par un retour à un passé encore plus lointain; je veux
parler de l'écriture syllabique dérivée de l'hiéroglyphique :
c'est quelque chose d'analogue à nos rébus.
164 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
Supposons un signe hiéroglyphique représentant un chat
et un autre représentant un pot, la succession de ces deux
signes représentera le mot « chapeau ». Une écriture sylla-
bique est évidemment bien plus rapide à tracer, mais bien
plus lente à apprendre, qu'une écriture phonétique. La ma-
chine à sténographier Lafaurie et celle de Bivort, si rapides,
font usage de signes syllabiques.
On est donc tenté de formuler ce paradoxe apparent, que,
dans certains cas plus une écriture est rapide et plus l'acqui-
sition des signes qui la constituent doit demander de temps ;
et, en effet, aucune écriture n'est plus simple et plus vite
apprise que la phonographie pour aveugles de Barbier
(page 55), tandis qu'il faut un apprentissage excessivement
long pour employer avec aisance la sténographie Prévost-
Delaunay, ou la machine sténodactyle de Lafaurie.
Les peuples d'Extrême-Orient possèdent deux écritures,
l'une idéographique à l'usage des lettrés, internationale à tel
point que, commune à un grand nombre de peuples asiati-
ques, aux Chinois et aux Japonais, etc., elle est également
lisible pour ces deux peuples dont les langues sont profon-
dément différentes, et l'autre, phonétique, si facile que les
Européens se l'assimilent après un court séjour au Japon ;
de même, nous devrions peut-être avoir deux écritures,
l'une phonétique, facile à apprendre et suffisante pour la
masse profonde de la population et l'autre, étymologique et
compliquée, à l'usage des érudits.
En résumé, dans les temps modernes, l'écriture s'accélère
par l'évolution des langues, par celle de l'orthographe, et,
pour les professionnels, par le progrès de la sténographie et
des machines, lesquelles étendent même leur domaine aux
dépens des ouvriers typographes.
Quant à la lecture, il ne semble pas utile de rechercher
les "moyens de la rendre plus rapide, car la rapidité de la
lecture mentale est bien supérieure à celle de la parole, sauf
pour la lecture des aveugles, à l'accélération de laquelle je
consacrerai un chapitre spécial.
L'une des plus frappantes manifestations du progrès
consiste dans l'amélioration du rendement du travail hu-
XIV. — RAPIDITÉ DE L'ÉCRITURE ET DE LA LECTURE. 165
main. Le souci de cette amélioration, en ce qui concerne
l'écriture, constitue un lien entre la plupart des chapitres
qui précèdent; mais, tandis que notre attention se portait
sur les progrès scientifiques obtenus ou à obtenir, il ne faut
pas oublier qu'une évolution naturelle agit dans le même
sens.
Dans l'Introduction de son Histoire de l'Ecriture dans
l'Antiquité, livre déjà cité plus haut. M. Philippe Berger
s'exprime ainsi :
Le grand facteur des transformations de l'écriture qui ont
abouti à la création de nos alphabets modernes, c est la
paresse de la main, qui cherche à se soulever le moins sou-
vent possible et à faire en un seul trait, ce qu'on faisait en plu-
sieurs ; ou plutôt, à prendre les choses de plus haut, c'est la
loi du moindre effort, par laquelle s'expliquent tous les pro-
grès de l'industrie humaine et qui consiste à produire le même
travail en dépensant moins de force.
La loi du moindre effort régit non moins utilement la
lecture que l'écriture. On en a vu des applications dans
plusieurs des paragraphes précédents.
Cette préoccupation a dominé également, sans que cela
fût dit explicitement, dans l'exposé que j'ai fait des écritures
sténographique et musicale, et elle est la base des considé-
rations qu'on trouvera dans la troisième partie, sur les
moyens d'accélérer la lecture des aveugles.
Nos écritures liées et penchées, plus rapides que leurs
devancières, sont distancées par la dactylographie et surtout
par la sténographie, et l'inscription sténographique est bat-
tue par l'inscription phonographique, dont la vitesse est égale
à celle de la parole.
*
S'il est intéressant d'étudier les procédés qui permettent
de rendre la lecture et l'écriture aussi faciles et aussi ra-
pides que possible, il est plus intéressant encore de recher-
cher les moyens d'accélérer l'enseignement de l'une et de
l'autre. Cette question pédagogique dont la solution a pour
effet d'augmenter le rendement de l'école, ou, en d'autres
166 DEUXIÈME PARTIE. — CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES.
termes, de demander le moindre effort aux maîtres et aux
élèves, préoccupe à juste titre les pédadogues.
Les développements dont elle a été l'objet, dans les cha-
pitres IV et V, ne nous ont pas dispensé de l'examiner sous
un autre aspect dans le présent chapitre, où nous avons
donné à l'examen de la réforme orthographique une place
considérable, ce qui nous permettra d'être plus bref dans
les chapitres que nous consacrons, plus loin, à l'enseigne-
ment de la lecture et de l'écriture.
TROISIÈME PARTIE
DÉDUCTIONS PRATIQUES
Les personnes qui s'occupent d'hygiène scolaire trouveront
ici, sous une forme tout à fait familière, des conseils relatifs
à l'éclairage diurne et nocturne, à la confection des livres et
atlas, enfin à l'enseignement de l'écriture, conseils fondés sur
les notions théoriques relatives à l'optique de l'œil, à la pho-
tométrie, à l'acuité visuelle, et aux mécanismes physiologi-
ques de l'écriture et de la lecture.
C'est sur ces mêmes théories que s'appuient les chapitres où
il sera traité du déchiffrement des écritures, des expertises et
de la planchette à écrire pour aveugles.
C'est également en se fondant sur les théories exposées
dans la précédente partie de ce volume qu'a été écrit en
1880, et remanié avec le concours de M. Dreyfuss, le cha-
pitre XVII, sur la typographie compacte.
CHAPITRE XV.
L'ÉCLAIRAGE PURL1G ET PRIVE
AU POINT DE VUE DE L'HYGIÈNE DES YEUX.
Vers 1880, les progrès des procédés d'éclairage ont vive-
ment sollicité l'attention du public ; et, notamment d'ardentes
discussions se sont élevées au sujet du meilleur mode d'é-
clairage diurne des écoles ; depuis cette époque nous n'avons
pas cessé de porter notre attention sur les questions d'éclai-
rage, en tenant compte des enseignements de la physiologie
et de la pathologie oculaires.
Eclairage diurne. — On est généralement d'accord pour
préférer la lumière du jour à toutes les autres. Malgré les va-
riations colossales de son intensité, et même de sa coloration,
il ne vient guère à l'idée de personne, dans nos climats,
d'en modifier la composition, en s'affublant de lunettes co-
lorées ou de voiles, ni d'en amortir l'éclat par des verres
fumés : ces tutamina ne deviennent nécessaires que lorsque
nous mettons l'organe dans des conditions tout à fait inso-
lites ; l'oeil sain ne réclame de verres protecteurs que pour les
courses dans les glaciers ou pour les voyages dans les con-
trées où le soleil brille avec un éclat inaccoutumé pour
nous.
Il est impossible de se défendre d'un étonnement extrême
quand on réfléchit aux variations colossales que subit l'adap-
tation de l'œil ; la lumière du soleil est environ un million
de fois plus intense que celle de la pleine lune, et cependant
l'œil permet de distinguer les objets éclairés par l'un ou par
l'autre de ces astres. Les variations de diamètre de la pupille
contribuent pour une faible part à cette précieuse faculté
d'adaptation de l'œil; c'est à peine en effet si, entre la dila-
tation et la contraction extrêmes de l'iris, la surface du
diaphragme formé par cette membrane varie dans la propor-
170 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
tion de 1 à 100. C'est dans la rétine, dont la sensibilité
s'émousse au grand jour, et s'exalte dans l'obscurité, que
réside, pour la grosse part, la faculté d'adaptation de l'œil à
l'éclairage.
Grâce à cette remarquable aptitude, l'œil est précisément
le contraire d'un bon appareil photométrique ; pour lui, des
variations d'éclairage énormes passent tout à fait inaper-
çues, et c'est ce qui nous permet de vaquer à nos occupa-
tions, malgré les variations inimaginables de l'éclairage
diurne.
Il ne faut cependant pas demander à nos organes le maxi-
mum d'adaptation dont ils sont susceptibles ; c'est ainsi que
la lecture d'un livre éclairé par les rayons directs du soleil
aura sûrement pour effet, sinon de nuire à la vue, tout au
moins de déplacer le parcours de l'adaptation au point de
nous rendre incapables, pour un temps plus ou moins long,
de voir clair dans une demi-obscurité. Des recherches très
précises sur les variations de l'adaptation ont été faites par
le professeur Aubert ; bornons-nous à citer en note (1),
comme plus pittoresque, un passage de Théophile Gautier
sur les maisons de Madrid.
Inversement, le séjour prolongé dans l'obscurité peut
exalter la sensibilité de la rétine au point de rendre pénible
un retour brusque à la lumière du jour.
Comme conséquence de ce qui précède, dans les ateliers,
dans les écoles, partout où la place de chaque individu est
marquée, nous devons éviter l'accès de la lumière directe du
soleil, et, d'autre part, nous ne mettrons pas aux chambres
à coucher des volets pleins, qui exposeraient les yeux à pas-
ser brusquement de l'obsBurité complète à la pleine lumière
du jour.
La notion du mécanisme par lequel se fait l'adaptation,
nous conduit aussi à inonder de lumière les salles desti-
nées à recevoir de nombreux travailleurs, dont une partie
(1) Les stores sont toujours baissés, les volets à moitié fermés, de sorte
qu'il reste dans les appartements une espèce de tiers de jour auquel il faut
s'accoutumer, pour savoir discerner les objets, surtout lorsque l'on vient
du dehors. Ceux qui sont dans la chambre voient parfaitement, mais ceux
qui arrivent sont aveuglés pour huit ou dix minutes, surtout lorsqu'une
des pièces précédentes est éclairée. On dit que d'habiles mathématiciennes
ont fait sur cette combinaison d'optique des calculs dont il résulte une sécu-
rité parfaite pour un tête-à-tête intime dans un appartement ainsi disposé.
xv. — l'éclairage public et privé.
171
sera nécessairement éloignée des fenêtres, et elle nous expli-
que pourquoi l'insuffisance de l'éclairage est surtout préju-
diciable aux enfants. En effet, avec un bon éclairage, équi-
valant à plusieurs milliers de bougies à un mètre de dis-
tance, on ne se sert, pour lire, que d'une bien petite fraction
de la cornée ; la contraction de la pupille a pour effet de
diminuer dans une énorme proportion le diamètre des cer-
cles de diffusion que peuvent produire sur la rétine les dif-
férents défauts optiques de l'œil, dont la description a fait
l'objet du Chap. VII. Dans ces conditions, un œil mal
conformé rend des services très suffisants, et se fatigue mo-
dérément. L'éclairage peut varier dans des limites excessi-
vement étendues, sans qu'on perde le bénéfice de la netteté
que procure la contraction extrême de la pupille. Mais,
quand le jour baisse, la scène change : dès que l'image réti-
nienne n'est plus assez lumineuse pour permettre une vision
nette, la pupille se dilate, et l'inégalité entre les différents
yeux devient de plus en plus manifeste. Pour les yeux dont
la construction optique ne laisse rien à désirer, la diminu-
tion d'éclairage passe à peu près inaperçue, car elle est com-
pensée par l'augmentation de surface utile de la cornée. Au
contraire, les yeux moins parfaits ne pouvant plus fonction-
ner convenablement, les hypermétropes, suivant le degré de
l'affection, sont obligés de se livrer à des efforts d'accomo-
dation fatigants, ou même de quitter la partie ; les astigmates
se fatiguent également, ou, ce qui est pis encore, deviennent
myopes par suite de l'habitude qu'ils prennent de compenser
le trouble de leur vue par un rapprochement plus grand de
l'objet, ce qui entraîne des efforts considérables suivis
souvent de l'élongation de l'œil qui caractérise la myopie ;
enfin, ceux qui sont déjà myopes voient augmenter rapide-
ment cette infirmité, pour peu qu'ils s'obstinent à lire malgré
l'insuffisance de l'éclairage (Voyez la note de la p. 189).
Pour les adultes, les inconvénients d'un éclairage insuffi-
sant sont bien moins graves que pour les enfants, et cela
pour plusieurs raisons. D'abord leur pupille est moins dila-
table, ce qui a pour effet de les obliger plus rapidement à
s'abstenir de tout travail quand il ne fait pas assez clair ;
ensuite ils font bien plus fréquemment usage de verres cor-
recteurs plus ou moins exacts ; de plus ils sont rarement
parqués comme des écoliers et contraints de continuer leur
172 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
travail quand l'éclairage devient trop défectueux ; enfin les
enveloppes de l'œil sont bien moins extensibles, et s'ils ont
échappé à la myopie dans leur enfance, malgré les déplora-
bles conditions d'hygiène oùl'on place les yeux des écoliers,
ils ont des chances sérieuses de rester indemnes.
On le voit, c'est surtout au point de vue de la construction
des maisons d'école qu'il faut se préoccuper du bon aména-
gement de l'éclairage diurne. Bien que la mauvaise disposi-
tion des classes ne soit pas la seule cause de la myopie sco-
laire, il importe de formuler des règles qui puissent guider
les architectes et les municipalités dans la confection des
plans. Le nombre considérable d'écoles qu'on est sur le point
d'édifier en France, nous engage à donner quelque dévelop-
pement à cette partie de notre sujet. Nous nous occuperons
plus particulièrement des écoles rurales, de beaucoup les
plus nombreuses, et dont l'édification est souvent confiée à
des architectes inexpérimentés ; nos propositions seront
aisément modifiées en tant que de besoin, par les autorités
qui président à l'édification des écoles urbaines.
Les hygiénistes d'un pays voisin, avaient posé des règles éta-
blissant un rapport entre le nombre des élèves que doit rece-
voir une classe, et la surface qu'il convient de donner au
vitrage, comme si la lumière qui pénètre dans la salle se
partageait entre les enfants un peu de réflexion suffit
pour remarquer que le même carreau de vitre laisse arriver,
suivant plusieurs directions, la lumière à un grand nombre
d'élèves : il n'y a aucune proportionnalité à établir entre la
dimension des baies et le nombre des écoliers. A la suite de
mes publications, les Allemands ont abandonné la célèbre
règle par laquelle, leurs hygiénistes conseillaient : « Trente
pouces carrés de vitrage, par pied carré de plancher ».
Le problème est plus simple : il faut que le point le plus
sombre de la classe soit suffisamment clair, et cette condi-
tion sera remplie, si chaque pupitre reçoit suffisamment la
lumière directe du ciel. Toutes les personnes qui ont fait de
la photographie savent combien, par tous les temps, le ciel
agit plus vivement sur la couche sensible qu'aucun corps
terrestre : il importe que les rayons partis de cette voûte
lumineuse arrivent abondamment à la place la moins favo-
risée de toute la classe (1).
Pour la photométrie, voir plus haut chapitre IX (p. 100).
XV. —
l'éclairage public et privé.
173
Mais s'il est bon que la lumière du ciel pénètre largement
dans la salle, nous n'en dirons pas autant de la lumière
directe du soleil, qui est trop vive et qu'il convient d'éviter.
— Si cette disposition ne présentait pas d'autres inconvé-
nients, il serait facile d'obtenir un éclairage suffisant, par la
lumière diffuse, en n'ouvrant de fenêtres que du côté nord;
avec un pareil éclairage latéral, on mettrait les bancs per-
pendiculairement au mur occupé parles baies; les élèves
recevraient le jour de haut en bas et de gauche à droite, ce
qui est très convenable pour écrire, et le résultat serait assez
satisfaisant, si le ciel n'était pas caché par une construction
voisine. Pour les élèves placés le plus loin des fenêtres, il faut
ouvrir de nouvelles baies qui devront être situées de pré-
férence dans la paroi opposée, et, à la rigueur, derrière les
élèves. Dans tous les cas, il faut éviter de mettre des jours
en face des élèves, règle dont les architectes se soucient
médiocrement, mais dont la justesse est incontestable.
Les statistiques, d'accord avec la théorie, démontrent que
l'éclairage bilatéral ne présente aucun inconvénient pour la
conservation de la vue ; il n'y a nulle part moins dè myopes
que dans une école libre, dont j'ai examiné tous les élèves,
et où les classes reçoivent largement le jour des deux côtés
et aucune école ne fournit de plus tristes résultats que les
constructions neuves de Zittau, où les classes ne reçoivent
le jour que d'un côté, pour obéir à certaines idées théori-
ques.
Du moment où l'éclairage devient bilatéral, il faut renoncer
à l'orientation que nous avons supposée jusqu'ici, parce
qu'elle amènerait à pratiquer une partie des jours vers le Sud,
ce qui est intolérable à cause de l'éclat très grand du soleil
au milieu de la journée. On est donc conduit, sous le climat
de Paris, à demander que l'axe de la classe soit dirigé du
nord au sud, sauf à tempérer par des rideaux transparents
l'éclat du soleil du matin et du soir. Ce système présente de
plus l'avantage d'éclairer au mieux le matin et le soir, pen-
dant les courtes journées d'hiver.
Dans cette orientation de la classe, nous admettrons une
certaine latitude ; en l'accordant de quarante degrés de part
et d'autre, c'est-à-dire en acceptant pour l'axe toutes les
positions comprises entre le nord-ouest et le nord-est, ce
qui suffit pour se prêter à toutes les dispositions possibles
174 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
du terrain, on recommanderait d'incliner l'axe plutôt vers le
nord-est que vers le nord-ouest, pour des raisons d'hygiène
générale, de manière à recevoir le soleil plus longtemps le
matin que le soir. Autant que possible, le maître fera face au
midi, afin que, pendant les jours courts, les élèves reçoivent
la lumière plutôt par derrière que par devant.
Dans le nord de la France, nous admettrons l'ouverture
au haut de la paroi sud d'un jour qu'on pourra tempérer par
un rideau quand le soleil donnera et qui rendra dés services
pendant les temps sombres.
Il est absolument indispensable d'assurer, non seulement
pour le présent, mais encore pour l'avenir, en prévoyant les
constructions voisines, le libre accès de la lumière dans
les classes, et pour atteindre ce but il suffît de le vouloir; en
effet la dépense se réduit à l'acquisition d'un terrain assez
grand pour isoler convenablement l'école, dépense tout à
fait insignifiante, car ce terrain est de peu de valeur dans les
communes rurales.
Et d'ailleurs ne faut-il pas ménager un préau pour les
élèves, un jardin pour l'instituteur? La question se réduit
donc à placer la construction dans une partie convenable du
terrain destiné à recevoir l'école et ses dépendances.
Admettons que la largeur de la partie de classe éclairée
par des baies situées d'un côté soit égale à la distance du
haut des fenêtres au sol ; l'élève le plus mal placé ne recevra
de jour que par la moitié supérieure des fenêtres, s'il existe
une construction voisine dont la hauteur soit précisément
égale à la moitié de la distance qui sépare l'axe de la classe
du pied de cette construction voisine. En posant donc sim-
plement la règle qu'on devra toujours réserver, de part et
d'autre de l'axe de l'école, un espace libre d'une largeur au
moins égale au double de la hauteur des plus grandes cons-
tructions en usage dans la contrée, on aura amplement satis-
fait aux nécessités, étant bien entendu qu'on a adopté l'éclai-
rage bilatéral pour les classes dont la largeur dépasse
4 mètres (1).
(1) D'après le décret du 27 juillet 1859, la hauteur des maisons neuves
ne devait pas dépasser à Paris :
llm,70 dans les rues où la largeur est inférieure à 7m,80
14 60 L _ 9 75
17 55 — — supérieure à 9 75
20 00 _ r _ 20 00
xv. — l'éclairage public et privé.
175
Quant à l'ombre que peuvent apporter les arbres plantés
par les voisins, il me paraît difficile de poser des règles fixes
Transportons la classe unilatérale du type officiel, large de 6 mètres
et haute de 4 mètres, au rez-de-chaussée d'une maison bordant la rue, et,
sans tenir compte de l'épaisseur des murs ni de la hauteur des tables,
recherchons si, dans cette classe, représentée en coupe par le rectan-
gle ABCD, le point A reçoit la lumière directe du ciel. Dans ce but,
mesurons à partir du point B des distances de 7m,80 9m,75 et 20 mètres
et aux points G, H et I, ainsi déterminés, élevons des verticales mesurant
respectivement llm,70, 14m,60, 17m,55 et 20 mètres, puis par les points K,
L, M et N ainsi obtenus, menons des horizontales ; enfin .prolongeons la
verticale GK jusqu'en O. Nous obtenons alors une sorte de gradin
JKOLMPN ; la prolongation de l'oblique AC se trouve entièrement sous
ce gradin, jusqu'à l'abcisse 24 ; le point A ne verra donc le ciel que si
la classe est située sur une avenue d'une largeur supérieure à 24 mètres.
Passons au premier étage et supposons qu'on ait sacrifié le rez-de-
chaussée pour d'autres services et que le plancher soit à 4 mètres au-
dessus du sol ; la classe sera figurée par le rectangle CDEF. Sauf une
exception pour les rues dont la largeur est comprise entre 6 et 8 mètres,
ce n'est qu'à partir de la largeur de 14m,20 qu'il parviendra une parcelle
de lumière directe en D, et encore avons-nous négligé les lucarnes qui
peuvent s'élever au-dessus de la hauteur accordée pour les façades des
maisons. Même sur un boulevard de 20 mètres, l'éclairage d'une classe
située au premier étage sera compromis. On voit donc qu'il ne sera
possible que très exceptionnellement, dans les villes, de disposer d'un
jour suffisant pour permettre l'emploi de l'éclairage unilatéral, heureux
si l'on parvient toujours à obtenir assez de lumière au moyen de baies
percées dans les deux faces.
Pour que l'éclairage soit véritablement bon, il faut au moins faire voir
le ciel à travers les impostes, auxquels nous donnons une hauteur de
176 TROISIÈME PARTIE. — ■
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
pour en éviter les inconvénients, qui sont bien atténués par
l'absence des feuilles pendant les courtes journées de l'hiver
et par l'intensité de la lumière dont on jouit généralement
en été ; il faudrait cependant attirer sur ce point l'attention
des autorités locales.
Je ne me dissimule pas les résistances que les municipalités
et les architectes opposeront à la mise en pratique des règles
que je viens de formuler. Les amours-propres locaux ne
céderont pas aisément quand on leur demandera de cons-
truire l'école obliquement par rapport à l'alignement de la
rue. Pour les amener à ne laisser en façade qu'un pignon sans
fenêtres, ce qui est nécessaire quand le terrain est au sud
d'une rue dirigée de l'est à l'ouest, il ne faudra rien moins
qu'un refus de subvention du département et de l'Etat.
L'énergie des résistances auxquelles les principes que je
viens d'exposer se sont heurtés et se heurteront encore, ser-
vira d'excuse à la vivacité de mon langage.
Au moment où paraît devoir s'ouvrir une nouvelle ère de
constructions d'écoles il m'a semblé utile de répéter ici,
presque dans les mêmes termes, les indications dont j'avais
saisi les autorités scolaires à la veille du grand mouvement
de 1881.
1 mètre ; on obtient ainsi les obliques AC et DF' qui démontrent qu'à
Paris une classe de 6 mètres, au rez-de-chaussée, ne sera vraiment claire
qu'en face d'un espace libre large de 30 mètres ; au premier étage, il faut
encore une avenue de 25 'mètres, plus large que bien des boulevards.
Pour plus de détails, consulter, dans la Revue d'hygiène (15 août 1879)
une discussion où l'on trouvera un plaidoyer de M. Emile Trélat en faveur
de l'éclairage unilatéral, une excellente réplique de M. Gariel, et, à titre
de curiosité, la communication suivante :
« M. Leroy des Barres. — J'ai l'honneur de mettre sous les yeux des
membres de la Société les plans de l'Ecole communale du cours Chavigny,
à Saint-Denis, dans laquelle l'éclairage des classes est unilatéral.
« L'école comprend trois corps de bâtiments : l'éclairage du bâtiment
médian est sud, celui des bâtiments latéraux est est et ouest. Chaque
classe est carrée (7,70 sur 7,70) et est éclairée par deux baies dont cha-
cune a 2 mètres de largeur et 4 mètres de hauteur. La hauteur du linteau
est à 5 mètres du sol. — Grâce à la hauteur des baies d'éclairage, la sur-
face lumineuse est très étendue, et l'éclairage est très satisfaisant, à en
juger dans cette saison, même dans la partie profonde de la classe. Le
mobilier est disposé pour que chaque enfant reçoive la lumière par le
plan latéral gauche. — Toutes les classes prennent jour sur une cour inté-
rieure de récréation de 1500 mètres ; par conséquent ces bonnes conditions
d'éclairage ne seront jamais compromises.
« Je dois à M. Laynaûd, architecte de la ville de Saint-Denis, de pou-
voir mettre sous les yeux de nos collègues ces plans si intéressants. »
Voilà donc, à la porte de Paris, une immense école, presque terminée,
XV.
— l'éclairage public et privé.
177
Éclairage artificiel. — La différence capitale entre l'éclai-
rage naturel et l'éclairage artificiel réside dans l'excessive
faiblesse de ce dernier. Pour prouver combien le plus bril-
lant éclairage artificiel est faible, il suffit de remarquer
combien est insignifiante la clarté produite en plein jour
par une lampe ou un bec de gaz. Autre preuve : ainsi
qu'il est facile de s'en convaincre, dans les lieux de réunion
les plus brillamment éclairés, les pupilles ont un diamètre
beaucoup plus considérable qu'en plein jour.
Le sentiment du public, pour lequel un éclairage à giorno est
toujours une forte attraction, confirme pleinement nos vues
théoriques. D'année en année nous voyons, par un effet de
la concurrence, les lieux publics s'éclairer de plus en plus
vivement ; il faudra bien que les municipalités suivent le mou-
vement, et nos petits-enfants, en nous entendant parler des
lanternes que la police oblige de mettre aux voitures, seront
bien plus surpris que nous ne le sommes en pensant qu'il y
a cent ans les piétons ne circulaient pas la nuit sans lan-
ternes dans les rues de Paris.
Si ce mouvement vers un éclairage plus vif se produit
plus lentement dans les habitations, il n'en faut accuser que
le haut prix des matières éclairantes. Tandis qu'avec une
dépense relativement minime nous chauffons nos habita-
tions au point d'en bannir totalement le froid, il faudrait
une dépense folle pour éclairer les appartements dans toutes
leurs parties ; c'est pourquoi sans pousser les choses aussi
loin que l'horloger qui fait converger les rayons lumineux
au foyer d'une grande lentille, nous avons soin de placer sur
notre lampe un abat-jour pour concentrer la lumière, et de
mettre à profit la loi inverse du carré des distances pour
obtenir un éclairage suffisant au moyen d'un rapproche-
ment extrême de la source lumineuse qui éclaire notre
papier. Dans le cas de certains défauts optiques de l'œil
dont la correction ne peut se faire exactement par des
verres, il m'est arrivé de conseiller l'emploi de plusieurs
lampes du plus fort calibre pour permettre de lire la nuit
dit-on, qui sera dans des conditions absolument défectueuses et que ses
auteurs présentent naïvement comme un modèle ! les hygiénistes n'ont pas
la prétention de donner aux architectes des leçons d'art décoratifs ; ne
serait-il pas équitable que les architectes consentissent à se laisser diriger
par les médecins en matière d'hygiène?
javal. 12
178 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
aussi facilement et avec aussi peu de fatigue qu'en plein
jour.
La lumière artificielle ne diffère pas uniquement de la
lumière du jour par le degré bien moins élevé de son inten-
sité : chaque source de lumière artificielle possède une com-
position spectrale différente. Sauf pour la lumière électrique,
pour celle du magnésium, tous ces spectres sont très som-
bres du côté le plus réfracté ; les rayons chimiques, les vio-
lets et les bleus, y présentent une très faible intensité. On
en a conclu que la lumière des flammes, bien plus pauvre
en rayons chimiques que la lumière solaire, devrait lui être
préférée par les travailleurs. Peut-être trouvons-nous là
l'explication du cas de Barthélémy Saint-Hilaire qui ne
pouvait travailler aisément le jour qu'à condition de fermer
ses volets et d'allumer sa lampe ; s'il en est ainsi, des lunet-
tes taillées dans ce verre jaune que les photographes emploient
pour éclairer leurs laboratoires, et qui élimine fort passable-
ment les rayons chimiques, aurait pu permettre à ce savant
de renoncer à son singulier système.
Si l'absence de rayons chimiques est un avantage, ce qui
est possible, il ne semble pas que cette supériorité de la
lumière des flammes soit bien généralement appréciée, caria
plupart des personnes préfèrent, et de beaucoup, la lumière
blanche du jour. Je serais tenté d'attribuer une utilité plus
grande à la pâleur des rayons bleus et violets dans les spectres
de certaines flammes; en effet, quand la lumière est faible, la
dilatation de la pupille doit avoir pour effet de rendre plus
sensible le chromatisme de l'œil, et il est heureux que
cet inconvénient des lumières artificielles soit compensé par
un raccourcissement considérable de leur spectre, circons-
tance sans laquelle l'œil aurait besoin d'être achromatisé pour
donner des images nettes le soir. Cette considération vient
à l'appui de la proposition que j'ai faite de prescrire l'em-
ploi de verres jaunes aux personnes dont la pupille est for-
tement dilatée en plein jour et qui sont affectées de certaines
formes rebelles d'asthénopie ; proposition introduite avec
succès dans la pratique par Fieuzal. En tout cas, si la
lumière électrique produisait de mauvais effets sur la rétine
par suite de ses rayons chimiques, rien n'empêcherait
de remédier à cet inconvénient en donnant aux globes
qui l'entourent une teinte jaune dont l'interposition ne
XV. —
l'éclairage public et privé.
179
ferait pas perdre une quantité de lumière bien notable (1).
Tous nos éclairages artificiels sont d'une pauvreté misé-
rable, et ce n'est pas dans l'éclat excessif des sources lumi-
neuses mais bien dans leur insuffisance qu'il faut chercher
le motif de la fatigue qui accompagne souvent le travail du
soir.
Combien n'entend-on pas de personnes dire qu'elles se
sont brûlé la vue en travaillant à la lumière du gaz ou de
l'électricité? et de ne pouvoir plus lire à la lueur d'une bou-
gie ou d'une petite lampe ; elles devraient comprendre que
la même gêne se serait produite, avec les progrès de l'âge,
si elles n'avaient pas fait usage de gaz ou d'électricité et
qu'en réalité, grâce à un éclairage meilleur, elles ont été
mises à même de continuer, pendant des années, des travaux
auxquels elles auraient dû renoncer si elles avaient été
réduites au chétif luminaire qui leur suffisait dans leur
jeunesse.
En résumé, pour l'éclairage artificiel, privé ou public,
comme pour l'éclairage diurne des vastes salles dont toute la
superficie doit être occupée par des travailleurs, l'hygiéniste
peut s'approprier le mot de Gœthe mourant : « Apportez de
la lumière, encore plus de lumière ! »
(1) On trouve dans le commerce des lampes à incandescence à ampoule
jaune, auquelle certaines personnes, donnent instinctivement la préfé-
rence.
CHAPITRE XVI.
LES LIVRES ET LA MYOPIE.
Nous nous proposons dans ce chapitre d'étudier l'influence
que la mauvaise confection typographique des livres exerce
sur le développement de la myopie.
Nous commencerons par donner quelques notions très
sommaires sur certains points de l'anatomie et de la physio-
logie de l'œil, et plus particulièrement de l'œil myope (1).
Nous rechercherons ensuite les causes qui font de la lec-
ture une occupation particulièrement fatigante.
En nous fondant sur les données que nous aurons ainsi
réunies, nous indiquerons les modifications qu'il nous
paraît urgent d'apporter à la confection des livres clas-
siques.
Enfin nous terminerons par quelques considérations sur
la myopie progressive.
Anatomie et Physiologie. — Nous avons dit plus haut
(p. 65), que l'œil myope est celui dont la longueur est trop
grande. Dans un organe affecté de ce défaut, l'image renversée
des objets extérieurs éloignés, au lieu de se peindre sur la
rétine, est située plus en avant ; il en résulte que la mem-
brane sensible reçoit une image d'autant moins nette que
la myopie est plus considérable.
De nombreuses observations nécroscopiques concordent
pour démontrer que la myopie n'existe presque jamais chez
les enfants nouveau-nés. L'examen fonctionnel démontre
aussi que la myopie ne se présente guère chez les jeunes
(1) Il a été traité des origines de la myopie avec quelques détails
dans le chapitre VII ci-dessus, p. 65 ; on rencontrera ici quelques redites
à l'usage des personnes qui, rebutées par sa longueur et son caractère
abstrait, auraient laissé de côté ce chapitre VII.
182 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
enfants. Nous n'avons pas de statistiques précises à cet
égard, mais je ne me souviens pas d'avoir jamais été consulté
pourdes myopes âgés de moins de sept ans, et cependant les
enfants de cinq ou six ans sont bien assez développés pour
que leur myopie, si elle existait, se traduise par des faits pal-
pables et assez accentués pour attirer l'attention d'une mère
tant soit peu anxieuse. D'autre part, je ne manque jamais
d'interroger patiemment les jeunes myopes qui me sont
amenés, et quand ces enfants ont des souvenirs un peu loin-
tains, l'interrogatoire permet souvent de remonter à l'époque
où ils voyaient parfaitement bien au loin.
Ces résultats d'expérience concordent tout à fait avec
ceux des nécropsies et avec les renseignements fournis par
l'examen ophtalmoscopique des myopes. — On sait, en effet,
que l'élongation de l'œil myope s'accompagne générale-
ment de la production d'un staphylôme postérieur, c'est-
à-dire d'une distension dont la partie postérieure est le
siège.
L'examen posl mortem a démontré que le staphylôme de la
partie postérieure de l'œil siège habituellement au voisinage
du point d'entrée, ou papille, du nerf optique. La sclérotique
a. cédé en se distendant, mais la choroïde, le plus souvent,
s'est rompue de telle manière qu'elle cesse de tapisser la
partie de la sclérotique qui avoisine le nerf optique. Cette
altération s'aperçoit très aisément sur le vivant, lorsqu'on
explore le fond de l'œil en faisant usage de l'ophtalmoscope :
on aperçoit la sclérotique sous forme d'un croissant ou
même d'un anneau blanc, plus ou moins large, le long de
l'image ophtalmoscopique de la pupille. Il n'y a pas de forte
myopie sans staphylôme, ët on ne voit guère de staphylôme
dans des yeux exempts de myopie. Nous avons donc en notre
pouvoir un moyen simple et rapide de reconnaître la myopie
chez les enfants qui ne savent pas encore lire.
Autre moyen d'étude : certains ophtalmoscopes présentent
une disposition qui permet à l'observateur de mesurer la
myopie sans recourir à aucun interrogatoire. J'ai dû, en qua-
lité de médecin-major auxiliaire, examiner ainsi, en 1870, un
assez grand nombre de mobilisés qui, lors d'une première
révision, avaient réussi à se faire exempter en simulant la
myopie; ce procédé ou mieux encore la skiascopie permet-
tent d'atteindre une grande précision. On voit donc que
XVI.
LES LIVRES ET LA MYOPIE.
183
les moyens de constater la myopie chez les jeunes enfants
ne nous font pas défaut et que nous avons le droit d'affirmer
de visu que l'élongation du globe oculaire n'est presque
jamais congénitale et ne se produit le plus souvent qu'à partir
de l'âge où les enfants apprennent à lire.
Quel est le mécanisme de cette élongation? — Nous ne
pouvons adopter, sur ce point, l'opinion la plus répandue,
d'après laquelle l'œil s'allongerait par suite du tiraillement
exercé sur lui par les muscles moteurs pendant l'acte de
la convergence; aux auteurs de cette explication il nous
suffira de répondre que les borgnes, qui n'ont pas be-
soin de converger pour regarder de près, n'échappent en
aucune façon à la myopie. Voici, suivant nous, comment se
produit cette affection. Il existe, derrière l'iris, autour du
cristallin, un muscle circulaire, connu sous le nom de mus-
cle ciliaire, auquel Brucke, lorsqu'il le découvrit, donna le
nom de tenseur de la choroïde. Ce muscle contient des
fibres qui, par l'intermédiaire de la zonule de Zinn, agissent
sur le cristallin et dont la contraction a pour effet d'aug-
menter la convexité de cette lentille, et, par suite, la réfrin-
gence de l'appareil dioptrique oculaire. Il n'importe pas ici
d'entrer dans le détail de ce mécanisme, par lequel se fait
l'accommodation de l'œil aux distances ; mais il est néces-
saire, au contraire, pour notre objet, de faire entrer en
scène certaines fibres du muscle ciliaire qui, dirigés d'avant
en arrière, vont se noyer dans la choroïde et de citer les
belles expériences de Hensen et Voelkers, d'après lesquelles
pendant l'accommodation, ces fibres se contractent de ma-
nière à exercer sur la choroïde la tension pressentie par
Brucke quand il découvrit le muscle accommodateur. Il nous
semble légitime d'admettre que, dans certains yeux, lors des
efforts d'accommodation, le muscle ciliaire exerce sur la
choroïde une traction assez énergique pour produire la dis-
tension et la rupture de cette membrane en son point le plus
faible, c'est-à-dire au pourtour du nerf optique. Nous ne se-
rons pas surpris de voir se produire ultérieurement une
ectasie postérieure de la sclérotique : dans l'organisme on
voit assez souvent le contenant s'adapter aux changements
de forme du contenu, malgré des différences de résistance
considérables. Il suffit de penser aux déformations des os
auprès des anévrismes pour ne pas être surpris de voir la
184 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
sclérotique se modeler sur les membranes dont elle est
l'enveloppe.
Si donc on nous parle de myopie héréditaire, nous répon-
drons qu'il peut seulement exister une prédisposition hérédi-
taire à la myopie; on conçoit assez bien qu'un excès de force
des fibres choroïdiennes du muscle ciliaire puisse prédis-
poser à la myopie, et c'est même ce qui paraît résulter des
recherches d'Iwanoff sur la structure de ce muscle. Il se
peut aussi que, dans certaines familles, ou dans certaines
races, la résistance de la choroïde soit plus grande que dans
d'autres. Mais les résultats statistiques sont là pour nous
empêcher d'attribuer une importance exagérée à ces prédis-
positions natives : les relevés que j'ai faits d'après mes
observations personnelles concordent avec des travaux
analogues, faits en Allemagne, pour n'attribuer à la prédispo-
sition héréditaire qu'une influence tout à fait restreinte dans
la production de la myopie.
Il m'a paru nécessaire de faire ressortir la faible impor-
tance du rôle joué par l'hérédité dans la production de la
myopie, car si l'hérédité exerçait une action prépondérante
dans l'affaire, nous aurions peu de chance d'obtenir des ré-
sultats considérables en nous occupant de modifier l'influence
du milieu et celle de l'objet.
C'est à cette dernière que nous devons nous attaquer
maintenant, et nous pensons que c'est dans une modification
de l'impression des livres classiques qu'il faut chercher un
des principaux moyens préventifs contre le développement
de la myopie chez les écoliers et même chez les adultes.
Causes qui rendent la lecture fatigante. — Ce n'est pas sans
raison que la lecture passe pour l'une des occupations les
plus fatigantes qu'on puisse imposer à la vue ; nous allons
rechercher les causes spéciales de la fatigue éprouvée par
tant de personnes, lorsqu'elles lisent pendant longtemps sans
désemparer, et déduire de cette étude les conditions qu'il
faut remplir pour pouvoir lire impunément pendant un
temps presque indéfini.
Il faut remarquer tout d'abord que la rétine peut fonction-
ner sans interruption toute la journée, sans qu'il se produise
le moindre symptôme de fatigue. En effet, à la chasse ou en
voyage, nous pouvons regarder autour de nous pendant des
XVI. —
LES LIVRES ET LA MYOPIE.
185
journées entières sans que nos yeux éprouvent jamais le
moindre sentiment de lassitude.
Il n'en est plus de même, quand nous appliquons notre
vue à distinguer des objets très rapprochés : dessinateurs,
écrivains, ouvriers de précision ou couturières, ceux qui
passent de nombreuses heures tous les jours à leur table de
travail, sont sujets à se fatiguer plus ou moins et à devenir
myopes. L'application prolongée de la vue sur des objets voi-
sins est donc une cause de fatigue si généralement reconnue,
qu'elle n'est mise en doute par personne. Ce n'est pas une
raison pour poser en axiome l'influence nocive de la vision
des objets voisins ; à priori, rien ne permettait de prévoir ce
fait, qu'il nous faut accepter tout d'abord comme purement
expérimental.
Nous avons réfuté tout à l'heure l'opinion, généralement
accréditée, qui attribue à la tension des muscles oculomo-
teurs droits internes une bonne part, sinon la totalité de la
fatigue occasionnée par la vision prolongée d'objets voisins.
Molière nous paraît avoir fait justice, par avance, de cette
théorie, par la bouche de Toinette; si elle était exacte, les
borgnes seraient bien mieux lotis que le commun des mor-
tels. C'est par une tension permanente interne que nous
avons expliqué la fatigue de l'homme de lettres, de l'artiste
et de l'ouvrier de précision.
Mais cette fatigue, et la myopie qui en résulte si souvent,
atteignent un degré d'intensité et de fréquence bien plus re-
marquable chez le lecteur que chez les ouvriers qui se livrent
au travail le plus assidu ; pour le démontrer il n'est même
pas besoin de recourir aux statistiques, dont les résultats
confirment d'ailleurs nos assertions. Passez en revue les
artisans, les couturières, les artistes les plus laborieux que
vous connaissez, et si vous prenez la peine de mettre en
parallèle le nombre des myopes que vous remarquez parmi
eux et celui des myopes que vous comptez parmi les savants
de votre connaissance, c'est parmi ces derniers que la pro-
portion des myopes est la plus grande, et de beaucoup. Con-
naissez-vous beaucoup de bibliothécaires qui ne soient pas
myopes ? Comptez-vous beaucoup de myopes parmi les cou-
turières?
Autre exemple : entrez dans la salle de rédaction d'un
journal, les myopes sont en majorité ; passez dans l'atelier
186 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
des compositeurs, la proportion est retournée; et cependant
les compositeurs, tout comme les couturières, fournissent
généralement un nombre effectif d'heures de travail bien
plus grand que les littérateurs les plus laborieux.
Remarquons encore, parmi les littérateurs, la fréquence
plus grande de la myopie chez ceux qui lisent beaucoup :
le compilateur a bien plus de chances d'être myope que le
poète, l'auteur dramatique ou le compositeur de musique.
Si nous voulons remonter aux causes, nous remarquerons
tout d'abord que la myopie date souvent de l'enfance : nous
consacrerons plus loin un paragraphe spécial à la myopie
des écoliers. Mais nous ferons observer dès à présent que,
de tous les apprentissages exigeant une vision exacte, celui
de la lecture et de l'écriture est le seul qui soit pratiqué dès
l'âge de six ou sept ans.
Nous noterons ensuite que la lecture exige une appli-
cation absolument permanente de la vue. L'artiste, l'écrivain,
l'artisan même, interrompent à tout instant leur travail
pour réfléchir; tandis que le lecteur n'accorde pas un instant
de repos à l'organe. La couturière n'a besoin de toute son
attention qu'au moment où elle pique dans l'étoffe, le typo-
graphe ne regarde la lettre que, tout au plus, au moment où
il la saisit, tandis que le lecteur voit défiler les mots sans
trêve ni relâche pendant des heures. Cette application con-
tinue est accompagnée nécessairement d'une tension perma-
nente du muscle ciliaire, tension dont nous avons signalé
les inconvénients dans le paragraphe précédent.
En troisième lieu, les livres sont imprimés en noir sur fond
blanc ; devant eux, l'œil est donc en présence du contraste
le plus absolu qu'on puisse imaginer, et il n'est guère de
profession où cette circonstance se présente à un aussi
haut degré. — Nous proposons d'atténuer les inconvénients
de ce contraste en faisant usage de papier jaune pour l'im-
pression des livres. La nature du jaune à employer n'est
pas chose indifférente. Nous préférerons du jaune résultant
de l'absence des rayons bleus et violets, analogue à celui
que donnent les pâtes de bois et qu'on corrige bien à tort
par une addition de bleu d'outremer, ce qui donne du gris
et non pas du blanc. — En effet, l'œil n'étant pas
achromatique, la vision doit être plus nette quand on
XVI.
— LES LIVRES ET LA MYOPIE.
187
supprime l'une des extrémités du spectre fourni par la cou-
leur du papier; ne pouvant amortir le rouge, sous peine
d'avoir une teinte d'un vert foncé qui serait insupportable,
surtout à la lumière du gaz, il faut recourir à un papier
qui réfléchisse le bleu et le violet plus faiblement que les
autres couleurs ; le papier jaune, de la teinte produite par
la pâte de bois, remplit bien ces conditions (Voy. p. 178
et 179).
Pour l'encre d'impression nous ne voyons pas de raison
pour choisir une couleur autre que le noir. Chose étrange :
il n'est pas utile que ce noir soit parfait, car, d'après Grœ-
nouw, si au lieu de tracer sur un fond blanc un dessin avec
un noir intense cinquante-huit fois moins lumineux que ce
fond, on les trace avec du gris seulement seize fois moins
lumineux la visibilité est à peine diminuée.
Une quatrième particularité de la lecture réside dans la
disposition des caractères en lignes horizontales que nous
parcourons du regard. Si nous conservons, pendant la lec-
ture, une immobilité parfaite du livre et de la tête, les lignes
imprimées viennent se peindre successivement sur les
mêmes parties de la rétine, tandis que les interlignes, plus
claires, affectent constamment aussi des parties de la rétine
toujours les mêmes ; il doit en résulter une fatigue analogue
à celle qu'on éprouve quand on fait des expériences sur les
images accidentelles (1) et très certainement les physiciens
ne nous contrediront pas si nous affirmons que rien n'est
plus funeste pour la vue que la contemplation prolongée de
ces images. — Ceci nous amène à donner la préférence aux
petits volumes, qu'on peut tenir à la main, ce qui suffit
pour éviter la fixité absolue du livre et la fatigue résultant
des images accidentelles.
Il est enfin une cinquième cause de fatigue, résultant des
variations que subit l'accommodation des myopes pendant la
(1) On nomme images accidentelles des images subjectives qu'on aperçoit
lorsqu'après avoir fixé pendant quelques secondes des objets extérieurs, on
vient à fermer subitement les yeux. Ces images se développent avec une
extrême facilité lorsqu'on regarde un objet très lumineux, tel que le soleil
ou une lumière électrique. En s'y exerçant, on peut les voir après avoir
regardé fixement un objet quelconque. Mais les images accidentelles ne
peuvent avoir de contours nets que si, pendant la période où l'impression
s'est faite, l'expérimentateur a su conserver une immobilité parfaite du
regard.
188 TROISIÈME PARTIE.
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
lecture et que nous avons mentionné ailleurs (Voir ci-dessus,
Chap. XII, page 137).
La Myopie des Ecoliers et la Réforme des Livres scolaires.
— D'après tout ce qui précède, on doit s'attendre à voir la
myopie surgir généralement à l'âge où les enfants commen-
cent leurs études. On concevrait, en effet, difficilement que
cette affection se produisît plus tard, sur des yeux qui sont
restés indemnes pendant l'enfance, à l'époque de la vie où
le muscle ciliaire est le plus énergique, où la lecture
demande une plus forte dose d'attention que plus tard, et où
les écoliers sont soumis à l'influence du mauvais éclairage
des classes. — Voyons si les faits confirment cette pré-
somption.
Au premier abord, les statistiques si nombreuses relatives
à la myopie scolaire, amèneraient à penser, au contraire,
que, dans tous les pays le nombre des myopes va en augmen-
tant colossalement pendant toute la durée des études.
Nous ferons remarquer que ce résultat, généralement admis,
repose sur un de ces mirages si fréquents quand on examine
superficiellement les statistiques. C'est la proportion et non
pas le nombre des myopes qui va en augmentant. Les statis-
ticiens ont oublié, dans la circonstance, qu'une fraction peut
augmenter par suite de la diminution du dénominateur, et,
c'est ce qui a lieu ici dans une mesure considérable. Chaque
année, un certain nombre d'emmétropes, et surtout d'hyper-
métropes, quittent les bancs pour se livrer à l'agriculture,
au commerce ou à l'industrie, tandis que la plupart des
myopes continuent leurs études, soit parce qu'ils sont géné-
ralement studieux, soit parce que leurs parents les jugent
impropres à la vie du dehors. En réalité, la myopie n'appa-
raît pas bien souvent avant l'âge de dix à douze ans, et c'est
par un trompe-l'œil de la statistique qu'on a été conduit à
dire qu'elle se produit avec une fréquence croissante pendant
toute la durée des études. J'ai vu la myopie débuter chez
des adultes, mais c'est un fait tout à fait exceptionnel : en
règle générale il faut placer le début du mal aux environs
du moment où les enfants commencent à lire couramment.
Nous pouvons même préciser davantage encore et dire
que la myopie se produit chez les enfants auxquels on donne
des livres imprimés en caractère fins avant qu'ils sachent
XVI. — LES LIVRES ET LA MYOPIE. 189
lire aisément. Pour m'assurer que les choses se passent
réellement ainsi, j'ai examiné les yeux des 525 élèves de
l'Ecole Monge à Paris où les conditions d'éclairage des
classes et la disposition des bancs et des tables étaient d'une
perfection vraiment exceptionnelle. Ces enfants appartenaient
tous à des familles aisées, l'éclairage dont ils jouissaient
chez eux le soir ne devait donc pas être incriminé (1); j'avais
ainsi l'avantage d'éliminer les myopies résultant d'un mau-
vais éclairage ou d'un mobilier scolaire défectueux. Après
avoir noté l'âge de chacun, j'ai partagé les enfants de chaque
classe en deux catégories d'égal nombre, comprenant d'une
part les plus jeunes, et de l'autre les plus âgés. Comme je
l'avais présumé, il s'est trouvé que, dans les petites classes,
le plus grand nombre des myopes appartenait à la moitié la
plus jeune : j'en conclus que la myopie se produit surtout
chez les enfants relativement précoces, et qui ont dû lire
trop tôt des livres imprimés en caractères ordinaires.
On sait que les pédagogues ont été conduits à employer
des livres imprimés en très gros caractères pour enseigner
la lecture aux enfants. Puis, graduellement, à mesure que la
mémoire et la vue des élèves se sont familiarisées avec la
forme des lettres, on passe à des impressions de plus en
plus fines. Ce serait parfait si cette échelle descendante n'é-
tait pas trop rapide et n'aboutissait pas à des types d'une
trop grande ténuité. Pendant des années, l'enfant ne lit pas
avec cette sorte de divination qui nous fait reconnaître les
mots à leur configuration générale, si bien que les fautes
d'impression nous échappent avec une étonnante facilité;
pendant bien longtemps il envisage, il dévisage, pour ainsi
dire, chaque lettre et éprouve le besoin d'en distinguer tous
les détails. Aussi en dépit des admonestations et malgré
l'emploi du mobilier scolaire le mieux conditionné, voit-on
les pauvres petits écoliers se pencher pour mieux voir pen-
dant cette période qui suit la première étude de la lecture et
(1) Le Docteur Romiée a remarqué, avec beaucoup de raison, que le
mauvais éclairage domestique est beaucoup plus pernicieux que le
mauvais éclairage des salles de classe, puisque les enfants, pour faire
leur devoir, travaillent plus à la lumière chez leurs parents qu'à
l'école. Il a remarqué, eu outre, l'extrême rareté de la myopie chez
les écoliers de Liège et il l'explique par le bas prix du pétrole qui,
dans cette ville, permet aux ménages les plus pauvres d'employer
des lampes d'assez fort calibre.
190 TROISIÈME PARTIE. —
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
où on les oblige à faire usage de livres imprimés trop fin
pour eux. Qui s'étonnera de voir la myopie faire son appa-
rition au moment précis que nous venons de définir?
S'il en est ainsi, la voie qu'il faut suivre pour combattre
la myopie des écoles serait tout indiquée. Dans une classe
nombreuse, choisie comme champ d'expériences on exa-
minerait avec soin l'attitude des enfants, et, dans chaque
division, on remplacerait les livres par d'autres, imprimés
de plus en plus gros, jusqu'à ce qu'on ait atteint un degré
suffisant pour que tous les élèves, y compris ceux qui sont
affectés d'astigmatisme, et même pendant les heures où l'é-
clairage est le plus mauvais, renoncent spontanément à s'ap-
procher trop de leurs livres pour mieux voir. Le résultat de
cette étude expérimentale serait une échelle de caractères
décroissants, dont chaque numéro correspondrait à un cer-
tain âge moyen des enfants. Il est certain qu'en interdisant,
pour chaque division successive, l'emploi de livres imprimés
avec des caractères plus fins que ceux de l'échelle dont nous
venons de parler, on aurait entièrement supprimé une im-
portante cause de myopie.
Mais cette solution du problème se heurte à une sérieuse
difficulté économique. Avec le tirage colossal des livres
classiques, et surtout de ceux employés clans les écoles pri-
maires, le prix de revient de ces produits de nos grandes
librairies se réduit à peu près exactement au coût du papier
employé: la dépense fixe, constituée par la composition, est
négligeable, si bien que les livres se vendent à peu près au
poids. Il en résulte que, pour soutenirAla concurrence et ven-
dre suffisamment bon marché, les éditeurs sont obligés d'u-
tiliser le plus complètement possible la surface du papier en
réduisant au minimum les marges, les interlignes et surtout
la surface occupée par chaque lettre. Il nous incombe de
trouver le moyen de concilier une impression suffisamment
lisible avec les nécessités de l'industrie des éditeurs. En
d'autres termes, étant donnés la surface d'une feuille de pa-
pier et le nombre des lettres qu'on y veut entasser, nous de-
vons nous poser le problème d'obtenir, pour la page, le ma-
ximum de lisibilité. On trouvera plus loin les détails extrê-
mement minutieux de l'étude à laquelle je me suis livré sur
ce sujet (Ghap. XVII), mais parmi les résultats de ces re-
cherches, il en est un dont nous trouverons l'application et
XVI. —
LES LIVRES ET LA MYOPIE.
191
que j'énoncerai ainsi : Tontes choses égales d'ailleurs, la lisi-
bilité d'un texte imprimé ne dépend pas de la hauteur des let-
tres, mais de leur largeur.
Ce n'est donc pas par points typographiques que nous
définirons l'échelle de caractères mentionnée plus haut,
mais nous indiquerons, par exemple, le nombre maximum
de lettres que doit contenir un centimètre courant de texte.
On dépasserait certainement le but en accordant, comme
maximum un nombre de lettres égal à la moitié de l'âge des
enfants : la règle exacte est encore à formuler, mais il en
faut une. C'est aux autorités compétentes à faire entreprendre
les recherches, assez fastidieuses, qui permettront de rédiger
des prescriptions précises.
Malgré ces desiderata, parmi les trois causes de myopie
que nous avons indiquées en commençant, et qui résident
respectivement dans l'œil, dans l'éclairage et dans l'objet, la
dernière, qui nous paraît la principale, bien qu'elle soit
généralement méconnue, nous semble être la plus facile à
faire disparaître.
En effet, ce serait une entreprise coûteuse que de mettre
nos milliers d'écoles dans de bonnes conditions d'éclairage,
et si l'on y parvenait, il resterait encore à s'assurer que nos
millions d'écoliers, rentrés chez leurs parents, éviteront de
lire à la lueur du feu ou d'une mauvaise chandelle.
Si nous ne traitons pas ici de la principale cause de la
production de la myopie qui réside dans l'emploi de l'écri-
ture penchée par les jeunes enfants, c'est parce que nous en
avons exposé la théorie dans le chapitre XII et que nous
consacrerons les chapitres XVIII et XIX aux moyens d'y
obvier.
Sera-t-il facile de faire disparaître la myopie qui résulte
d'une prédisposition héréditaire ou d'une amblyopie causée
par d'autres défauts optiques des yeux? On n'entrevoit
même pas l'époque où les enfants de nos écoles pourront
être examinés par des spécialistes en cas de besoin, et encore
n'est-il pas certain que des prescriptions de lunettes appro-
priées suffiront toujours à supprimer totalement la myopie
résultant de causes organiques.
Comme pour contraster avec ces grosses difficultés, la
cause de myopie que nous avons spécialement envisagée
aujourd'hui peut se supprimer d'un trait de plume : il suffit
192 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
d'un arrêté ministériel pour interdire, dans les établisse-
ments scolaires de l'Etat, l'emploi de livres qui ne seraient
pas imprimés dans les conditions de lisibilité appropriées à
l'âge des enfants auxquels il sont destinés. Je le répète, la
question n'est pas assez mûre pour qu'on puisse proposer
dès maintenant aux autorités scolaires une réglementation
définitive ; mais les intérêts à sauvegarder sont assez consi-
dérables pour qu'il soit utile d'attirer l'attention du public
sur un problème dont la solution exacte ne pourra être
obtenue qu'au prix de longues recherches (1).
La myopie progressive. — On avait vainement cherché
jusqu'ici l'explication de ce fait que, chez beaucoup de per-
sonnes, la myopie augmente avec une rapidité plus ou
moins grande jusqu'à un certain moment où elle devient à
peu près stationnaire. La fréquence bien plus grande de
la myopie progressive chez les personnes qui lisent que
chez les couturières nous a suggéré l'explication suivante,
que nous avons publiée, il y a longtemps, dans les Annales
d'oculistiqiie, et contre laquelle aucun de nos confrères n'a
élevé d'objection (Voir plus haut l'art. Mécanisme de la
lecture, page 127).
D'après ce que nous avons dit plus haut, page 137 sur
le mécanisme de l'accommodation, il n'est pas étonnant
(1) L'exposé de ces idées fait en novembre 1879 dans la Revue scientifique
ayant attiré l'attention du Ministre de l'Instruction publique, il constitua
presque aussitôt une Commission chargée de proposer des mesures propres
à diminuer la production de la myopie dans les écoles. Le rapporteur,
M. Gariel, adopta les vues qui viennent d'être exposées. Un peu plus tard,
le même sujet fut repris dans une Commission instituée au même minis-
tère'et chargée d'étudier les règles d'hygiène à l'usage des écoles pri-
maires. L'auteur fut chargé de rédiger le rapport général des travaux de
cette Commission (Javal : Rapport sur l'hygiène des écoles primaires, in 8°.
Paris-Masson, 1881) (1). Ces travaux ont eu du retentissement à l'étranger et
notamment en Allemagne, où M. Hermann-Cohn, de Breslau, par de nom-
breuses publications réussit à faire adopter dans une assez large mesure
les idées exposées ci-dessus relativement à l'éclairage des écoles et à la
typographie des livres classiques.
(1) Les conclusions adoptées furent conformes à l'exposé qui précède, sauf sur
quelques points de détails; notamment pour les livres scolaires classiques, la
commission décida que « comme il ne parait pas possible de caractériser ces
élémenls par une évaluation précise, il faut définir par une épreuve d'ensemble
la lisibilité des ouvrages qui pourront être acceptés ; on devrait refuser tout
livre qui, tenu verticalement et éclairé par une bougie placée à une dislance
d'un mètre, ne resterait pas parfaitement lisible pour une bonne vue à la
distance d'au moins 80 centimètres »
XVI. —
LES LIVRES ET LA MYOPIE.
193
que la série de saccades imprimées à la choroïde par
le muscle ciliaire des myopes ait pour effet d'augmenter
progressivement leur infirmité (1). Si l'on veut bien songer
qu'il est facile de lire cent lignes par minute et que, dans ces
conditions, le muscle ciliaire est obligé de se contracter six
mille fois par heure, on sera peu surpris de la rapidité avec
laquelle les myopies fortes continuent à progresser.
Il vient heureusement un moment où le myope, lisant sans
lunettes, ne peut plus lire sans déplacer la tête ou le livre.
C'est alors que l'excès du mal produit un bien ; lorsqu'il
s'est habitué à ces mouvements, le myope n'a plus besoin de
faire varier son accommodation en lisant, et sa myopie
devient stationnaire.
Si ces idées théoriques sont exactes, les personnes que
leur myopie contraint à lire de très près devront s'appliquer
à suivre les lignes par des mouvements de la tête ou du
livre ; c'est le conseil que je ne manque pas de leur donner.
Parmi ceux qui ont suivi ce conseil, en y ajoutant celui
de prendre pour la lecture des verres concaves portant
le punctum remotum à 25 ou 30 centimètres et à ne jamais se
tenir plus près que la distance du remotum ainsi déplacé,
presque aucun n'est venu se plaindre d'une augmentation de
myopie (2).
Mais il ne faut pas s'attendre à voir tous les myopes recou-
rir aux conseils d'un médecin ; cherchons donc à modifier
les livres de manière à diminuer le nombre des cas de myo-
pie progressive. Le moyen résulte avec évidence de tout ce
que nous venons de dire ; il faut éviter les lignes longues.
L'expérience est d'ailleurs là pour nous donner raison ; c'est
dans les pays où les livres et les journaux sont imprimés
avec les lignes les plus longues que la myopie progressive
sévit avec la plus grande intensité.
A ceux qui disent complaisamment que le degré de civili-
sation d'un peuple peut se mesurer au nombre des myopes
qu'il révèle aux statisticiens, nous répondrons que l'économie
outrée de luminaire, l'emploi de caractères gothiques trop
(1) Voir à la fin du chapitre VII, p. 81, les explications sur le
réglage de l'œil.
(2) Après une pratique ophtalmologicme, vieille de bientôt 40 ans,
j'affirme avec la plus grande énergie les idées exprimées ci-dessus
relativement à la prophylaxie de la myopie.
javal. 13
194 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
petits et souvent usés, imprimés sur un papier gris et trans-
parent, sont des causes bien suffisantes pour faire apparaître
la myopie chez les enfants, et que l'abus de la lecture au
détriment de la réflexion et de l'observation des faits réels,
joint à l'emploi de lunettes trop fortes et à l'adoption d'une
justification trop large pour les livres et les journaux, sont
les conditions les plus propres à rendre progressives les
myopies qui pourraient rester stationnaires, si l'on n'accu-
mulait pas, pour ainsi dire à plaisir, les conditions les plus
défavorables à l'emploi des yeux pendant le travail.
Les cartes géographiques murales, établies d'après les
règles qui suivent, fournissent un moyen excellent de trier
dans une classe les enfants affectés d'un commencement
de myopie. Nous devons à l'obligeance de M. Delagrave le
fac-similé d'une carte de ce genre (Fig. 52), réduite de
moitié, qu'il a fait construire au cours des travaux de la
Commission d'hygiène des écoles dont il faisait partie ; voici
un extrait du rapport général déjà cité de cette Commission:
« La 3e Sous-Commission a étudié par elle-même les con-
« ditions de lisibilité des cartes murales. Aucune des cartes
« qui sont en usage dans les écoles ne présente de noms qui
« puissent être vus par une classe entière ; sauf pour
« quelques mots écrits en très gros caractères (noms des
« contrées, des mers), on peut dire que, d'une manière géné-
« raie, rien ne peut être lu au delà de 3 ou 4 mètres. Dans
« ces conditions, la plupart des noms, tout à fait inutiles
« pour les élèves, ont pour effet fâcheux de nuire consi-
« dérablement à la netteté générale de la carte. Si l'on ne
« veut absolument pas se contenter des cartes muettes, nous
« serions disposés à proposer le parti, tout nouveau, d'ad-
« mettre deux catégories de noms. Les uns, peu nombreux,
« seraient assez gros pour être vus aisément à plus de
« 4 mètres ; les autres, très fins, ne seraient lisibles qu'à
<( 1 mètre tout au plus et seraient utilisés seulement par le
« professeur ou par les rares élèves qui, entre les classes,
« voudraient spontanément examiner de près quelque région
« de la carte.
« Nous attachons de l'importance à ce que tous les noms
a destinés à être vus de loin soient d'égale lisibilité. Nous
« avons la satisfaction de soumettre à votre appréciation
« une carte de France de M. Levasseur où les noms ont
196 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
« été inscrits conformément à nos indications. Si vous la
« comparez au tirage ordinaire de la même carte, vous
« n'hésiterez pas à donner la préférence à celle que nous
« avons fait préparer. Vous voudrez bien remarquer que,
« malgré la diversité suffisante des caractères, si vous vous
« éloignez peu à peu, tout devient illisible du même coup.
<( Nous avons également calculé l'épaisseur à donner aux
« traits qui représentent les chemins de fer, les rivières,
« etc., et donné des indications pour la grosseur des points
« qui figurent les villes, si bien que la carte présente ce
« double avantage d'être peu chargée et de cesser d'être lisi-
« ble à la fois dans toutes ses parties.
« L'introduction de cartes de ce genre dans les écoles,
« mieux qu'aucune inspection médicale, signalera immédia-
« tement tous les enfants dont la vue sera affaiblie, soit
« par de la myopie commençante, soit par tout autre
« cause. Dès qu'un enfant aura un défaut de vue, se tenant
« à la même distance de la carte que ses camarades, il sera
« dans l'impossibilité complète de suivre la leçon, et le maî-
« tre sera, par là même, mis en demeure d'avertir qui de
« droit. »
CHAPITRE XVII.
TYPOGRAPHIE COMPACTE.
Les typographes m'excuseront de rappeler ici que les ca-
ractères typographiques consistent en prismes rectangulaires
dont l'une des extrémités porte en saillie la lettre, accentuée
ou non. — Les typographes n'ayant pas adopté le système
métrique et leur unité de longueur étant le point ( | d'une
ligne ou ^ de pouce), on dit qu'un caractère mesure 7, 8 ou
9 points, par exemple, quand la hauteur du rectangle dont il
vient d'être parlé mesure 7, 8 ou 9 points. Les épaisseurs
des interlignes ou plaquettes qui servent à séparer les lignes
dans un texte interligné sont mesurées également en points.
DESSIN DES CARACTÈRES.
Les préliminaires historiques et théoriques sur lesquels nous
nous sommes étendu (1) étaient nécessaires pour nous mettre
en état d'étudier, dans l'intérêt de la lisibilité, tout ce qui, dans
les caractères, est conciliable avec leur forme typique. —
Par forme typique, nous voulons désigner les éléments ca-
ractéristiques de chaque lettre. Ainsi la forme typique
d'un V est constituée par deux lignes droites : les traits
terminaux, la différence entre l'épaisseur des deux
branches, etc., ne sont pas ce qui constitue le type du V,
mais deux lignes d'égale longueur se rencontrant sous un
angle aigu par leur extrémité inférieure constituent un V ;
les modifications accessoires ne lui donnent pas plus les at-
tributs du V que si elles n'existaient pas.
Pendant la lecture, le regard n'a pas le temps d'examiner
chaque lettre dans toutes ses parties ; loin de là, le point de
fixation se déplace suivant une ligne, rigoureusement hori-
(1) Voyez ci-dessus, pages 17 et 109.
198 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
zontale, qui coupe toutes les lettres courtes, en des points
situés un peu plus bas que leur sommet ; les autres parties
des lettres sont donc vues indirectement et frappent des ré-
gions de la rétine plus ou moins distantes de la fovea centra-
lis. La connaissance de cette manière de procéder du lecteur
devra influer sur les formes qu'il conviendra de donner aux
lettres.
Mais nous devons tout d'abord prouver que les choses se
passent réellement comme nous venons de le dire ; cela im-
porte d'autant plus qu'il s'agit d'une assertion toute per-
sonnelle.
Voici comment nous avons été conduit à faire cette petite
découverte. — Lorsqu'on fait une série d'expériences sur
les images accidentelles (1), on acquiert bientôt la notion
précise du point sur lequel on dirige le regard à un moment
donné; chez moi, cette notion était suffisamment développée
pour que je fusse absolument certain que, lorsque je lisais un
texte un peu gros, le point de fixation se déplaçait suivant une
ligne droite horizontale, située entre le haut et le milieu
des lettres courtes.
Pour m'assurer qu'il n'y a pas d'erreur dans cette appré-
ciation subjective, j'ai encore fait l'expérience suivante:
après avoir lu une dizaine de lignes d'un caractère gras,
gros œil (c'est-à-dire à queues courtes) et non interlignées,
je fermais brusquement les yeux ; j'aperçevais aussitôt dans
le champ visuel des stries horizontales, alternativement clai-
res et sombres, qui n'étaient autre chose qu'une image acci-
dentelle des lignes d'impression. Cette expérience suffit à
prouver une partie de notre thèse, à savoir que le regard se
déplace horizontalement pendant la lecture; en effet, s'il se
produisait, le long des lettres, des excursions verticales du
regard, aucune image accidentelle ne pourrait se produire,
car alors les lignes ne viendraient pas se peindre constam-
ment sur la même partie de la rétine.
Les images accidentelles dont nous venons de parler ne
sont pas faciles à voir, car leur production repose sur la
différence de teinte, assez peu marquée, qui existe entre le
blanc du papier et le gris résultant du mélange qui, pendant
le déplacement rapide du regard, se produit entre une grande
(1) Voir chap. XVI, la note de la page 187.
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
199
quantité de blanc et la petite quantité de noir qui constitue
les jambages des lettres courtes.
Le pourquoi de tout ceci est facile à trouver : si le regard
se contente de glisser horizontalement, c'est pour éviter des
mouvements compliqués et inutiles, et la position de l'hori-
zontale choisie est commandée par la structure de nos carac-
tères typographiques.
En effet, recouvrez d'une feuille de papier opaque la moi-
tié supérieure d'une ligne d'impression ; il vous faudra un
certain effort pour deviner les mots dont vous ne voyez que
la moitié inférieure, tandis que si vous faites une expérience
analogue en couvrant la moitié inférieure de la ligne, vous
lirez tout à fait aussi couramment que si la ligne entière
était à découvert. Il est donc très naturel qu'il soit avan-
tageux, pour la lecture, de faire filer le regard suivant une
ligne située plus haut que le milieu de la hauteur des carac-
tères.
Remontons plus haut encore dans l'échelle des causes, et
comptons les lettres et parties de lettres qui dépassent les
lettres courtes par en haut et par en bas. Par en haut, nous
trouvons toutes les capitales, tous les accents, les points des
i et des j, et les lettres b d f h k 1 t, tandis que, par en bas,
nous ne trouvons que les lettres g j p q et y ; tenant compte
de la fréquence des capitales, points, accents et lettres lon-
gues, nous trouvons que, sur cent accidents qui dépassent
la ligne tant par le haut que par le bas, plus de 85 sont su-
périeurs et moins de 15 sont inférieurs. Cela suffit pour
obliger le lecteur à regarder plus haut que le milieu des let-
tres.
Cela étant, nous devons chercher à donner aux lettres une
forme telle qu'elles diffèrent le plus possible les unes des
autres, dans la région où elles sont rencontrées par le point
de fixation (1) ; or, c'est ce que les graveurs semblent avoir
pris à tâche d'éviter pendant la dernière de nos périodes
(p. 17), celle de 1740 à 1840. Couvrez le bas des lettres d'une
ligne d'impression moderne, de manière à ne laisser dépasser
que les longues supérieures et le sommet des lettres courtes,
(1) Si nous osions risquer une comparaison, nous dirions que, pour
rendre une lettre facilement reconnaissable, il est utile de grossir la tête
au détriment des pieds et des jambes et même du corps, artifice analogue
à celui des caricaturistes,
200 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
vous verrez apparaître, à peu près identiques, les lettres a,
c, e, o, s, d'une part, n et r, d'autre part, et les différences
entre h et b ou entre n et p sont rendues bien peu sen-
sibles.
Ce défaut est moins marqué chez les elzéviriens moder-
nes, et il est moins marqué encore dans les caractères de
Garamond et surtout de Jaugeon (Voir ci-dessus, p. 21, 22
et 23).
Avant de passer en revue l'alphabet, remarquons que,
quoi que nous fassions, certaines lettres seront plus visibles
que d'autres : d'abord les longues possèdent une supériorité
incontestable, grâce à leur dimension plus grande; ensuite
les lettres de forme simple, telles que l'u, seront toujours
plus lisibles que les lettres compliquées, telles que l'a ; il
faudra donc, pour ces dernières, recourir à des artifices
afin de les améliorer le plus possible.
Remarquons aussi que, dans leur désir d'augmenter la
régularité d'aspect, dont nous ne sommes pointpartisan, cer-
tains graveurs ont soin d'aplatir latéralement les lettres
rondes et d'arrondir fortement les lettres carrées ; nous
prendrons le parti contraire, et nous y trouverons, de plus,
l'avantage d'introduire, vers le haut des lettres courtes, des
différences bien notables, qui permettront, par exemple, de
trouver dans cette région, une différence facilement appré-
ciable entre le b et l'h.
De même, nous n'augmenterons pas les panses des b d p
q dans l'intention de leur donner la même dimension appa-
rente qu'aux o : cette recherche de régularité ne nous paraît
aucunement utile.
Des innovations de fantaisie auraient bien peu de chances
d'être adoptées par les typographes ; pour ce motif, nous
aurons bien soin, au lieu de proposer des formes nouvelles
en remplacement de formes défectueuses, de recourir, dans
la mesure du possible, à des formes anciennes et de choisir,
dans les formes du xve siècle, celles qui, tout en répondant
à notre but, auront l'avantage de répandre sur toute notre
typographie une certaine saveur archaïque de nature à
plaire aux bibliophiles.
C'est là une condition indispensable à remplir, car les
types nouveaux font toujours leur première apparition dans
les éditions de luxe et ne passent dans les impressions cou-
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
201
rantes que lorsqu'ils sont à moitié usés ; nos modèles seraient
donc condamnés à un insuccès certain s'ils ne plaisaient pas
aux amateurs de beaux livres.
Parmi les longues supérieures, le d, le k et l'I ne prêtent à
aucune confusion. Pour bien différencier le b de l'h, nous
aurons soin, conformément à ce qui vient d'être dit, de faire
la panse du b bien ronde, et l'angle qui réunit la partie hori-
zontale et le second jambage de l'h aussi peu arrondi que le
goût le permettra. Il en résulte, pour l'uniformité d'aspect,
que la panse du d devra être^bien arrondie ; elle devra être une
idée plus large que celle du b, pour paraître égale. Les lettres f
et t prêtant à confusion lorsque la tête de l'f est brisée, ce qui
arrive bien souvent lorsque les caractères ont servi long-
temps, nous aurons soin de prolonger vers la droite la petite
barre de l'f et vers la gauche celle du t, de raccourcir ces bar-
res du côté opposé et de leur donner une épaisseur aussi
grande que possible, sans tomber dans une forme insolite.
De plus, nous ferons le t relativement court, nous empâte-
rons l'angle qui est situé en haut et à gauche de la lettre, et
nous éviterons de faire au bas de la lettre le crochet
remontant qui s'est substitué graduellement à la petite
partie horizontale des anciennes typographies ; ce crochet
ne peut se faire gracieux que s'il est extrêmement fin,
et l'on verra plus loin que nous réagissons contre la finesse
des déliés. La forme que nous proposons a un cachet d'an-
cienneté qui est aussi un motif de préférence pour nous, car
l'ensemble de nos caractères ayant un aspect un peu ancien,
tous doivent y concourir pour que le goût ne soit pas blessé.
Parmi les longues supérieures, nous pouvons ranger Fi,
bien que le point ne soit pas en contact avec le corps de la
lettre. Nous ferons le point plus gros que le fût de la let-
tre, car l'expression mettre les points sur les i indique tout
justement l'utilité des points, qui contribuent beaucoup à la
lisibilité. Il importe qu'il soit gros, non seulement pour évi-
ter la confusion de l'iavec l'I et l'f dans les impressions fines,
mais aussi pour qu'il casse moins fréquemment. Nous
placerons le point aussi haut que possible pour aug-
meter sa visibilité.
Les longues inférieures g, j, p, q et y sont d'excellentes
lettres. Pour le g, nous éviterons la forme nouvelle, analogue
à celle du g italique, et qui le ferait ressembler par le haut à
202
TROISIÈME PARTIE. —
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
un q ; à l'exemple des plus anciens imprimeurs vénitiens,
nous donnerons à sa partie supérieure la forme d'une ellipse
à axe horizontal pour en augmenter la grandeur, qui est
nécessairement restreinte dans le sens vertical, et nous réta-
blirons à la partie supérieure gauche de la boucle l'angle
aigu, très élégant, qui a été abandonné après Garamond.
Enfin, pour l'y, la forme qu'on vient de voira un cachet plus
ancien et n'est pas moins gracieuse que la forme plus nou-
velle, où la partie inférieure de la lettre est verticale et qui
est adoptée par l'Imprimerie nationale. Pour le p et le q,
nous aurons soin de faire la panse du q un peu plus large
que celle du p, pour qu'elle paraisse égale. Cette pratique
est généralement suivie par les graveurs habiles.
Parmi les lettres droites courtes, m, n et u, l'm doit pré-
senter un peu moins d'intervalles entre les jambages, et, si
l'on adopte les traits terminaux habituels, il faudra faire l'u
un peu plus serré que l'n, surtout par le haut, pour qu'il
paraisse égal.
Depuis que notre œil s'est habitué aux m de la dactylo-
graphie (1) on nous pardonnera de réclamer des m un peu
plus serrés que cela se fait d'habitude ; par une exception
unique, nous obtiendrons ainsi une lettre dont la lisibilité
augmentera par le fait de la diminution de l'espace que
nous lui accordons.
Nous appellerons rondes les lettres a, c, e, o et s. Pour
toutes, sauf dans la typographie très compacte, nous
nous conformerons à l'usage de leur faire dépasser
légèrement par le haut et par le bas l'alignement des
lettres droites, pour qu'elles ne paraissent pas plus petites.
Pour l'a, nous remonterons jusqu'au delà des premiers
imprimeurs italiens, et, dans les manuscrits qui leur ont
servi de modèle, nous choisirons un a dont la tête soit extrê-
mement petite et ne surplombe pas toute la panse. En effet,
par des expériences faites en regardant de loin des lettres
isolées et collées sans ordre sur un carton, on peut constater
que les lettres a, c, et s sont les plus mauvaises de l'alpha-
bet. Il faut donc simplifier la forme de l'a, ce qui peut se
faire en diminuant considérablement la tête ; alors, vu de
(1 ) On fait maintenant des impressions en caractères de machines à
écrire.
XVII. — -
TYPOGRAPHIE COMPACTE.
203
loin, l'a prend l'aspect d'un r renversé : j, et devient aussi
lisible qu'une autre lettre, si l'on a soin de donner une forme
étroite et allongée à la panse. Pour le c, nous éviterons la
forme actuelle, qui facilite la confusion avec l'o et avec l'e,et
nous prendrons la forme ancienne, se rapprochant beaucoup
d'une demi-circonférence. Pour l'e, nous n'hésitons pas à
revenir à la forme ancienne, e, qui ramène le trait horizontal
à peu près à l'endroit où passe la ligne de regard pendant la
vision, et nous éviterons de faire trop remonter la ligne par
laquelle l'e se termine en bas et à droite. Peut-être même
nous résoudrions-nous à donner au trait transversal la posi-
tion oblique qu'il affecte dans certains manuscrits, de
manière à augmenter la longueur et l'importance de ce trait.
Si ce n'était pas contraire à tous les usages, l'expérience,
d'accord avec le raisonnement, conduirait à faire l'o rigoureu-
sement rond, sans déliés, beaucoup plus petit que toutes les
autres lettres. Enfin, l's reste, quoi que nous fassions,
une mauvaise lettre ; tout ce que nous pouvons essayer
est de lui faire gagner de la surface en le rendant un peu
plus anguleux qu'on ne le fait habituellement : sa visibilité
deviendra ainsi presque égale à celle du z. '
Les lettres contenant des droites obliques v, w, et z, ne
nous fournissent pas matière à observations, si ce n'est que
le v et le w doivent dépasser un peu l'alignement parle bas,
sous peine de paraître trop courts.
Il ne nous reste plus à parler que de l'r, dont nous ne
ferons pas retomber la larme, comme le font les modernes,
chez qui le haut de l'r finit par ressembler à celui de l'n.
Nous préférerons la forme ancienne r, bien plus originale et
par suite plus lisible.
Il y aurait une étude à faire sur la lisibilité des chiffres.
Je noterai, par exemple, qu'un 6 ou un 9 se confondront bien
plus facilement avec un 0, si, comme cela se fait habituelle-
ment de nos jours, tous les chiffres sont de même hauteur,
système utile pour la régularité d'aspect quand les chiffres
sont disposés en colonnes verticales. Il est évident a priori
que pour les chiffres qui font partie d'un texte courant, il
serait raisonnable de revenir au type où le 0 et le 1 n'avaient
que la hauteur des lettres courtes et où les autres chiffres
dépassaient soit par en haut, soit par en bas.
Rechercher l'uniformité d'aspect pour les chiffres me
204 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
paraît une offense au bon sens, pire encore que pour les
lettres.
A qui voudra étudier l'évolution des chiffres en typogra-
phie, je signale la collection de 178 tables de logarithmes,
publiées depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu'à
nos jours, et qui se trouve à la bibliothèque universitaire de
Bordeaux.
ÉPAISSEUR DES TRAITS CONSTITUTIFS DES LETTRES .
Quelle épaisseur faut-il donner aux pleins et aux déliés? Ce
problème est beaucoup trop complexe pour que nous puis-
sions le résoudre ici. Supposons d'abord qu'on emploie une
épaisseur de trait uniforme pour tracer des lettres, l'épais-
seur à donner au trait dépendra absolument de l'éclairage.
En plein soleil, les lettres grêles paraîtront plus nettes, étant
moins empâtées, mais elles deviendront absolument invi-
sibles dans une demi-obscurité; il faut donc, pour une môme
grosseur de lettres, employer des traits d'autant plus forts
qu'elles devront être lues avec moins de lumière. Il en est de
même pour les yeux affectés d'imperfections optiques. Les
livres devant être lisibles pour tout le monde et malgré
l'imperfection du luminaire, il faut donc grossir les traits qui
constituent les lettres. Mais cet épaississement a des limites :
en épaississant tous les traits, on arrive à faire disparaître le
dessin général des lettres, et c'est pour ce motif qu'on a été
conduit à ne grossir qu'une partie des traits et à créer les
caractères classiques dont les Didot ont gravé les types les
plus accomplis/Nous admirons sans réserve l'Horace et le
Virgile de Didot, mais ici encore nous devons établir une
distinction entre les types destinés aux enfants et aux adultes.
Tandis que nous lisons en reconnaissant les lettres et même
les mots d'après leur configuration générale, l'enfant regarde
chaque lettre dans toutes ses parties ; comme, de plus, son
œil est bien moins résistant, nous n'acceptons pas les types
modernes pour les livres destinés au premier âge, et nous
demandons qu'on reprenne les caractères anciens, où les
déliés sont presque égaux aux pleins. Quant à l'épaisseur de
ces derniers, il nous paraît tout à fait superflu de la régle-
menter; l'expérience nous apprend que les graveurs la font
toujours amplement suffisante ; l'essentiel est de réserver
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
205
les caractères modernes pour les impressions les plus fines,
qu'il ne convient pas d'accepter pour les livres destinés à
l'enfance.
Ainsi, sous les rapports de la distribution des pleins et
des déliés, les caractères de différentes grandeurs ne doivent
pas être semblables. En partant de caractères anciens pour
les plus grosses impressions, il faut graduellement diminuer
les déliés plus que les pleins à mesure qu'on grave des
caractères plus fins et aboutir, par transitions insensibles,
aux types modernes, seuls convenables pour les impressions
très fines. La preuve de ces assertions repose sur des expé-
riences qui ont été décrites plus haut (Chap. X).
Dans la suite de cetteétude, nous aurons souvent à compa-
rer la lisibilité de différents caractères. Le moyen le plus
simple d'effectuer cette comparaison consiste à s'éloigner
graduellement de la page imprimée, posée verticalement : le
caractère le plus net est celui qui reste le plus longtemps
lisible. Ce procédé a soulevé quelques objections. Une ma-
nière de faire qui est à l'abri de tout reproche consiste à con-
fier l'expérience tantôt à un myope, qui devra se tenir
un peu au delà de la distance où il voit distinctement, tantôt
à un presbyte, qui regardera sans verres ou avec des verres
correcteurs insuffisants : les résultats obtenus sont générale-
ment concordants avec ceux que donne le procédé indiqué
en premier lieu. On peut aussi se rendre artificiellement
myope ou presbyte au moyen de verres appropriés. Enfin,
on peut lire à la lueur d'une source lumineuse quelconque,
dont on s'éloigne graduellement avec le livre pour diminuer
successivement l'éclairage, jusqu'au moment où l'un des
caractères à comparer cesse d'être lisible. Ce dernier moyen
donne des résultats notablement différents, car il avan-
tage tout particulièrement les caractères gras. Il importe de
l'appliquer pour les livres classiques destinés aux jeunes
enfants, qui ne sont presque jamais ni myopes, ni presbytes et
qu'on force souvent à lire dans des locaux mal éclairés,
tandis que le second moyen se recommande par lui-même
aux éditeurs de journaux, puisque les journaux doivent être
lisibles même pour les adultes dont la vue est défectueuse.
Pour terminer ce paragraphe, nous répétons successive-
ment cet alinéa en caractères de la Revue où cette étude
a paru en 1881, en caractères extrêmement grêles et en
206 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
caractères de M. Motteroz, qui a eu l'excellente idée d'amé-
liorer les caractères modernes en réduisant la longueur des
déliés.
Pour terminer ce paragraphe, nous répétons successive-
ment cet alinéa en caractères de la Revue, en caractères
extrêmement grêles et en caractères de M. Motteroz, qui
a eu l'excellente idée d'améliorer les caractères modernes
en réduisant la longueur des déliés.
Pour terminer ce paragraphe, nous répétons successivement
cet alinéa en caractères de la Revue, en caractères extrême-
ment grêles et en caractères de M. Motteroz, qui a eu l'excel-
lente idée d'améliorer les caractères modernes en réduisant la
longueur des déliés.
Pour terminer ce paragraphe, nous répétons successi-
vement cet alinéa en caractères de la Revue, en-caractères
extrêmement grêles et en caractères de M. Motteroz, qui
a eu l'excellente idée d'améliorer les caractères modernes
en réduisant la longueur des déliés.
Fig. 53.
On voit par le premier des trois groupes de la figure ci-
dessus comment les choses ont évolué depuis 1881, car je ne
crois pas que personne aurait actuellement l'idée de choisir
pour imprimer une Revue, ce caractère huit genre anglais
interligné de trois points.
DES EMPATEMENTS.
Pour compléter le dessin des caractères typographiques,
il nous reste à parler des traits terminaux ou empâtements
qui terminent les jambages. Ces parties secondaires, qui cor-
respondent aux apices des anciens Romains, ne nous parais-
sent pas avoir simplement un but d'ornement, ni résulter
uniquement de la tradition. Il nous semble, au contraire, que
les empâtements, qui apparaissent en Angleterre dès le vne
siècle, ont été employés par les calligraphes italiens, imités
vers 1470, par les typographes établis à Subiaco, à Venise et
XVII. —
TYPOGRAPHIE COMPACTE.
207
à Paris, et conservés jusqu'à nos jours, pour augmenter la
lisibilité des caractères.
En effet, un jambage de lettre n'est autre chose qu'un rec-
tangle noir tracé sur fond blanc. Or tous les physiciens
savent qu'un pareil rectangle, vu de loin, ne paraît pas pré-
cisément tel qu'il est ; l'irradiation a pour effet, non seule-
ment d'en réduire les dimensions apparentes, mais encore
d'en arrondir les angles. Les choses se passent évidemment
de même pour un rectangle de petite dimension, vu à la dis-
tance la plus courte de la vision distincte. Si nous voulons
que les jambages nous paraissent terminés bien carré-
ment, il faut renforcer les angles. De là à les renforcer plus
qu'il n'est nécessaire, il n'y avait qu'un pas ; il avait déjà été
franchi par les capitales lombardes dont voici un spécimen
(Fig. 54-), emprunté à la Paléographie universelle de Sil-
vestre; il l'a été aussi par les calligraphes, qui ne pouvaient
pas faire les traits terminaux aussi petits qu'il eût été désira-
ble. De plus, ne pouvant s'attarder à leur donner la forme
compliquée, demandée par une théorie dont ils n'avaient même
pas nettement conscience, les écrivains se bornaient à faire
des traits droits, obliques dans le haut des lettres, pour la facili-
Fig. 54.
té de l'exécution, horizontaux dans le bas, où des traits obli-
ques eussent été trop choquants, l'empâtement du bas for-
mant, pour ainsi dire, un socle sur lequel paraît reposer la
lettre (1).
(1) Le Grec archaïque de sept points n°2, du spécimen de 1845 de l'Im-
primerie Nationale, nous donne une autre solution du problème.
Les types de ces deux corps, qui servent à reproduire les inscriptions
du siècle d'Auguste, ont été gravés par Léger Didot, pour M. le comte de
Clarac, qui les a cédés en 1844 à l'Imprimerie Royale.
{Voir Fig. 55), le spécimen de 1878, de Clarac, Musée de sculpture
antique et moderne, in-8°, 1826-1855 :
AnEÀABHN EH ISHANIAS KAI TAAATIAS KAI PIA
PAAAA/AATJXN PI AP0DY STPÎ^NSTP ATE YM A
Fig. 55.
208 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Cependant, vers la fin du xve ou le commencement du
xvie siècle, nous voyons apparaître des empâtements assez
conformes à la théorie, légèrement triangulaires, qui ont été
conservés avec un peu d'altération par Garamond (Voir
plus haut, page 21, spécimen des caractères de Garamond) et
par conséquent, dans les éditions des Elzevier. Nous avons eu
occasion de voir, à la vente des autographes de feu M. Tau-
pier, professeur d'écriture, un étonnant manuscrit de Barbe-
dor, illustre calligraphe du xvne siècle, où les traits infé-
rieurs des lettres, vus à la loupe, offraient des empâtements
de la meilleure forme.
Dans l'important travail que nous avons déjà cité, Jau-
geon dessinait des empâtements d'une extrême élégance
(Voir les Fig. 7 et S, pages 22 et 23).
Malheureusement Grandjean, malgré ses relations quoti-
diennes avec Jaugeon, donna une forme trop droite aux
empâtements qui, chez Luce, deviennent de véritables traits
terminaux, tels qu'on les emploie en France depuis plus de
cent ans. Ces empâtements ont le double défaut d'être abso-
lument droits et beaucoup trop longs. Cette exagération de
longueur, contraire à toute raison, a eu pour conséquence
une exagération de finesse, car, lorsque les traits termi-
naux d'un n, par exemple, se touchent presque par le bas,
ce qui risque de le faire confondre avec un u, il faut
amincir ces traits au point de les rendre presque invisibles
(Voir plus haut, page 24, le fac-similé des caractères de
Grandjean).
Indépendamment des inconvénients théoriques signalés
plus haut, les empâtements droits, longs et minces, devenus
classiques en France, ont le défaut de pécher par une
extrême fragilité ; pour empêcher les empâtements de se bri-
ser, lorsque les lettres tombent dans les casses pendant la
distribution, ou sous la pince du corrigeur, ou bien enfin
pendant le tirage, il convient d'augmenter leur épaisseur,
et cela oblige à en diminuer la longueur pour qu'ils n'ac-
quièrent pas une importance exagérée. De plus, le point de
rupture naturelle se trouvant à l'angle formé par le jambage
et le trait terminal, il est tout indiqué de renforcer cet an-
gle en l'arrondissant. Par une heureuse coïncidence, ces
considérations, déduites uniquement du besoin de solidité,
nous conduisent à des formes analogues à celles qui con-
XVII. TYPOGRAPHIE COMPACTE.
209
viennent pour combattre les effets de l'irradiation (1).
Il est à remarquer que les graveurs ont senti instinctive-
ment tout ce que nous venons de dire, et que, s'ils se sont
beaucoup éloignés des vrais principes lorsqu'ils ont gravé
des caractères de grande dimension, ils s'en sont, au con-
traire, toujours rapprochés lorsqu'ils ont produit des carac-
tères de très petite dimension, pour lesquels la question de la
lisibilité primait celle de l'élégance. Regardez, par exemple,
à la loupe, des caractères très fins, tels que le 4 (Perle) du spé-
cimen publié en 1845 par l'Imprimerie royale, ou la nonpa-
reille de Luce (Fig. 56): ces caractères se distinguent de ceux
de plus grande dimension, gravés par la même main, par une
brièveté extrême des empâtements, condition nécessaire pour
la lisibilité de caractères aussi petits. Bien plus, les empâte-
ments du 4 de l'Imprimerie royale, seuls de toute la série de
1845, présentent une forme légèrement triangulaire.
Les Anglais emploient, comme nous, des traits terminaux
trop longs, mais l'angle compris entre le trait terminal et le
jambage de la lettre est toujours arrondi ; ne faut-il pas attri-
buer à cette disposition une partie de la supériorité des
impressions anglaises et américaines sur les nôtres ? Il s'agit
d'un détail tellement minime que le lecteur ne se sera sans
doute pas aperçu que les caractères du présent volume ont
les empâtements assez analogues à ceux des caractères
anglais. Dans la figure qui suit, nous donnons successive-
ment deux phrases : la première avec l'aspect que présentait
la typographie de la Revue Scientifique, et la deuxième en
(1) Je répète ici cette théorie des empâtements telle que je l'avais ex-
posée en 1879, parce qu'il existe encore des fondeurs qui n'en ont pas
tenu compte.
javal. 14
PERLE.
traditions presque toujours confuses ou défigurées par des fables. Un petit nombre
riches pour se procurer des copies , faites avec beaucoup de peine et de temps,
que les anciens nous avaient laissés ; ces copies elles-mêmes étaient rarement eia
Fig. 56.
210 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
caractères genre français sans empâtements, toutes deux en
huit interligné de trois points.
Il s'agit d'un détail tellement minime que le lecteur ne se
sera sans doute pas aperçu que la Revue est imprimée en
caractères de genre anglais : il faut prendre une loupe pour
s'en assurer, mais l'effet produit n'en est pas moins incon-
testable.
Pour faciliter la comparaison, le présent alinéa est imprimé
en caractères de genre français.
Fig. 5 7.
Quant à la comparaison entre les caractères des deux
alinéas de la figure précédente, elle ne peut se faire utile-
ment, sous le rapport de la lisibilité, car les caractères du
genre français dont nous avons pu disposer sont un peu plus
maigres et d'un dessin différent.
De tout ce qui précède, il résulte que la forme plus correcte
de leurs empâtements justifie la faveur croissante dont les
caractères anglais sont l'objet, et doit être l'une des causes du
retour aux caractères elzéviriens qui, sous ce rapport, — le pré-
sent spécimen permet de s'en convaincre, — sont manifeste-
ment supérieurs aux caractères anglais.
Les caractères employés pour le présent livre sont préfé-
rables aux elzéviriens ; qu'on s'éloigne de la page et on
constatera que leur lisibilité est encore supérieure à celle des
elzéviriens dont il vient d'être donné un spécimen.
Pour conclure, nous proposons l'adoption d'un empâte-
ment arrondi, analogue à ceux dessinés par Jaugeon, plus
court encore qu'aucun de ceux adoptés jusqu'à ce jour. Nous
y trouverons l'avantage d'une plus grande netteté, surtout
pour les très petits caractères, dont l'empâtement, visible
seulement à la loupe, aura pour seul effet d'augmenter la lisi-
bilité ; pour les caractères plus grands, où la forme de l'em-
pâtement sera visible, nous nous rapprocherons des types
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
211
dessinés par Jaugeon pour l'Imprimerie royale, types qui
n'ont jamais été exécutés, et qui nous paraissent réunir à la
fois les meilleures conditions d'élégance, de solidité et de
visibilité.
Bien entendu, pour le haut des lettres, nous rejetons la
coupe oblique, dont la raison d'être, purement traditionnelle,
ne saurait être d'aucun poids.
Enfin, mais sans insister sur ce point controversable, nous
pensons que les empâtements du haut devraient être symé-
triques par rapport aux jambages, comme ceux du bas. Alors
un u prendrait la figure u analogue à celle d'un n retourné.
Nous ne laisserions le trait terminal sur le côté gauche qu'à
l'I, pour qu'on puisse le distinguer de l'I, et au premier
jambage des lettres m n p et r, où sa prolongation à droite
produirait de la confusion.
DE L'APPROCHE ET DE L'iNTERLIGNE.
Occupons-nous maintenant de la distance respective des
lettres : elle joue un certain rôle dans leur visibilité.
Pour s'en assurer il suffit de s'éloigner de
cette page, posée verticalement : on s'apercevra
aisément que le présent passage, où l'on a inter-
calé des espaces fines entre toutes les lettres, est
plus lisible que le reste.
Or, Fournier voulait que l'écart des lettres fût un peu
moindre que celui des jambages de l'm, et Laboulaye
propose de prendre l'écart égal à celui des jambages de l'n,
où il est plus grand que dans l'm ; alors la distance des
lettres n'étant remplie que par du blanc, paraîtra quelque
peu plus grande que celle qui sépare les jambages. D'autre
part, tous les typographes veulent que les lettres arrondies
telles que l'o, l'e, etc., portent sur les côtés un peu moins
de blanc que les lettres droites, telles que m ou n, car deux
o, par exemple, paraîtraient plus distants que deux n si leur
distance réelle n'était pas un peu moindre.
L'expérience qu'on vient de faire nous paraît démonstra-
tive, et la lisibilité remarquable des livres anglais nous
212 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
paraît tenir en partie à l'extrême brièveté de la plupart des
mots de cette langue, qui a pour effet de multiplier les
blancs. Aussi n'hésitons-nous pas à préférer la règle de
Laboulaye à celle de Fournier ; nous irions même volontiers
! un peu au delà et nous voudrions que les lettres droites por-
tassent un peu plus de blanc que ne le demande Laboulaye.
Les typographes pousseront les hauts cris, car cela diminuera
l'uniformité d'aspect si traditionnelle, mais si contraire à la
logique, et les bibliophiles nous pardonneront en faveur des
belles éditions du temps passé, qui doivent une partie de
leur lisibilité à ce qu'on n'avait pas encore uniformisé autant
l'aspect des lettres et la valeur de l'approche.
Quant à l'interlignage, il suffit de renouveler avec le pré-
sent alinéa l'expérience de tout à l'heure pour s'assurer que
la suppression totale des interlignes, dont l'effet est
déplaisant, ne diminue pas la lisibilité. Les lettres
telles qu'elles sortent de chez le fondeur portent par
le haut et par le bas beaucoup plus de blanc que par
le côté ; le raisonnement faisait donc parfaitement prévoir
que l'interlignage est un pur luxe, auquel on aurait bien tort
de renoncer quand la question de dépense n'intervient pas.
Nous sommes surpris que M. Hermann Cohn n'accepte pas
un résultat que la théorie et l'expérience s'accordent à
démontrer. Il faut réserver l'interlignage et les grandes
marges pour les livres soignés ; la librairie et le journal à
bon marché feront mieux de recourir à des caractères plus
gros que de compenser la dépense du papier occupé par les
interlignes en employant des caractères trop fins. C'est
d'ailleurs ce qu'ont parfaitement compris les éditeurs de
journaux français; ceux qui savent leur métier n'emploient
jamais d'interlignes. — Nous aurons d'ailleurs à revenir sur
cette question.
THÉORIE DES IMPRESSIONS COMPACTES.
Après avoir étudié le dessin des caractères et posé des
règles relatives aux empâtements, à l'espace et aux interli-
gnes, nous devons aborder la question, bien autrement
importante, des proportions à donner aux caractères d'im-
pression, c'est-à-dire des dimensions relatives de leurs par-
ties constituantes.
XVII. TYPOGRAPHIE COMPACTE. 213
Le plus simple nous paraît être d'adopter, pour unité de
mesure, le point typographique. Le point de l'Imprimerie
nationale mesure 0mm,40. Certaines imprimeries se servent
encore du point Fournier, de 0mm,35, qui date du siècle
dernier. A Paris, on emploie généralement le point de
Didot, un peu plus récent, qui est précisément le sixième
d'une ligne de pied de roi, soit 0mm,376; il faut 27 points
Didot pour faire un centimètre.
Voici le tableau de correspondance entre les points de
0mm,40 et les anciennes désignations :
Nombre
Nombre
de points.
Dénomination.
de points.
Dénomination.
3 . . .
Diamant.
18 . .
Gros romain.
4 . . .
. Perle.
20 . .
Petit parangon.
5 . . .
Parisienne.
24 . .
Palestine.
6 . . .
Nonpareille.
28 . .
■Petit canon.
7 . . .
. Mignonne.
36 . .
Trismégiste.
7 1/2. .
. Petit texte.
44-48 .
Gros canon.
8 . . .
Gaillarde.
56 . .
Double canon.
9 . . .
. Petit romain.
72 . .
Double Trismégiste.
10.,/. .
Philosophie.
88 . .
Triple canon.
11 . . .
. Cicéro.
96 . . .
Grosse nonpareille.
12, 13. ,
. Saint- Augustin .
100 . .
Moyenne de fonte.
14, 15, 16
. Gros texte.
Soit dit en passant, le cicéro, mesuré ici par 11 points de
l'Imprimerie nationale, mesure 12 points usuels de 0mm376.
J'ai fait établir en matière transparente par M. Cornet,
opticien, 66, rue de Rennes, un petit lignomètre dont l'ap-
parence est reproduite ci-après (Fig. 58).
On a ajouté le long du bord supérieur une graduation en
centimètres et en millimètres, et le long du bord inférieur
une graduation en pouces (du pied de Paris), lignes et points ;
ces derniers sont les points typographiques Didot usités en
France.
Lorsque les caractères n'ont pas de talus, c'est-à-dire que
les lettres longues occupent en hauteur toute la surface
disponible sur le petit rectangle qui constitue chaque
I
214 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
caractère, la dimension du caractère est donnée par la dis-
tance qui sépare l'alignement supérieur et l'alignement infé-
rieur des lettres longues.
Les plaquettes de métal qui servent à interligner le présent
livre mesurent un point; nous les avons fait enlever à partir
du commencement de cet alinéa qui, par suite, se trouve
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
215
composé en neuf plein, ainsi qu'on peut s'en assurer par la
coïncidence de la typographie, ligne pour ligne, avec
l'échelle neuf d'un lignomètre quelconque. Si nous plaçons
une série de lettres longues, telles que p, q, g, y, ue sorte
qu'une série d'autres longues, comme b, d, h, 1, viennent
se placer exactement au-dessous, on voit que ces lettres se
touchent presque, ce qui produirait un effet extrêmement
désagréable dans les impressions non interlignées, si les
coïncidences de ce genre se produisaient fréquemment. Dans
l'exemple actuel, le talus est assez faible ; le plus souvent,
dans les caractères compacts, le talus est à peu près nul.
Le passage plein, c'est-à-dire non interligné, qu'on vient de
lire, permet de mesurer (sans lignomètre) à l'œil nu la poin-
ture du caractère employé ; en effet, dix lignes de ce carac-
tère mesurant 33 millimètres 84, une ligne mesure 3 milli-
mètres 38; en divisant par 0,376, il vient 9. Nous avons donc
affaire à du neuf.
Nous allons, chemin faisant, donner quelques exemples
des caractères le plus habituellement employés.
Les lettres de cinq points, dont cette ligne est un exemple, sont difficilement lisibles.
Les caractères de six points, de deux millimètres et trois dixièmes de hauteur,
ne sont pas facilement acceptés, bien qu'ils soient parfaitement lisibles pour un
vue passable, comme le lecteur vient de s'en convaincre.
Le sept même n'est pas d'une lecture agréable à la longue, et il est rare-
ment employé par les éditeurs français.
Le huit est acceptable pour des livres de petit format, et on
le rencontre très fréquemment.
Cependant, en France, c'est le neuf qui est le plus em-
ployé pour les livres et pour les articles de fond des jour-
naux ; rappelons que sa hauteur est de 0,38 X 9=» 3,4 mil-
limètres. Le présent livre est imprimé en neuf.
Enfin, le dix sert pour les premier Paris des jour-
naux, pour les beaux livres de grand format ; les
caractères plus grands n'ont, en réalité, aucun
avantage.
Dans les journaux français, on emploie habituellement du 7,
216 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
du 8, du 9 et du 10. Les annonces étant payées d'après la
place qu'elles occupent, si le public consentait à lire du 6, les
industriels en feraient usage ; mais l'expérience leur a appris
à ne pas prendre de caractère inférieur au 7.
Dans les imprimeries bien montées, on n'emploie dans un
même ouvrage que des caractères de même famille; en d'autres
termes, si l'on imprime, par exemple, un livre en 9, certaines
intercalations en 8 et les notes en 7, ces trois caractères doi-
vent être analogues. Nous raisonnerons tout d'abord, dans
ce qui suit, comme si les caractères d'une même famille
étaient exactement des réductions photographiques d'un
même type.
La question des dimensions à donner aux lettres s'est
posée dès l'invention delà typographie. Depuis cette époque,
la lettre manuscrite et la lettre moulée, absolument identi-
ques au début, ont suivi deux voies divergentes. Les pre-
miers livres de Gutenberg furent vendus pour des manus-
crits; qui donc, aujourd'hui, confondrait une page imprimée
avec une page écrite à la main ?
Nous l'avons vu, le bon marché du papier et le besoin de
faire vite ont donné à notre écriture son aspect lancé; en
même temps, pour une raison opposée, les caractères typo-
graphiques ont dû se tasser, car la dépense du papier, pour
l'éditeur, se multiplie par le chiffre du tirage.
De quelle manière ce tassement s'est-il opéré depuis plus
de quatre siècles ? Les procédés employés pour ménager
l'espace sont-ils susceptibles d'amélioration ?
Il est clair que si le papier ne coûtait rien, cette question
perdrait beaucoup de son intérêt ; on mettrait de larges in-
terlignes, et on espacerait amplement les lettres, qu'on ferait
suffisamment grosses pour être bien lisibles et auxquelles on
donnerait les dimensions classiques. Appelant corps la hau-
teur des lettres courtes, on laisserait, comme au siècle der-
nier, les lettres longues dépasser d'un corps par en haut et
par en bas : il n'est pas difficile de faire « bonne chère avec
beaucoup d'argent ».
Mais pour les manuels et les dictionnaires qui doivent
être portatifs, pour les journaux à grand tirage et pour les
livres classiques, les livres primaires surtout, il est impos-
sible de conseiller une solution qui n'économiserait pas le
papier, car le public ne consentant pas à une augmentation
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
217
de prix, les éditeurs ne sauraient l'adopter. Nous devons
donc chercher à améliorer la lisibilité sans diminuer le nombre
de lettres contenues dans la page.
Il existe cinq moyens principaux d'augmenter la quantité
de matière contenue dans une page de dimension donnée, à
savoir : 1° supprimer les interlignes ; 2° diminuer l'approche ;
3° aplatir les caractères pour en faire tenir un plus grand
nombre dans une ligne ; 4° avoir recours à une pointure plus
faible, et 5° diminuer la saillie des lettres longues.
Le premier de ces moyens a été employé constamment
depuis les premiers temps de l'imprimerie. En effet, comme
on a pu s'en assurer en regardant les exemples intercalés p. 212
et 215, la suppression de l'interligne ne nuit pas à la lisibilité ;
l'interligne doit donc rester la marque distinctive des im-
pressions de luxe. Rien n'est plus absurde que d'employer
des caractères fins et de les interligner; mieux vaut se servir
de caractères de dimension raisonnable et supprimer les
interlignes, bien que cela présente l'inconvénient de donner
à la page un aspect noir et lourd, des plus désagréables.
Pour fixer une limite, nous dirons qu'avec les caractères
actuellement usités, nous n'admettons pas l'usage du 7 inter-
ligné; il vaut mieux prendre du 8 plein.
La différence de hauteur des deux colonnes de la Fig. 59,
qui est exactement d'un point typographique, est mise en
évidence par la dénivellation des deux filets qui les terminent.
C'est ainsi que de ces deux colonnes,
celle de gauche est en cinq interligné de
deux points, celle de droite en six plein;
on voit que celle de droite est lisible plus
loin que celle de gauche et contient la
même quantité de matière en occupant
moins de place.
C'est ainsi que de ces deux co-
lonnes, celle de gauche est en cinq
interligné de deux points, celle de
droite en six plein ; on voit que celle
de droite est lisible plus loin que
celle de gauche et contient la même
quantité de matière en occupant
moins de place.
Fig. 59.
Le second moyen d'augmenter la quantité de matière est
de diminuer l'approche. Par l'exemple donné plus haut, page
211, on peut voir qu'il y aurait plutôt intérêt à augmenter la
distance entre les lettres : les imprimeurs actuels nous
paraissent avoir un peu dépassé les limites du raisonnable
en diminuant l'approche comme ils l'ont fait.
218 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Le troisième moyen, qui consiste à donner aux caractères
une forme étroite, a été mis en usage depuis l'origine de
l'imprimerie. C'est même à leur forme étroite, permettant
de faire entrer beaucoup de lettres à la ligne, que les carac-
tères elzéviriens doivent leur regain de popularité. On les
emploie souvent pour publier des vers, car leur usage donne
le moyen, tout en conservant un petit format, tel que l'in-12
ou l'in-18, de se servir de caractères assez grands sans que
la longueur des vers dépasse la justification. — C'est pour
ce motif que les caractères étroits sont souvent désignés par
les imprimeurs sous le nom de poétiques.
Depuis Grandjean, qui avait adopté des caractères assez
larges, la forme des caractères a été en se rétrécissant de
plus en plus ; l'un des mérites de la typographie anglaise
est d'avoir résisté à cette tendance et d'avoir eu recours
plutôt à la diminution de hauteur qu'à la diminution de lar-
geur des caractères.
Il faut noter cependant qu'il est légitime de donner aux
caractères une forme d'autant plus étroite qu'ils sont plus
grands ; pour un in-4° imprimé en caractères de douze
points, nous prendrions volontiers des types poétiques. Le
livre étant en effet destiné à être mis à plat sur la table, la
perspective aura pour effet, surtout pour le haut de la page,
de diminuer en apparence la dimension verticale des lettres.
Le quatrième moyen, employé par les imprimeurs pour
faire tenir beaucoup de matière dans un petit espace, con-
siste à employer des caractères plus petits. Tandis qu'autre-
fois le cicéro, qui mesure 12 points Didot, était usuel, le petit
Romain qui correspond à notre 9 n'était pas, comme son nom
le prouve, considéré comme un gros caractère ; on a réussi
à graversuccessivement des caractères de plusen plus petits,
et l'on est descendu jusqu'à la mignonne, la nonpareille, la
perle et le diamant, qui mesurent respectivement 7, 6, 4 et 3
points, sans descendre au-dessous de la limite de ce qu'une
bonne vue peut aisément distinguer.
Il est à remarquer que les caractères typographiques
usuels ne nous donnent pas le spécimen de ce que produirait
une simple diminution de grandeur des lettres. En effet voici
une série de types :
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
219
14 abcdefghijklmnopqrsluvxyz
13 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
12 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
11 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
10 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
9 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
8 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
7 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
6 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
5 abcdefghijklmnopqrstuvxyz
4 abcdÊfghijklmaopqrstuvxyi
3
2
1
0
Fig. 60.
On voit que la longueur des lignes diminue en même
temps que la hauteur des lettres, mais que la diminution de
largeur est bien plus lente que celle en hauteur, parce que
les graveurs ont reconnu, sans bien s'en rendre compte,
que la diminution de lisibilité est attribuable principalement à
la diminution de largeur des lettres. C'est là un fait capital
que nous avons signalé depuis longtemps.
En regardant les lettres au travers d'un système de
verres cylindriques qui permet de les faire paraître à volonté
plus longues ou plus larges, ou bien en comparant des
types très plats avec des types ordinaires comptant le
même nombre de lettres à la ligne, on peut contrôler l'exac-
titude de notre assertion, établie théoriquement, d'après
laquelle la lisibilité des caractères dépend beaucoup plus de
leur largeur que de leur longueur.
Cette vérification peut se faire plus simplement encore
Pendant le Siège de Paris, on fabriqua, Pendant lesiège de Paris, on fabriqua, Pendant le siège de Paris, on fabi
pour être expédiées par ballons, des pour être expédiées par ballons, des pour être expédiées par ballons
réductions de journaux obtenues par réductions de journaux obtenues par rédactions de journaux obtenue!
l'intermédiaire de la photographie, l'intermédiaire de la photographie, l'intermédiaire de la photogra
Naturellement, ces réductions étaient Naturellement, ces réductions étaient Naturellement, ces réductions éi
proportionnelles. proportionnelles. proportionnelles.
Alors, comme maintenant, les carac- Alors, comme maintenant, les carac- Alors, comme maintenant, les c
tères de sept pointe, analogues à ceux tères de sept point?, analogues à ceux tères de sept point?, analogues à
employés pour le présent exemple, employés pour le présent exemple, employés pour le présent exe
étaient les plus fins dont les journaux étaient les plus fins dont les journaux étaient les plus fins dont les joui
fissent usage et, on peut voir, à l'angle fissent usage et, on oeut «voir, à l'angle fissent usage et, on peut voir, à 1'
inférieur droit de la présente page, ce inférieur droit delà présente page, ce inférieur droit de la présente pag
que devient un caractère de sept points, que devient un caractère de sept points, que devient un caractère de sept pj
réduit à moitié à la fois en hauteur et réduit à moitié à la fois en hauteur et réduit à moitié à la fois en haute
en largeur. Les réductions figurées sur en largeur. Les réductions figurées sur en largeur. Les réductions figurée)
la présente page ont été obtenues au la présente page ont été obtenues an la présente page ont été obtenu*
moyen du caoutchouc, dont il a été parlé moyen du caoutchouc, dont il a été parlé moyen du caoutchouc, dont il a été
tout à l'heure, ce quia permis d'obtenir, tout à l'heure, ce qui a permis d'obtenir,, tout à l'heure, ce qui a permis d'obi
outre deux réductions proportionnelles,; outre deux réductions proportionnelles, outre deux réductions proportionn
deux épreuves réduites seulement en. deux épreuves réduites seulement en deux éprenvea réduites senlemen
largeur, deux réduites suivant la hau- largeur, deux réduites suivant la hau- largeur, deux réduites suivant la
teur, et enfin deux où la réduction est teur, et enfin deux où la réduction est teur, et enfin deux où la réductioi
plus forte suivant une dimension que* plus forte suivant une dimension que plus forte suivant nne dimension
suivant l'autre, suivant l'autre. isuivant l'autre.
Pendant le siège de Paris, on fabriqua, Pendant le Siège de Paris, on fabriqua, Pendant le siège de Paris, on fabr
pour être expédiées par ballons, des pour être expédiées par ballons, des pour être expédiées par ballons,
réductions de journaux obtenues par rédactions de journaux obtenues par réductions de journani obtenues
l'intermédiaire de la photographie, l'intermédiaire de la photographie, l'intermédiaire de la photogra]
Naturellement, ces réductions étaient Naturellement, ces réductions étaient Naturellement, ces réductions étj
proportionnelles. proportionnelles. proportionnelles.
Alors, comme maintenant, les carac- Alors, comme maintenant, les carac- Alors, comme maintenant, les ci
tères de sept point*», analogues a ceux tères de sept pointe, analogues à Ceux tères de sept point?, analogues à
employés pour le présent exemple, employés pour le présent exemple, employés pour le présent exei
étaient les plus fin6 dont les journaux étaient les plus fins dont les journaux, étaient les plus fins dont les jonn
fissent usage et, on peut voir, a l'angle fissent usage et, on peut voir, à l'angle fissent usage et, on pent voir, à l'a
inférieur droit de la présente page, ce inférieur droit delà présente page, ce inférieur droit de la présente pag(
'que' devient un caractère de sept points, que devient un caractère de sept points, que devient on caractère de sept po
réduit à moitié à la fois en hauteur et réduit à moitié à la fois en hauteur et réduit à moitié à la fois en hantet
en largeur. Les réductions figurées sun en largeur. Les réductions figurées sur en largeur. Les réductions figt
la présente page ont été obtenues au la présente page ont été obtenues au la présente page ont été obtenue*
moyen du caoutchouc, dont il a été parlé moyen du caoutchouc, dont il a été parlé moyen du caoutchouc, dont il a été f
tout à l'heure, ce quia permis d'obtenir, tout à l'heure, ce qui a permis d'obtenir, tout à l'heure, ce qui a permis d'obti
outre deux réductions proportionnelles, outre deux réductions proportionnelles, outre deux réductions proportionne
deux épreuves réduites seulement en deux épreuves réduites seulement en deux épreuves réduites seulement
largeur, deux réduites suivant la hau- largeur, deux réduites suivant la hau- largeur, deux réduites suivant la 1
teur, et enfin deux où la réduction est teur, et enfin deux où la réduction est teor, et enfin deux où la réduction
,plus forte suivant une dimension que plus forte suivant une dimension que plus forte suivant uoe dimension
(suivant l'autre. suivant l'autre. suivant l'autre.
Pendant lo siège de ParlB, on fabriqua, Pendant le Biège de Parie, on fabriqua. Pendant lesiège de Pari», on fabriq
pour être expédiées pav ballons, des pour être expédiées par ballons, des pour être expédiées par ballons,
réductions de journaux. obtenues par réductions de journaux obtenues par réductions de journaux obtenues
l'intermédiaire de la photographie . ' l'intermédiaire rte la photographie, l'intermédiaire rte la photograpl
Naturellement, ces réductions étaient Naturellement, ces réductions étaient Naturellement, ces réductions étai
proportionnelles. proportionnelles. proportionnelles.
. A lors, comme maintenant, les carac- Alors, comme maintenant, les carac- Alors, comme maintenant, les
téres de sept point», analogues a ceux, tères de sept pointe, analogues a ceux tères de sept point», analogues a
employés pour le présent exemple, employés pour le présent exemple, employés pour le présent exe
étaient les plus flns dont les journaux étaient les plus fins dont les journaux étaient les plus 6ns dont les jou
fissent usage et, on peut voir, a l'angle fissent usage et, on peut voir, a l'angle fissent osage et. on peut Toir, a 1'
intérieur droit de la présente page, ce inférieur droit de la présente page, ce inférieur droit de la présente page,
que devient un caractère de sept points que devient un caractère de sept points; que devient nn caractère de sept poil
réduit a moitié a la fois en hauteur et réduit a moitié a la fois en hauteur et réduit à moitié à la fois en hanteul
en largeur. Les réductions figurées sur en largeur Les réductions figurées sur en largeur. Les réductions figurée»
la présente page ont été obtenues au la présente page ont été obtenues au la présente page ont été obtenues
moyen du caoutchouc, dont il a été parlé moyen du caoutchouc, dont il a été parlé moyen do caoutchouc, dont il a é
tout à l'heure, ce quia permis d'obtenir, tout a l'heure, ce qui a permis d'obtenir, tout à l'heure, ce qui-a permis d'
outre deux réductions proportionnelles outre deux réductions proportionnelles, outre deux réductions proportionnel
deux épreuves réduite» seulement en deux épreuves réduites seulement en deox épreuves rédoites seulement'
largeur, deux réduites suivant la hau- largeur, deux réduites suivant la hau- largeur, deux réduites suivant la
tour, et enfin deux où la réduction est. teur, et enfin deux où la réduction est teur, et enfin deux où la réduction
plus forte suivant une dimension oue nias forte suivant une dimension que nlns forte suivant une diroensioD
Fig. 61.
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
221
comme suit : tenez bien verticalement une page de fine im-
pression à la distance la plus grande où vous puissiez la
lire exactement ; puis faites tourner la page de 45° autour
d'un axe vertical : vous ne pourrez plus lire un mot, tandis
qu'une rotation du même angle autour d'un axe horizontal
ne diminue pas notablement la facilité de lecture. Par cette
simple expérience, on démontre bien l'influence prépondé-
rante de la largeur des lettres sur leur lisibilité.
Nous avons fait établir la Fig. 61 pour mettre en lumière
ce qui vient d'être exposé. — Par un procédé mécanique
(impression sur une feuille de caoutchouc tendue dans un
cadre dont on peut réduire à volonté la largeur ou la hau-
teur), la composition typographique reproduite dans l'angle
supérieur gauche, a été réduite de huit manières différentes,
à savoir deux fois en largeur, deux fois suivant sa hauteur,
deux fois d'une même quantité selon ses deux dimensions,
une fois en largeur plus qu'en hauteur et une fois en hau-
teur plus qu'en largeur. On voit immédiatement, si l'on
s'éloigne de la figure, que la réduction en largeur nuit bien
plus à la lisibilité que ne fait la réduction en hauteur. Il est
particulièrement intéressant de comparer les trois réductions
situées à l'angle supérieur droit, au milieu, et à l'angle infé-
rieur gauche, car elles présentent cette particularité que
leurs surfaces sont rigoureusement égales, à savoir la moi-
tié de celles du texte primitif.
Les lecteurs qui voudraient comprendre les considéra-
tions géométriques qui ont servi de guide à la construction
de cette planche devront se reporter au chapitre de l'acuité
visuelle où ont été exposées les qualités de la progression
géométrique y/2. La simple inspection de la figure démontre
l'exactitude des considérations qui viennent d'être exposées.
Je dois d'autre part à l'obligeance de la maison Deberny
les types de comparaison qu'on va voir (Fig. 62). Les mots
'Le Gouvernement... etc., ont été composés d'abord en carac-
tères de 30 points (Romain N° 16 du catalogue Deberny); il en
a été fait une réduction au sixième et enfin les mêmes mots
ont été composés en cinq de la même série 16. — On voit
bien que le cinq occupe plus de largeur, et qu'il est beau-
coup plus lisible que la réduction photographique (1).
(1) La réduction est un peu moins haute, parce que le 30 avait un
talus très notable.
222 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Dans la réduction des dimensions des caractères, la ques-
tion des tarifs d'imprimerie a joué un rôle important, et qui
Le gouvernement
Le gouvernement le plus conforme à la nature est celui dont la disposition
particulière se rapporte mieux a la disposition du peuple pour lequel il est établi
Le gouvernement le plus conforme «1 la nature est celui dont la disposition
particulière se rapporte mieux â la disposition du peuple pour lequel il est établi.
Fig. 62.
nous paraît fâcheux. On sait, en effet, que les compositeurs
sont payés à tant le mille de lettres, mais que le tarif reçoit
une surcharge quand les caractères sont plus petits que le
8 ; cette surcharge, légère pour le 7, devient énorme pour
le 6 et les caractères plus petits. Les compositeurs donnent
pour raison, très légitime, de cette augmentation, la diffi-
culté plus grande qu'ils éprouvent à manier les petits corps
de caractères. Il en résulte que les éditeurs intelligents, qui
savent se mouvoirdans les limites des tarifs, évitent l'emploi
du 7 et surtout du 6, et préfèrent de beaucoup économiser
la place en prenant des caractères étroits plutôt que de
recourir à des lettres d'un point inférieur.
La généralisation du travail des femmes dans les impri-
meries devra modifier cette situation, car les doigts plus
effilés de la femme lui permettent de composer en 6 aussi
facilement que l'homme en 7, et les machines à composer,
si elles finissent par entrer définitivement dans la pratique,
permettront sans doute de faire usage, sans surcharge de
prix, des caractères les plus fins.
S'il en est ainsi, nous devons nous attendre à voir se géné-
raliser, pour les ouvrages à grand tirage, l'emploi de carac-
tères de plus en plus fins, dont on augmentera la lisibilité
par tous les moyens déjà indiqués plus haut, et surtout en
leur donnant une largeur suffisante.
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
223
Le cinquième des moyens énumérés ci-dessus pour
réduire l'espace occupé par les caractères d'impres-
sion consiste à raccourcir les lettres longues ; on obtient
ainsi dès caractères dits compacts, qui sont particu-
lièrement employés par les journaux. — Pendant des siè-
cles, on a divisé le corps de la lettre en trois parties égales:
les longues dépassaient en haut et en bas d'une quantité
égale à la hauteur des lettres courtes. Ce principe a été con-
servé jusqu'à nos jours par l'Imprimerie nationale, qui se
sert de deux types : gravure cfticienne (1825) et gravure nou-
velle (1847), dus tous deux à Marcellin Legrand (Voir plus
haut Fig. il, page 27). Dans la gravure ancienne, les courtes
occupent encore précisément le tiers de la hauteur totale, de
sorte que le petit trait caractéristique des 1 1 1 de cette impri-
merie, qui est sur l'alignement du haut des lettres courtes,
se trouve exactement à la moitié de la hauteur de 17. Dans la
gravure dite nouvelle, la grandeur relative des longues est
un peu moindre. Mais il faut remarquer que pour la dimi-
nution des lettres longues comme pour toutes les autres
modifications, l'Imprimerie nationale est fortement en retard
sur la mode ; cet important établissement fait preuve d'un
esprit de conservation très énergique et s'en tient aux formes
classiques.
Pour s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur un
livre moderne, quel qu'il soit : les longues y sont bien plus
courtes que dans les types de l'Imprimerie nationale, à tel
point qu'on peut considérer comme très habituels des types
où les longues ne dépassent que d'une quantité à peine supé-
rieure à la moitié de la hauteur des courtes ; c'est ce qui a
lieu pour le présent alinéa, composé avec le 8 dont nous avons
fait usage pour les citations qu'on a rencontrées de place en
place dans ce volume.
Bien plus, dans les journaux imprimés en caractères tout
à fait modernes, il arrive que les longues sont raccourcies à
tel point que l'espace compris entre deux lignes successives
est plus étroit que celui occupé par les lettres courtes de
chaque ligne. Il semblerait donc que le raccourcissement des
lettres longues eût atteint la limite du possible.
Il n'en est rien cependant, car on peut arriver à la sup-
pression totale des longues inférieures, sans nuire beaucoup
224 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
à la lisibilité.— C'est ce qui a été fait, en 1879, par la Com-
pagnie des omnibus de Paris, qui, ayant affermé à un office
de publicité la place qu'elle consacrait aux indications utiles
au public, a dû reporter la nomenclature des itinéraires sur
une bande très étroite, située le long des pieds des voyageurs
d'impériale. L'amour du gain rendant industrieux, la Com-
pagnie a fait remplacer les longues inférieures par de petites
capitales, comme cela est fait dans l'alinéa suivant.
On peut remarQuer Que la lisibilité souffre moins de cette
substitution Qu'on ne pourrait le croire au premier abord,
car, ainsi Que nous l'avons déjà fait remarQuer plus haut,
les lonGues inférieures se présentent environ sept fois moins
souvent Que les lonoues supérieures.
La FaciLiTÉ De LecTure souFFre DavanTaGe par La substi-
Timon De peTiTes caprraLes aux Longues supÉrieures.
L'artifice employé par la Compagnie des omnibus, quel-
que ingénieux qu'il paraisse, ne nous semble pas devoir être
adopté pour l'impression, car il donne un produit hybride
assez désagréable; mais il nous semble qu'on peut, sans in-
convénient, raccourcir les longues inférieures, plus que les
longues supérieures. Les longues inférieures sont g, j, p,
q et y. Sur ces cinq lettres, il en est deux, le p et le q,
dont on pourrait supprimer totalement les queues, sans
causer de confusion avec d'autres lettres : il n'y a donc
pas d'inconvénient à faire p et q plus courts que d ou b. Le
j ou l'y s'accommoderont, sans difformité, d'une queue très
courte ; reste donc le g, qu'on ne pourra raccourcir qu'au
prix d'une légère altération de dessin, que nous avons déjà
indiquée lors de notre récapitulation de la forme des lettres.
La proposition que nous fîmes, d'abréger les longues in-
férieures un peu plus que les supérieures, nous paraît pré-
senter cet avantage supplémentaire que, les courtes ne se
trouvant plus au milieu de la hauteur du corps, les lettres
retournées produiront un effet assez désagréable pour ne
plus échapper aussi facilement au correcteur: elles dépas-
seront, en effet, par en haut, du double de la différence de
longueur établie entre les longues supérieures et inférieures.
Le neuf qui a servi à composer le présent volume a été
gravé dans ce système, que nous préconisons depuis 1879.
Dans le présent alinéa, composé en lettres banales, se trou-
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
225
vent de nombreuses lettres retournées ; elles échapperont
bien plus facilement au correcteur que si l'on avait fait
usage de notre neuf, ainsi qu'on va le voir par l'alinéa suivant,
contenant des fautes analogues.
Dans le présent alinéa, se trouvent de nombreuses lettres
retournées ; elles échapperont très difficilement au correc-
teur,parce qu'on a fait usage du neuf que nous préconisons.
Malgré ma cécité, j'ai tâché de choisir, pour l'impression
du présent volume, des caractères aussi conformes que
possible à mes idées. J'ai pu ainsi prendre dans le catalogue
de Deberny, le présent type. En le gravant, l'artiste avait tenu
compte, dans une assez grande mesure, de desiderata publiés
par moi, dès 1878.
Parlons tout d'abord du 8 non interligné, employé pour
le présent alinéa. Je ne saurais en faire un meilleur éloge
que celui consistant à l'avoir choisi pour les intercalations du
présent volume. Remarquons cependant que, pour quelques
détails, plusieurs lettres pourraient être retouchées en confor-
mité des indications données plus haut; les empâtements, déjà
si différents de ceux de Didot, pourraient être rendus plus
semblables encore à ceux de Jaugeon et à ceux du genre
anglais, dont la pratique a démontré l'excellence. On a vu
(Fig. 62, p. 222), que pour les fins caractères de cette série, le
graveur a très convenablement augmenté la largeur des lettres
et l'épaisseur des pleins.
Les types qu'on vient de voir, et en général tous les types
compacts, ne devraient jamais être interlignés, ainsi que cela
a été fait pour le 8 du présent alinéa; en effet, à quoi bon
raccourcir les longues pour placer des interlignes ? Il vaut
bien mieux, quand on n'économise pas le papier, mettre l'es-
pace à profit en donnant aux longues une hauteur convenable^
C'est ce qu'a compris M. Tuleu, le savant directeur de la
fonderie Deberny, lorsqu'il créa sa « série dix-sept », laquelle
dérive, pour toutes les grosseurs de points, de sa ((série seize))
par l'allongement des longues supérieures. Il est probable
que bien peu de lecteurs de ce volume se sont aperçus que
l'œil du 8 et du 9 employés sont identiques. Il est non moins
probable que le lecteur n'a pas remarqué non plus que le
présent alinéa, composé en neuf plein, de la « série dix-sept »,
ne diffère de l'alinéa précédent en 8 interligné que par la
dimension des lettres longues supérieures : on avouera que
ce neuf plein est préférable au huit interligné d'un point.
La maison Deberny veut bien faire un pas de plus dans la
JAVAL. 15
226 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
même voie. De même qu'elle a fait une dizaine de poinçons
spéciaux de longues supérieures pour transformer en neuf
d'une nouvelle série dix-sept, le huit de sa série seize, elle
fait graver actuellement les cinq poinçons nécessaires pour
créer le dix d'une nouvelle série intitulée dix-huit, lequel ne
diffère du neuf de la série dix-sept que par l'addition d'un
point à la longueur des parties inférieures des lettres g, j,
Pv q et y.
Si cela avait été fait, au lieu d'adopter, pour le présent
volume, du neuf interligné d'un point, je n'aurais pas hésité
à choisir le dix de la série dix-huit sans l'interligner. Ce
caractère sera prêt en temps utile pour servir à composer la
préface de ce livre.
Je reproduis ci-dessous en fac-similé onze lignes d'un
article paru en 1881 dans la Revue scientifique, et, pour
montrer les avantages de la typographie compacte, je les fais
suivre d'une réduction photographique et d'une composition
en caractères compacts tels qu'on pouvait se les procurer à
cette époque.
Pour donner un exemple pris tout à fait sur le vif, suppo-
sons que l'éditeur de la Revue scientifique se pose le pro-
blème de réduire de moitié le prix de l'abonnement tout en
donnant un texte à peu près lisible II est tout à fait inadmis-
sible d'offrir au public le spécimen ci-dessous, qui est une
réduction par la photogravure, dans une proportion telle que
la surface imprimée est précisément moitié moins grande,
tandis que le second spécimen, obtenu en composant en
plein avec du six de forme plus logique, est à la fois plus
lisible et plus tassé; quand nos caractères seront gravés,
l'avantage sera plus grand encore.
Pour donner un exemple pris toul à fait sur le' vif, suppo- Pour donner un exemple pris tout à fait s
sons que l'éditeur de la Bévue scientifique se pose le pro- vif, supposons que l'éditeur de la Revue sci
blême de réduire de moitié le prix de l'abonnement tout en «que se pose le problème de réduire de moi
donnant un texte à peu prés lisible. Il est tout a fait inadmis- prix de l'abonnement tout en donnant un te
*;ku ,ivir • u. , . «nuuid lamnaumis peu pres iisible. Il est tout a fait inadmis
s.b e <t ollm au public le spécimen u-dessous, qui est une d'offrir au public le spécimen ci-dessous, qi
réduction par la photogravure, dans une proportion telle que une réduction par la photogravure, dans
la surface imprimée est précisément moitié moins «rande proportion telle que la surface imprimé»
tandis que le second spécimen, obtenu en composant en précisément moitié moins grande, tandis q
nipin avDn .i„ t ii- wi"pw«*"< ui second spécimen, obtenu en composant en 1
plein avec du s.x de forme plus log.que, est à la fois plus avec du six de forme plus Jogique, est à la
lisible et plus tasse; quand nos caractères seront gravés, plus lisible et plus tassé; quand nos carac
l'avantage sera plus grand encore. seront gravés, l'avantage sera plus grand em
Fig. 63.
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE. 227
Comme second exemple, nous avons fait reproduire en
photogravure (Fig. 64-) une affiche, merveille du genre, qui
attirait forcément l'attention de toute personne voyageant en
Angleterre ; nous avons été fort surpris en 1881 de voir que
l'agence de publicité de Willing avait trouvé de son côté pres-
que tous les petits artifices que nous avons proposés.
Tout est étudié dans ces sept lettres avec une entente par-
Fig. 64.
faite de l'utilisation de la place. Dans nos types, les lettres
seraient plus grêles, les empâtements un peu moins impor-
tants, le g dépasserait un peu plus en bas, mais en somme,
notre typographie présente de l'analogie avec le spécimen
qu'on vient de voir.
N'ayant pas à ma disposition les types d'Olive Lazare, dont
il va être question, je fais reproduire ici (Fig. 65) en fac-similé
la fin de l'article « Evolution de la typographie », paru dans
la Revue scientifique du 26 juin 1881 :
Le Petit Journal applique depuis
quelques jours assez exactement nos
propositions quant au raccourcisse-
ment des longues inférieures. Infor-
mations prises, les types de l'article
Thomas Grimm viènnent de la fon-
derie Olive Lazare à Marseille. Mal-
heureusement on a lésiné sur l'ap-
proche : l'écart entre les n est infé-
rieur à la largeur de i'n, ce qui fait
perdre à ces types une grande partie
de leur avantage. Au surplus, l'uti-
lité de la réforme, qui a permis
d'employer du huit au lieu de neuf
pour le premier Paris du Petit Jour-
nal, sera bien plus marquée quand
on retendra au sept et surtout quand
on aura recours au six, dont les jour-
naux ne font aucun usage actuelle-
ment en France»
Fig. 65.
228 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Tout ce post-s'criptum est im-
primé en huit d'Olive Lazare :
dans le présent àlinéa on a ajouté
des papiers minces entre les
lettres; je doute que jamais rien
d'aussi lisible ait été imprimé
en caractères de huit points : on
dirait du neuf.
Fig. 66.
Dans le journal français Y Imprimerie, M. Motteroz décrit
comme suit le sept et le cinq et demi employés par l'éditeur
de l'Encyclopédie américaine The Century Dictionary, ache-
vée d'imprimer en 1889. Voici (Fig. 67) un fac-similé de
cette typographie :
gauche (gôsh), a. [F., left (hand, etc.), awk-
ward, clumsy, prob. < OF. *gauc, *galc (> E.
dial. gaulic-hand, the left hand, gallic-handed,
gauk-handed, lef t-handed ; cf. Walloon frère
wauquier, step-brother, lit. ' lef t-brother'), prob.
< OHG. welc, welch, soft, languid, weak, G. welk,
withered, f aded, languid, etc. : see welk1. So in
other instances the left hand is namedfrom its
relative weakness : see left1. The Sp. gaucho,
slanting, seems to be derived from the F. word.]
1. Lef t-handed; awkward; clumsy. [Used as
French.]
Pardon me if I say so, but I never saw such rude, un-
civil, gauche, ill-mannered men with women in my life.
Aristocracy, xxi.
2. In math., skew. Speciflcally — (a) Not plane;
twisted. (6) Not perf ectly symmetrical, yet deviating from
symmetry only by a regular reversai of certain parts. —
Gauche curve, a curve not lying in a plane.— Gauche
déterminant. See déterminant— Gauche perspective
or projection, the projection of a figure from a center
upon a surface not a plane.— Gauche polygon, a figure
f ormed by a cycle of right lines each intersecting the next,
but not ail in one plane. Thus, a gauche hexagon would
be formed by the following 6 edges of a cube, where the
numbers dénote the faces as those of a die are numbered :
(1-2) (2-3) (3-6) (6-5) (5-4) (4-1).— Gauche surface, a
surface generated by the motion of an unlimited straight
line whose consécutive positions do not intersect ; a skew
surface ; a scroll.
Fig. 61.
« On a employé — égyptienne et romain — du sept ayant
« l'œil de certains huit et du cinq et demi aussi gros que la
« plupart des sept. On est arrivé à cet effet en diminuant les
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPACTE.
229
« queues, principalement en dessous, où il n'en reste presque
« pas trace.
« Il a fallu, pour cela, tricher sur la plupart des lettres lon-
« gues, en leur donnant un œil imperceptiblement plus faible
« qu'elles ne le comportent et en modifiant certaines formes,
« par exemple celle de la boucle inférieure du g qui remonte
« quelque peu dans la boucle supérieure.
« Malgré ces écarts des règles, rien n'appelle désagréable-
« ment l'attention. C'est, à ma connaissance, la première appli-
« cation d'une théorie émise, il y a quelques années, par
« M. Javal, théorie dont je n'étais pas partisan et qui, dans lë
« cas particulier d'une encyclopédie extrêmement compacte,
« donne d'excellents résultats.
Aucun éloge n'est plus compétent que celui de M. Mot-
teroz, si ce n'est le jugement que peut porter le lecteur en
examinant le spécimen ci-dessus de cette typographie.
En réponse à ma demande, M. de Vinne, l'éditeur du
Century Diciionary, me fait savoir que les plus petits parmi
les caractères dont il a fait usage lui ont été fournis par la
maison Miller et Richard, d'Edimbourg, et les plus grands
par la fonderie Bruce, de New-York.
Mon collaborateur, M. Ch. Dreyfuss, a voulu faire un
pas de plus : s'inspirant de mes idées, il a dessiné des
caractères de 30 points, dont voici le fac-similé invraisem-
blable (Fig. 68).
particulière se
Fig. 68.
Comme première comparaison, ce caractère réduit par la
photographie au sixième, nous donne la typographie en cinq
points, dont voici le spécimen (Fig. 69).
Le 4auvcrnemcnt le plus conforme à la nature est celui dent la disposition
particulière se rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel il est éî-akli
Fig. 69.
230 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Il est très intéressant de comparer cette réduction à la
réduction du 30 de Deberny et au spécimen du cinq de la
même famille qui ont été reproduits tous deux Fig. 62,
page 222. On voit qu'à l'inverse de ce qui s'était produit
dans l'exemple de la page 222, la réduction photographique
est d'une excellente lisibilité.
Ces caractères, réduits dans la proportion de 30 à 3 1/2,
fournissent l'impression en trois points et demi que voici.
Le i.uvernement le flus «nf.rme i Ij nature e« celui dont la disposition
particulière se n,».rte mieux i U Ji»fo«iti.n 4u |>eurle fw lequel il est éwKT
Fig. 10.
Voici une réduction des mêmes types, donnant une im-
pression de deux points et demi, plus remarquable encore.
Nrtfcgllere te rarp.no mfeux a la Jisp.ifi.i> lu wuplo îw teluel II c' établi
Fig. 11.
Encouragé par le brillant résultat qu'on vient de voir,
M. Ch. Dreyfuss a pensé qu'on pouvait faire mieux encore,
par exemple en remplaçant par des « pochés » les o et les
panses de certaines lettres, et comme il demeure loin de Paris,
j'ai répondu à sa proposition en lui adressant les indications
suivantes pour la construction de très petits caractères des-
tinés à être vus par d'excellents yeux et avec un très bon
éclairage. (Voir ci-dessus la théorie au haut de la page 106).
« J'admets que nous adoptions les mêmes proportions que
« précédemment, pour le dessin à réduire par la photogra-
« vure : Les lettres courtes mesurant quatre millimètres, les
« longues supérieures dépassant de deux millimètres et les
« longues inférieures d'un millimètre (total sept millimètres).
« En prévision de la petitesse de la réduction, il faut renon-
« cer à toute espèce de délié ou d'amincissement local des
« traits, et, pour les points, il faut adopter la forme carrée,
« qui donne, pour la même largeur, une surface noire de
« quatre contre 3, 14 que donneraient les points ronds. Dans
« ces petites dimensions, un point carré présente le même
« aspect qu'un point rond.
XVII. — TYPOGRAPHIE COMPAGTE.
231
« D'après nos théories, si nous prenons pour minimum vi-
« sible un carré de deux millimètres de côté, le jambage de
« lettre courte, de même visibilité, si on lui donne un milli-
<( mètre d'épaisseur, devra mesurer une hauteur de quatre.
« Dans ces conditions, Yi n'offrirait aucun intervalle entre
« le jambage et le point. Si donc nous choisissons l'épaisseur
« d'un millimètre pour les traits constituant la majorité des
« jambages courts, il faudra augmenter l'épaisseur du jam-
« bage de Yi pour pouvoir le raccourcir.
« Pour amener la visibilité des traits horizontaux, qui
« entrent dans la composition de beaucoup de lettres, à être
(( égale à celle des traits verticaux, il faut soit les allonger,
« soit les renforcer, soit combiner un allongement et un
« renforcement modérés. — Prenons l'a pour exemple : pour
« qu'il ne se confonde pas avec l'a, il faut donner autant
« d'importance au trait horizontal qu'aux deux jambages, et,
« si on ne l'épaissit pas, il faut, soit le faire déborder des
« deux côtés d'un demi-millimètre (à notre échelle), soit
« donner à la lettre une largeur égale à sa hauteur. Cette so-
« lution entraîne l'obligation d'augmenter l'espace entre les
« lettres et, par conséquent, de diminuer le nombre des lettres
« contenues dans une ligne de longueur donnée : c'est la so-
« lution que je préfère. Quand nous aurons fait ainsi un
« caractère mesurant sept millimètres de haut, nous pourrons
« en déduire, sans changer les lettres courtes, un caractère
« de 8 mm. 75, par addition d'un millimètre aux longues
« supérieures et de 0 mm. 75 aux longues inférieures ; ce
« dernier type donnera l'apparence d'un interlignage très
« gracieux, l'espace entre les lignes étant supérieur à la hau-
« teur des lettres courtes.
« Puisque nous ne voulons pas gâcher de place sans utilité,
« il faut donner aux grands jambages des lettres longues une
« épaisseur d'au moins un cinquième moindre qu'aux jam-
« bages des lettres courtes.
« Je n'entre pas dans les détails des diverses lettres, me bor-
« nant à signaler que Y S, dont le trait devra être d'une épais-
« seur uniforme et légèrement inférieure à un millimètre,
« devra dépasser l'alignement, par en haut et par en bas,
« d'un peu moins d'un demi-millimètre.
« L'o sera un carré d'exactement deux millimètres de côté.
232 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
« J'arrive enfin à l'emploi des points.
« Au premier abord, il semblerait que, pour représenter r,
« il faudrait, en haut et à droite d'un jambage de 4 milli-
« mètres de haut, accoler un point de deux millimètres de
« côté. Mais si l'on y réfléchit, on verra que c'est trop, car
« le jambage et le point se renforcent par leur voisinage.
« Puisque l'r minuscule doit avoir l'aspect d'une potence
« dont le bras horizontal, pour être visible, a besoin de nous
« offrir une surface de quatre millimètres carrés, je pense
« qu'il suffit de donner, à la lettre entière, une largeur de
« 3 millimètres, l'épaisseur du bras horizontal ne dépassant
« guère 1 mm. 33.
« Quant aux lettres dont l'œil sera remplacé par une petite
« masse noire, ou poché, leur largeur sera moindre encore,
« surtout si l'on ne donne pas de formes arrondies à ces
« pochés. Je pense, par exemple, que pour figurer le b et le
« d, il ne sera pas besoin de donner beaucoup plus d'un milli-
« mètre d'épaisseur à un rectangle haut de trois millimètres
« qu'on accolerait soit à droite, soit à gauche d'un jambage
« d7. »
La Fig. 72, réduction photographique d'un dessin de
M. Ch. Dreyfuss fait après réception de la lettre précédente,
montre des caractères de 4 et de 5 points, ces derniers ne
Le 4-uvernement le _plus cnf.rme à la nature est celui i-nt la J îsr-sîtï-n
particulière se rapp-rte mieux à la Jisp-sîti.n iu peuple p.Ur lequel il est étatli
Le ^«uvernement le _flus c-nf-rme à la nature est celui J.nt la Jîsf-sitî-n
farticulière se rapp. rte mieux à la Jisf-siti.n iu peuple p-ur lequel II est étaklî
Fig. 12.
différant des premiers que par les lettres longues. Ces carac-
tères sont d'un aspect déplaisant et ne sont figurés ici que
pour renseigner sur le procédé.
Au contraire, la Fig. 73 représente leur réduction en deux
Fig. 13.
Fig, 71.
3 1/2
Fig. 70.
Le gouvernement le plus conforme à la nature est celui dont la disposition
particulière se rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel II est établi
Fig. 69.
Fig. 74.
2
2 1/2
Fig. 73.
Le ;iuvfrnfmfnt If _plus c«nf«rme à la nature f st celui d>nt la Jisp-sîtî-n
particulière sr rapp-rte mieux à la Jisp-siti-n iu peuple P-ur lequel il est étakli
Le ;-uvfrnfmfnt le plus c-nf-rmf à la nûturt rst celui i-nt la disp-siti-n
particulière sr rapporte mieux à h Jisp-sîti-n Ju peuple p-ur lequel il est établi
Fig. 72.
J AVAL
P. 23^2
XVII. —
TYPOGRAPHIE COMPACTE.
233
et deux et demi qui, à condition d'être tirés avec très grand
soin, sont tout à fait remarquables.
Il serait intéressant de comparer ces caractères avec le
deux et demi fondu par Henri Didot, en 1827, et qui a servi
à l'impression de l'édition in-64 des Maximes de Laroche-
foucauld, bien connue des bibliophiles.
Enfin, la Fig. 74, dont la photogravure laisse à désirer,
donne une idée de la possibilité de faire des caractères d'un
point qui, bien exécutés et très bien tirés, puissent encore
être lus. La deuxième partie de cette figure est un caractère
d'un point et quart obtenu par la réduction du cinq de la
Fig. 72.
Fig. lk.
Voir ci-contre la reproduction de ces figures tirées avec
un soin particulier sur papier spécial.
Les types qu'on vient de voir sont destinés à montrer ce
qui peut se faire en matière de typographie compacte : c'est
une sorte de gageure. Si l'on voulait de fins caractères pour
une encyclopédie ou un guide du voyageur, je pense que la
solution se trouverait aisément en gravant des caractères
dont le dessin serait intermédiaire entre les deux types créés
par M. Ch. Dreyfuss. Le dernier est trop grêle (Fig. 72, 73
et 74-) et exige un éclairage excellent, tandis que le premier
(Fig. 68, 69, 70 et 71) constitue une innovation insuffisante.
CHAPITRE XVIII.
PROPAGATION DE L'ÉCRITURE DROITE.
L'écriture penchée n'est pas une nouveauté (1) : la variété
sidonienne de l'écriture phénicienne présente une inclinai-
son analogue à celle de nos italiques et on peut en voir un
exemple au musée du Louvre, sur le célèbre sarcophage
d'Echmounazar, roi de Sidon. Mais, dans l'antiquité, la
pente est une exception. Sur la stèle de Mésa, située dans
la même galerie (Voir Fig. 3 et 4,page5), l'obliquité des ver-
ticales est à peine sensible, et dans les inscriptions tyriennes
de Carthage, bien postérieures, les traits ont repris leur posi-
tion rectangulaire.
Qu'on examine les capitulaires de Charlemagne (789), les
manuscrits produits à l'abbaye de Saint-Martin de Tours
sous la direction d'Alcuin (796 à 804), les belles écritures
franques minuscules du douzième siècle, les gothiques qui
apparaissent au quatorzième siècle, les manuscrits de la
Renaissance italienne, le célèbre Champfleury de Geoffroy
Tory (1529), qu'on parcoure le beau volume de Sylvestre (La
Paléographie), on voit que, pendant tout le moyen âge et la
Renaissance, les écritures soignées sont généralement droi-
tes.
Lorsqu'apparut l'imprimerie (1440), ni Gutenberg, ni aucun
de ses successeurs immédiats ne créèrent de caractères typo-
graphiques penchés. Or, on sait que les premières impres-
sions imitèrent les écritures les plus régulières de l'époque,
au point d'être vendues pour des manuscrits. Nous voyons
encore, plus de cent ans après (1556), apparaître les carac-
(1) Javal. L'écriture droite et l'écriture penchée. Article publié dans
la Revue pédagogique en décembre 1893, pour répondre à une demande
du ministère de l'Instruction publique.
236 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
tères de civilité de Granjean, qui lui servirent à imprimer la
Civilité puérisle et honneste, réimprimée sous la même forme
pour les écoles chrétiennes jusqu'au dix-neuvième siècle, et
qui furent longtemps employés comme modèles d'écriture ;
ces caractères sont droits.
Depuis l'invention de l'imprimerie, pendant que les carac-
tères évoluaient pour aboutir à leur forme actuelle, qui serait
difficile à reproduire en écrivant, les caractères manuscrits
se transformaient dans le sens d'une exécution plus facile et
plus rapide, et c'est pour obéir à cette tendance que se pro-
duisit au seizième siècle en Italie cette écriture penchée qui
prit successivement en France le nom d'italienne et de
bâtarde italique, et qui fut importée dans notre pays par
Jehan de Beauchesne. L'emploi de l'écriture italienne reçut
une nouvelle impulsion en 1608 par la publication de Lucas
Materot, Bourguignon français, citoyen d'Avignon, qui con-
tient des modèles d'une bâtarde tout à fait expédiée, tracée
avec une plume fine ; les / sont bouclés, et l'aspect est très
voisin de celui de l'anglaise moderne.
Cependant, les calligraphes français résistaient à l'intro-
duction de cette écriture penchée et, à l'exemple de Le Gan-
gneur, ils donnèrent toujours, pendant deux siècles, la pré-
séance à l'écriture droite, qui s'appela successivement fran-
çaise et financière ; ils reléguaient toujours à la fin de leurs ou-
vrages les modèles d'écriture italienne ou bâtarde italienne,
malgré l'impulsion de la mode. Ainsi, en 1647, Barbedor,
dont la réputation de calligraphe était immense, écrivait
que l'italienne bâtarde, dont il donne des modèles à la fin de
son livre, était employée à la cour par les personnes de con-
dition qui ne sont ni de finance, ni de palais ; il résistait à
l'introduction de la coulée, et ses modèles d'écriture finan-
cière ou française diffèrent peu de notre ronde actuelle.
Barbedor fut chargé par la communauté des maîtres écri-
vains, dont il était le syndic, d'exécuter un exemplaire de
lettres financières destiné, par arrêt du Parlement de Paris,
à servir de modèle aux particuliers et de règle aux maîtres.
Depuis 1620, l'écriture nationale française tendait à devenir
une ronde obtenue sans tours de plume ; Barbedor en pro-
duisit des modèles longtemps célèbres, et les règles de son
exécution furent posées bientôt après par J.-B. Alais, fils du
calligraphe Jean Alais.
XVIII. — PROPAGATION DE l'ÉCRITURE DROITE. 237
J.-B. Alais, protégé successivement par Louvois et par
Colbert, fut un chef d'école. Avocat à Rennes, il se fit calli-
graphe pour venger la mémoire de son père, qui avait été
ruiné par un procès que lui intenta la communauté des
maîtres écrivains de Paris, et, pendant plus d'un siècle, son
livre, fruit de longues et intelligentes études, fit autorité sur
la matière. Entre autres innovations, c'est par lui que je
trouve recommandée pour la première fois la plume à deux
becs, qui « sert grandement à connaître les effets généraux,
c'est pourquoi je conseille le curieux de s'en servir en ses
exerces (sic) particulières (sic) ».
Alais donne déjà une place importante à la bâtarde. Peu
après lui, vers 1700, apparaît la coulée, 'dont le propagateur
fut le célèbre Rossignol. Ce genre d'écriture penchée, qui,
d'après Sauvage, Michel et Marlié, concurrents de Rossignol,
était nuisible à la santé (on voit qu'il n'y a rien de nouveau
sous le soleil), se propagea rapidement et trouva son théori-
cien en Royllet (1764), qui osa contester quelques-unes des
assertions d' Alais.
Nous arrivons enfin à un réformateur, Coulon, qui pro-
posa de faire écrire les commençants sur du papier réglé
mécaniquement, dans les deux sens, perpendiculairement
pour la ronde, obliquement pour la bâtarde, et qui insiste
sur l'emploi de l'écriture droite pour le premier enseigne-
ment. La routine, représentée par l'Académie royale d'écri-
ture, ne manqua pas de protester contre les innovations de
Coulon.
Voici quelques passages des Discours de Coulon (1767) :
« Si les mauvaises positions sont nuisibles à la santé, il est
également vrai que les mauvaises écritures sont pernicieuses
pour la vue...
Il est certain que les écritures ne sont devenues illisibles
que depuis que l'on a négligé l'écriture française ou ronde,
dans laquelle on consommait la main des jeunes gens, avant
de leur permettre de tracer d'autres caractères...
... Puisque l'on n'apprend pas la ronde aux enfants de con-
dition, il ne faut attribuer qu'à cette seule cause la raison
pour laquelle il y en a si peu qui peuvent apprendre à bien
écrire ».
Le papier réglé dans deux directions a été employé depuis
par beaucoup d'éditeurs de cahiers d'écriture. Nous ne
238 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
voyons pas, au contraire, qu'on se soit empressé d'adopter
l'écriture droite pour le premier enseignement. Et cepen-
dant, Coulon avait obtenu qu'une commission fût nommée
par l'Académie des Sciences afin d'examiner ses procédés,
et, dans leur rapport (11 mars 1767), les commissaires, d'Or-
tous, de Mairan et Pingré, s'exprimaient favorablement,
mais avec prudence, en disant : « Il paraît que, par l'écri-
ture perpendiculaire, les doigts contractent plus facilement
et conservent plus longtemps l'habitude de se plier et de se
distendre. »
Les Discours de Coulon ne furent pas absolument sans
écho, car peu de temps après, Dessalle, maître d'écriture du
Dauphin fils de Louis XVI, enseignait à son royal élève
une bâtarde droite, bouclée, à laquelle il donna le nom de
royale (1).
Quelques-unes des pièces de Dessalle portent, au-dessous
de la signature : « Maître à écrire des enfants de France ».
Je pense qu'aux écoliers, les enfants de France d'aujourd'hui,
il faudrait enseigner une écriture très analogue à celle que
Dessalle faisait tracer au Dauphin, écriture que je ne con-
nais que par sa description.
L'influence de Coulon paraît s'être exercée également sur
Guillaume Montfort. En effet, dans une notice historique sur
la vie et les travaux de Guillaume Montfort, publiée en 1802
par Lechard, je lis : « Il prescrivit de pratiquer primitive-
ment la ronde, qui était presque abandonnée, comme l'écri-
ture mère et celle qui forme la main et dispose aux autres
genres. »
Mais, depuis longtemps, l'écriture anglaise a fait son
apparition en France, sous les auspices de Bedigis (1768),
et nous en retrouvons un modèle dans un in-folio paru en
Tan IX (1800) avec cette épigraphe : « Les artistes G..., R...,
(1) Dans un manuscrit de Poujade qui était en ma possession et dont
j'ai fait hommage au Musée pédagogique, je copie l'anecdote suivante :
Un jour, en arrivant chez le Dauphin pour lui donner sa leçon de calli-
graphie, Dessalle sortit résolument de sa poche le bonnet rouge, dit phry-
f;ien, et en coiffa son royal élève en présence d'augustes personnages, en
ui disant : « V oilà, monseigneur, la coiffure adoptée par la nation entière ;
vous devez suivre son exemple en la portant. » Il ne lui fut répondu d'a-
bord que par un silence imposé par les circonstances révolutionnaires,
mais, à son arrivée pour la leçon suivante, on lui fit comprendre d'un geste
royal qu'on n'avait plus besoin des services d'un impertinent.
XVIII. — PROPAGATION DE L'ÉCRITURE DROITE. 239
S..., B... et F..., vont lancer dans le dix-neuvième siècle
des modèles qui passeront à la postérité », épigraphe signée
de Saintomer et digne de son légendaire élève Joseph
Prudhomme. Parmi les diverses écritures contenues dans ce
volume fin de dix-huitième siècle, c'est l'anglaise qui a pris,
peu à peu, le haut du pavé. Elle est, en effet, par excellence,
l'écriture à grande vitesse, à cause de sa pente, de ses bou-
cles et de ses liaisons, toutes circonstances qui permettent
de la tracer sans guère lever la plume ni déplacer le coude,
à condition d'écrire sur papier incliné ; bonne pour l'homme
de lettres, elle est pernicieuse pour l'enfant.
Cette écriture, peu différente en somme de la bâtarde
italique, dont Matrot a donné de si beaux modèles il y a
bientôt trois cents ans, a pris sa forme actuelle vers le
commencement de ce siècle, en Angleterre, sous l'impulsion
de Carstairs. Ce maître, très ingénieux, sut intéresser à sa
méthode les plus grands personnages, si bien que, le 9 juil-
let 1816, ses procédés furent recommandés au public par le
procès-verbal d'une nombreuse et brillante réunion, qui eut
lieu à la taverne des francs-maçons, sous la présidence de
S. A. R. le duc de Kent.
Très judicieusement, Carstairs exerçait séparément les
mouvements du bras, du poignet et des trois doigts qui
tiennent la plume, et recommandait de faire glisser la main
en prenant un appui sur les ongles de l'annulaire et du petit
doigt. Il allait jusqu'à pratiquer, pendant quelques leçons,
des ligatures destinées à empêcher ces deux doigts de parti-
ciper aux mouvements des trois autres.
En 1822, la méthode de Carstairs fut importée d'Angle-
terre en France par Audoyer, qui avait été son élève, sous
le nom de méthode américaine, nom adopté à cause de la
haine de l'Anglais, si vivace à cette époque. La méthode
Chandelet, parue vers 1827, procède également de la même
origine. La méthode de Carstairs a été traduite par Julien,
en 1828.
Baron, qui jouissait d'une autorité incontestée parmi les
maîtres d'écriture de la première moitié du xixe siècle, se fit,
malgré lui, le propagateur de l'anglaise, qui fut professée
en 1846 aux Tuileries par Taupier, le maître du comte de
Paris et du duc de Chartres ; à partir de ce moment, l'an-
glaise a occupé, sans conteste, la première place.
240 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Parmi les auteurs que j'ai cités et parmi ceux, beaucoup
plus nombreux, que j'ai cru inutile de mentionner dans ce
court aperçu, pas un seul n'a compris la raison de la pente
de l'écriture rapide des adultes, car pas un n'indique la
convenance de poser le papier obliquement sur la table
quand on veut écrire très rapidement. C'est donc par
instinct et non par raisonnement que, pendant des siècles,
nos calligraphes faisaient commencer l'enseignement par
l'écriture droite, dénommée française, financière ou ronde,
suivant les temps.
D'après le récit qui précède, on voit que, malgré la
résistance des maîtres d'écriture les plus renommés,
l'écriture droite avait disparu vers le commencement du
xixe siècle.
C'est aux environs de 1880 que se place la reprise des
hostilités, sous la conduite de quelques hygiénistes.
Commençons par les pays étrangers.
En Allemagne, d'après la méthode Nadelin (1839) qui eut
une vogue considérable, les enfants devaient écrire penché,
sur papier droit, mais rejeté vers leur droite. Certains maîtres
acceptaient pourtant une position du papier légèrement
oblique vers la gauche. Aujourd'hui encore, la position de
Nadelin est officiellement prescrite en Allemagne.
La résistance à cette prescription, qu'ils considéraient
comme antihygiénique, fut inaugurée en 1877 par Ellinger
et Gross, tous deux de Stuttgart. Tandis qu'Ellinger récla-
mait une modification de position du cahier, le Dr Gross
entreprenait une campagne pour demander une diminution
de la pente de l'écriture. En 1880, le Dr Schubert, de
Nuremberg, entrait le premier en ligne en faveur de l'écri-
ture droite avec une énergie extraordinaire. En 1887, il
obtenait l'institution, sur une grande échelle, d'expériences
comparatives.
Cependant les docteurs Berlin et Remboldt, oculistes tous
deux, apportèrent en 1882 leurs expériences et leurs théo-
ries, très contestables, qui servirent de point de départ à de
nombreuses discussions, qu'on peut trouver dans les années
XVIII. — PROPAGATION DE l'ÉCRITURE DROITE. 241
1883 et suivantes du journal connu, Zeitschrift fur Schulge-
siindheitspflege, auquel nous renvoyons pour les détails.
Le D1* Schubert m'a écrit, le 10 janvier 1904, que l'écriture
droite est devenue obligatoire dans les écoles commu-
nales de Karlsruhe. Dans le reste du duché de Bade, on
emploie, à titre transitoire, les modèles de Keller, dont la
pente est de 75 degrés.
En Angleterre, c'est en 1886 qu'apparurent les premiers
modèles d'écriture droite par Jackson, qui obtint, pour
l'Angleterre, l'admission de l'écriture droite clans les con-
cours.
En France, c'est en octobre 1879, à la Société de médecine
publique, que l'attention fut appelée, par le Dr Daily, sur
l'influence exercée par l'écriture sur les attitudes des enfants,
et c'est dans la discussion qui suivit cette communication
que je démontrai les avantages de l'écriture droite. A la
suite de cette discussion, la société nomma une commission
dont les travaux aboutirent au dépôt d'un important rap-
port, par le Dr Thorcns. Dans la séance du 25 mai 1881,
tome II de la Revue d'Hygiène, p. 409, la Société vota, après
une légère modification, les conclusions de ce rapport :
La Société procède au vote sur les conclusions du rapport ;
l'amendement proposé par M. Javal étant accepté, ces conclu-
sions sont définitivement adoptées avec la rédaction sui-
vante :
1° L'élève sera assis également sur les deux fesses, la ligne
des épaules horizontale et parallèle au bord de la table, en
évitant de creuser les reins.
2° L'élève ne devra pas appuyer les coudes et, s'il les appuie,
il devra les placer tous les deux également sur la table.
3° Il se bornera à maintenir le papier avec les doigts de la
main gauche.
4° Il y a lieu de recommander exclusivement, au moins
pour les débutants, l'écriture droite (à pleins verticaux), le
papier étant maintenu droit. Si l'on adopte une écriture
inclinée, il faut que le papier ait une inclinaison égale à celle
demandée à l'écriture, mais en sens inverse. Il est nécessaire
que pour une écriture inclinée de gauche à droite de 45°, le
papier soit incliné de droite à gauche de 45°, de telle façon
que les pleins soient toujours tracés perpendiculairement au
bord de la table.
M. le Président. — Les présentes conclusions seront
transmises à M. le Ministre de l'Instruction publique.
Sur ces entrefaites, M. G. Guéroult me signala un pas-
JÀVAL, 16
242 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
sage de George Sand (Impressions et Souvenirs) où, dès fé-
vrier 1872, elle avait posé le précepte de l'écriture droite,
papier droit, corps droit, qui fut remis en circulation à la
séance de la Soc. d'hygiène et de médecine professionnelle du
22 juin 1881 et qui, depuis, a fait le tour du monde civi-
lisé.
Dans une lettre qu'il m'adressait le 7 août 1887, M. le
Docteur Schubert, parlant de la phrase de G. Sand, s'expri-
mait ainsi :
« C'est l'indication la plus ancienne en faveur de notre
écriture droite, car Ellienger, au début, réclamait l'écriture
penchée sur papier incliné et ne se laissa convertir par moi
à l'écriture droite qu'en 1886, et Gross a toujours recommandé
l'écriture droite sur papier incliné, ce qui est au moins
bizarre. »
Ayant eu connaissance d'une série d'articles parus dans
la Revue scientifique (1), M. le Ministre de l'Instruction
publique, par arrêté du 1er juin 1881, avait chargé une Com-
mission, composée de MM. Gariel, Gauthier- Villars, Gavar-
ret, G. Hachette, Javal, G. Masson, de Montmahou, Panas
et Perrin, « de rechercher les causes du progrès de la myo-
« pie parmi les écoliers, et d'indiquer les remèdes à une
« situation qui va empirant de jour en jour ».
La Commission se mit aussitôt à l'œuvre, et, après avoir
procédé à une enquête faite d'après d'importants documents,
dont un bon nombre furent puisés au Musée pédagogique,
après avoir appelé dans son sein des hommes compétents,
après avoir envoyé une sous-commission prendre des obser-
vations sur le vif dans plusieurs écoles, elle confia la rédac-
tion d'un Rapport d'ensemble à M. le Dr Gariel, ingénieur
des Ponts et Chaussées, professeur de physique à la Faculté
de Médecine de Paris.
La Commission, sans négliger les questions d'éclairage,
de mobilier scolaire, de typographie des livres classiques,
aboutit à cette conclusion que si l'Administration adoptait l'é-
(1) Javal. Les maladies de l'œil et l'emploi des lunettes, 27 septembre
1879. — L'éclairage public et privé, au point de vue de l'hygiène des yeux,
18 octobre 1879. — Les livres et la myopie, 22 novembre 1879. — Le
mécanisme de l'écriture, 21 mai 1881.
XVIII. — PROPAGATION DE l'ÉCRITURE DROITE. 243
criture droite pour les jeunes enfants, la principale cause de
myopie aurait disparu.
Voici les termes mêmes du Rapport :
La Commission pense qu'on obtiendra un très grand pro-
grès en exigeant, suivant la formule de Mme G. Sand, une
écriture droite sur papier droit, corps droit. On évitera ainsi,
du même coup, la scoliose (1) et la myopie. — Nous ne nous
dissimulons pas que l'idée de substituer absolument, pour
les enfants, l'écriture droite à l'écriture penchée paraîtra sin-
gulière tout d'abord; mais nous avons cherché vainement les
raisons sérieuses que l'on pourrait opposer à cette proposi-
tion qui a, d'ailleurs, l'avantage de rendre les caractères plus
lisibles, ainsi que nous croyons que tout le monde pourra
s'en assurer, comme nous l'avons fait nous-mêmes. Il faut re-
marquer, d'ailleurs, que lorsque l'enfant devenu adulte vou-
dra écrire penché, ce qui permet une plus grande rapidité
et une plus grande rectitude des lignes sur le papier non
réglé, il lui suffira d'incliner son papier vers la gauche. Mais,
en tout cas, la solution que nous préconisons, en plaçant le
corps dans une symétrie parfaite, parallèlement au bord de
la table, le papier placé devant le milieu du corps, paraît
devoir éviter les déformations latérales qui sont actuellement
si fréquentes ; rendant naturelle la position normale de la
•tête, elle s'opposera au rapprochement continu de celle-ci
vers le papier. Aussi nous pensons que si l'Administration
adopte cette conclusion, la principale cause de myopie aura
disparu.
Assurément, un élève pourra se tenir mal tout en ayant le
papier droit devant lui et en écrivant sans pente ; mais, du
moins, pourra-t-il se tenir bien, tandis qu'avec les principes
actuels, les admonestations perpétuelles des maîtres les plus
soigneux viennent se briser devant des impossibilités phy-
siologiques.
Ces conclusions, publiées en 1882, ont été adoptées dans
plusieurs pays étrangers.
En France, elles restèrent lettre morte.
Cependant une Commission de quatre-vingts membres,
nommée par décret du 24 janvier 1882, fut chargée d'étudier
les conditions de l'hygiène des écoles primaires et des écoles
maternelles (2). Elle délégua à une sous-commission l'exa-
men des questions d'hygiène de la vue ; cette sous-commis-
(1) Voir ci-dessus, Chapitre XIII (page 145).
(2 Hygiène des écoles primaires. Rapport d'ensemble par le Dr Javal ;
Imprimerie Nationale et librairie Masson, Paris, 1884.
244 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
sion s'appropria entièrement les motifs de la Commission
spéciale de 1881 et proposa la conclusion suivante, qui fut
votée en séance plénière :
« Pendant le cours élémentaire et le cours moyen, on obli-
« géra les enfants à se conformer à la formule de Mme Sand :
« Écriture droite sur papier droit, corps droit ».
Des esprits impatients pourraient trouver que, depuis dix
ans, l'Administration aurait dû se conformer sans retard aux
avis des Commissions et rendre obligatoire l'enseignement
de l'écriture droite.
Ce n'est pas notre avis.
Dans un pays aussi fortement centralisé que la France, le
pouvoir central ne doit agir qu'avec une extrême modération,
et la Direction de l'Enseignement primaire a bien fait en se
bornant, tout d'abord, à autoriser l'écriture droite dans les
écoles, nous laissant la tâche de faire partager notre opinion
aux maîtres.
C'est pour parvenir à ce résultat que, dix ans plus tard,
le 26 janvier 1892, j'ai repris ma thèse à la tribune de l'Aca-
démie de Médecine.
Après avoir exposé, en détail, l'état de la question, j'ai
terminé mon discours par les paroles suivantes :
<( Il me reste à m'excuser d'avoir entretenu l'Académie d'un
sujet dont l'importance paraît minime. Je ferai remarquer
cependant qu'en cas de guerre, surtout avec les tirs à très lon-
gue portée, l'état de la vue des soldats n'est pas sans impor-
tance.
« Disraeli a dit au Parlement anglais : « La puissance appar-
tient au peuple le plus vigoureux, le plus nombreux et le plus
instruit ».
« L'Académie n'a pas à s'occuper de l'instruction populaire ;
quant au nombre, on n'a pas perdu le souvenir de la discus-
sion sur la dépopulation que j'ai provoquée à la suite de la lec-
ture d'un mémoire de M. Lagneau. Aujourd'hui, j'ai voulu
appeler l'attention sur une question d'aptitude physique, dont
l'importance ne sera certainement pas méconnue par ceux
de nos confrères qui appartiennent à l'armée et surtout à la
marine. »
Cette communication fut le point de départ d'une obser-
vation qui fut faite à l'Académie de Médecine par mon illus-
XVIII. — PROPAGATION DE L ÉCRITURE DROITE. 245
tre collègue, le baron Larrey,à la séance suivante, et, à la
cj\a_^ ^l-VCMV)^ ^ÇKjlto uvmjtv^, "LultO-
tribune de la même Compagnie; je revins à plusieurs reprises
246 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
sur le même sujet (séances des 2 février 1892, 29 août 1893,
6 mars 1894, et 27 août 1895).
A la suite d'un vote de l'Académie, le Ministre de l'Instruc-
tion publique prit, en novembre 1893, un arrêté par lequel
l'écriture droite est acceptée pour l'examen du certificat
d'études et du brevet de capacité.
Ainsi qu'on le voit d'autre part, d'après la figure (Fig. 75),
qui m'est obligeamment fournie par M. Baudrillard, l'écri-
ture droite a fait son chemin en Amérique et, sans chercher
aussi loin, dans le XVe arrondissement de Paris, sous l'im-
pulsion de M. Baudrillard, l'écriture droite est enseignée
depuis plusieurs années dans toutes les écoles.
Il en est de même à l'Ecole normale primaire du dépar-
tement de la Seine (rue Molitor).
Conclusion. — Actuellement, les expériences faites en
France et à l'étranger sont suffisamment probantes pour
justifier un arrêté du Ministre qui rendrait l'écriture droite
obligatoire pour les épreuves du certificat d'études primaires.
Enfin, au moment de donner le bon à tirer de la présente
feuille, on me signale une série de cahiers d'écriture droite
qui viennent d'obtenir un gros tirage (1), et qui sont inscrits
sur les listes de la Ville de Paris et d'un grand nombre de
départements.
(1) L'écriture droite. Méthode nouvelle enk cahiers > modèles, établie d'après
les prescriptions hygiéniques, par M. G. Bergougnan, Paris, Cornély et Cie
éditeurs, 101, rue de Vaugirard.
*
CHAPITRE XIX.
ENSEIGNEMENT DE L'ÉCRITURE.
L'enseignement de l'écriture doit se fonder d'une part sur
la tradition, qui impose la forme des lettres, et, d'autre part,
sur les principes de physiologie qui sont à la base du méca-
nisme par lequel nous écrivons. S'il en est ainsi, renseigne-
ment de l'écriture peut se partager en deux parties : celle qui
consiste à inculquer aux enfants la forme des lettres, et celle,
infiniment plus pénible, par laquelle on leur enseigne succes-
sivement l'écriture à main posée et l'écriture expédiée.
Le premier temps de l'enseignement de l'écriture consiste
à faire tracer à l'enfant des lettres lisibles, et comme il ne
faut pas lui imposer plusieurs préoccupations à la fois, ainsi
que le remarquait dès l'an VIII François (de Neufchâ-
teau) dont il sera question dans le chapitre suivant, le
mieux me paraît être de faire exercer les élèves sur des
tableaux noirs garnissant tout le tour de la classe, ce qui
permet au maître de les surveiller d'un seul coup d'œil.
Il faut éviter, le plus possible, l'emploi des ardoises, qui
conduit à crisper les doigts, habitude qu'il est difficile de
combattre plus tard.
C'est pour la même raison que, lorsqu'on recourt à l'écri-
ture au crayon, sur papier, il faut éviter des crayons durs ;
d'ailleurs, l'écriture au crayon est un intermédiaire fâcheux
sous le rapport delà conservation des yeux, et fâcheux aussi
en ce que la tenue du crayon, qui est arbitraire, est loin de
préparer à une bonne tenue de la plume.
Quand les enfants apprennent à écrire avec de l'encre sur
papier, il faut bien se garder, comme on le fait trop souvent,
de leur faire tracer des lettres de grandes dimensions, tout
à fait hors de proportion avec leurs petits doigts; une hau-
teur de quatre millimètres pour les lettres courtes, autant
pour les queues, constitue un maximum dont la pratique
est favorisée par l'énorme diffusion du papier quadrillé de
quatre millimètres.
Il faut, sans trop tarder, passer à une écriture plus fine,
248 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
tracée au moyen de plumes à bec large, et, dès que l'enfan;
commence à écrirè rapidement, lui enseigner, par des exer-
cices spéciaux, tels que les recommandent Grimai et Taupier,
la combinaison des mouvements du poignet avec ceux des
doigts.
Pour l'écriture extrêmement [rapide, puisque l 'illisibilité
provient très souvent de ce que, dans la rapidité, l'écri-
vain ne fait aucune différence entre les jambages d'u et les
jambages d'n, rien ne serait plus simple d'adopter, pour une
de ces lettres, un signe qui ne prêtât pas à confusion tout en
étant d'une exécution rapide : supposons, par exemple, la
substitution d'e renversé (a) auxn, on ne pourra plus lire Cha-
lon au lieu de Chaton, nuage au lieu à'image.
D'après les conclusions de la Commission d'hygiène des
écoles primaires, l'écriture droite devrait être la seule ensei-
gnée, dans les cours élémentaire et moyen, c'est-à-dire
pour l'immense majorité des écoliers.
A quel degré d'instruction faut-il opérer la transformation
de l'écriture droite en écriture penchée? Je crois que le plus
simple est de s'en fier à la nature, et, retournant les termes
de la décision ministérielle, citée à la fin de l'article précé-
dent, je me bornerai à désirer que l'écriture penchée ne soit
pas interdite pour les copies des candidats aux examens.
Je possède une assez nombreuse collection de modèles
d'écriture droite de tous pays. Pour chercher un peu loin,
je reproduis ici une ligne (Fig. 76) des modèles d'écriture de
7)
Fig. 16.
Mademoiselle Sophie Mœler, qui ont eu du succès dans les
pays Scandinaves. Je ne puis résister à la tentation d'insérer
le fac-similé de deux feuillets de modèles (Fig. 77 et 78) que
j'ai tracés pour être joints à ma méthode d'enseignement de
la lecture par l'écriture.
En traçant ces modèles, j'avais l'idée de retourner au type
que Dessalle enseignait au Dauphin, fils de Louis XVI
(Voir ci-dessus, page 238) et qui n'a pas été publié ; cette
écriture, que d'autres amélioreront, je la dédie à nos écoliers,
et, pour caractériser son emploi, je propose le nom d'Ecri-
ture des Enfants de France.
XIX. — ENSEIGNEMENT DE l'ÉCRITURE. 249
Cov\iô AaxhX/. <3<x^XjtAy tenu/ <L>ooiV. (\vuxAaàMxk^ïs- ■qiuxViC' Ani^ZirrikA/utô.
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Aax^ Xruw jeÀs Aaas sçuyixyrueX' xyuÀs -&cmV /nÀ^ceôfrxvteà -yunurs ÀcrÀ/ues --vite.
Fig. 77.
250 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
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71
F^. 75,
CHAPITRE XX.
LA LECTURE ENSEIGNÉE PAR L'ÉCRITURE.
L'idée d'enseigner la lecture par l'écriture n'est pas nou-
velle, puisqu'elle a été préconisée, dès l'an VIII, par François
(de Neufchâteau). Cet homme remarquable, plus connu comme
l'organisateur de la première exposition industrielle et aussi
par son projet de loi pour la destruction des insectes nuisi-
bles à l'agriculture, avait trouvé le temps, étant à la tête du
ministère de l'Intérieur (dont ressortissait l'Instruction pu-
blique), de composer un manuel d'enseignement de l'écriture
par la lecture.
Le principal avantage de ce système est de donner satis-
faction au besoin que les enfants ont d'agir par eux-mêmes.
Aussi, l'enseignement de la lecture par l'écriture est-il très
répandu en Allemagne.
Mais les méthodes allemandes et les méthodes similaires
employées en France ont souvent un effet fâcheux sur la vue
des enfants, car elles reposent sur l'usage d'une écriture pen-
chée; et cet inconvénient est si considérable que l'emploi de
ces méthodes, malgré leur supériorité pédagogique, devrait
être rigoureusement interdit, au nom de l'hygiène.
Il m'a donc paru intéressant de combiner une méthode
d'enseignement de la lecture fondée sur les mêmes principes,
mais faisant usage d'une écriture droite, compatible avec une
bonne attitude des élèves.
Je reproduis ci-contre une page de cette méthode (Voir
Fig. 79).
Voici, sur cette méthode, quelques appréciations dues à
des auteurs d'une compétence reconnue.
M. Gaston Tissandier, dans la Nature, s'exprime ainsi :
« Il est d'un intérêt national de rendre aussi rapide que
possible l'apprentissage de la lecture, pour laisser aux maîtres
252
TROISIEME PARTIE.
DEDUCTIONS PRATIQUES.
îojto m'a do n[saé dix nufméroj de Pote[rie. —
Zu apporterai Pe rôti de porc dur Pe pPat
o a détruit une majje é|norjme
do
re
£é
1
ne armée
d'ortiej parmi noj to|matei.—
de dix miP Pe fcommed a été détruilte par noi
doPdati.— fi £éo
poid pajje par nojtre rue,
iP donnera à Pa porte.— ,
pPud de miPPe moruej.
te Pot a daPé
iur a
Aijthur
dore Pa pdtidde|rie;
ja petite ajmie îïlajrie Pui a
apporté une tar|te,
ÎTla rie a prij ulne p ejtllte part.
a
a é
rt^ur
té ma
a pru une part é
Pade : CLrjtdlur a é
norme; a|Pord, iP
;é dot.
£e cLoj ,
Pe mot, Pe re
poj, u
ne torjtue, Pa
mort, Pe mar|mot, Pa porte, Pa pro|pre|té, Pe
piano, P od, Pe Homard, ujne note, Pa pe|Po|te?
Pa pro|pn|été, Pa pom|ma|de, Pa méthode.
XX. — LA LECTURE ENSEIGNÉE PAR l'ÉCRITURE. 253
de nos écoles primaires le temps d'enseigner d'autres matières
aux enfants qui, pour la plupart, terminent leurs études à
douze ans.
La méthode que nous allons faire connaître et qui est due
à M. le Dr Javal, le savant spécialiste, réalise à la fois plu-
sieurs perfectionnements.
François (de Neufchâteau), ministre de l'Intérieur en 1800,
se fondant sur le besoin d'agir, si naturel à l'enfant, recom-
mandait déjà d'enseigner la lecture par l'écriture; ce principe
excellent, largement appliqué en Allemagne, devait être
adopté.
La logique, qui demande toujours à voir le même son
représenté par le même signe, logique si violemment
blessée par notre orthographe, a été respectée, dans la me-
sure du possible, en adoptant des caractères d'une forme
voisine de celle des caractères typographiques et cependant
faciles à tracer pour la main de l'enfant. Rien n'a été livré au
hasard dans la gravure des caractères spéciaux, majuscules
et minuscules.
De plus, par l'aspect spécial des lettres muettes, par cer-
tains signes qui font connaître les lettres sifflantes ou les
groupes de lettres destinées à figurer un son unique, la lec-
ture est rendue bien plus facile pour le commençant : il lit
sans hésitation des phrases telles que: nous portions les portions
ou les poules du couvent couvent.
L'écriture enseignée est droite ; on sait que le Dr Javal fait
une grande propagande en faveur de ce mode d'écriture, qui
présente de grands avantages sous le rapport de l'hygiène : il
devait nécessairement l'adopter pour la méthode de l'ensei-
gnement de la lecture par l'écriture.
Voici maintenant le côté vraiment original de la méthode
Javal.
On sait que, pour l'enfant, la lecture devient un plaisir à
partir du jour où il lit des histoires qui l'intéressent. Il est
donc important d'arriver le plus tôt possible à ce moment, et
voici comment l'auteur y est parvenu.
Il a commencé par classer, au moyen de comptages, les
signes phoniques suivant l'ordre de fréquence, et l'étude en
est faite, dans la méthode, suivant l'ordre ainsi obtenu et que
voici :
r, a l i e t d s p u m é n o è v en ou ai c, etc.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 etc.
On arrive à quarante-trois leçons seulement, grâce à l'in-
troduction simultanée de plusieurs signes dans certaines
leçons; par exemple on et om font l'objet d'une seule leçon.
Une fois ce tableau obtenu, M. Javal a classé tous les mots
usuels de la langue en catégories, la première contenant les
mots qui ne se composent que des lettres r et a ; la seconde,
les mots formés des lettres r, a et / ; la troisième, ceux qu'on
peut écrire avec les seules lettres r, a, l et i; et ainsi de suite.
254 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Dès que ce vocabulaire l'a permis, il s'en est servi pour com-
poser des phrases, puis des histoires, ce qui a nécessité de
grands efforts d'ingéniosité et de patience.
Essayez de changer un seul mot à ces histoires, sans sortir
du vocabulaire disponible, et vous vous rendrez compte du
travail de patience qu'il a fallu pour composer les récits qui
font le mérite de la méthode Javal.
Nous avons voulu montrer les avantages théoriques du
petit livret de 32 pages que nous présentons à nos lecteurs.
Quant à la pratique, elle a déjà prononcé; nous avons sous
les yeux le rapport d'un officier qui a mis moins d'une jour-
née de son temps à enseigner la lecture et l'écriture à son
brosseur ; il lui a suffi en effet de consacrer 43 séances de
quelques minutes chacune, à enseigner à cet homme chacun
des éléments nouveaux qui s'introduisent à chacune des
43 leçons (Voyez Fig. 80, p. 256). Nous avons aussi sous les
yeux la lettre d'un instituteur qui a enseigné ainsi à lire à une
femme de soixante ans ; enfin, tous les maîtres qui ont expé-
rimenté la méthode s'accordent à dire que, désormais, ils
n'en emploieront pas d'autre. Puissent-ils être imités, car
l'enseignement rapide de la lecture serait, pour la France,
un bienfait de conséquences incalculables.
M. le Dr Javal croit que, par ses procédés, l'enseignement
de la lecture devient assez facile pour que la mère, la sœur
aînée, un camarade plus âgé, puissent le donner aux jeunes
enfants tout aussi bien qu'un maître expérimenté, et il espère
qu'un jour viendra où la plupart des enfants entreront à
l'école sachant déjà lire ».
Gaston Tissandier.
(La Nature).
Voici maintenant la fin d'un article de M. Francisque
Sarcey :
« Il y a des parties qui m'ont paru curieuses dans cette mé-
thode. M. Javal, au lieu de prendre l'alphabet et de suivre les
lettres dans l'ordre où il les a présentées, les a rangées selon
la fréquence de leur retour dans les mots. Il commence par
enseigner aux enfants les lettres et combinaisons de lettres
qui reviennent le plus souvent.
Et alors... c'est le côté original de la méthode... il compose
des exercices où n'entrent rigoureusement que les lettres et
combinaisons de lettres déjà connues : il part de cette idée,
qui est fort juste, que l'enfant ne goûte vraiment le plaisir
de lire et ne se passionne pour la lecture que lorsqu'il com-
mence à pouvoir lire, sans soutien et sans guide, les petites
histoires qui l'intéressent. Le docteur Javal a pris soin de lui
en écrire à la portée de son âge, d'où sont exclues les lettres
qu'il ne connaît pas encore.
Si bien que, des la seconde ou la troisième leçon, l'enfant
XX. —
LA LECTURE ENSEIGNÉE PAR l'ÉCRITURE.
255
est ravi de lire lui-même, tout seul, et de comprendre ce qu'il
lit. Il va ainsi de leçon en leçon, et à chaque fois il conquiert
de nouvelles combinaisons de lettres, qui entrent dans les
exercices soigneusement composés pour lui par le docteur
Javal.
Il va sans dire que toute la méthode ne consiste pas dans
cet unique changement aux vieilles façons d'enseigner la
lecture. J'en parle ici parce que c'est celui qui m'a le plus
frappé ».
Francisque Sarcey.
(Echo de Paris).
Enfin, M. Paul Robin, qui était directeur de l'Orphelinat
de la Seine, à Cempuis, et dont il a été question dans le
Chapitre IV, à propos de l'enseignement de la lecture par la
sténographie, a écrit ce qui suit :
« M. le Dr Javal, à qui la science est redevable de travaux de
la plus haute importance, aujourd'hui répandus dans le monde
entier, sur l'ophtalmologie, n'a pas dédaigné de consacrer
plusieurs années de son temps précieux à la rédaction d'une
méthode de lecture.
Réduire au minimum le temps des expériences fatigantes,
nécessaires pour déterminer l'état précis de la vision d'un
malade était le but de ses recherches scientifiques, réduire
de même le temps assez fastidieux que les petits doivent con-
sacrer à l'acquisition de la partie mécanique de la lecture fut
l'objectif du savant et du pédagogue.
Nous avons reçu et étudié autrefois l'épreuve provisoire
autographiée de sa méthode ; nous avons eu la bonne fortune
d'examiner l'épreuve finale imprimée de l'ouvrage, et nous le
croyons appelé au plus grand et plus légitime succès.
Insistons sur quelques-uns des articles ingénieux dont
nous parlions : choix judicieux de mots ne présentant pas de
difficultés de lecture, et, le plus tôt possible, formation, avec
les mots, de petites phrases ayant au moins le sens commun,
chose si souvent négligée, mais plus encore instructives et
amusantes ; caractères à ne pas prononcer, évidés ; lettres
prononcées autrement que de la manière normale, marquées
d'un petit signe ; liaison des lettres qui, réunies, figurent un
son unique, tel que ou, on ; introduction graduelle, faite de la
manière la plus judicieuse, des difficultés de l'orthographe,
jusqu'à la dernière étape où l'enfant lit comme tout le monde.
Nous pouvons dire en vérité que l'ouvrage du savant
docteur atteint les 19/20 de la perfection, nous en aurons dit
plus qu'on n'en peut dire,hélas! de la plupart des ouvrages».
P. Robin,
Inspecteur primaire, <
Directeur de l'Orphelinat Prévost, à Cempuis.
256 TROISIÈME PARTIE.
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Pour plus de détails, je renvoie à la préface magistrale
que M. I. Carré, inspecteur général de l'Université, a bien
voulu mettre en tête du premier livret (Picard et Kaan, édi-
teurs, 11, rue Soufflot, Paris. Prix 0 fr. 30, franco). — Voir
aussi la Revue pédagogique de juin 1890, page 573.
Gomme exemple des résultats obtenus au moyen de la
méthode, voici le fac-similé du livre de compte tenu par un
jeune artilleur illettré à son entrée au service, dont il a été
question dans l'article ci-dessus de M. Tissandier (p. 254).
concierge 3-9 o
i inqe i>ko
CHAPITRE XXI.
PLANCHETTE A ÉCRIRE DES AVEUGLES.
Aussitôt] après la perte de ma vue, je me préoccupai de me
procurer un appareil qui me
permît d'écrire comme par le
passé. Parmi les nombreux
systèmes parvenus à ma con-
naissance, et dont j'expérimen-
tai- plusieurs, aucun ne me
donnait satisfaction, car aucun
ne laisse à la main et aux
doigts la pleine liberté de
leurs mouvements. Le gui-
dage, quel qu'il soit, est un
continuel obstacle qui ralentit
ou déforme l'écriture, et qui
est une cause de préoccupa-
tion empiétant sur la liberté
d'esprit de l'écrivain.
Je fis alors construire la
planchette scoto graphique re-
présentée par la Fig.81, et qui
est fondée sur les principes
de physiologie de l'écriture
que j'ai exposés plus haut,
Chap. XIII, p. 145 (1). La
pièce caractéristique de ce
petit appareil est une sorte de
talon où vient se loger le
coude de l'écrivain. Pivo-
tant dans un plan horizon-
tal, l'avant-bras fait décrire à la pointe de la plume un arc
Fis. 81.
(1) Voir aussi : Sur l'écriture. Société de Biologie, 24 novembre 1883 (distinc-
tion entre les mouvements isochrones du poignet et les mouvements des
doigts).
.IAVAT. 17
258
de cer
TROISIEME PARTIE.
DEDUCTIONS PRATIQUES.
cle de grand rayon, et cet arc de cercle donne la forme
générale de la ligne d'écriture.
Si la largeur du papier est mo-
dérée, les lignes ainsi tracées
se présentent avec une cour-
bure très faible et d'autant
moins choquante qu'on ren-
contre une courbure pareille
dans bon nombre d'écritures.
Un second organe de mon
instrument est une crémaillère
qui sert à remonter le papier
d'un centimètre, chaque fois
que l'écrivain passe d'une ligne
à la suivante.
Enfin, je me sers exclusi-
vement d'une de ces plumes
à réservoir, si commodes, qui
nous viennent d'Amérique. Il
me paraît bien mieux d'écrire
à l'encre qu'au crayon, car il
est fort difficile à l'aveugle de
se rendre compte de l'état de
la pointe du crayon, afin de le
tourner entre ses doigts pour
éviter la formation d'un mé-
plat, qui élargit à son insu les
traits et peut rendre l'écriture
indéchiffrable (1).
Dans les premiers temps,
les plumes à réservoir étant
moins parfaites qu'aujour-
d'hui, il m'est arrivé, résultat
navrant, après avoir cru écrire
une page, de n'avoir devant
moi que du papier blanc.
T'lS- 82 • Pour éviter cet inconvénient.
(1) Si l'on tient à écrire au crayon, employer de préférence le crayon
« Koh-i-Noor » qui marque bien noir tout en étant très dur. Il porte l'in-
dication :« British graphite drawing pencil, compressed lead. Made by L. et
C. Hardtmuth in Austria ».
XXI. —
PLANCHETTE A ÉCRIRE DES AVEUGLES.
259
je me servais d'une bande étroite de papier non collé,
analogue au papier des copies de lettres. Pour savoir si ma
plume marchait bien, il suffisait de tracer un trait en travers
cette bandelette. Si l'encre coulait bien, elle humectait le
papier, ce qui diminuait sa résistance à la rupture. Quand
ce papier se rompait sous un très faible effort, on était sûr
que la plume avait fonctionné.
On a pu voir à la page précédente (Fig. 82) un fac-similé
de mon écriture obtenu au moyen de la planchette.
Toutes les fois que je dispose d'une personne pour me
relire, je lui laisse le soin d'ajouter les points sur les i, les
accents et les barres des t. Cet artifice, très recommandable,
me permet d'écrire à la fois plus vite et plus régulièrement.
La planchette est fabriquée par M. Cornet, 66, rue de
Rennes.
Quand j'ai à écrire une lettre hors de chez moi, je procède
par un système analogue à celui qui est réalisé dans ma
planchette. Après avoir choisi pour mon coude un empla-
cement, qu'il ne doit pas quitter, je commence par poser
mon papier de telle sorte que son angle supérieur gauche
coïncide exactement avec un coin de la table. Toutes les fois
que j'ai écrit une ligne, la main gauche fait remonter le
papier qui déborde de plus en plus par en haut. Il va sans
dire qu'en procédant ainsi, les lignes sont moins régulière-
ment espacées qu'avec le secours de la planchette, et que la
manœuvre exige un peu plus d'adresse.
CHAPITRE XXII.
DÉCHIFFREMENT DES MAUVAISES ÉCRITURES.
Vers le milieu du siècle dernier, on mettait encore entre
les mains des enfants, pour les exercer à lire toutes les écri-
tures, des recueils ad hoc, parmi lesquels on me signale une
édition des sonnets de Pibrac. A ce genre d'exercice pure-
ment empirique, il me paraîtrait intéressant de substituer, à
l'usage des personnes telles que les typographes qui ont
souvent à lire de mauvaises écritures, un procédé d'ins-
truction méthodique. Si je suis bien renseigné (et à cet effet,
je me suis adressé à M. Prou, professeur à l'Ecole des
Chartes), il n'existe aucun manuel répondant à ce but. Les
circonstances m'ont amené à penser qu'il y avait à faire
quelque chose dans ce sens. En effet, obligé de recourir aux
yeux d'autrui pour prendre connaissance des lettres qui me
sont adressées, j'ai réussi rapidement à faire l'éducation
de la personne qui me prête ses yeux, et cela en me fondant,
d'une part, sur les notions exposées plus haut (Chap. XIII)
sur le mécanisme de l'écriture, et, d'autre part, sur la con-
naissance de l'ordre de fréquence des lettres qui, pour le
français, est r, a, l, i, e muet, t, d, etc.
Je commence par me faire donner quelques indications
générales sur l'écriture à déchiffrer. L'écrivain fait-il une dif-
férence entre les u et les n? Les queues des lettres, les infé-
rieures surtout, sont-elles assez longues pour qu'il n'y ait
jamais confusion, par exemple, entre les p les n? Les / sont-
ils barrés ? L'écrivain laisse-t-il de larges espaces entre les
mots? etc. — Cela fait, on commence à lire, en passant les
mots trop difficiles à déchiffrer et, dans les mots lus, je fais
remarquer la forme des lettres fréquentes, à mesure qu'on les
rencontre. Comment est déformé Yr ? L'a ressemble-t-il à un
« ou à l'assemblage d'un e et d'un i ? L7 est-il bien distinct
262 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
du t par sa boucle et par l'absence de barre? L'z est-il suivi
d'une levée de plume, habituelle aux écrivains qui mettent
les points sur les i avant de tracer les lettres suivantes ? Ou
bien l'écrivain, ne faisant pas de levées de plume après les z,
ne met-il pas les points trop à droite, c'est-à-dire au-dessus
de la lettre suivante? Pour le /, question analogue, afin de
savoir si la barre est faite aussitôt après le t ou après termi-
naison du mot ? Le d est-il semblable au d typographique et,
dans ce cas, subit-il une déformation analogue à celles qui
ont été mentionnées plus haut pour l'a, ou bien est-il à volute
et lié à la lettre suivante ?
Exemple : Un père reçoit de sa fille une lettre lui deman-
dant de lui envoyer une pipe pour monter à cheval. L'écri-
ture était superbe, à cela près qu'en écrivant le mot jupe, le
point destiné au j était allé se placer sur le second jambage
de l'zz.
Autre exemple : Une personne qui ne fait aucune différence
entre les « et les n, qui ne barre pas les / et les fait légère-
ment bouclés, et qui enfin oublie souvent de mettre les points
des z, adresse à Chatou-sur-Seine une lettre que la poste, très
légitimement, dirige sur Chalon-sur-Saône.
CHAPITRE XXIIL
GRAPHOLOGIE.
D'après l'apparition sensationnelle d'un livre médiocre,
qui a fait la gloire de l'abbé Michon, on désigne sous le nom
de Graphologie l'art de reconnaître les caractères des per-
sonnes d'après leur écriture.
Le plan du présent livre comportait nécessairement un
chapitre consacré à la graphologie, et j'avais fait la tentative
de réunir, sur ce sujet, quelques indications que je soumis
au jugement autorisé de M. Moriaud, professeur à l'Université
de Genève. Mon correspondant eut la bonté de m'éclairer
sur ma parfaite incompétence en la matière, et de redresser
mon scepticisme qui était fondé sur les supercheries dont
j'avais été le témoin de la part de graphologues extra-lucides.
Je me bornerai donc à renvoyer, sans avoir eu le temps de
le lire moi-même, au livre de M. Grépieux-Jamin (1), dont
on me signale tout particulièrement l'introduction.
D'autre part, M. Alfred Binet, le très perspicace directeur
du laboratoire de psychologie physiologique, à la Sorbonne,
procède actuellement à une enquête expérimentale sur les
mérites de la graphologie et, grâce à lui, la question paraît
devoir s'éclaircir prochainement. Il se propose de la déve-
lopper plus longuement dans un livre qu'il prépare sur les
Révélations de l'écriture, et qui paraîtra chez Alcan.
(1) h' Ecriture et le caractère, 3* édition. 1895 (Paris, F. Alcan).
CHAPITRE XXIV.
EXPERTISES EN ÉCRITURE.
Sauf un article du Dr Héricourt relatif aux écritures
dextrogyres et sinistrogyres, je ne crois pas qu'aucune
publication ait jamais été faite sur l'application de la physio-
logie aux expertises en écriture, applications nombreuses
pour qui voudra les rechercher. Le plus estimé des traités
d'expertises, dont l'auteur est un américain, M. Frazer, est
muet sur ce point, et l'édition française de son livre, dans
aucune des annotations du traducteur, ne porte trace d'une
pareille pensée.
Si les experts en écriture savaient leur métier, ils ne
manqueraient pas de s'entourer des lumières que peut donner
la physiologie.
Puisqu'il n'existe, à ma connaissance, aucune école où
puissent se former les experts en écriture, les tribunaux
s'adressent à des archivistes, à des graphologues (1), ou
môme à des personnes quelconques dont l'incompétence est
souvent notoire.
Depuis 1570, époque où Hamon, secrétaire de Charles IX,
fut pendu, soit pour cause de protestantisme, soit pour
avoir été accusé d'avoir contrefait la signature du roi, les
experts en écriture ne sont pas en odeur de sainteté (2).
D'ailleurs, dans son très intéressant mémoire paru dans la
Revue scientifique en décembre 1897 et janvier 1898, M. Al-
phonse Bertillon nous dit qu'ils sont recrutés un peu au
(1) On a vu plus haut que la graphologie, souvent pratiquée par les chi-
romanciennes, est l'art de deviner les caractères des personnes d'après
l'aspect de leur écriture.
(2) Relativement à Hamon, voir vin manuscrit de Poujade, intitulé :
Essai d'une Histoire de la Calligraphie en Europe, volume grand format
de 302 pages, conservé au Musée pédagogique sous la cote: manuscrits,
n° 51.
266 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
hasard. Il ajoute que sauf le Dl Héricourt et l'auteur du
présent livre, personne n'a étudié sérieusement la physiolo-
gie de l'écriture.
Dans une certaine mesure, les législateurs d'il y a cent
ans subissaient l'influence de l'utilitarisme de Bentham. Ils
ont compris que, l'utilité sociale étant la seule raison d'être
des mesures répressives, il importe que les peines soient
appliquées très probablement et très rapidement pour n'avoir
pas besoin de le faire très sévèrement, ces deux premières
conditions ayant pour but de prévenir les crimes et délits
sans recourir à la crainte de peines trop cruelles.
Les jurés n'étant pas imprégnés des idées d'Helvétius, de
Beccaria, de Bentham et de Spencer, leur mentalité les
conduit à des acquittements mal fondés, par crainte soit
d'erreur, soit d'application de peines qui leur paraissent
excessives, d'où la tendance du parquet à « correctionna-
liser » les affaires de faux. Tout ce désordre disparaîtrait si
une bonne éducation professionnelle des experts, assurant
une répression probable et rapide, permettait au législateur
d'édicter des peines moins excessives.
L'incertitude et la lenteur des jugements fondés sur les
expertises en écriture ont eu pour contrecoup la sévérité de
la peine : il y a quelques années encore, les billets de la
Banque de France portaient cette mention que : « La loi
punit de mort le contrefacteur ». Les pénalités excessives
dont on frappe le faussaire n'ont pour excuse que l'inanité
des expertises, d'où résulte la rareté et la lenteur des con-
damnations. C'est à cette fâcheuse situation que pourrait
remédier un vrai enseignement de l'expertise fondé sur
des données scientifiques.
*
Dans une écriture, on peut distinguer deux éléments : les
éléments voulus et les éléments involontaires. Ces derniers
seuls constituant le graphisme, sont à considérer par l'expert
en écriture.
Le même aphorisme peut s'exprimer encore en disant que
ce n'est pas par la disposition des lignes, des mots et des
lettres, ni même par la forme de ces dernières, toutes choses
assez faciles à copier, qu'on peut reconnaître « la main »
XXIV. —
EXPERTISES EN ÉCRITURE.
267
d'un écrivain, mais bien par l'étude des éléments involon-
taires de l'écriture, éléments qui découlent de la tenue de la
plume et de la part contributive des doigts, du poignet et du
bras à l'exécution du manuscrit. En d'autres termes encore,
on peut distinguer la topographie, la morphologie et le gra-
phisme.
C'est ainsi qu'en Amérique, au moment de la grande vogue
des plumes stylographiques, les banques furent conduites à
refuser les chèques signés au moyen de ces plumes dont la
pointe inflexible trace des traits d'épaisseur invariable, tels
que rien ne permet plus de reconnaître le graphisme du
signataire (Voir Fig. 75, p. 245, une écriture tracée au
stylographe).
Un exemple fera peut-être mieux ressortir l'importance
capitale de la distinction entre les parties voulues et les
parties involontaires, ou graphisme, de l'écriture.
Une dame veut faire autographier une lettre de quête,
avec reproduction aussi parfaite que possible de son écri-
ture. — Admettons que, pour plus de sûreté, elle écrive
deux exemplaires de cette lettre : chacun sait que ces deux
exemplaires ne peuvent pas être superposables exactement ;
les mettant l'un sur l'autre et les éclairant par transpa-
rence, pas une ligne, pas un mot ne se révéleront identiques :
la topographie sera différente, mais il y aura identité de
graphisme.
En même temps que les exemplaires, tirés à la presse
lithographique, le fournisseur lui rend celui des deux
modèles qu'il a employé : la reproduction est servile
jusque dans les moindres accidents. La dame, sans savoir
pourquoi, dit que ce n'est pas son écriture, et cependant,
posant sur un carreau de fenêtre, l'un couvrant l'autre,
le modèle et l'un des exemplaires livrés, la superposition
est irréprochable ligne sur ligne, mot sur mot, lettre sur
lettre.
Que s'est-il passé ?
L'ouvrier a calqué le modèle en le dessinant sur papier
pelure avec une encre spéciale, il a couché la page ainsi
écrite sur une pierre lithographique préparée, à laquelle
l'encre spéciale a adhéré, si bien qu'après avoir retiré le
papier pelure, il n'y a eu qu'à employer cette pierre pour
faire le tirage lithographique.
268 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Si comme je l'ai supposé, le fac-similé est mauvais, c'est
que le dessinateur n'a pas su reproduire le coup de plume
du modèle. La topographie est parfaite, les mots, les lettres,
sont bien en place, mais un œil profane reconnaît que cette
écriture n'est pas de « la main » qui a tracé l'original, et
le professionnel voit, à l'œil nu, que la répartition des
pleins et des déliés n'est pas pareille à celle qui sort natu-
rellement de la plume de l'auteur. L'autographiste malhabile
a altéré le graphisme de l'écriture en la calquant.
La dame s'adresse à un autographiste plus habile :
celui-ci prend son temps, et, au lieu de tracer son calque
rapidement, il le dessine, trait par trait, s'y prenant à
plusieurs reprises pour amener les pleins à la gros-
seur voulue : son travail donne pleine satisfaction à la
cliente. f
Si l'on examine cette épreuve avec le secours d'une
bonne loupe, il n'est pas difficile d'apercevoir, de place en
place, des reprises qui démontrent avec évidence la nature
du procédé mis en œuvre par l'autographiste.
Supposons maintenant que des intérêts considérables
exigent une reproduction du modèle qui soit exempte des
défauts inhérents aux deux reproductions que je viens de
critiquer. Le faussaire commencera par se rendre compte
du mécanisme de la personne qui a écrit te modèle : il par-
viendra plus ou moins facilement, par induction, à savoir si
cette personne tient son papier droit ou obliquement, si elle
laisse son coude immobile ou si elle déplace son bras en
totalité de gauche à droite, si les mouvements du poignet
interviennent, si le haut du porte-plume est dirigé plus ou
moins latéralement, etc. Après s'être approprié l'attitude du
scripteur, il s'exercera, pendant des semaines, s'il le faut,
à s'assimiler son graphisme. Alors, seulement, il sera en
mesure de rivaliser avec les fameux auteurs du faux testa-
ment de M. de la Boussinière.
Voici d'après une note due à la plume de M. Alphonse
Bertillon (Revue scientifique, 18 décembre 1897, page 779),
la très curieuse histoire de ce faux.
« On peut dire, avec toute l'apparence de la vérité, que c'est
cette célèbre affaire qui nous a servi de guide latent et que
nous avons essayée de schématiser en la présente étude,
XXIV. — EXPERTISES EN ÉCRITURE.
269
Aussi, croyons-nous devoir en rappeler succinctement les
principales péripéties au point de vue graphique.
Judiciairement validé, au début, sur un rapport de M. Go-
bert, expert en écriture de la Banque de France, le faux
testament de la Boussinière a occupé toute la hiérarchie de
nos tribunaux pendant plus de cinq ans. Sa confection, une
merveille du genre, avait été obtenue au moyen du calquage
de mots et de parties de mots minutieusement et patiemment
ajustés côte à côte, en prenant comme modèle graphique et
littéraire une volumineuse correspondance laissée par le dé-
funt, M. de la Boussinière.
Sa véritable originalité au point de vue technique consistait
en ce que, pour permettre l'effacement des retouches et des
corrections, et donner à l'écriture un aspect fluide et rapide,
le calque une fois terminé et soigneusement revu avait été
reporté sur une pierre lithographique. Le manuscrit testa-
mentaire lui-même n'était autre qu'une épreuve de ce report
intentionnellement tirée très pâle, au moyen de sous-carbo-
nate de plomb dit blanc d'argent, qu'un autographiste profes-
sionnel très habile avait repassée à la plume avec de l'encre
ordinaire.
Quant au texte, il avait été rédigé par le propre notaire de
M. de la Boussinière. Non seulement il était inattaquable, au
point de vue juridique, dans les dispositions testamentaires
qu'il attribuait faussement au défunt, mais il était en même
temps, sous le rapport psychologique et littéraire, un mer-
veilleux pastiche du style et des pensées très élevées, quoique
un peu surannées, du vieillard.
Ainsi, pour réussir ce chef-d'œuvre, il n'avait pas fallu
moins de trois associés de spécialité professionnelle diffé-
rente, savoir : un lithographe, un autographiste et un notaire.
Cette complicité, cause de leur réussite initiale, par un juste
retour, occasionna leur perte : le testament une fois validé
et la fortune encaissée, ils ne tardèrent pas à se faire chanter
les uns les autres... puis à se dénoncer.
Seul, le notaire fut condamné aux travaux forcés, le litho-
graphe ayant été écarté des poursuites, tandis que, grâce à
l'éloquence de Me Démange (23 mai 1892), l'auto graphiste,
cheville ouvrière de la forgerie, était acquitté.
Il devait mourir dans la misère quelques mois après. Mais
le souvenir de son œuvre lui survit. Le faux testament de la
Boussinière est resté et restera longtemps encore, espérons-
le, le cheval de bataille, l'argument suprême, que tout défen-
seur dans une affaire d'écriture garde en réserve pour sa
péroraison ».
En dernière analyse, le faux testament de M. de la Bous-
sinière a été tracé en repassant un modèle très pâle, préparé
à loisir, l'écrivain faisant usage d'un mouvement suffi-
samment lent pour pouvoir suivre le modèle et cependant
"270 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
assez rapide pour éviter les reprises de plume et l'indéci-
sion.
Heureusement, une performance analogue à celle qui
vient d'être décrite est d'une exécution si laborieuse que, si
les experts savaient un peu les théories qui président au
mécanisme de l'écriture, les faussaires seraient, devant
eux, en état d'infériorité. A mon avis, en matière de faux :
La critique est aisée et l'art est difficile.
En résumé, le discrédit, très mérité, dans lequel sont
tombés les experts en écriture tient tout simplement à l'igno-
rance extraordinaire dont ils font preuve à chaque instant.
Aussi, dans le mémoire déjà cité de M. Alphonse Bertillon,
peut-on relever les phrases suivantes :
« Quand on interroge nos criminalistes, qui font autorité, sur
la façon dont les expertises sont conduites habituellement en
France, ou ils évitent de répondre, ou ils se réfugient en
quelques généralités : « Si vous saviez, répondent-ils, comme
c'est matière peu importante, et le peu de croyance que nous
avons dans la prétendue science des experts en écriture ».
Du côté du barreau, ce peu de croyance devient de
l'athéisme, et il n'y a pas de plaisanteries et de légendes que
l'on ne débite au Palais sur le compte des experts en écriture
qui, à en croire les avocats d'assises, en connaîtraient sur
leur spécialité moins que le premier venu.
Au fond, magistrats comme avocats, qui ont recours aux
experts en écriture, s'accordent à ne leur reconnaître, pour
ainsi dire, aucune connaissance spéciale.
Ainsi le savoir et l'expérience professionnels de l'expert
consiste à savoir avant tout qu'il ne sait rien ou plutôt pas
grand'chose, soit dit en bonne part ; sa supériorité, son utilité
vraies résident en cette connaissance qu'il a de lui et de ses
capacités ».
D'après ces citations, j'admettrais assez volontiers que,
sur notre terre de France, la plupart des experts en écriture
ne valent pas la corde, dont j'ai parlé plus haut, qui servit à
pendre Hamon, en l'an de grâce 1570.
Dans cet état de choses, le juge a pour devoir de ne tenir
aucun compte de l'opinion de l'expert dont le rôle, pour
bien des années encore, devra se borner à signaler au tribu-
nal les circonstances qui lui paraissent dignes d'attention ;
XXIV. — EXPERTISES EN ÉCRITURE.
271
en effet, il n'en va pas ici comme dans certaines expertises,
chimiques par exemple, où le juge ne peut vérifier par lui-
même les assertions de l'expert consulté.
On ne conçoit pas un tribunal chargé de décider sur de
graves intérêts, matériels ou moraux, qui mettrait sa cons-
cience à l'abri derrière celle d'un expert en écriture.
*
Expertise des écritures pathologiques.
Des circonstances de force majeure ne m'ont pas permis
de réunir et de comparer des spécimens d'écritures patholo-
giques. Cette étude aurait fourni la matière d'un important
chapitre dont la place était tout indiquée dans la seconde
partie de ce volume, étude qui eût pu être utilisée dans un
certain nombre de cas contentieux.
Je me bornerai à consigner ici, grâce à la complaisance de
M. Monpillard, des indications sur un cas particulier. Le
testament d'un ataxique était attaqué par les héritiers na-
turels. Le malade, pour pouvoir écrire avec moins de
secousses, avait pris la précaution de tracer préalablement le
texte au crayon pour le repasser ensuite à l'encre, comme
font des enfants sur des modèles d'écriture. Le cas était
assez complexe, en ce sens qu'il s'agissait d'une écriture à
la fois pathologique et artificielle. Cette écriture était plus
lourde et plus régulière que l'écriture naturelle du testateur.
M. Monpillard fit écrire devant lui un certain nombre
d'autres ataxiques, successivement en écriture courante, puis
en faisant usage du procédé employé par le testateur.
Si l'on examine l'écriture d'un ataxique, on constate que,
suivant l'état physique du sujet, l'aspect général de cette
écriture se modifie dans des proportions, considérables :
tantôt elle est régulière, les lignes sont droites, les lettres
d'égales dimensions ; tantôt au contraire, elle est extrêmement
irrégulière, les lignes droites alternant avec des lignes mon-
tantes, descendantes ou sinueuses, les mots et les lettres
étant de dimensions et d'aspect très variables.
On constate même souvent que deux mots écrits à
quelques secondes d'intervalle ne semblent pas avoir été
tracés par la même main, tant les différences dans l'aspect
du graphisme sont évidentes.
272 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Le cas devient très complexe quand il s'agit d'écritures
appliquées et surtout quand elles ont été exécutées dans les
conditions mentionnées tout à l'heure.
La comparaison d'un document ainsi obtenu, et de pièces
écrites par le même malade, au courant de la plume, devient
extrêmement difficile.
En effet, les exemples que M. Monpillard me permet de
reproduire ici, montrent que le graphisme se trouve être
profondément modifié quant à son aspect général.
Fig. 83.
L'écriture courante du malade Paquet (Fig. 83) et celle
Fig. 84.
exécutée sur un modèle tracé (Fig. 84-) présentent des diffé-
rences telles qu'il semble inadmissible a priori qu'elles
soient du même auteur.
XXIV. — EXPERTISES EN ÉCRITURE.
273
Dans la Fig. 84, les lettres à l'encre sont régulières, le
graphisme plus lourd. L'écriture tenant du dessin, aurait
Fis;. 85.
l'apparence d'un faux aux yeux d'un observateur non
prévenu.
Fis. 86.
Il en est de même pour les spécimens d'écriture du
malade Olivier {Fig. 85 et 86).
JAVAL, 18
274 TROISIÈME PARTIE.
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
En effet, le graphisme de l'ataxique est caractérisé prin-
cipalement par les manifestations d'un spasme, ayant pour
effet de faire dévier la plume de gauche à droite. Dans
l'écriture appliquée, il arrive que ces déviations soient
presque invisibles à l'œil nu, mais elles peuvent être nette-
ment décelées par un examen à la loupe et rendues évi-
dentes pour les magistrats au moyen d'épreuves agrandies
photographiquement.
J'espère que les remarques que M. Monpillard a bien
voulu me communiquer suffiront pour attirer désormais
l'attention des experts sur le genre particulier de difficultés
que présente l'identification d'écritures pathologiques.
CHAPITRE XXV.
MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES.
Dans les écoles spéciales d'aveugles, l'écriture en points,
connue sous le nom d'écriture Braille, est la pierre angu-
laire de l'instruction.
La lecture du Braille n'est qu'un pis aller à cause de son
excessive lenteur. Très restreint est le nombre des aveugles
capables de lire à haute voix un texte en Braille avec une
rapidité suffisante pour que l'audition de cette lecture soit
tolérable.
Tous mes correspondants instruits, sauf ceux qui ont per-
du la vue de très bonne heure, sont unanimes à réduire au
minimum, à cause de leur lenteur, l'emploi de l'écriture et
surtout de la lecture en points. Pour n'en citer qu'un seul,
j'extrais ce qui suit d'une lettre de M. Riggenbach :
« J'ai appris à lire et à écrire le Braille presque aussitôt après
avoir perdu la vue, mais je m'en suis très peu servi. La lec-
ture et l'écriture en points demandent trop de temps et sont
trop énervantes pour être d'un emploi fréquent quand on a la
possibilité de se faire faire la lecture et de dicter. Devenu
aveugle à l'âge de quinze ans, je n'avais pas, pour écrire
en noir, la rapidité dont jouissent les personnes plus âgées.
Aussi suis-je resté vingt-six ans sans écrire. Il y a quelques
mois, j'ai fait l'acquisition d'une machine à écrire... »
La lenteur de lecture du Braille se fait sentir encore plus
péniblement quand il s'agit de lectures d'agrément, pour les
livres qu'on voudrait se borner à parcourir ou à feuilleter.
Elle provient de ce que le doigt ne peut jamais toucher
qu'une seule lettre à la fois tandis que le voyant perçoit au
moins dix lettres à chacun des mouvements que font les
yeux quand le regard se déplace le long des lignes imprimées.
La lecture par le doigt est donc, pour des raisons physiolo-
276 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
giques, au moins dix fois plus lente que la lecture par les
yeux (Voy. Chapitres XI, XII et XIV).
Mais, vous dira-t-on, il existe, dans chaque langue, un
abrégé orthographique du Braille. Pour ne parler que de
l'abrégé français, le gain est tout au plus d'un tiers pour la
rapidité de l'écriture. Pour la lecture, l'expérience énseigne
que l'augmentation de vitesse est nulle.
Si l'écriture Braille est critiquable, elle partage ce sort
avec l'écriture usuelle, avec les caractères typographiques
et avec la portée musicale. Cela n'est pas douteux, mais ces
diverses notations employées par les clairvoyants sont pro-
tégées par une routine séculaire, routine si invétérée qu'il
serait téméraire de s'y attaquer.
Pour l'écriture des aveugles, la situation est tout autre, car
le nombre des livres imprimés en Braille est extrêmement
petit. Si donc l'on adoptait une écriture plus rationnelle, le
sacrifice des livres existants devrait peser d'un poids bien
léger dans la balance.
C'est principalement pour les langues dont l'orthographe
est bizarre, telles que l'anglais et le français, que la plupart
des indications qui vont suivre présentent de l'utilité.
Rendre la lecture plus rapide, tel est le but principal de
mes remarques. On verra, chemin faisant, que les moyens
propres à accélérer la lecture auraient pour conséquence
accessoire de diminuer la grosseur de nos livres, et d'abré-
ger le premier enseignement de la lecture et de l'écriture.
Il est clair que, pour que nous puissions lire avec moins
de lenteur, il faudrait, d'une part, nous offrir des caractères
plus faciles à reconnaître, et, d'autre part, diminuer le
nombre des caractères dont les mots sont composés. La
première de ces deux améliorations est surtout du ressort de
la typographie et ne comporte que de brèves indications,
tandis que la seconde est un problème très compliqué, dont
l'étude exige la connaissance préalable des divers systèmes
de sténographie.
I. — Réforme typographique.
Les parvenus de la cécité sont peut-être mieux en état de
connaître les difficultés que présente la lecture des carac-
tères en points. Ceux qui lisent du Braille depuis leur
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER Là LECTURE DES AVEUGLES. 277
enfance ne se rendent plus compte, par exemple, de la diffi-
culté de lecture occasionnée par l'entassement de caractères
formés de cinq ou six points, ni de la confusion résultant,
dans la lecture de l'abrégé, de l'accumulation de signes for-
més d'un très petit nombre de points. Ils ont oublié l'em-
barras que peut causer le signe majuscule, signe que les
étrangers et les espérantistes ont raison de supprimer.
Le signe italique, et le signe analogue à ce dernier, qui
se trouve au milieu de certaines locutions abrégées, sont
également une cause d'indécision. Si, comme à l'imprimerie
de Y Institution de Paris, on fait usage de caractères mobiles,
rien n'empêche d'en avoir qui soient formés de points plus
gros et plus saillants pour les majuscules, et qu'on em-
ploierait également pour les mots qui, en noir, sont
imprimés en italique.
D'autres difficultés de lecture seraient évitées en rem-
plaçant certains groupes de points par des assemblages de
petits traits formant la même figure (1). Par exemple, le b
serait un petit trait vertical, le c un trait horizontal, le cl une
figure angulaire, Ye un trait oblique, etc. Au premier
abord, pour le toucher, des caractères ainsi constitués sont
à peine différents des assemblages de points ; mais, pour les
cas douteux, la lisibilité est meilleure.
Autre exemple : les intervalles entre les lettres étant un
peu plus grands que la largeur des lettres, une série de let-
tres c prend l'aspect (Fig. 87) • • • • * • • • . Sous le doigt,
la différence de distance entre ces divers points n'est pas
très sensible, et l'hésitation du lecteur serait moindre si
l'on remplaçait les deux points de chaque c par un petit trait
continu. Alors le mot acacia s'imprimerait comme suit
(Fig. 88) * • et continuerait encore à s'écrire
comme suit (Fig. 89) •••
De même, la confusion que le doigt établit trop facilement
entre Y s et le t se produirait moins si, dans cette dernière
lettre, les points 2 et 5 étaient remplacés par un petit trait
horizontal, etc..
En procédant comme il vient d'être indiqué, ceux qui im-
priment nos livres ne manqueraient pas de respect à la
(1) Voir ci-dessus Chapitre XI, page 125.
278 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
mémoire de Barbier et de Braille, car, si ces hommes ont
employé exclusivement des points, c'était pour ne pas
compliquer l'écriture à la main, et non par des raisons de
lisibilité.
Il est tout naturel que, pendant des années, notre typo-
graphie soit restée identique à notre écriture manuscrite :
la même chose s'était produite à l'origine de la typographie
en noir. Gutenberg copia servilement les caractères usités
de son temps, si bien que les premiers volumes sortis de
ses presses se vendirent pour des manuscrits.
Puisqu'un caractère de forme plus compliquée n'occa-
sionne aucun surcroît de travail pour l'imprimeur, le
moment n'est pas éloigné où les caractères en relief servant
à imprimer nos livres subiront d'utiles modifications.
Il va sans dire qu'en tout pays on s'applique à donner
aux caractères ponctués la dimension la plus petite qui soit
compatible avec une facile lisibilité. Cette diminution est
surtout opportune pour les livres imprimés, dont l'exécution
est plus régulière que celle des meilleurs manuscrits. La
dimension la plus favorable n'est évidemment pas la même
pour tous les aveugles : pour chaque lecteur, il existe une
dimension préférable. Trop grands, les signes excèdent la
dimension de la surface la plus sensible du doigt ; trop
petits, ils sont difficilement perçus. Comme l'abrégé prête
plus à confusion que le toutes lettres, il serait logique d'écrire
le toutes lettres plus fin que l'abrégé.
Il me semble que la lisibilité est à peu près la même pour
le toutes lettres écrit sur un rayage haut de 2mm, usuel en
Belgique, que pour l'abrégé orthographique écrit sur le
rayage de 2mm5, employé en France.
L'économie de superficie, obtenue en substituant du rayage
de 2mm à celui de 2mm 1/2, est supérieure à un quart parce
qu'on gagne également sur la largeur des lettres. Si donc
mon appréciation est exacte, la possibilité d'écrire plus fin
quand on emploie le toutes lettres procure une économie de
surface au moins égale à celle produite par Y abrégé. Le seul
avantage de Y abrégé serait de rendre plus rapide l'écri-
ture des personnes qui en font un usage quotidien.
Il faut donc méconseiller fortement aux personnes chari-
tables, qui consacrent leurs loisirs à enrichir notre biblio-
thèque, l'emploi de l'abrégé, plus difficile à bien connaître et
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 279
donnant lieu à beaucoup plus d'erreurs d'écriture. Ce qui
vient d'être dit ne s'applique peut-être pas aux abrégés des
langues autres que la française, car je ne connais les abré-
gés étrangers que trop superficiellement pour me permettre
de les apprécier sainement ; mais, en ce qui concerne le
français, la diminution d'espace résultant, pour le toutes
lettres, de la diminution de grandeur des caractères, présente
cet avantage de se répartir sur tout, y compris les noms
propres et les espaces entre les mots, tandis que Y abrégé
orthographique raccourcit principalement les mots courts.
Donc, la diminution que je préconise fait économiser un
peu sur les blancs qui finissent les lignes et diminue le
nombre des mots coupés.
Enfin, un caractère plus petit comporte des points moins
saillants, ce qui produit un effet considérable sur l'épaisseur
des livres.
II. — Diminution du nombre des signes.
C'est surtout à la diminution du nombre des signes qu'on
doit s'appliquer pour rendre la lecture plus rapide, car on
a vu(Chap. XII, page 129) que, tandis que l'œil du clairvoyant
procède par saccades et lit, en moyenne, dix lettres à chaque
coup, notre doigt ne possède rien d'analogue à la vision indi-
recte, laquelle donne au champ de vision une étendue dont on
profite pour lire rapidement. Quelque exercé que soit le lec-
teur aveugle, il y a, pour la rapidité de mouvement de son index,
une limite au delà de laquelle tout se brouille, de même que
pour les yeux il est impossible de discerner des objets dont
la succession est trop rapide (rayons de roues de voi-
ture, etc.).
La diminution du nombre des caractères peut s'obtenir,
d'une part, par la suppression de ceux qui représentent soit
des lettres muettes, soit des lettres faciles à deviner, d'autre
part, par l'emploi de signes qui représentent des groupes de
sons. Nous sommes donc conduits à employer des procédés
analogues à ceux de la sténographie.
Examinons d'abord, en y intercalant un peu d'historique,
l'état actuel des écritures en points saillants.
Barbier et Braille. — Tout comme Minerve sortit tout
280 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
armée du cerveau de Jupiter, notre écriture en points sail-
lants, avec ses procédés d'exécution, a jailli du cerveau de
Charles Barbier. Pour plus de détails, je renvoie aux deux
ouvrages de cet auteur déjà cités au Chap. VI de ce volume.
Ces courtes brochures sont à lire et à méditer ; et quand on
voit qu'à lui seul, Barbier a trouvé le principe, admis univer-
sellement, de la sensibilité plus grande du doigt pour les
points que pour les lignes, qu'il a compris la nécessité de
grouper les points régulièrement, qu'il a créé l'outillage dont
on se sert encore aujourd'hui : poinçon, rayure et tablettes
perforées, on aurait dû se demander s'il n'aurait pas mieux
valu respecter aussi les idées de Barbier sur la phonographie
qui ont été exposées plus haut (Chap. XIV).
Je crois que la raison commande de reprendre l'écriture
ponctuée au moment où fut adoptée la cellule de six points,
et de marcher droit dans le chemin que Barbier avait tracé,
et dont se sont écartés successivement Braille avec son écri-
ture orthographique, et Ballu avec sa sténographie.
C'est peut-être plutôt au milieu ambiant qu'à Braille lui-
même qu'il faut imputer l'abandon de la phonographie, tan-
dis que c'est bien à lui qu'il faut attribuer le mérite d'avoir
pris, pour les chiffres et pour l'alphabet, sa ligne type de dix
signes, tels que chacun, y compris les trois premiers, reste
lisible isolément, puisque les trois signes flottants (1) qu'il a
choisis ne peuvent pas se confondre entre eux. C'est une
très heureuse combinaison, surtout pour la représentation
des nombres, celle qui a permis d'inscrire dans le carré
supérieur dix caractères impossibles à confondre. C'est pro-
bablement la joie de cette trouvaille qui a conduit Braille à
ne mettre que dix colonnes dans son tableau alphabétique,
d'où l'inconvénient de laisser treize signes en dehors de ce
tableau, gaspillage que Barbier n'aurait pas commis.
Une autre erreur de Braille fut, par respect de l'ordre
alphabétique traditionnel, de ne pas conserver les dériva-
tions logiques de Barbier, lequel a bien soin, par exemple,
(1) On appelle signes flottants des signes tels qu'ils peuvent être
confondus entre eux, quand ils ne sont pas repérés par l'apport aux bords
de la cellule : c'est ainsi que les signes que Braille emploie pour o, b et c
sont flottants. Parmi les signes flottants, il faut distinguer les signes
minces, tels que k et Z, qui sont formés de points d'une même colonne,
et les signes courts, tels que c et g, qui ne sont déplaçables que de haut
en bas dans la cellule.
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 281
de placer de sous te, an sous a, etc. Ces dérivations logiques
ont le petit avantage de faciliter l'étude du système et le grand
mérite d'être extrêmement profitables à la lisibilité. Comme
le fait justement remarquer M. Dechaux, il est très avanta-
geux que des signes peu différents représentent des sons
analogues; c'est ce que M. de la Sizeranne a eu le grand
mérite de faire pour l'abrégé orthographique, où an et ar
rappellent à, où in procède d'i, etc. Au contraire, dans l'al-
phabet de Braille, il n'y a aucune parenté réelle entre les
sons exprimés par la ligne type et ceux qui en dérivent. La
manière de procéder de Braille, en réduisant la ligne type à
dix signes au lieu de quinze et un blanc, et en introduisant
une masse de lettres accentuées sans grande utilité pour le
français et au détriment de l'application aux autres langues,
a encombré son tableau en noir. Il est arrivé ainsi que la
réduction du nombre des signes à cinquante et l'accumula-
tion des lettres accentuées ont fermé la porte aux dérivations
dont on verra plus loin la grande utilité.
On ne me fera jamais croire que, dans notre indigence de
signes, il fallait en affecter un à la représentation del'ù, qui
sert uniquement dans le mot où, lequel se prononce exacte-
ment comme ou, etc.
Abrégé orthographique. — La lenteur d'exécution de
l'écriture orthographique de Braille fit surgir divers abrégés,
tous illogiques, puisqu'ils entamaient l'orthographe. Pour être
conséquents avec eux-mêmes, les aveugles devaient créer un
abrégé orthographique, et cette création récente, puisqu'elle
ne remonte qu'à 1882, fut, en grande partie, l'œuvre de M.
Maurice de la Sizeranne et du Dr Armitage. Ces abrégés
remplissent le but modeste qu'on s'était proposé, qui est
d'écrire en économisant du temps et du papier, mais sans
entamer l'orthographe. Notons ce dernier point. Voilà donc
une écriture passablement rapide, qui traîne avec elle un
bagage de lettres muettes.
Tout cet immense effort d'ingéniosité réussit, nous l'avons
déjà dit, à abréger l'écriture d'un quart ou d'un tiers, mais
sans aucun profit pour la rapidité de la lecture.
Ce système est jugé sévèrement par M. Ballu (1), qui dit
(1) Compte rendu du Congrès de Bruxelles de 1902, p. 152.
282 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
que « c'est une misère greffée sur une iniquité, notre bizarre
orthographe », jugement dont l'amertume s'explique puis-
qu'il émane de l'auteur d'une sténographie.
Si l'abrégé orthographique paraît rentrer dans notre pro-
gramme, en diminuant le nombre des caractères, il n'atteint
cependant pas le but que nous nous sommes proposé puis-
que, de l'avis presque unanime des intéressés, la lecture de
l'abrégé n'est pas plus rapide que celle du toutes lettres.
Sténographie du frère Isidore Clé. — Ce n'est pas
réellement une sténographie, c'est un abrégé de l'abrégé. Pour
ceux dont la préoccupation, tout autre que la mienne, était de
rendre l'écriture plus rapide, la tentation était grande
d'abréger méthodiquement l'abrégé orthographique. C'est
ce qu'a fait le frère Isidore Clé, avec un succès dont il a été
lui-même consterné.
En effet, il enseigna sa sténographie dans la classe qu'il
dirige avec autant d'intelligence que de dévouement, à
Woluwe-Saint-Lambert, près de Bruxelles (1), et les enfants
s'y mirent et s'y perfectionnèrent avec un tel plaisir qu'il
devint très difficile de les contraindre à écrire leurs devoirs
en abrégé orthographique. C'est la désolation, car c'est la
perte de l'orthographe et, pour en arriver là, ce n'était pas
la peine de passer par tant de détours au lieu de s'en tenir à
une phonographie plus ou moins abrégée.
Dans l'état actuel des choses, car il est partisan de la
réforme orthographique la plus étendue à l'usage des voyants,
le frère Isidore Clé propose de cacher sa sténographie aux
élèves, mais d'en faire part aux adultes dont l'orthographe
est bien immuablement solide. Son conseil me paraît excel-
lent, et cette sténographie me semble infiniment précieuse
pour un très petit nombre de jeunes gens qui, habitués à
l'abrégé orthographique, entreprennent de fortes études.
Remarquons que ce serait une entreprise folle de vouloir
apprendre d'emblée la sténographie Isidore Clé, sans avoir
passé par l'orthographique et l'abrégé orthographique. Les
renseignements font défaut sur la rapidité de lecture de cette
sténographie.
(1) Compte rendu du Congrès de Bruxelles de 1902, p. 156.
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 283
Utilité de la sténographie pour les aveugles. —
Avant d'aller plus loin, il est nécessaire de bien définir la
nature des services que les aveugles peuvent attendre de la
sténographie. Il est présumable qu'ils ne deviendront pas
aisément des sténographes professionnels, car il leur est
difficile de percevoir les circonstances extérieures qui cons-
tituent une partie importante des discussions que le sténo-
graphe recueille sur le papier. D'autre part, l'aveugle ne
peut pas transcrire rapidement en dactylographie des notes
prises en sténographie ponctuée, cette transcription exigeant,
au minimum, l'emploi de trois mains. Il est vrai que le plus
souvent les sténographes professionnels dictent la trans-
cription à un dactylographe, et rien n'empêcherait un sténo-
graphe aveugle de procéder de même. On conçoit donc
parfaitement l'association de deux aveugles pour faire de la
sténographie et pour la transcrire.
Pour les aveugles, la principale utilité de la sténographie
serait, peut-être, de rendre plus rapides les correspondances
entre aveugles sachant une même sténographie, ainsi que
cela se pratique entre M. de la Sizeranne et quelques autres
adeptes de la sténographie Ballu, et aussi, de permet-
tre à quelques étudiants de prendre des notes en suivant des
cours. Or, si l'étudiant est astreint à copier ces notes après
coup, pour les conserver plus lisibles qu'en sténographie,
le but est complètement manqué, car ce serait un travail
supplémentaire excessif que celui qui consisterait à transcrire
la sténographie. Pour l'étudiant, il suffit d'avoir une sténo-
graphie dont la vitesse soit au moins égale à celle de l'écri-
ture ordinaire des clairvoyants, et qui soit facilement lisible.
D'ailleurs, comme rien n'empêche d'employer la machine
pour écrire en abrégé ou en sténographie, on voit que le
problème d'une écriture en relief suffisamment rapide est
amplement résolu.
En 1902, au Congrès de Bruxelles, M. Monnier a de-
mandé qu'on mît à l'étude une sténographie internationale à
l'usage des aveugles. Cette proposition porte en elle-même
la preuve que la sténographie désirée par les intellectuels
devrait être facilement lisible, non seulement pour celui qui
l'a tracée, mais pour tous les aveugles doués d'une instruc-
tion étendue.
J'espère que ce desideratum sera pris en considération
284 TROISIÈME PARTIE. DÉDUCTIONS PRATIQUES.
par l'homme de France qui est le plus au courant des cho-
ses de la sténographie ponctuée, j'ai nommé M. Deschaux,
de Montluçon, qui, avant de perdre la vue, connaissait la
sténographie Duployé, et qui, depuis, après avoir étudié à
fond la sténographie et l'écriture rapide de Ballu, la sténo-
graphie Flageul, dérivée du Duployé, la sténographie prati-
quée en Belgique par le frère Isidore Clé et la sténographie
Prévost-Delaunay, consacre toute son ingéniosité à la cons-
truction d'une sténographie qu'il a la sagesse de perfection-
ner patiemment avant de la proposer au jugement des per-
sonnes compétentes.
A mon avis, dans le choix des caractères sténographiques,
il convient de tenir le plus grand compte des besoins de la
phonographie'; il me semble que, rqciproquement, l'adop-
tion d'un système phonogi;aphique doit être subordonnée,
dans une certaine mesure, à la transformation de ce sys-
tème en sténographie. Je dis « dans une certaine mesure »,
car il serait fâcheux que la considération d'une sténographie
rapide, dont les adeptes seront toujours en nombre infime,
nuisît à la bonne ordonnance d'une phonographie destinée
à l'immense majorité des aveugles.
Sténographie Ballu. — Dans sa très ingénieuse sténo-
graphie, Ballu a eu le tort de ne pas tenir compte des néces-
sités des langues étrangères. Il ne paraît pas avoir connu les
meilleures méthodes de sténographie en noir, et le principal
avantage de son système devient presque illusoire depuis
l'invention de la machine Hall.
Ballu eut la pensée toute naturelle de représenter les
lettres les plus fréquentes par les signes les plus simples,
c'est-à-dire formés du plus petit nombre de points pos-
sible.
Malgré l'introduction de la machine Hall, cet avantage
subsiste encore quand l'aveugle, réduit au poinçon, veut
prendre des notes à un cours.
La fréquence des diverses lettres et contractions étant loin
d'être la même dans toutes les langues, les étrangers n'ont
pas pu songer à adopter le système Ballu, qui n'est appliqué
que par M. de la Sizeranne et les aveugles de son entourage
immédiat.
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 285
La sténographie Ballu, purement empirique, est si difficile
à retenir que des aveugles qui l'ont sue ont absolument
renoncé à son emploi.
Adaptation de la sténographie Aimé Paris. — J'ai
exposé dans « Entre aveugles » les moyens d'adapter à l'écri-
ture Braille la sténographie Aimé Paris en la combinant avec
la mnémotechnie du même auteur. Cette tentative conduit à
une écriture phonétique aisément transformable en sténo-
graphie rapide, mais cette adaptation m'a donné une phono-
graphie d'une lisibilité médiocre, parce qu'elle faisait un
emploi peu judicieux des signes minces, définis dans la note
de la page 280.
On ne peut pas faire le même reproche au système que je
vais exposer, et qui est une adaptation de la cellule de
6 points à la phonographie de Barbier.
Cette adaptation diffère un peu de celle que j'ai décrite
ailleurs.
Adaptation et extension de la phonographie de
Barbier. — La lenteur de lecture de la phonographie de
Barbier résulte de la hauteur trop grande de ses colonnes
de six points. Pour comprendre ce qui suit, il est indispen-
sable de bien se pénétrer du système de Barbier, tel qu'il
a été exposé plus haut (p. 55) et de comprendre que, dans
ce système, les colonnes de points servent à désigner, par
deux numéros d'ordre, chacune des trente-six cases de son
tableau en noir, reproduit ci-après.
Tableau de Ch. Barbier
1"
ligne .
a
i
0
u
é
è
2«
ligne.
an
in
on
un
eu
ou
3*
ligne.
b
g
j
V
z
4«
ligne.
P
t
q
ch
f
s
0e
ligne.
1
m
n
r
11 (mouillé)
6e.
ligne.
oi
oin
ian
ien
ion
ieu
Fig. 90.
286 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Pour la désignation de ces deux numéros d'ordre, nous
ferons usage des deux colonnes (hautes de trois points seule-
ment), qui constituent notre cellule moderne. Chacune de ces
colonnes, par la combinaison de ses points et du blanc,
peut fournir huit combinaisons.
On voit en effet, en jetant un regard soit sur la première
ligne horizontale, soit sur la première colonne verticale de
la Figure 91, qu'avec une hauteur de trois points, on peut
compter jusqu'à huit, alors qu'avec six points de haut,
Barbier ne comptait que jusqu'à six.
Voici maintenant le tableau complet des 63 signes.
•
•
•
•
•
•
•
•
a
0
•
•
u
m
è
•
on
•
eu
an
m
•
un
•
•
•
i
•
•
• •
•
V
•
• •
z
• •
•
• •
P
V
•
• •
ch
•
0 •
• •
•
m
n
•
• •
• •
• •
•
•
• •
oi
onr
•
lan
• m
• •
jenm
•
•j'on
•
• •
• •
ïeu
• •
m •
• •
•
• •
Fi g. 91.
On remarquera que, dans ce tableau, les points de la
ligne supérieure, de la ligne inférieure, de la première
colonne et de la dernière sont plus maigres que ceux des
36 signes qui occupent le milieu du tableau. Ces 36 signes,
qui nous importent seuls pour le moment, sont représenta-
tifs des articulations du tableau en noir. Ce tableau en
points s'apprend par cœur en quelques minutes : il suffit de
le regarder. La Figure 91 représente la superposition du
tableau en noir de Barbier, sur le milieu du tableau
complet en points, de 63 signes.
MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 287
XXV. —
La Figure 92 représente la phrase de Barbier, de la
page 55, écrite à l'aide du tableau de la Figure 91. Cette
écriture est, à tous égards, préférable à celle de Braille.
ch o
è t r tro s in pi
Fi^ 92.
1° Elle est plus facile à apprendre ;
2° N'employant aucun signe mince, elle est d'une lecture
plus facile, surtout pour les commençants;
3° Elle économise du temps à l'écrivain par la suppression
des lettres muettes, par l'emploi de signes qui représentent
plusieurs lettres, et par cette circonstance qu'aucune lettre
n'emploie plus de quatre points ;
4° L'absence de signes minces pour les lettres nous permet
de réserver ces signes pour les ponctuations et, la plupart
du temps, de se dispenser de mettre des espaces sépa-
ratifs entre les mots quand ils sont séparés par un signe de
ponctuation, puisque celui-ci apporte avec lui un blanc suf-
fisant.
C'est dans cet ordre d'idées que j'ai ajouté des ponctua-
tions au-dessus de la première ligne et à gauche de la pre-
mière colonne du tableau de Barbier ci-dessus, ce qui donne
la Figure 93.
Cette économie d'espace peut être augmentée en typogra-
phie, car l'absence de signes minces dans les mots permet
de réduire de moitié, sans aucun inconvénient, les espaces
entre les mots ;
6° Enfin, et c'est là le point capital, la rapidité de lecture
est augmentée, non seulement par la lisibilité meilleure qui
résulte de l'absence, à la fois de signes minces et de signes
288 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
trop chargés de points, mais surtout par la diminution du
nombre des signes et des espaces perdus inutilement.
—
•
(
«
m
M
/
a
i
0
u
é
è
/
an
in
on
un
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j
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z
)
P
t
q
ch
f
s
))
1
m
n
r
gn
II
?
oi
oin
ian
ien
ion
ieu
f
•
Fig. 93.
Les 27 signes restés disponibles permettent, après avoir
pourvu aux besoins de la ponctuation, d'introduire des abré-
viations sténographiques.
Transformation de l'écriture de Barbier. — Dans ce
procédé, c'est tout à fait arbitrairement que j'ai rangé les com-
binaisons de points et c'est arbitrairement aussi que (Fig. 91)
la première ligne a été faite en combinaisons rangées dans
le même ordre que celles de la première colonne. Sans
sortir du même principe, on pourrait se servir d'autres
tableaux en points dérivant tous du tableau théorique sui-
vant (Fig. 94-).
On peut concevoir un nombre encore beaucoup plus
grand de tableaux en noir, puisqu'on a la tâche de remplir
63 cases par des lettres, des groupes de lettres et des signes
de ponctuation.
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 289
P II est évident que si Barbier pouvait être consulté, il re-
noncerait instantanément à son tableau en noir, qui avait
été conçu en vue de trente-six cases seulement.
Tableau carré théorique.
0
0-1
0-2
0-3
0-4
0-5
0-6
0-7
1-0
1-1
1-2
1-3
1-4
1-5
1-6
1-7
2-0
2-1
2-2
2-3
2-4
2-5
2-6
2-7
3-0
3-1
3-2
3-3
3-4
3-5
3-6
3-7
4-0
4-1
4-2
4-3
4-4
4-5
4-6
4-7
5-0
5-1
5-2
5-3
5-4
5-5
5-6
5-7
6-0
6-1
6-2
6-3
6-4
6-5
6-6
6-7
7-0
7-1
7-2
7-3
7-4
7-5
7-6
7-7
Fig. 94.
En présence du nombre immense des solutions possibles,
je vais en exposer deux tirées d'Entre aveugles.
Dans le premier exemple, faisant passer au second plan
les intérêts de la sténographie, je me suis appliqué à
choisir, pour les signes en noir de la phonographie simple,
des cases correspondant à des signes en points d'une bonne
lisibilité. Lorsque je combinais l'un et l'autre de ces
exemples, je n'avais pas encore eu l'idée, exposée tout à
l'heure, et qui me paraît pratique, de réserver les signes
minces pour la représentation de la ponctuation.
Premier exemple. — Examinons le double tableau sui-
vant :
JAVAL.
19
290 TROISIÈME PARTIE.
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Tableaux carrés des soixante-trois signes en points
et en noir.
•
•
•
•
•
•
•
•
a
i
0
OU
é
ou
u
•
•
• •
•
• •
• •
•
•
• •
a
P
b
pr
br
pl
bl
an
•
•
•
•
•
•
i
t
d
tr
dr
•
in
•
•
•
•
•
•
• •
• •
•
•
•
• •
0
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•
•
•
•
•
ou
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cr
gr
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•
•
•
•
•
•
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•
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j
•
•
•
•
•
•
•
•
•
eu
s
z
1
•
•
•
•
•
•
•
•
u
m
II
un
Fig. 95.
Dans ce tableau figurent, en quantité amplement suffi-
sante, des signes représentatifs des sons et articulations de
la langue française. La première colonne comprend les sept
voyelles a, i, o, ou, é, eu et u; j'ai attribué à cette dernière
voyelle le point 2, mauvais à lire et à écrire par égard pour
les langues où le son u n'existe pas. L'ordre des voyelles est
emprunté à l'Espéranto et à Barbier qui, pour des raisons
différentes, ne mettent l'é qu'après les autres voyelles sim-
ples. Dans la dernière colonne se trouvent les quatre voyelles
nasalées, qui n'existent qu'en français, une case vide, et les
consonnes liquides et /, parce qu'elles ont, dans la forma-
tion des mots, un rôle qui les rapproche de celui des voyelles.
La seconde et la troisième colonne contiennent les qua-
torze consonnes qui, en y joignant ;* et /, donnent les seize
articulations nécessaires en phonographie.
J'ai ajouté dans le tableau phonographique ci-dessus
quelques articulations terminées par r et /, qui se transfor-
ment aisément en signes métagraphiques.
Dans ce tableau, les signes minces sont rigoureusement
exclus de la représentation des consonnes ; donc, pour le
lecteur, sécurité assez grande, et, pour l'écrivain, avantage
d'économiser sur le temps employé à séparer les mots.
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 291
Admettons, en effet, que, tandis que les signes représenta-
tifs de voyelles de ma première colonne sont employés à la
fin des mots, on les remplace, au commencement des mots,
par les sept signes de la première ligne horizontale, ce qui
ne peut pas prêter à confusion, il en résultera, entre les
mots, une distance d'un ou deux points. On n'aura besoin
de séparer les mots que lorsque, de deux mots consécutifs,
le premier se termine et le second commence par une
consonne. Le seul désagrément de cette manière de faire,
c'est que les voyelles qui sont dans le corps des mots
simuleront des intervalles de mots, inconvénient à peu près
nul en sténographie, car l'écrivain assez pressé pour trouver
utile d'escamoter les espaces entre les mots ne manquera
sûrement pas de supprimer la plus grande partie des
voyelles qui sont dans le corps des mots.
Deuxième exemple. — Quelques-unes des remarques pré-
cédentes conservent leur valeur pour l'application du tableau
qui va être décrit. Notamment, il est entendu que les signes
minces qui occupent la première ligne horizontale ne nous
serviront que pour figurer les mêmes vo}^elles que les
signes minces de la première colonne.
Tableaux carrés des soixante-trois signes en points
et en noir.
au i o ou é eu
al on ar pl pr p b
ul ur II tr t d
il m ir tl fr f v
ol on or kl kr k g
)ul oun our 1 r m n
el en er ehl chr ch j
îul eun eur si sr s z
Fig. 96.
292 TROISIÈME PARTIE. — DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Phonographie simple. — Il suffît d'apprendre par cœur
les sept voyelles de la première colonne, les sept consonnes
de l'avant-dernière, les sept consonnes de la dernière, qui
découlent des sept précédentes, et enfin de se pénétrer de la
forme des lettres / et r. Cela fait vingt-trois signes qui suf-
fisent pour la plupart des langues européennes. Pour le
français, on ajoutera les quatre signes de voyelles nasalées,
inscrites en italique dans la troisième colonne, en face, res-
pectivement, de a, u, i et o. Pour l'allemand, on substituera
le ch au /, etc.. Pour l'anglais, l'italien, l'espéranto, etc.,
on désaffectera le signe de u. En somme, il n'est guère de
langue pour laquelle les vingt-trois signes sus-indiqués ne
fournissent une phonographie suffisante.
Phonographie avec symphones. — Nous appelons signe
de symphone tout signe qui exprime plus d'une articulation.
Puisque nous avons dépensé vingt-trois signes, il nous en
reste quarante, et, sous déduction des signes minces de la
première ligne, trente-trois utilisables comme signes de
symphones (si nous ne tenons pas compte du gaspillage des
quatre signes qui, pour le français seulement, sont employés
par les voyelles nasalées). Les lettres / et r étant liquides, je
pense que, dans toutes les langues, elles fournissent plus de
symphones que les autres, à cause de leur facile association
aux consonnes. C'est pourquoi la seconde, la quatrième, la
cinquième et la sixième colonne du tableau sont remplies
par les symphones que fournissent ces deux lettres. On re-
tiendra aisément que l'addition de ces lettres à la suite d'une
voyelle se fait par l'addition d'un seul point, supérieur pour
17 et inférieur pour 1';*. Une remarque analogue permet de
retenir en un instant la figure en points des douze sym-
phones que ces lettres peuvent former à la suite des autres
consonnes. Bien qu'une partie de ces symphones n'existe pas
en français, ils ont été cependant maintenus à cause de leur
existence dans d'autres langues, particulièrement les langues
slaves.
Sténographie plus complète.— Si les langues slaves
nous présentent des mots comme bourrés de consonnes, c'est
XXV. — MOYENS D'ACCÉLÉRER LA LECTURE DES AVEUGLES. 293
qu'en réalité, bien souvent, entre des consonnes consécu-
tives, se prononce très légèrement une voyelle qui ne s'écrit
pas. Les sténographes usant d'un artifice analogue, ceux des
symphones non prononçables du tableau qui nous occupe
sont tout prêts pour servir de signes représentatifs de ces
abréviations. Il va sans dire aussi qu'en sténographie, les
signes de consonnes de notre huitième colonne disparaîtront
toutes les fois qu'on devra leur associer 17 ou IV, et seront
remplacés par les symphones afférents aux consonnes dures
correspondantes.
Toutes ces explications n'ont qu'un seul but : montrer,
par un exemple concret, la possibilité de concilier la phono-
graphie et la sténographie sans trop nuire à cette dernière ;
la lisibilité de la phonographie qui vient d'être esquissée est
plutôt augmentée par l'emploi des symphones et n'est guère
diminuée par la suppression d'une partie des intervalles
entre les mots. Je crois qu'avec de l'exercice, une phono-
graphie de ce type, précisément parce qu'elle occupe moins
de longueur, serait d'une lecture plus rapide que le « toutes
lettres » et que l'abrégé orthographique.
Emploi simultané de deux doigts. — Puisque la len-
teur de lecture provient de la faible étendue de la surface
sensible du doigt, il est clair que la vitesse serait à peu près
doublée, si l'on pouvait faire usage simultanément de deux
doigts. Or, d'après ce qui en a été dit au Chapitre IV
(page 43), la machine Lafaurie, qui écrit en deux colonnes
parallèles, se prête à une manœuvre de ce genre : on
ferait défiler la bande sous l'index et l'annulaire, qui sont
de longueur à peu près égale, le médius inutilisé étant légère-
ment soulevé.
Lecture par l'oreille. — Enfin, puisque nous savons que
la lecture du Morse par l'oreille est passablement rapide, on
conçoit un retour à la vieille idée que voici :
Dès 1856, peu de temps après l'invention de Morse, un
haut fonctionnaire des télégraphes français, M. Charles
Bourseul, eut l'idée que son alphabet pourrait être employé
par les aveugles préférablement au Braille, et il construisit
un appareil analogue au manipulateur de Morse, fonction-
294 TROISIÈME PARTIE.
— DÉDUCTIONS PRATIQUES.
nant sans mouvement d'horlogerie, et à l'aide duquel on
pouvait écrire l'alphabet Morse en relief (1). D'après les nou-
veaux progrès de la télégraphie, il serait facile de construire
un appareil analogue, où les signes seraient remplacés par
deux lignes de points perforés, qui permettraient de lire à
l'audition les bandes obtenues par l'appareil à inscrip-
tion.
Le dernier progrès à cet égard paraît être celui obtenu
par le photo-télégraphe Siemens et Halske 1904, qui transmet
deux mille lettres à la minute, soit vingt mille mots de six
lettres par heure. La rapidité du manipulateur qui sert à
préparer la bande perforée, destinée à l'appareil expéditeur,
est analogue à celle d'une machine à écrire ordinaire.
Aux personnes qui s'intéressent à la création d'un système
international de sténographie à l'usage des aveugles, je si-
gnale un travail tout à fait récent de M. Knowles (2).
On me communique à l'instant un livre (3), dont l'auteur
expose avec une légitime admiration le système d'écriture en
relief imaginé par le missionnaire Murray, à l'usage des
aveugles chinois. Murray fait usage de 408 combinaisons,
pour représenter les 408 articulations employées en Chine.
Il paraîtrait que par ce système, des illettrés chinois auraient
pu apprendre à lire et à écrire en moins de trois mois, et
que l'écriture de l'un d'eux aurait atteint la rapidité tout à
fait extraordinaire de plus de vingt-deux mots à la minute.
(1) Instituteur des aveugles (Journal de Guadet), T. II, p. 140. Appré-
ciation de Ballu sur l'appareil de Bourseul. Ibid., p. 162.
(2) The « London Point » Sj'steme of reading for the Blind, with
methods of abbreviation for use with the System, being a progressive
scheme from simple letters to shorthand ; designed for the Blind of ail
classes, by the Bev. J. Knowles, àuthor of « oriental Braille, one alpha-
bet for the blind for ail oriental languages », approved of by the British
and foreign blind Association.
(3) The Inventer of the Numeral-type for China by the use of which illi-
terate Chinese both blind and sighted can very quickly be taught to
read and Write fluentty by « Constance F. Gordon-Cumming. » Downey
et C°. L.t.d. 12 York Street, Covent Garden, London, 1899.
Tout ce chapitre a été écrit sans tenir compte du New-York point
dont les caractères ne mesurent que 2 points en hauteur. Ce système qui
fournit un plus grand nombre de signes que le Braille me paraît devoir
être plus favorable à la rapidité de la lecture.
CONCLUSION A L'USAGE DES PEDAGOGUES
Imaginons une école où l'on appliquerait les progrès récla-
més dans ce livre, et relatifs tant à l'hygiène qu'à l'emploi
du moindre effort.
1° Hygiène de la vue. — L'éclairage des classes sera
organisé d'après les indications contenues dans le cha-
pitre XV. Les livres et les cartes murales seront choisis
conformément aux préceptes posés dans le chapitre XVI. On
"n'enseignera, aux jeunes enfants, que l'écriture droite (chapi-
tres XIII, XVIII, XIX). Leur acuité visuelle sera mesurée
(chap. VIII), dès qu'ils connaîtront les lettres, et tous ceux
qui auraient Une acuité insuffisante seraient passés à l'oph-
talmomètre (p. 74) par un spécialiste. Le cas échéant, ils
seraient munis de verres cylindriques.
Dans ces conditions, la myopie scolaire et la scoliose ne
pourraient apparaître que dans le cas où les enfants empor-
teraient à la maison beaucoup de travail à exécuter dans des
conditions d'éclairage défectueuses.
2° Moindre effort dans l'enseignement de la lec-
ture. — Les premiers essais d'écriture seront faits en sté-
nographie (chap. IV). En même temps, les enfants appren-
dront de petits chants et on leur enseignera l'écriture musi-
cale chiffrée (chap. V). Ils apprendront donc, simultanément
deux écritures simples et "rigoureusement logiques. On a vu
que, par ces deux détours, ils apprendront bien plus vite la
lecture ordinaire et la lecture musicale sur la portée, que si
ces lectures étaient abordées directement.
L'enfant saura donc lire et écrire sans avoir entendu par-
ler d'orthographe et sans avoir fait l'effort exigé pour tracer
les caractères de notre alphabet.
Dans les pays à orthographe bizarre, tels que la France
et l'Angleterre, je crois que l'on trouvera profit à employer
soit ma méthode (chap. XX), soit quelque système analogue,
pour le premier enseignement de l'écriture usuelle. L'en-
fant apprendrait ainsi, presque sans s'en apercevoir, les
traits principaux de l'orthographe de sa langue maternelle.
296 TROISIÈME PARTIE. —
DÉDUCTIONS PRATIQUES.
Secours de l'Espéranto. — Tandis que ce que je viens
de dire a reçu la sanction de l'expérience, c'est seulement
par présomption que je puis parler du secours qu'on pour-
rait demander à l'enseignement préalable de l'espéranto,
l'admirable langue auxiliaire internationale construite par
le D' Zamenhof (1).
Réunissons dans une classe enfantine des enfants illettrés,
et, de préférence, appartenant à des nationalités diverses, et
prescrivons à la maîtresse de se conformer rigoureusement
au système inauguré par M. I. Carré en pays breton, mis
en vogue par M. Berlitz, et qui consiste à faire exclusive-
ment usage de la langue qu'il s'agit d'enseigner : après
quelques jours, tout ce petit monde suivra facilement les
leçons de choses en espéranto et, après peu de semaines tous
parleront couramment.
La langue qu'ils parlent étant rigoureusement phonétique,
les enfants n'auront qu'un très faible effort à faire pour sa-
voir l'écrire, d'abord en sténographie, puis en écriture
usuelle. Par surcroît, sachant deux langues, l'espéranto et
la maternelle, ils seront aptes à en apprendre rapidement
d'autres.
3° Pour les Aveugles. — Dès leur entrée à l'école, il
faut les plonger tout entiers dans l'espéranto, chose facile
avec des internes. La connaissance de cette langue leur
est en effet bien plus utile qu'aux clairvoyants. Mais la rai-
son principale d'agir ainsi, c'est de les affranchir, au début,
des difficultés orthographiques, tout en les dotant d'une
langue à écriture et à lecture rapides, dont ils auront intérêt
à se servir, toute leur vie, pour communiquer entre eux par
écrit.
Il existe déjà, grâce à M. Gart, un nombre suffisant de li-
vres de classe et de morceaux choisis espérantistes, impri-
més ou écrits en points saillants.
(1) Je renvoie les personnes qui savent l'espéranto au chapitre XIII pour
se convaincre de l'utilité d'écrire cette langue sans lettres accentuées et au
chapitre XXII pour étudier la petite modification nécessaire en vue d'évi-
ter la confusion entre les u et les n, lettres si fréquemment employées
dans la langue de Zamenhof.
Le jour où l'on se mettra à publier des livres scolaires en espéranto, je
pense que les éditeurs de ces livres, et particulièrement des dictionnaires,
feraient bien de s'inspirer des types figurés à la fin du chapitre XVII.
FIN
JANVIER 1904
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
Paris, 6e. — 108, boulevard Saint-Germain. — Paris, 6°.
BIBLIOTHÈQUE
Scientifique Internationale
Publiée sous la direction de M. Emile ALGLAVE
Beaux ouvrages in-8, la plupart illustrés, cartonnés à l'anglaise, à 6, 9 et 12 fr.
CE NT-UN VOLUMES PARUS
Derniers, Volumes publiés :
Le corps robuste et l'esprit dispos, par A. Mosso, professeur à l'Université
de Turin, traduit de l'italien par Ciaudius Jacquet. 1 vol. in-8. .... 6 fr.
Histoire de l'habillement et de la parure, par L. Bourdeau. 1 vol. in-8. 6 fr.
La géologie générale, par Stanislas Meunier, professeur au Muséum d'histoire
naturelle. 1 vol. in-8, avec 43 gravures. 6 fr.
L'eau dans l'alimentation, par F. Malméjac, pharmacien de l'armée, docteur
en pharmacie; préface de M. Schlagdenhauffen, directeur honoraire de l'Ecole
supérieure de pharmacie de Nancy, i vol. in-8 6 fr.
Les bases scientifiques de l'éducation physique, par G. Demeny, professeur
du cours d'éducation physique de la ville de Paris, et de physiologie appliquée
à l'Ecole militaire de Joinville-le-Pont. 1 vol. in-8, avec gravures, 2e éd. 6 fr.
Mécanisme et éducation des mouvements, par le même. 1 vol. in-8, avec
565 gravures. 9 fr.
Les maladies de l'orientation et de l'équilibre, par J. Grasset, professeur
à la Faculté de médecine de Montpellier, associé de l'Académie de médecine.
1 vol. in-8, avec gravures 6 fr.
Les débuts de l'art, par E, Grosse, professeur à l'Université de Fribourg-en-
Brisgau. Traduit de l'allemand par A. Dirr; introduction de M. Léon Marillier.
1 vol. in-8, avec 32 gravures dans le texte et 3 planches hors texte. . . 6 fr.
La nature tropicale, par J. Costantin, professeur au Muséum d'histoire natu-
relle. 1 vol. in-8, avec 166 gravures dans le texte 6 fr.
La géologie expérimentale, par Stanislas Meunier, professeur au Muséum
d'histoire naturelle. 1 vol. in-8 avec 56 gravures dans le texte 6 fr.
L'audition et ses organes, par le Dr Gellé, membre de la Société de Biologie.
1 vol. in-8, avec 70 gravures dans le texte 6 fr.
Liste des Volumes par ordre de matières
1. _ SCIENCES SOCIALES
Principes de colonisation, par J.-L. de Lanessan, professeur agrégé à la
Faculté de médecine de Paris, ancien gouverneur général de l'Indo-Chine, député.
1 vol. in-8 : 6 fr.
M. de Lanessan a résumé dans ce livre les leçons de son expérience. Les Principes
de colonisation étudient, exposent et résolvent, sans en laisser un seul dans l'ombre.
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PARIS
2
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN
tous les problèmes si complexes soulevés par la colonisation moderne. Les premières
migrations des hommes à travers le monde, l'expansion des races européennes au delà
des mers, la substitution des races par le métissage, la colonisation par la propagande
religieuse, la conduite à tenir envers les indigènes, envers les autorités locales, envers
les colons, la défense militaire et maritime des colonies, les pouvoirs des gouverneurs,
et mille autres questions y sont traitées à un point de vue tout moderne.
C'est un livre de doctrine appuyé sur des faits observés et vécus, un livre unique
dans son genre, que tous ceux qui s'occupent de colonisation, aussi bien en France
qu'à l'étranger, voudront lire et méditer et qui ne tardera pas à devenir classique.
Introduction à la science sociale, par Herbert Spencer. 1 vol. in-8, 13e éd. 6 fr.
L'auteur démontre d'abord la nécessité de cette science et en étudie la nature. Il
prémunit ensuite celui qui veut se livrer à cette étude contre les difficultés qu'elle
présente : difficultés objectives, difficultés subjectives, intellectuelles et émotionnelles.
Ces dernières sont développées dans les chapitres intitulés : Préjugés de l'éducation,
préjugés du patriotisme, préjugés de classes, préjugés politiques, préjugés théologiques.
Enfin il indique la discipline à observer clans la science sociale et montre comment
les études biologiques et psychologiques en sont la préface nécessaire.
Les bases de la morale évolutionniste, par Herbert Spencer. 1 vol. in-8,
6e édit. 6 fr.
Aujourd'hui que les prescriptions morales perllent une partie de l'autorité qu'elles
devaient à leur origine surnaturelle, la sécularisation de la morale s'impose.
Le changement que promet ou menace de produire parmi nous cet état de choses,
désiré ou craint, fait de rapides progrès : ceux qui croient possible et nécessaire de
remplir le vide sont donc appelés à agir en conformité avec leur foi. C'est cette pensée
qui a décidé le célèbre philosophe anglais à détacher de ses Études sociologiques ce
travail, dans lequel il montre la base scientifique des principes du bien et du mal qui
dirigent la conduite des hommes.
Les conflits de la science et de la religion, par Draper, professeur à l'Uni-
versité de New- York. 1 vol. in-8, 11e édit. 6 fr.
L'histoire de la science n'est pas seulement l'histoire de ses découvertes, c'est encore
celle du conflit existant entre ces deux puissances, contraires : d'une part, la force
expansive de l'intelligence humaine; d'autre part, la compression exercée parla foi
traditionnelle et par les intérêts humains. Personne, avant Draper, n'avait traité le
sujet à ce point de vue où il apparaît comme un événement actuel on ne peut plus
important. Aussi, cet ouvrage a-t-il eu un grand succès et est-il arrivé en peu d'années
à sa 10e édition.
Lois scientifiques du développement des nations, dans leurs rapports avec
les principes de l'hérédité et de la sélection naturelle, par W. Bagehot. 1 vol.
in-8, 6e édit 6 fr.
L'auteur a cru pouvoir utilement, en quelques chapitres, montrer comment, sur un
ou deux points, les idées nouvelles travaillent à modifier deux vieilles sciences, la poli-
tique et l'économie politique. Si sur ce point les idées sont encore un peu incomplètes,
c'est que le sujet est nouveau; du moins, l'auteur met sur la voie de quelques con-
clusions et montre ainsi, en admettant qu'il ne le fasse pas lui-même, ce qui devrait
être fait.
L'évolution des mondes et des sociétés, par F. -G. Dreyfus. 1 vol. in-8,
3e édit . . .. \ ........ J\ . 6 fr^
Pour l'auteur, l'évolution, que les progrès des sciences naturelles ont établie sur
une base inébranlable, a renouvelé la conception générale de l'univers physique et
social; elle a mis en lumière le trait d'union entre le présent et le passé, et, enjoignant
le point de vue dogmatique au point de vue historique, elle a démontré l'enchaînement
des époques successives que l'on considérait jusqu'ici comme n'ayant entre elles aucun
rapport immédiat. {Revue bleue.)
Histoire de l'habillement et de la parure, par L. Bourdeau. 1 vol. in-8. 6 fr.
L'auteur montre comment l'industrie du vêtement et de la parure, qui pourvoit à
de si grands besoins chez l'homme, et qui, à raison de son importance générale, consti-
tue une des principales occupations de l'activité humaine, est parvenue par une évolution
continue durant tous le cours de la civilisation, à réaliser un aussi vaste programme.
Suivant l'ordre même des faits, M. Bourdeau étudie la préparation des peaux, celle
des textiles, leur conversion en fils, le tissage des étoffes, la teinture et l'impression
des tissus, enfin la confection des vêtements.
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PARIS
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONA LE
3
La sociologie, par de Roberty. 1 vol. in-8, 3e édit 6 fr.
Ce volume n'est ni une œuvre de polémique ni un exposé dogmatique, c'est un essai
de philosophie sociale où l'auteur a surtout cherché à définir la place, le caractère, la
méthode et les tendances de la science toute nouvelle qui étudie les sociétés humaines
avec les" procédés précis des sciences naturelles. M. de Roberty se rattache à l'école
positiviste d'Auguste Comte et de Littré, ce qui ne l'empêche pas de s'écarter, à l'occa-
sion, des voies tracées par ses illustres maîtres et d'avouer une haute estime pour les
doctrines de M. Herbert Spencer, même quand il les attaque un peu rudement.
La science de l'éducation, par Alex. Bain, professeur à l'Université d'Aberdeen
(Ecosse). 1 vol. in-8, 10e édit 6 fr.
Dans une première partie, M. Bain examine la nature de l'éducation et ses rapports
avec la physiologie, l'éducation de l'intelligence, des sens, de la mémoire et de l'ima-
gination, la discipline. La seconde partie est consacrée aux méthodes que l'auteur étudie
dans toutes les sciences et dans les différentes branches de l'éducation littéraire. Enfin,
dans une troisième partie, M. A. Bain trace le plan complet d'une éducation moderne
en rapport avec les conditions particulières des sociétés contemporaines.
La vie du langage, par Whitney, professeur de philosophie comparée à Yale-
College, Boston (Etats-Unis). 1 vol. in-8, 4e édit 6 fr.
Les linguistes ont longtemps différé d'opinions sur la question de savoir. si l'étude
du langage est une branche de la physique ou de l'histoire. Ce différend est à peu près
réglé maintenant : toute matière dans laquelle les circonstances, les habitudes et les
actes des hommes constituent un élément prédominant, ne peut être que le sujet d'une
science historique ou morale. C'est à ce point de vue que l'auteur s'est placé pour étu-
dier la vie du langage.
La monnaie et le mécanisme de l'échange, par W. Stanley Jevons, profes-
seur d'économie politique à l'Université de Londres. 4 vol. in-8, 5e édit. 6 fr.
L'auteur décrit les différents systèmes de monnaies anciennes ou modernes du monde
entier, les matières premières employées à faire de la monnaie, la réglementation du
monnayage et de la circulation, les lois naturelles qui régissent cette circulation et les
divers moyens appliqués ou proposés pour la remplacer par de la monnaie de papier.
Il termine par un exposé du système des chèques et des compensations, maintenant si
étendu et si perfectionné, et qui a tant contribue à diminuer l'usage des espèces métal-
liques.
IL — PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE
Les maladies de l'orientation et çle l'équilibre, par le Dl Grasset, profes-
seur de clinique médicale à l'Université de Montpellier, associé national de
l'Académie de médecine. 1 vol. in-8, avec gravures 6 fr.
L'importante et difficile question de V orientation et de V équilibre est de celles
qui intéressent tous les biologistes. Cette fonction complexe ne peut être étudiée
qu'avec les cas cliniques et par la méthode anatomoclinique. Car l'expérimentation
chez les animaux ne suffit plus pour les fonctions élevées du système nerveux et la
maladie est la seule vraie source d'expérimentation chez V homme. C'est cette étude
physiopathologique de l'appareil nerveux de l'équilibration chez l'homme que M. Grasset
a voulu faire en décrivrant les maladies de l'orientation et de l'équilibre.
Il s'est efforcé d'expliquer par Fanatomophysiologie de cet appareil complexe les
symptômes, nombreux et variés, que l'on rencontre fréquemment au lit du malade
(vertiges, ataxies, troubles du sens musculaire...). On peut dire qu'il a écrit ainsi,
pour la première fois, un chapitre de neuropathologie et de neuroséméiologie, qui
intéressera particulièrement tous les médecins. Les éléments en étaient épars dans
les chapitres du cervelet, du labyrinthe, des cordons postérieurs de la moelle, de
l'écorcë cérébrale. Faute de groupement synthétique, leur unité fonctionnelle et cli-
nique n'avait pas jusqu'ici suffisamment frappé le pathologiste et le clinicien.
L'audition et ses organes, par le Dr Gellé, membre de la Société de Biologie.
1 vol. in-8, avec 70 gravures dans le texte 6 fr.
Les sourds ont toujours été un sujet d'observations aussi intéressant pour les philo-
sophes et les savants que curieux pour les gens du monde. Dans cet ouvrage, l'auteur exa-
mine successivement les caractères des vibrations sonores et les organes auditifs. Puis
il arrive aux sensations auditives qu'il étudie dans toutes leurs variétés, dans leurs
formes normales et dans leurs déformations morbides, si curieuses pour le public et
si intéressantes pour ceux qui étudient les maladies de l'oreille. De nombreuses illus-
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PARIS
4
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trations permettent de suivre les descriptions et reproduisent les phénomènes les plus
importants. La signature dit ce que vaut l'œuvre, la richesse des matériaux qui y sont
accumulés et le soin avec lequel ils ont été triés. (Mercure de France.) -
L'évolution régressive en biologie et en sociologie, par MM. Demoor,
Massart et Vandervelde, professeurs à l'Université de Bruxelles. 1 vol. in-8,
avec 84 gravures dans le texte 6 fr.
Les analogies qui existent, au point de vue de l'évolution, entre la biologie et la
sociologie, résultent de ce que l'évolution des sociétés, aussi bien que des organismes,
est le concours des deux facteurs : la ressemblance et l'adaptation. Sans pousser jus-
qu'à l'exagération l'assimilation entre les organismes sociaux et les organismes végé-
taux ou animaux, MM. Demoor, Massart et Vandervelde ont réussi à découvrir des ana-
logies très curieuses dans l'étude de la régression dans ces trois ordres de phénomènes.
L'esprit et le corps, considérés au point de vue de leurs relations ; suivi d'études
sur les Erreurs généralement répandues au sujet de /'esprit, par Alex. Bain, pro-
fesseur à l'Université d'Aberdeen (Ecosse). 1 vol. in-8, 6e édit 6 fr.
Dans cet ouvrage, M. Bain examine le grand problème de l'âme, surtout au point de vue
de son action sur le corps. Il fait l'histoire de toutes les théories émises sur la nature
fie l'âme et sur la nature du lien qui peut l'unir au corps.' Il étudie ensuite les senti-
ments, l'intelligence et la volonté. Ce qui lui donne l'occasion d'exposer des vues fort
originales, et.il est conduit à indiquer une solution nouvelle du grand problème qu'il
a abordé.
Les illusions des sens et de l'esprit, par James Sully. 1 vol. in-8, 3e édit. 6 fr.
Cette étude embrasse le vaste domaine de l'erreur. L'auteur s'est constamment tenu
au point de vue strictement scientifique, c'est-à-dire à la description, à la classification
des erreurs reconnues telles, qu'il explique en les rapportant à leurs conditions psychi-
ques et physiques. C'est ainsi qu'après les illusions de la perception, il étudie celles
des rêves, de l'introspection, de la pénétration, de la croyance, de l'amour-propre, de
l'attente, de la mémoire, les erreurs de l'esthétique et de la poésie, etc.
Le magnétisme animal, par MM. Alfred Binet, directeur du laboratoire de
psychologie physiologique de la Sorbonne, et Ch. Féré, médecin de Bicêtre.
1 vol. in-8, 4e édit 6 fr.
Les auteurs de ce livre sont deux des élèves de M. le professeur Charcot; ils furent
ses collaborateurs les plus assidus, et ont pu expérimenter toutes les méthodes de
magnétisme, reproduire toutes les expériences relatées par les magnétiseurs et les sou-
mettre à une analyse critique et sévère.
Les altérations de la personnalité, par Alfred Binet, directeur du labora
toire de psychologie physiologique de la Sofbonne. 1 vol. in-8, avecfig., 2e éd. 6 fr,
M. Binet montre que le fameux moi indivisible de la vieille philosophie peut se dédou-
bler en plusieurs personnalités coexistantes ou successives parfaitement distinctes, en
un mot qu'un même homme peut être à la fois plusieurs personnes. Ces faits extraor-
dinaires, constatés scientifiquement, conduisent M. Binet à expliquer d'une manière
naturelle des faits réputés miracles ou impostures, comme les phénomènes du spiritisme.
Le cerveau et . ses fonctions, par le D1 J. Luys. 1 vol. in-8, avec gravures,
7e édit. 6 fr.
Dans une première partie purement anatomique, M. Luys expose d'abord l'ensemble
des procédés techniques par lesquels il a obtenu des coupes régulières du tissu céré-
bral, qu'il a photographiées avec des grossissements successivement gradués, procédés
qui lui ont permis de pénétrer plus avant dans les régions encore inexplorées des cen-
tres nerveux.
La seconde partie est physiologique; elle comprend la mise en valeur des appareils
cérébraux préalablement analysés, et donne l'exposé physiologique des diverses pro-
priétés fondamentales des éléments nerveux considérés comme unités histologiques
vivantes. Enfin l'auteur montre comment, grâce à la combinaison, à la participation
incessante, à la totalisation des énergies de tous ces éléments, le cerveau sent, se sou-
vient et réagit.
Le cerveau et la pensée chez l'homme et chez les animaux, par Charlton
Bastian, prof. àl'Univ. de Londres. 2 vol. in-8, avec 184 gravures, 2e édit. 12 fr.
M. Charlton Bastian examine successivement les différentes classes d'animaux, avant
d'arriver au cerveau de l'homme, et montre la gradation de toutes les fonctions intel-
lectuelles, au fur et à mesure qu'on monte dans l'échelle animale. Les chapitres consa-
crés aux singes supérieurs et à l'homme sont très curieux; dans l'intelligence humaine,
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5
l'auteur a fait une grande place à l'examen de toutes les déviations intellectuelles, et
cite un grand nombre d'observations qui ne sont pas des moindres attraits du livre.
Théorie scientifique de la sensibilité, par Léon Dumont. 1 vol. in-8,4eéd. 6 fr.
Dans une première partie, l'auteur s'occupe de l'analyse générale, et passe en revue
les théories sur le plaisir et- la peine; il examine le caractère essentiel de ces deux
affections, ainsi que leur relativité.
Dans la seconde division, M. Dumont aborde la synthèse particulière; il classe les
émotions, distingue les plaisirs et les peines en plaisirs et peines positifs et plaisirs et
peines négatifs. Il traite de l'expression de l'émotion chez l'homme et les animaux, de
la contagion des émotions, de l'influence des émotions sur la volonté, et termine par
une intéressante étude sur la production volontaire des causes de plaisir et, en parti-
culier, sur l'art.
Le crime et la folie, par H. Maudsley, professeur à l'Université de Londres.
1 vol. in-8, 7e édit ' . . 6 fr.
L'auteur procède à une démarcation précise de la zone mitoyenne entre la sanité
et l'insanité; puis il traite des diverses formes de l'aliénation mentale, des rafTports de
la loi et de la folie, de la folie partielle, de la folie épileptique et de la folie sénile. Il
termine sa savante étude par une détermination nette des moyens qui permettent de
se préserver de la folie. 11 montre les pernicieux effets de l'intempérance, et préconise
une édu.cation solide, doublée de croyances fortes et éclairées.
m. — PHYSIOLOGIE
Les virus, par le Dr Arloing, membre correspondant de l'Institut, directeur de
l'Ecole vétérinaire et professeur à la Faculté de médecine de Lyon. 1 vol. in-8,
avec 47 gravures dans le texte 6 fr.
M. Arloing étudie l'organisme dans la lutte avec les microbes; il montre le malade
succombant ou résistant et acquérant alors d'ordinaire une immunité spéciale contre
le retour du mal qui Ta touché une première fois. Il étudie ensuite les différents
moyens de produire chez l'homme cette immunité contre les terribles maladies qui
sont le fléau de notre espèce, depuis la variole jusqu'à la rage et à la phtisie. Il ter-
mine par une critique des travaux de Koch sur la fameuse lymphe préservatrice de la
tuberculose qui a tant passionné le inonde.
Les sensations internes, par H. Beaunis, professeur de physiologie à la Faculté
de médecine de Nancy. 1 vol. in-8 . 6 fr.
Sous ce nom, l'auteur comprend toutes les sensations qui arrivent à la conscience
par une autre voie que les cinq sens spéciaux. Il est ainsi amené à examiner les mani-
festations suivantes : la sensibilité organique, c'est-à-dire la sensibilité des tissus et
organes, à l'exclusion des organes des sens; les besoins (besoins d'activité musculaire
ou psychique, des fonctions digestives, de sommeil, de repos, etc.); les sensations fonc-
tionnelles (respiratoires, circulatoires, etc.); le sentiment de l 'existence; les sensations
émotionnelles; les sensations de nature indéterminée, comme le sens de l'orientation,
de la pensée, de la durée; la douleur et le plaisir.
Le corps robuste et l'esprit dispos, par A. Mosso, professeur à l'Université de
Turin, traduit de l'italien par Claudius Jacquet. 1 vol. in-8. ...... 6 fr.
M. Mosso montre dans son livre le moyen d'élever parallèlement le corps et l'esprit;
l'éducation physique des Romains et de la jeunesse italique, l'agonistique moderne,
l'œuvre du gouvernement, l'art d'élever, l'éducation physique dans l'Université, la démo-
cratie et l'éducation physique, V éducation moderne des femmes, tels sont les titres des
différents chapitres au cours desquels M. Mosso montre la nécessité de combiner les
deux cultures, afin d'obtenir des êtres moralement et physiquement solides, capables
de résister aux nécessités de l'heure présente.
Physiologie des exercices du corps, par le docteur Fernand Lagrange, lau-
réat de l'Institut. 1 vol. in-8, 8e édit 6 fr.
. M. Lagrange a écrit sous ce titre un livre tout à fait original dont on ne saurait trop
recommander la lecture. Il examine avec de très grands détails le travail musculaire,
la fatigue, la cause cle l'essoufflement, de la courbature, le surmenage, l'accoutumance
au travail, l'entraînement, les différents exercices et leurs influences, les exercices qui
déforment et ne déforment pas le corps, le rôle du cerveau dans l'exercice, l'automa-
tisme. Certains chapitres sur les dépôts uratiques, sur le rôle du travail musculaire
dans la production des sédiments, sont très fouillés. M. Lagrange a observé par lui-
même, et l'on voit qu'il s'est rendu maître d'un sujet peu exploré et difficile. Tous les
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PARIS
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faibles, les débilités par l'air et la vie des grandes villes, ont intérêt à méditer cet
excellent traité de physiologie spéciale. (Les Débats.)
Les sens, par Bernstein, professeur à l'Université de Halle. 1 vol. in-8, avec 91 grav.
dans le texte, 5e édit. _ 6 fr.
Cet ouvrage est divisé en quatre livres : le premier est* consacré au sens du toucher
sous ses différentes formes; le second, consacré au sens de la vue, contient une étude
détaillée de la constitution et du fonctionnement de l'œil et de toutes les maladies
qu'il peut subir; le troisième traite du sens de l'ouïe et le quatrième termine l'ouvrage
par l'étude de l'odorat et du goût.
Les organes de la parole et leur emploi pour la formation des sons du
langage, par H. de Meyer, professeur à l'Université de Zurich; traduit de l'al-
lemand et précédé d'une introduction sur Y Enseignement de la parole aux sourds-
muets, par M. 0. Claveau, inspecteur général des établissements de bienfaisance.
I vol. in-8, avec 51 gravures dans le texte. 6 fr.
L'étude de la structure et des dispositions des organes de la parole s'impose aux
philosophes avec un caractère de nécessité qui devient de jour en jour plus marqué;
chaque jour, en effet, on voit s'affermir cette conviction qu'une intelligence exacte des
lois relatives à la modification des éléments du langage ne peut s'acquérir sans le
secours des lois physiologiques de la production des sons.
La physionomie et l'expression des sentiments, par P. Mantegazza, profes-
seur au Muséum d'histoire naturelle de Florence, 1 vol. in-8, avec gravures et
8 planches hors texte, 3e édit 6 fr.
Ce livre est une page de psychologie, une étude sur le visage et sur la mimique
humaine. L'auteur s'est donné pour tâche de séparer nettement les observations positives
de toutes les divinations hardies qui ont jusqu'ici encombré la voie de ces études.
Scientifique dans le fond, l'ouvrage de M. Mantegazza est cependant d'une lecture
agréable; le psychologue et l'artiste y trouveront beaucoup de faits nouveaux et des
interprétations ingénieuses d'observations que chacun pourra vérifier.
Théorie nouvelle de la vie, par Félix Le Dantec, docteur ès sciences, chargé
du cours d'Embryologie générale à la Sorbonne. 1 vol. in-8, 3e éclit. . . 6 fr.
Gomment définir la vie? « Il n'y a pas de définition des choses naturelles, » a dit
Claude Bernard. On ne définit pas la vie, parce que la définition serait trop complexe.
M. Le Dantec l'a tenté, et je n'oserais pas affirmer qu'il n'ait pas réussi. Seulement il
a posé de nombreux corollaires préliminaires. Il faut d'ailleurs, avec lui, se faire une
conception tout autre que celle que l'on possédait autrefois sur la vie. La vie de l'in-
dividu n'est pas unique; elle se compose d'une multitude d'éléments qui vivent aussi.
Et ce que nous appelons la vie est la résultante de toutes ces vies particulières. N'in-
sistons pas. L'ouvrage de M. Le Dantec est extrêmement remarquable. Il mérite d'être
médité, et celui qui le lira verra s'agrandir considérablement l'horizon de ses connais-
sances. C'est un des livres les plus saillants de l'année. (Journal des Débats.)
La machine animale, par E.-J. Marey, membre de l'Institut, professeur au Col-
lège de France. 1 vol. in-8, avec 117 grav. dans le texte, 6e édiCaugmentée. 6 fr.
L'adaptation des organes du mouvement chez les animaux à leurs diverses condi-
tions d'existence, les allures chez l'homme et chez le cheval, l'analyse du mécanisme
du vol des insectes et des oiseaux, l'appareil reproduisant les mouvements des ailes :
tels sont les principaux sujets traités dans ce livre.
II n'est pas besoin d'insister sur les applications utiles de ces recherches scientifi-
ques, lesquelles ont d'ailleurs valu à leur auteur le grand prix de physiologie de
dix mille francs, fondé par M. Lacaze.
La locomotion chez les animaux (marche, natation et vol), suivi d'une étude
sur YHistoire de la navigation aérienne, par J.-B. Pettigrew, professeur au Col-
lège royal de chirurgie d'Edimbourg (Ecosse). 1 vol. in-8, avec 140 gravures dans
le texte, 2e édit ~ 6 fr.
Une partie de cet ouvrage est consacrée aux questions traitées dans la Machine ani-
male, par M. Marey, avec qui l'auteur est en désaccord sur un certain nombre de
points. 11 se place d'ailleurs à un point de vue différent. Il étudie la locomotion dans
et par l'eau, dont M. Marey ne s'est pas occupé, et donne de curieux détails sur la
natation de l'homme.
Mais ce qu'il faut signaler tout particulièrement, c'est son histoire de toutes les
machines et de tous les systèmes essayés pour arriver à naviguer dans l'air, depuis
les montgolfières jusqu'aux machines actuelles.
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PARIS
BIBLIOTHEQUE SCIENTIFIQUE I INTERNATIONALE
La chaleur animale, par Ch. Richet, professeur à la Faculté de médecine de
Paris. 1 vol. in-8, avec 47 graphiques dans le texte 6 fr.
L'auteur justifie la théorie de Lavoisier, que la vie est une fonction chimique : les
phénomènes de chaleur dont les êtres vivants sont le siège, sont phénomènes physico-
chimiques. Tout phénomène est accompagné de chaleur; il y a en outre production
d'énergie mécanique et mouvement.
Les bases scientifiques de l'éducation physique, par G. Demeny, professeur
du cours d'Education physique de la Ville de Paris, et de physiologie appliquée
à l'Ecole militaire de gymnastique de Joinville-le-Pont. In-8, avec 98 gravures.
2e édit G fr.
Mécanisme et éducation des mouvements, par le même. 1 vol. in-8, avec
565 gravures 9 fr.
. Dans le premier ouvrage l'auteur développe particulièrement l'éducation de la respi-
ration, l'ampliation de la poitrine, la fatigue et l'entraînement, l'éducation des mouve-
ments et des sens. Il relie l'éducation physique à l'éducation morale en montrant l'effet
de la première sur le caractère et, dans une troisième partie, il indique les procédés
techniques de mensuration pour contrôler les résultats obtenus.
Dans le second volume, les mouvements gymnastiques sont analysés et étudiés sous
le rapport de leur effet utile. On y trouve l'exposé des études sur la locomotion au
moyen de la chronophotographie et de la dynamographie. On y constate aussi les rap-
ports de la science et de l'art dans ce qui peut constituer la physiologie artistique;
toute une partie importante est consacrée aux conditions économiques de l'utiiisaiion
de la force musculaire, à la mesure du travail dans les cas simples et à des expériences
intéressant spécialement- la locomotion dans l'armée.
Évolution individuelle et hérédité [Théorie de la variation quantitative), par
F. Le Dantec, chargé du cours d'Embryologie générale à la Sorbonne.
1 vol. in-8 . ."" . . . . . . . . . . . . . ., . . . .......... 6 fr.
Le but de M. F. Le Dantec en écrivant cet ouvrage, a été d'arriver, par une méthode
purement déductive, à la compréhension de l'hérédité des caractères acquis, et c'est
par cette méthode que son livre diffère entièrement des autres ouvrages publiés sur la
question si controversée de l'hérédité.
IV. — ANTHROPOLOGIE
Formation de la Nation française (Textes, linguistique, palethnologie, anthro-
pologie), par Gabriel de Mortillet, professeur à l'Ecole d'Anthropologie,
ancien président de la Société d'Anthropologie, i vol. in-8, avec 153 gra-
vures et 18 cartes dans le texte, 2e édit 6 fr.
Critique chronologique des anciens textes. Populations sédentaires et populations
mobiles. Gaulois et Germains formant un seul et même type. Langues parlées. Evo-
lution de l'écriture en France. Précurseur de l'homme. Naissance et développement de
l'industrie et de la civilisation. Absence de culte. Invasion et révolution sociologique.
Protohistorique et métallurgie. Races humaines primitives de la France. Dolichocé-
phales et brachycéphales. Origine et variations des cultes. Les premiers habitants
apparaissent il y a 230 à 240 mille ans. Races françaises pures pendant le paléolithique.
Mélange des races autochtones avec les races envahissantes. Formation de la population
française : telles sont les matières traitées dans cet ouvrage.
L'espèce humaine, par A. de Quatrefages, membre de l'Institut, professeur au
Muséum d'histoire naturelle. 1 vol. in-8, 13e édit 6 fr.
« Ce livre m'a beaucoup intéressé, et il intéressera tous ceux qui le liront. Il expose avec une
pleine compétence les faits et les questions. On pont n'être pas toujours de son avis, mais il fournit
des éléments de discussion sur lesquels il est légitime de compter. Les diverses races humaines sont
bien étudiées : l'homme fossile, cette découverte des temps modernes, n'est pas oublié. Des détails
très instructifs sont donnés sur les influences du milieu et de la race, sur les acclimatations, sur les
croisements et sur les curieux phénomènes de Phybïidité. (E. Littbé, Philosophie positive.)
Darwin et ses précurseurs français, par A. de Quatrefages. 1 vol., 2e édit. 6 fr.
Les émules de Darwin, par A. de Quatrefages; précédé de notices sur la vie
et les travaux de l'auteur, par MM. E. Perrier et Hamy, de l'Institut. 2 vol. 12 fr.
Les idées évolutionnistes qui, depuis un tiers de siècle, ont renouvelé toutes les
sciences et même la philosophie, ont reçu évidemment de Darwin leur impulsion
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR- SUR PARIS
8
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN
décisive. Mais ce n'est pas à dire que le grand naturaliste anglais ait tout inventé
d'emblée. M. de Quatrefages montre dans ces ouvrages que Darwin a eu des précur-
seurs et des émules de premier rang,' en France même. Il analyse et critique les théo-
ries de Darwin à côté de celles de ses précurseurs, Lamarck, Et. Geoffroy Saint-Hilaire,
Buffdn et quelques autres comme Telliamed, Robinet, Bory de Saint-Vincent. Parmi les
savants qu'il cite comme émules de Darwin, nous rappellerons Wallace, Naudin,
Romanes, Cari Vogt, Haeckel, Huxley, d'Omalius d'Halloy, etc.
La France préhistorique, par E. Cartailhac. 1 vol. in-8, avec 150 gravures
dans le texte, 2e édit. 6 fr.
Ce qui distingue le livre de M. Gartailhac de tant d'autres livres sur lé même sujet,
c'en est le caractère uniquement et rigoureusement scientifique. Ni les conjectures
n'y sont données pour des vérités, ni les hypothèses pour des certitudes; au contraire,
M. Gartailhac s'y fait un point d'honneur de distinguer soigneusement le certain d'avec
le probable, et le probable d'avec le douteux. Rien de moins ordinaire aux anthropo-
logistes, dont l'intrépidité d'affirmation n'a d'égale au monde que celle des métaphysi-
ciens. Et c'est ce qui suffirait à recommander la France -préhistorique, si d'ailleurs le
nom cle M. Cartailhac n'était assez connu pour ses heureuses découvertes, ses nombreux
travaux, et sa rare compétence. (Revue des Deux Mondes.)
L'homme préhistorique, étudié d'après les monuments et les costumes retrou-
vés dans les différents pays d'Europe; suivi 'd'une Étude sur les mœurs et cou-
tumes des sauvages modernes, par sir John Lubbock, membre de la Société royale
de Londres, 2 vol. in-8 avec 228 grav. dans le texte, 4e édit ' . 12 fr.
Rappeler les grandes divisions de l'ouvrage montrera suffisamment son importance,
tant au point de vue scientifique qu'au point de vue historique. Les principaux cha-
pitres traitent des questions suivantes : De l'emploi du bronze dans Vantiquité, de l'âge
du bronze, de l'emploi de la pierre dans l'antiquité, monuments mégalithiques, tumuli,
les anciennes habitations lacustres de la Suisse, les amas de coquilles du Danemark,
les graviers des rivières, de V ancienneté de l'homme.
La famille primitive, ses origines et son développement, par G. N. Starcke,
professeur à l'Université de Copenhague. 1 vol. in-8 6 fr.
Dans une première partie, l'auteur examine l'organisation de la famille, de la pro-
priété et de l'héritage chez tous les peuples primitifs ou anciens. Dans la seconde
partie, il fait la théorie de la famille primitive, de son. origine et de son évolution. Il
étudie successivement la filiation, la polyandrie et la polygamie, le matriarcat et le
patriarcat, le lévirat et le niyoga, l'hérédité et le droit d'aînesse, les formes différentes
de.famille dans les principales races, etc. L'origine et le régime du mariage attirent
principalement son attention; il développe soigneusement le système de l'exogamie et
l'évolution du mariage. Il termine enfin par la théorie du clan, de la tribu et de la
famille qui a provoqué, comme celle du mariage, bien des controverses. Ce livre est
donc comme un résumé des principales questions sociales.
L'homme dans la nature, par P. Topinard. 1 vol. in-8, avec 101 grav. 6 fr.
L'ouvrage de M. Topinard se divise en deux parties distinctes. Dans la première, il
expose les résultats de ses recherches personnelles sur l'anthropologie, les questions
que soulève cette science, les résultats positifs qu'elle a obtenus et aussi les déceptions
qu'elle a rencontrées. Dans la seconde partie de son ouvrage, M. Topinard expose et
discute, à la lumière des derniers progrès de la science, toutes les données du grand
problème de l'origine de l'homme. Malgré l'abîme profond qui sépare aujourd'hui le
genre humain du reste des animaux, M. Topinard montre avec détails que l'homme est
le produit d'une longue évolution commencée dans les classes inférieures des vertébrés
et dont il suit toutes les phases jusqu'à l'ordre des Primates où l'Espèce humaine
forme un rameau distinct.
Les races et les langues, par André Lefèvre, professeur à l'École d'Anthro-
pologie de Paris. 1 vol. in-8 6 fr.
L'auteur ne sépare pas le langage de l'organisme qui l'a produit, des êtres qui l'ont
façonné à leur usage. Le langage, contre-coup sonore de la sensation, a débuté par le
cri animal, cri d'émotion, cri d'appel. Varié par l'onomatopée, enrichi par la méta-
phore, il a évolué clans la mesure même du développement cérébral et des aptitudes
intellectuelles. Tous les groupes ethniques passés en revue par l'auteur ont su mettre
la parole en exacte correspondance avec leurs facultés et leurs besoins. Une grande
partie de l'ouvrage est, comme de juste, consacrée à la puissante famille indo-euro-
péenne dont les nombreux idiomes ont refoulé, pour ainsi dire, et rejeté en marge
de la civilisation des langues moins souples et moins bien ordonnées. M. André Lefèvre
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PAKIS
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
9
a proposé des vues nouvelles et originales. Toujours il s'est inspiré de ces lignes qui
terminent l'ouvrage : « Tout ensemble facteur et expression de nos progrès, créateur
de la conscience et de la science, le langage relie la zoologie à l'histoire, l'anthropologie
physiologique à l'anthropologie morale. »
Les singes anthropoïdes, et leur organisation comparée à celle de l'homme,
par R. Hartmann, professeur à l'Université de Berlin. 1 vol. in-8, avec 63 gra-
vures dans le texte. 6 fr.
L'auteur déduit de son étude la confirmation de la proposition de Huxley qu'il y a
plus de différence entre les singes les plus inférieurs et les singes les plus élevés, qu'il
n'y en a entre ceux-ci et les hommes. Toutefois si, au point de vue corporel, il cons-
tate une parenté très proche entre l'homme et le singe anthropoïde, il résulte égale-
ment de ses observations qu'au point de vue psychique l'abîme entre les deux est très
considérable.
Le centre de l'Afrique ; Autour du Tchad, par P. Brunache, administrateur
de commune mixte en Algérie. 1 vol. in-8, avec 45 gravures dans le texte et
une carte . . 6 fr.
M. P. Brunache a été le second de MM. Dybowski et Maistre dans leurs missions
célèbres de 1892 et de 1894. 11 raconte ses impressions de voyage et constate les résul-
tats acquis dans les explorations auxquelles il a pris part; il expose en même temps
ses idées sur l'influence que la France peut et doit exercer dans les régions si disputées
de l'Afrique centrale. Des dessins, pris sur place par l'auteur, donnent à son travail
un cachet particulier, et constituent des documents authentiques qui intéresseront
tous ceux, et ils sont nombreux, qui suivent avec ardeur les progrès de notre déve-
loppement en Afrique.
V. — ZOOLOGIE
La culture des mers en Europe (pisci facture, pisciculture, ostréiculture), par
Georges Roché, inspecteur général des Pèches maritimes. \ vol. in-8, avec
81 gravures dans le texte 6 fr.
M. Roché n'a pas eu la prétention d'écrire un traité d'aquiculture, mais il a pensé
qu'il était intéressant d'initier le public au fonctionnement des industries maritimes
et à la technique des méthodes piscicoles et ostréicoles. Il expose d'abord les procédés
de pèche modernes et les résultats qu'ils fournissent dans les mers d'Europe, puis il
passe en revue les essais de piscifacture et de pisciculture pratiqués dans les divers
pays, la reproduction des homards et des langoustes, l'ostréiculture si développée en
France que ses débouchés actuels sont devenus insuffisants. Un dernier chapitre est.
consacré à la culture des éponges industrielles.
L'intelligence des animaux, par G.-J. Romanes, secrétaire de la Société Lin-
néenne de Londres pour la zoologie ; précédé d'une préface sur ÏEvolution
mentale, par Edm. Perrier, membre de l'Institut, directeur du Muséum
d'histoire naturelle de Paris. 2 vol. in-8, 3e édit 12 fr.
Cet ouvrage a été composé, presque sous- les yeux de Darwin, par un des hommes
qui se sont le plus scrupuleusement imprégnés de sa méthode : Georges-J. Romanes;
il étudie les manifestations de l'instinct ou de la raison chez les différentes espèces,
depuis les *p\us inférieures jusqu'aux grands mammifères, et il rapporte, avec un luxe
de détails vraiment remarquable, quantité de curieuses observations.
La philosophie zoologique avant Darwin, par Edmond Perrier, membre
de l'Institut, directeur du Muséum d'histoire naturelle de Paris. 1 vol. in-8,
3e édit. . 6 fr.
Le savant professeur du Jardin des plantes a traité une des parties les plus intéres-
santes des sciences naturelles : l'Histoire des doctrines des grands zoologistes depuis
Aristote jusqu'aux hommes les plus marquants de l'époque contemporaine. Il y a
abordé chacun des grands problèmes que cherchent à résoudre en ce moment les
sciences naturelles et a fait de ce livre un véritable résumé de la zoologie actuelle.
Descendance et Darwinisme, par 0. Schmidt, professeur à l'Université de
Strasbourg. 1 vol. in-8, avec 26 gravures, 6e édit 6 fr.
La théorie nouvelle de la parenté et de la descendance n'est pas uniquement sou-
mise aux controverses de ses partisans; elle est discutée par des adversaires dont la
vue est troublée par l'image plus ou moins nette des dangers qu'elle prépare à leur
science fondée sur le miracle. L'opposition a été grande en Angleterre contre l'homme
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PAIHIS
1-2
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les eaux minérales, les cours d'eau souterrains, le rôle minéralisateur de l'eau aux.
époques géologiques constituent autant de chapitres d'un vif intérêt. Les tremblements
de terre et les météorites conduisent M. Daubrée à l'examen de la constitution du
globe. En un mot, c'est bien, comme l'indique le titre, une excursion dans les régions
de l'invisible. : (Les Débals.)
Les volcans et les tremblements de terre, par Fucus, professeur à l'Univer-
sité de Heidelberg. 1 vol. in-8, avec 30 gravures et une carte en couleurs,
6e édit 6 fr.
On trouve dans ce livre un historique détaillé des tremblements, de terre connus,
des études sur les tremblements de mer, les volcans boueux et les geysers, une
description pétrographique des laves; enfin il se termine par une description géogra-
phique des volcans, comprenant une énumération complète et tenant compte de toutes
les découvertes et de tous les événements récents.
Le pétrole, le bitume et l'asphalte, par A. Jaccard, professeur de géologie à
l'Académie de Neuchâtel. 1 vol. in-8, avec 70 gravures dans le texte. . 6 fr.
M. Jaccard fait dans ce livre l'histoire critique de toutes les théories scientifiques
relatives au pétrole, décrit son mode de formation, expose la découverte successive de
ses gisements dans les deux mondes. 11 fait ensuite l'histoire du bitume et de l'asphalte.
Enfin il cherche à déterminer l'avenir industriel du pétrole. De nombreuses figures
placées dans le texte permettent notamment de suivre les descriptions des principaux
gisements géologiques.
La géologie comparée, par Stanislas Meunier, professeur au Muséum d'his-
toire naturelle. 1 vol. in-8, avec 35 gravures dans le texte 6 fr.
L'étude des météorites, qui sont des échantillons de masses extra-terrestres, et les
renseignements de plus en plus abondants que nous fournit l'astronomie physique,
aidée par l'analyse spectrale, sur la constitution des corps célestes, permettent d'en-
trevoir une géologie considérable, dont la géologie terrestre forme un cas particu-
lier. C'est ce nouveau chapitre de la science que le savant professeur du Muséum
s'attache, depuis des années, à développer et à constituer en corps de doctrine. Il en
a donné un excellent résumé dans le volume que nous avons sous les yeux.
(Revue des Deux Mondes.)
La géologie générale, par le même. 1 vol. in-8, avec 43 grav. dans le texte. . 6 fr.
L'auteur débute par un exposé de l'évolution des idées en géologie générale pendant
le xixe siècle et passe en revue les théories de Cuvier, cle Lyell, de Constant Prévost
et de leurs écoles, pour aboutir à l'activisme qui constitue à l'heure actuelle le dernier
stade de cette évolution. Pour justifier cette doctrine qu'il a faite sienne, il étudie les
principaux phénomènes actuels en essayant de retrouver pour chacun d'eux la cause
prochaine d'où ils dérivent. 11 recherche ensuite dans les dépôts des époques antérieures
à la nôtre, des témoignages analogues à ceux qu'il a ainsi interprétés, puis il examine
si toutes les actions actuelles se sont fait sentir alors et si, à leur influence, ne s'est
pas ajoutée celle des causes qui n'agiraient plus maintenant.
Il établit ainsi, pour ainsi .dire, la physiologie tellurique de l'époque actuelle et la
physiologie comparée des époques précédentes, et fait enfin ressortir entre les unes et
les autres les points communs et les contrastes dont se dégage, comme d'elle-même,
toute la philosophie de la géologie.
VIL — PHYSIQUE
Les glaciers et les transformations de l'eau, par J. Tyndall, professeur de
chimie à l'Institution royale de Londres; suivi d'une étude sur le même sujet,
par Helmholtz, professeur à l'Université de Berlin. 1 vol. in-8, avec 27 gravures
dans le texte et 8 planches tirées à part sur papier teinté, 6e édit. ... 6 fr.
La conservation de l'énergie, par Balfour Stewart, professeur de physique
au Collège Owen de Manchester (Angleterre); suivi d'une étude sur la Nature
de la force, par P. de Saint-Robert (de Turin). 1 vol. in-8, 6e édit. 6 fr.
La matière et la physique moderne, par Stallo; précédé d'une préface par
Ch. Friedel, de l'Institut, professeur à la Faculté des sciences de Paris. 1 vol.
in-8, 3° édit. . . ' . 6 fr..
L'auteur critique, au point cle vue purement expérimental, les principales théories
de la science contemporaine : la théorie mécanique de la chaleur, la théorie ato-
mique, etc., enfin les surprenantes doctrines des géomètres allemands et italiens sur
l'espace à quatis dimensions. M. Friedel a placé en tête de ce livre une préface où il
prend la défense de l'Ecole atomique dont il est le chef incontesté en France depuis
la mort de Wurtz.
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PARIS
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
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VIII. — CHIMIE
La synthèse chimique, par M. Berthelot, membre de l'Institut, professeur de
chimie organique au Collège de France. 1 vol. in-8, 9e édit 6 f'r.
C'est en 1860 que M. Berthelot a exposé, pour la première fois, les méthodes et les
résultats généraux de. la synthèse chimique appliquée aux matériaux immédiats des,
êtres organisés, et qu'il a fait connaître au monde savant les procédés qu'il avait
découverts pour réaliser les combinaisons de carbone et d'hydrogène.
Il était bon que ces principes de la synthèse organique qui ont pris une place si
importante dans le domaine de la chimie et qui, chaque jour, produisent des décou-
vertes nouvelles, fussent mis à la portée du grand public.
La théorie atomique, par Ad. Wurtz, membre de l'Institut, professeur à la
Faculté des sciences et à la Faculté de médecine de Paris. Précédé d'une intro-
duction sur la Vie et les travaux de l'auteur, par Ch. Friedel, de l'Institut. 1 vol.
in-8, 8e édit. 6 fr.
Dans cet ouvrage, le chef de l'Ecole atomique française, Ad. Wurtz, résume l'ensemble
des travaux et des théories qui ont rendu son nom célèbre dans toute l'Europe savante.
Il expose le développement successif des théories chimiques depuis Dalton, Gay-Lussac,
Berzélius et Proust, jusqu'à Dumas, Laurent et Gerhardt, Avogrado, Merideleef, et
termine par les études les plus curieuses et les plus nouvelles sur la constitution des
corps et la nature de la matière.
Les fermentations, par P. Schutzenberger, membre de l'Institut, professeur de
chimie au Collège de France. 1 vol. in-8, avec 28grav., 6e édition refondue. G fr.
M. Schutzenberger a divisé son travail en deux parties : dans la première, il traite
des fermentations attribuées à l'intervention d'un ferment organisé ou figuré, telles
sont les fermentations alcoolique, visqueuse, lactique, ammoniacale, butyrique et par
oxydation; la seconde partie est consacrée aux fermentations provoquées par des pro-
duits solubles, élaborés par les organismes vivants.
Microbes, ferments et moisissures, par le Dr L. Trocessart. 1 vol. in 8, avec
107 gravures dans le texte, 2e édit 6 fr.
Le rôle des microbes intéressant chacun de nous, il fallait un livre où l'avocat, forcé
de traiter en face d'experts une question d'hygiène, l'ingénieur, l'architecte, l'indus-
triel, l'agriculteur, l'administrateur, pussent trouver des notions claires et précises sur
les questions d'hygiène pratique se rattachant à l'étude des microbes, notions qu'ils
trouveraient difficilement, dispersées qu'elles sont dans les livres destinés aux méde-
cins ou aux botanistes de profession. Bien qu'il ne soit pas écrit spécialement pour ces
derniers, ce livre peut cependant leur être d'une grande utilité.
Il a été donné une large place à la partie botanique, trop souvent négligée dans les
ouvrages de pathologie microbienne.
La révolution chimique. Lavoisier, par M. Berthelot. 1vol. in-8, ill.,2eéd. 6fr.
A côté de la Bévolution politique de 1789, il y a donc eu une révolution chimique,
personnifiée par Lavoisier, et qui sépare deux mondes scientifiques entièrement diffé-
rents par leurs méthodes, leur esprit et leurs principes. C'est cette révolution que
raconte M. Berthelot.
L'ouvrage se termine par des notices et extraits des registres inédits du laboratoire
de Lavoisier qui offrent un intérêt particulier en mettant le lecteur en présence de la
méthode de travail de l'illustre savant.
La photographie et la photochimie, par G. -H. Niewenglowski, préparateur
à la Faculté des sciences de Paris, directeur du journal La Photographie. 1 vol.
in-8, avec 128 gravures dans le texte et 1 planche en phototypie hors texte. 6 fr.
Les principes de photochimie qui sont la base des procédés photographiques sont
d'abord décrits aussi clairement que possible. L'auteur passe ensuite en revue les
diverses phases des nombreuses recherches qui ont abouti à la fixation des images de
la chambre noire, avec leur triple caractère de forme, de couleurs et de mouve-
ment, et donne un aperçu des nombreuses applications de l'invention française la
plus féconde de ce siècle. Les travaux les plus récents sont analysés dans cet ouvrage;
c'est ainsi que des chapitres ont été réservés à Vart photographique, à 'la photographie
directe et indirecte des couleurs', à la chromo-photographie et au cinématographe, à la
photographie de l'invisible, aux -rayons de Rœntgen et aux radiations qui s'en rappro-
ENVOI FRANCO CONTRE MANDAT-POSTE OU VALEUR SUR PARIS
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les eaux minérales, les cours d'eau souterrains, le rôle minéralisateur de l'eau aux
époques géologiques constituent autant de chapitres d'un vif intérêt. Les tremblements
de terre et les météorites conduisent M. Daubrée à l'examen de la constitution du
globe. En un mot, c'est bien, comme l'indique le titre., une excursion dans les régions
de l'invisible. ' (Les Débals.)
Les volcans et les tremblements de terre, par Fucus, professeur à l'Univer-
sité de Heidelberg. 1 vol. in-8, avec 30 gravures et une carte en couleurs,
6e édit 6 fr.
On trouve dans ce livre un historique détaillé des tremblements' de terre connus,
des études sur les tremblements de mer, les volcans boueux et les geysers, une
description pétrographique des laves; enfin il se termine par une description géogra-
phique des volcans, comprenant une énumération complète et tenant compte de toutes
les découvertes et de tous les événements récents.
Le pétrole, le bitume et l'asphalte, par A. Jaccard, professeur de géologie à
l'Académie de Neuchâtel. 1 vol. in-8, avec 70 gravures dans le texte. . 6 fr.
M. Jaccard fait dans ce livre l'histoire critique de toutes les théories scientifiques
relatives au pétrole, décrit son mode de formation, expose la découverte successive de
ses gisements dans les deux mondes. 11 fait ensuite l'histoire du bitume et de l'asphalte.
Enfin il cherche à déterminer l'avenir industriel du pétrole. De nombreuses figures
placées dans le texte permettent notamment de suivre les descriptions des principaux
gisements géologiques.
La géologie comparée, par Stanislas Meunier, professeur au Muséum d'his-
toire naturelle. 1 vol. in-8, avec 35 gravures dans le texte 6 fr.
L'étude des météorites, qui sont des échantillons de masses extra-terrestres, et les
renseignements de plus en plus abondants que nous fournit l'astronomie physique,
aidée par l'analyse spectrale, sur la constitution des corps célestes, permettent d'en-
trevoir une géologie considérable, dont la géologie terrestre forme un cas particu-
lier. C'est ce nouveau chapitre de la science que le savant professeur du Muséum
s'attache, depuis des années, à développer et à constituer en corps de doctrine. Il en
a donné un excellent résumé dans le volume que nous avons sous les yeux.
(Revue des Deux Mondes.)
La géologie générale, par le même. 1 vol. in-8, avec 43 grav. dans le texte. . 6 fr.
L'auteur débute par un exposé de l'évolution des idées en géologie générale pendant
le xixe siècle et passe en revue les théories cle Cuvier, de Lyell, de Constant Prévost
et de leurs écoles, pour aboutir à l'activisme qui constitue à l'heure actuelle le dernier
stade de cette évolution. Pour justifier cette doctrine qu'il a faite sienne, il étudie les
principaux phénomènes actuels en essayant de retrouver pour chacun d'eux la cause
prochaine d'où ils dérivent. 11 recherche ensuite dans les dépôts des époques antérieures
à la nôtre, des témoignages analogues à ceux qu'il a ainsi interprétés, puis il examine
si toutes les actions actuelles se sont fait sentir alors et si, à leur influence, ne s'est
pas ajoutée celle des causes qui n'agiraient plus maintenant.
Il établit ainsi, pour ainsi .dire, la physiologie tellurique de l'époque actuelle et la
physiologie comparée des époques précédentes, et fait enfin ressortir entre les unes et
les autres les points communs et les contrastes dont se dégage, comme d'elle-même,
toute la philosophie de la géologie.
VIL — PHYSIQUE
Les glaciers et les transformations de l'eau, par J. Tyndall, professeur de
chimie à l'Institution royale de Londres; suivi d'une étude sur le même sujet,
par Helmholtz, professeur à l'Université de Berlin. 1 vol. in-8, avec 27 gravures
dans le texte et 8 planches tirées à part sur papier teinté, 6e édit. ... 6 fr.
La conservation de l'énergie, par Balfour Stewart, professeur de physique
au Collège Owen de Manchester (Angleterre) ; suivi d'une étude sur la Nature
de la force, par P. de Saint-Robert (de Turin). 1 vol. in-8, 6e édit. 6 fr.
La matière et la physique moderne, par Stallo; précédé d'une préface par
Ch. Friedel, de l'Institut, professeur à la Faculté des sciences de Paris. 1 vol.
in-8, 3e édit. . . 1 ; 6 fr..
L'auteur critique, au point de vue purement expérimental, les principales théories
de la science contemporaine : la théorie mécanique de la chaleur, la théorie ato-
mique, etc., enfin les surprenantes doctrines des géomètres allemands et italiens sur
l'espace à quatre dimensions. M. Friedel a placé en tête de ce livre une préface où. il
prend la défense de l'Ecole atomique dont il est le chef incontesté en France depuis
la mort de Wurtz.
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13
VIII. — CHIMIE
La synthèse chimique, par M. Berthelot, membre de l'Institut, professeur de
chimie organique au Collège de France. 1 vol. in-8, 9e édit 6 fr.
C'est en 1860 que M. Berthelot a exposé, pour la première fois, les méthodes et les
résultats généraux de la synthèse chimique appliquée aux matériaux immédiats des,
êtres organisés, et qu'il a fait connaître au monde savant les procédés qu'il avait
découverts pour réaliser les combinaisons de carbone et d'hydrogène.
Il était bon que ces principes de la synthèse organique qui ont pris une place si
importante clans le domaine de la chimie et qui, chaque jour, produisent des décou-
vertes nouvelles, fussent mis à la portée du grand public.
La théorie atomique, par Ad. Wurtz, membre de l'Institut, professeur à la
Faculté des sciences et à la Faculté de médecine de Paris. Précédé d'une intro-
duction sur la Vie et les travaux de l'auteur, par Ch. Friedel, de l'Institut. 1 vol.
in-8, 8e édit 6 fr.
Dans cet ouvrage, le chef de l'Ecole atomique française, Ad. Wurtz, résume l'ensemble
des travaux et des théories qui ont rendu son nom célèbre dans toute l'Europe savante.
Il expose le développement successif des théories chimiques depuis Dalton, Gay-Lussac,
Berzélius et Proust, jusqu'à Dumas, Laurent et Gerhardt, Avogrado, Mendeleef, et
termine par les études les plus curieuses et les plus nouvelles sur la constitution des
corps et la nature de la matière.
Les fermentations, par P. Schutzenberger, membre de l'Institut, professeur de
chimie au Collège de France. 1 vol. in-8, avec 28grav., 6e édition refondue. G fr.
M. Schutzenberger a divisé son travail en deux parties : dans la première, il traite
des fermentations attribuées à l'intervention d'un ferment organisé ou figuré, telles
sont les fermentations alcoolique, visqueuse, lactique, ammoniacale, butyrique et par
oxydation; la seconde partie est consacrée aux fermentations provoquées par des pro-
duits solubles, élaborés par les organismes vivants.
Microbes, ferments et moisissures, par le Dr L. Trouessart. 1 vol. in 8, avec
107 gravures dans le texte, 2e édit 6 fr.
Le rôle des microbes intéressant chacun de nous, il fallait un livre où l'avocat, forcé
de traiter en face d'experts une question d'hygiène, l'ingénieur, l'architecte, l'indus-
triel, l'agriculteur, l'administrateur, pussent trouver des notions claires et précises sur
les questions d'hygiène pratique se rattachant à l'étude des microbes, notions qu'ils
trouveraient difficilement, dispersées qu'elles sont dans les livres destinés aux méde-
cins ou aux botanistes de profession. Bien qu'il ne soit pas écrit spécialement pour ces
derniers, ce livre peut cependant leur être d'une grande utilité.
Il a été donné une large place à la partie botanique, trop souvent négligée dans les
ouvrages de pathologie microbienne.
La révolution chimique. Lavoisier, par M. Berthelot. 1 vol. in-8, ill., 2e éd. 6 fr.
A côté de la Révolution politique de 1789, il y a donc eu une révolution chimique,
personnifiée par Lavoisier, et qui sépare deux mondes scientifiques entièrement diffé-
rents par leurs méthodes, leur esprit et leurs principes. C'est cette révolution que
raconte M. Berthelot.
L'ouvrage se termine par des notices et extraits des registres inédits du laboratoire
de Lavoisier qui offrent un intérêt particulier en mettant le lecteur en présence de la
méthode de travail de l'illustre savant.
La photographie et la photochimie, par G. -H. Niewenglowski, préparateur
à la Faculté des sciences de Paris, directeur du journal La Photographie. 1 vol.
in-8, avec 128 gravures dans le texte et 1 planche en phototypie hors texte. 6 fr.
Les principes de photochimie qui sont la base des procédés photographiques sont
d'abord décrits aussi clairement que possible. L'auteur passe ensuite en revue les
diverses phases des nombreuses recherches qui ont abouti à la fixation des images de
la chambre noire, avec leur triple caractère de forme, de couleurs et de mouve-
ment, et donne un aperçu des nombreuses applications de l'invention française la
plus féconde de ce siècle. Les travaux les plus récents sont analysés dans cet ouvrage;
c'est ainsi que des chapitres ont été réservés à Y art photographique, à 4a photographie
directe et indirecte des couleurs', à la chromo-photographie et au cinématographe, à la
photographie de V invisible , aux rayons de Rœntgen et aux radiations qui s'en rappro-
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14
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chent par leurs propriétés. Les applications de la photographie à l'astronomie, à l'art
militaire, aux sciences physiques, naturelles et médicales, à la décoration, etc., font
aussi l'objet de chapitres spéciaux.
L'eau dans l'alimentation, par le Dr F. Malméjac, pharmacien de l'armée,
docteur en pharmacie. Préface de M. Schlagdenhauffen, directeur honoraire de
l'Ecole supérieure de pharmacie de Nancy. 1 vol. in-8, avec gravures. . 6 fr.
La question de l'eau de boisson occupe aujourd'hui une place capitale en hygiène,
et il n'est pas trop de la géologie, de la chimie et de la bactériologie pour la résoudre.
Ce sont les résultats de toutes les recherches entreprises depuis vingt ans que
M. Malméjac expose; il a également consigné des travaux personnels encore inédits;
ainsi composé, le livre résume fidèlement les connaissances que toute personne ins-
truite doit posséder sur la matière. Nul n'oserait, en effet, se désintéresser d'une
question qui a pour but de. débarrasser à jamais le genre humain des redoutables épidé-
mies d'origine hydrique et, comme conséquence, de faire diminuer dans de grandes
proportions la mortalité.
IX. — ASTRONOMIE — MÉCANIQUE
Les étoiles. Notions d'astronomie sidérale, par le Père A. Segchi, directeur de
l'Observatoire du Collège romain. 2 vol. in-8, avec 68 gravures dans le texte
et 16 planches en noir et en couleurs, 3e édit '. . 12 fr.
L'auteur, après avoir décrit l'aspect général du ciel, étudie toutes les questions qui
se rattachent à la grandeur des étoiles, à la distance qui les s~épare de nous, à leur
couleur, à leurs changements d'éclat et de teinte. Un chapitre est consacré au soleil,
qui appartient à la classe des étoiles variables. Il aborde ensuite l'histoire des nébu-
leuses, l'étude et la détermination des mouvements propres des étoiles. Il est ainsi
conduit à traiter de l'immensité de l'espace stellaire, clu nombre des étoiles, des
distances qui les séparent de nous et de celles qui les séparent les unes des autres.
Enfin, dans un dernier chapitre, le P. Secchi expose ses vues sur la constitution de
l'univers.
Histoire de la machine à vapeur, de la locomotive et des bateaux à
vapeur, par R. Thurston, professeur de mécanique à l'Institut technique de
Hoboken, près New-York; revue, annotée et augmentée d'une Introduction, par
M. Hirsch, ingénieur en chef des ponts et chaussées, professeur de machines
à vapeur à l'Ecole des ponts et chaussées de Paris. 2 vol. in-8, avec 160 gra-
vures dans le texte et 16 planches à part, 3e édit 12 fr.
On peut dire que l'industrie moderne tout entière dérive de la machine à vapeur,
et cependant l'histoire de ce merveilleux engin n'avait pas encore été écrite d'une
manière complète. M. Thurston a comblé cette lacune. Cet ouvrage est orné de
16 planches, d'une foule de portraits d'inventeurs, et d'une immense figure représen-
tant tous les types de machines à vapeur, de bateaux à vapeur ou de locomotives,
depuis les premières tentatives de l'antiquité jusqu'aux perfectionnements les plus
récents.
Les aurores polaires, par A. Angot, météorologiste titulaire au Bureau météo-
rologique de France. 1 vol. in-8, avec 15 gravures dans le texte et hors texte. 6 fr.
Les aurores boréales, que M. Angot appelle avec raison aurores polaires, puisqu'elles
se produisent aussi bien au pôle sud qu'au pôle nord, et descendent même de temps
à autre dans les latitudes tempérées, forment l'un des sujets les plus curieux des
sciences physiques. M. Angot les décrit, en fait l'histoire, en discute la théorie, avec
la clarté de style et l'élégance d'exposition qui lui ont donné une place éminente dans
la littérature scientifique comme dans la science technique. Des gravures, exécutées
avec le plus grand soin, représentent les plus belles aurores boréales observées.
X. — BEAUX- ART S
Les débuts de l'art, par E. Grosse, professeur à l'Université de Fribourg-en-
Brisgau. Traduit de l'allemand par A. Dirr. Introduction de M. L. Marillier.
1 vol. in-8, avec 32 gravures dans le texte et 3 planches hors texte. . . 6 fr.
L'art, à ses débuts, a été nettement réaliste, visant seulement à représenter, de
façon exacte, les principaux faits de lâ~vie courante. Ce sont des facteurs secondaires
qui ont fait naître la tendance à la simplification, au choix entre les détails, au style.
Rien de tout cela n'a existé dans les reproductions premières des objets que l'homme
voyait tous les jours. L'ouvrage de M. Grosse est conçu sur un plan des plus simples :
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BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE- INTERNATIONALE 15
4> ' .
après une étude préliminaire sur le but et la voie de la science de Vart, sur les peuples
primitifs, et sur Vart en général, l'auteur examine la parure, Vart ornementaire, la
sculpture et la peinture, la danse, la poésie, la musique-, une conclusion rapide permet
de mesurer l'étendue du champ parcouru.
. Les idées maîtresses de l'ouvrage, inséparablement unies les unes aux autres, con-
sistent essentiellement en cette notion que, pour s'élever à la dignité de science, la
connaissance d'un ensemble de faits ou d'individus doit être surtout explicative; or,
nulle part, cette méthode ne trouve de plus utiles applications que dans le domaine
de l'art. Écrit en une langue alerte, le livre de M. Grosse est accessible à tous : il
intéressera les savants, et les hommes les moins initiés aux recherches et aux
méthodes de l'ethnographie comparée pourront le lire sans un instant d'ennui, sans
un effort d'attention.
La céramique ancienne et moderne, par E. Guignet, directeur des teintures
à la manufacture des Gobelins, et E. Garnier, conservateur du Musée de la manu-
facture de Sèvres. 1 vol. in-8, avec 100 gravures dans le texte 6 fr.
Ce gros livre est formé de deux parties distinctes : un manuel des procédés de fabri-
cation employés par les céramistes, et une histoire rétrospective de la céramique. La
première de ces deux parties est l'œuvre de M. Guignet, directeur des teintures aux
manufactures des Gobelins, et c'est M. Garnier, l'éminent conservateur du Musée de
Sèvres, qui s'est chargé d'écrire la seconde. Tous deux se sont, comme on pouvait le
prévoir, acquittés de leur tâche avec beaucoup de conscience. L'ensemble de l'ouvrage
est d'un extrême intérêt, aussi bien pour les fabricants que pour les collectionneurs.
{Illustration.)
Le son et la musique, par P. Blaserna, professeur à l'Université de Rome;
suivi des Causes physiologiques de V harmonie musicale, par H. Helmholtz, prof,
à l'Univ. de Berlin. 1 vol. in-8, avec 41 gravures dans le texte, 5e édit. 6 fr.
Ce livre n'a pas la prétention de donner une description complète des phénomènes
sonores, ni d'exposer toute l'histoire des lois musicales; l'auteur a cherché seulement
à réunir deux sujets qui jusqu'alors avaient été traités séparément. Exposer brièvement
les principes fondamentaux de l'acoustique et en montrer les plus importantes appli-
cations, tel est le but de cet ouvrage. Il se trouve présenter ainsi un grand intérêt
pour ceux qui aiment à la fois l'art et la science.
Principes scientifiques des beaux-arts, par E. Brucke, professeur à l'Univer-
sité de Vienne 5 suivi de V Optique et les Arts, par H. Helmholtz, professeur à
l'Université de Berlin. 1 vol. in-8, avec 39 gravures, 4e édit 6 fr.
Dans ce volume sont réunies les recherches principales de deux savants, MM. Brucke
et Helmholtz, et les matériaux qui y sont contenus montrent, par leur diversité et leur
importance, que la peinture et la sculpture ne perdent rien à devenir savantes tout
en demeurant artistiques. La perspective, ta distribution de la lumière et des ombres, la
couleur avec ses harmonies et ses contrastes, sont autant de sujets scientifiques que les
peintres ne sauraient se dispenser d'étudier. Les auteurs donnent également d'intelli-
gents conseils sur le mode d'éclairement des modèles qui est déterminé par des lois
rigoureuses et dont on ne s'écarte qu'au détriment de la vérité des effets; ils traitent
également la question connexe de V éclair ement des galeries de tableaux.
Théorie scientifique des couleurs et leurs applications aux arts et à
l'industrie, par O.-N. Rood, professeur de physique à Columbia-College de
New-York (Etats-Unis). 1 vol. in-8, avec 130 gravures dans le texte et une planche
en couleurs, 2e édit. 6 fr.
Ce livre convient à la fois, grâce aux aptitudes variées de son auteur, aux artistes
et aux gens du monde. On y trouve, sous une forme accessible, l'exposé des diverses
théories sur les couleurs et sur leur perception dans l'œil humain, ainsi que les appli-
cations si variées et si curieuses de beaucoup de ces théories dans l'industrie. Enfin
le rôle des couleurs dans la peinture, les moyens de les employer et l'étude des divers
genres, forment une partie importante de l'ouvrage.
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LISTE GÉNÉRALE PAR ORDRE D'APPARITION DES ICI VOLUMES
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
1. Tyndall. Les Glaciers et les Transformations de
l'eau, illustré. 7e éd.
2. Bagehot. Lois scientifiques du développement
des nations. 6e éd.
3. Marey. La Machine animale, illustré. 6e éd.
4. Bain. L'Esprit et le Corps. 6e éd.
5. Pettigrew. La Locomotion chez les animaux,
illustré. 2e éd.
6. Herbert Spencer. Introduction à la science
sociale. 13e éd.
7. Schmidt. Descendance et Darwinisme, ill. 6e éd.
8. Maudsley. Le Crime et la Folie. 7e éd.
9. Van Beneden. Les Commensaux et les Parasites
du règne animal, illustré. 4e éd.
10. Balfour Stewart. La Conservation de l'éner-
gie, illustré. 6e éd.
H. Draper. Les Conflits de la science et de la
religion. 11e éd.
12. Léon Dumont. Théorie scientifique de la sensi-
bilité. 4e éd.
13. Schutzenjberger. Les Fermentations, illustré.
6e éd. refondue.
14. Whitney. La vie du langage. 4e éd.
15. Cooke et Berkeley. Les Champignons, ill. 4e éd.
16. Bernstein. Les Sens, illustré. 5e éd.
17. Berthelot. La Synthèse chimique. 9e éd.
18. Niewenglowski. La Photographie et la Photo-
chimie, illustré.
19. Luys. Le Cerveau et ses Fonctions, illustré. 7e éd.
20. Stanley Jevons. La Monnaie et le Mécanisme
de l'échange. 5e éd.
21. Fughs. Volcans et Tremblements de terre,
illustré. 6e éd.
22. Brialmont (le général). La Défense des Etats
et les Camps retranchés. (Epuisé.)
23. De Quatrefages. L'Espèce humaine. 13e éd.
24. P. Blaserna et Helmholtz. Le Son et la Mu-
sique, illustré. 5 e éd.
25. Rosenthal. Les Nerfs et les Muscles. (Epuisé.)
26. Brucke et Helmholtz. Principes scientifiques
des Beaux-Arts, illustré. 4e éd.
27. Wurtz. La Théorie atomique. 8e éd.
28-29. Secchi (le Père). Les Etoiles,2 vol. illust. 3e éd.
30. Joly. L'Homme avant les métaux. (Epuisé.)
31. A. Bain. La Science de l'éducation. 10e éd.
32-33. Thurston. Histoire de la machine à vapeur,
2 vol. illustrés. 3e éd.
34. Hartmann. Les Peuples de l'Afrique. (Epuisé.)
35. Herbert Spencer. Les Bases de la morale é^o-
lutionniste. 6e éd.
36. Huxley. L'Ecrevisse (Introduction à la zoologie),
illustré. 2e éd.
37. De Roberty. La Sociologie. 3e éd.
38. Rood. Théorie scientifique des couleurs, ill. 2e éd.
39. De Saporta et Marion. L'Evolution du règne
végétal (les Cryptogames), illustré.
40-41. Charlton Bastian. Le Cerveau et la Pensée
chez l'homme etles animaux, 2 vol. illustrés. 2e éd.
42. James Sully. Les Illusions des sens et de l'es-
prit, illustré. 3e éd.
43. Young. Le Soleil. (Épuisé.)
44. De Candolle. Origine des plantes cultivées. 4e éd.
45-46. Lubbock. Fourmis, Abeilles et Guêpes. (Ep.)
47. Perrier. La Philosophie zoologique avant
Darwin. 3e éd.
48. Stallo. Matière et Physique moderne. 3e éd.
49. Mantegazza. La Physionomie et l'Expression
des sentiments, illustré. 3e éd.
50. De Meyer. Les Organes de la parole et leur
emploi pour la formation des sons du langage, ill:
51. De Lanessan. Le Sapin, illustré. 2e éd.
52-53. De Saporta et Marion. L'Evolution du règne
végétal (les Phanérogames), 2 vol. illustrés.
54. Trouessart. Les Microbes, les Ferments et les
Moisissures, illustré. 2e éd.
55. Hartmann. Les Singes anthropoïdes, leur orga-
" nisation comparée à celle de l'homme, illustré.
56. Schmidt. Les Mammifères dans leurs rapports
avec leurs ancêtres géologiques, illustré.
57. Binet et Féré. Le Magnétisme animal, ill. kec.c\.
58-59. Romanes. L'Intelligence des animaux, 2 vol.
illustrés. 3e éd.
60. Lagrange. Physiologie des exercices du corps.
8e éd.
61. Dreyfus. L'Evolution desmondeset des sociétés.
62. Daubrée. Les Régions invisibles du globe et
des espaces célestes, illustré. 2e éd.
63-64. Lubbock. L'Homme préhistorique, 2 vol.
illustrés. 4e éd.
65. Richet. La Chaleur animale, illustré.
66. Falsan. La Période glaciaire. (Epuisé.)
67. Beaunis. Les Sensations internes.
68. Cartailhac. La France préhistorique, ill. 2e éd.
69. Berthelot. La Révolution chimique. 2e éd.
70. Lubbock. Sens et instincts des animaux, illustré.
71. Starcke. La Famille primitive.
72. Arloing. Les Virus, illustré.
73. Topinard. L'Homme dans la nature, illustré.
74. Binet (Alf.). Les Altérations de la personnalité.
2e éd. * '
75. De Quatrefages. Darwin et ses précurseurs
français. 2e éd.
76. André Lefèvre. Les Races et les Langues.
77-78. De Quatrefages. Les Emules de Darwin.
79. Brunache. Le Centre de l'Afrique, illustré.
80. Angot. Les Aurores polaires, illustré.
81. Jaccard. Le Pétrole, l'Asphalte et le Bitume, ill,
82. Stanislas Meunier. La Géologie comparée, ill.
83. Le Dantec. Théorie nouvelle de la vie, ill. 2e éd.
84. De Lanessan. Principes de colonisation.
85. Demoor, Massart et Vandervelde. L'Évolu-
tion régressive, illustré.
86. De Mortillet. Formation de la nation française,
illustré. 2e éd.
87. G. Roche. La culture des mers, illustré.
88. Costantin. Les végétaux et les milieux cosmi-
ques (adaptation, évolution), illustré.
89. Le Dantec. L'Evolution individuelle et l'hérédité.
90. E. Guignet et E. Garnier. La Céramique an-
cienne et moderne, illustré.
91. E. Gellé. L'audition et ses organes, illustré.
92. Stan. Meunier. La Géologie expérimentale, ill.
93. Costantin. La Nature tropicale, illustré.
94. Grosse. Les débuts de l'art, ittustré.
95. Grasset. Les maladies de l'orientation et de
l'équilibre, illustré.
96. Demeny. Les bases scientifiques de l'éducation
physique, illustré. 2e éd.
97. Malméjac. L'eau dans l'alimentation.
98. Stanislas Meunier. La géologie générale, ill.
99. Demeny. Mécanisme et éducation des mouve-
ments, illustré.
100. Bourdeau. Hist. de l'habillement et de la
parure.
101. Mosso. Le corps robuste et l'esprit dispos.
Prix de chaque volume, cartonné à l'anglaise 6 fr. , hormis le volume 99, vendu 9 fr.
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6-01. — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 1-0-1.